Une conversation avec Floyd Shakim

En 2017, on faisait la connaissance avec Floyd Shakim à travers deux EPs atmosphériques en anglais. Cette année marque son retour avec Les Funambules. Un projet tout neuf et en français dans lequel il laisse la pudeur de côté pour explorer des sentiments très personnels. On l’a rencontré à cette occasion, l’occasion de parler de son évolution, d’émotions et de Takeshi Kitano.

La Face B : Salut Mathieu, comment ça va?

Floyd Shakim : Je te donne une réponse honnête? Ça va, ça va mieux qu’hier. On va dire que je gère un peu mieux maintenant les montagnes russes, donc malgré la période ça va. Je me maintiens. Pour ce qui est de la musique je suis content parce que ça va enfin sortir et je vais pouvoir le partager. (interview réalisée en février ndlr.) 

LFB : Ça tombe bien, on est là pour parler de musique. Avant de parler des Funambules, je vais faire un petit retour en arrière. Tu avais sorti coup sur coup 2 EPs en 2017, et quand je les ré-écoute aujourd’hui je me dis que ta musique était un peu en avance sur son temps. Je me demandais comment tu avais vécu ces sorties là et la façon dont elles avaient été accueillies?

Floyd Shakim: J’étais très content de sortir le premier EP parce que je me cherchais un peu les années d’avant, je ne savais pas trop quelle musique faire. C’est un peu bizarre de dire ça mais j’avais pleins d’envies et pleins d’influences et je me disais « qu’est ce que je peux apporter de bien et d’intéressant? ».
En très peu de temps, j’ai réussi à faire ces deux EPs là et j’étais très content au moment où c’est sorti. J’étais très content de pouvoir même faire des lives et de défendre ça car c’est un truc que je n’avais jamais fait. C’est grâce à À Gauche De La Lune, qui m’a permis de faire 4-5 concerts. Dans cette période, j’étais vraiment très enthousiaste. C’était plein de nouvelles expériences et pour moi une mise en danger parce que je ne suis pas vraiment un frontman à la base, j’aime bien rester derrière les machines.

C’était un peu un saut dans le vide où je me disais « lance toi, secoue toi ». Un gros challenge en fait. Pour être honnête, entre cette période là et la sortie du deuxième EP j’ai eu un gros turnover émotionnel où j’ai un peu découvert tout ce qui allait avec la sortie d’un projet. Mine de rien, t’as beau rester humble, t’as toujours des ambitions. J’ai eu une petite désillusion où j’ai vu qu’il ne suffisait pas de sortir un EP et un clip pour que 100 000 personnes t’écoutent. C’était un peu puéril de ma part je pense.
Sur le coup, j’ai très peu profité des très bons côtés parce que j’ai eu plein de déceptions, et à côté il y a la vie aussi… Au moment où mon deuxième EP est sorti, c’était plus un soulagement. Je me disais « c’est bon, on peut passer à la suite ».

Après, avec du recul, je suis très très content de l’avoir sorti, d’avoir pu toucher les gens que j’ai touché même si ce n’était pas autant que ce que j’espérais à l’époque. Ça m’a appris beaucoup de choses ces deux EPs là, comment fonctionne la musique et ce qu’il y a à côté, comment mieux prévoir et mieux éviter certaines choses… Je suis très fier de les avoir sorti et d’être allé jusqu’au bout. 

LFB : Finalement, il y a un pont de presque 4 ans entre ces sorties là et Les Funambules. Entre temps, l’année dernière, tu es revenu avec une reprise de Frank Ocean que j’ai adoré. Je me demandais si revenir avec un titre qui n’était pas le tien t’avait donné moins de pression et plus de libertés? C’était une étape pour rouvrir une porte que tu pensais fermée? 

Floyd Shakim : Honnêtement, j’avais un besoin de sortir de la musique et il fallait absolument que je sorte un truc. J’avais fait plusieurs reprises, j’avais pratiquement tous les morceaux des Funambules qui étaient terminés sauf que je n’avais pas envie de sortir un morceau à moi dans le vide. J’avais envie de réfléchir à comment j’allais le sortir, créer un projet un peu construit… J’avais juste très envie de sortir de la musique. Même si ce n’est pas mon morceau, j’avais envie de le rendre un peu personnel, c’est pour ça que je l’ai arrangé différemment. C’était un truc peu impulsif, même si l’impulsivité peut me desservir parfois. C’était peut être une étape, une sorte de transition mais c’était plutôt un coup de tête. 

LFB : J’ai l’impression que le choix de la chanson n’est pas fait au hasard, même si c’est sur un coup de tête. Que ce soit dans les thématiques de la chanson ou la façon dont tu la retranscris avec un côté beaucoup plus soul et moins froid que ce tu as pu faire auparavant, j’ai l’impression que c’est une manière de faire une transition et annoncer la suite.

Floyd Shakim : Oui carrément, je pense aussi. J’ai parfois un rapport compliqué avec la musique, je m’interdis certaines choses ou je me dis « si je fais ça, on va croire que je me prends pour untel ».
Je me pose beaucoup trop de questions. Frank Ocean est un artiste que j’écoute énormément. Au bout d’un moment je me suis dit que j’allais arrêter de me cacher, que j’allais faire la musique que j’ai envie de faire et que j’allais être transparent sur mes influences. J’écoute beaucoup de soul et de mecs comme Frank Ocean, Moses Sumney, James Blake… C’est vraiment histoire de dire « voilà, ça ce sont mes influences et j’ai envie d’aller dans cette direction ». C’est vrai que ça marque une transition par rapport aux projets d’avant beaucoup plus hip-hop et électronique. 

LFB : Une chose qui m’a beaucoup marqué sur Les Funambules, c’est qu’en dehors des thématiques il y a une vraie chaleur qui se dégage du son. Il y a un côté humain qui ressort même dans la production.

Floyd Shakim : C’était vraiment ce que je recherchais. Les 2 EPs précédents, j’en étais content mais j’ai l’impression que je me suis mis des limites et autorisé uniquement certains sonorités. Je n’étais pas encore très à l’aise avec le fait de tout mélanger. Ici, je recherchais un truc plus personnel et intime et c’est peut-être pour ça qu’il y a un peu plus de chaleur. Je pense arriver à me connaître un peu mieux, je fais quelque chose qui me ressemble de plus en plus. On va dire que je triche de moins en moins (rires

LFB : La question va peut être te paraître un peu étrange mais elle est logique : est-ce que le fait de voir que François (Awir Leon ndlr) avait fait cette transformation là lui aussi à travers Man Zoo(?) t’a rassuré et influencé?

Floyd Shakim : En réalité, j’ai démarré ce projet fin 2017. J’avais loué une petite maison en Ardèche. À la base on était juste tous les deux avec mon pote Lucas et François nous a rejoint. Le premier jour, il nous a fait écouter ses démos et c’était vraiment du piano-voix, il n’y avait rien d’autre. Sur le coup, je pense que ça m’a un peu rassuré. J’ai vu qu’il s’était rien interdit sur les paroles, la façon de composer…

Mais ce n’est pas un truc que j’ai conscientisé sur le coup. Je pense que ça m’a beaucoup influencé, comme tu dis, inconsciemment. Je me suis dit que j’allais suivre la démarche et aller jusqu’au bout sans faire de compromis. Tu vois, c’est le fait que tu m’en parles qui me fait dire ça, je ne m’étais pas trop posé la question. Le fait qu’on se retrouve tous les 2 au même moment nous a un peu boosté là dessus. Ça c’est clair. 

« Je pense arriver à me connaître un peu mieux, je fais quelque chose qui me ressemble de plus en plus. » – Floyd Shakim

LFB : Arrive Les Funambules, qui est totalement en français. La question du cheminement qui t’a poussé à aller vers le français se pose…

Floyd Shakim : C’est un peu par hasard. En fait, je bossais sur les morceaux d’un pote qui s’appelle Malik et qui fait du rap. On faisait des prods pour lui avec François. Il avait une instru et il voulait faire un refrain dessus, mais il n’arrivait pas à chanter. Sur le coup ça m’énervait, j’étais en train de lui dire « mais fais ça, c’est simple » et il m’a dit « fais le! ». Je me suis mis derrière le micro et j’ai fait le refrain à sa place et ça a été très étonnant.

Je faisais une sorte d’allergie au français en ce qui concerne le chant à l’époque, j’étais un peu borné. Et à ce moment là, je me suis dit qu’en fait c’était agréable de chanter dans sa langue natale. C’est une autre manière d’aborder la musique, les mélodies. Ça a provoqué un petit déclic et je me suis rendu compte que j’aimais beaucoup l’écrire aussi, que prenais énormément de plaisir à essayer de trouver des rimes et raconter des trucs, même si des fois c’est un peu abstrait.

Avant, c’était plutôt des gimmicks et des ambiances que j’écrivais, ça parlait de tout et de rien. À l’époque, c’était vraiment histoire de juste accompagner la musique. Et finalement, j’ai développé une passion pour ma langue natale, 28 ans plus tard. 

LFB : À travers le français, il y avait pas aussi un besoin de te reconnecter à toi-même, une quête de sincérité? 

Floyd Shakim : C’est exactement ça. C’est juste une manière de moins se cacher, moins prétendre… C’est plus facile quand tu es un peu « fragile » ou un peu instable émotionnellement de pouvoir mettre des mots sur certaines choses. Je suis français, ma langue est le français, il y a quelque chose de beaucoup plus direct et ça marche beaucoup mieux. Ça me permet d’être plus connecté avec moi-même et mettre des mots sur qui je suis, ce que je veux, ce que j’aime… C’est beaucoup plus simple et je me reconnais plus. La sincérité est beaucoup plus directe avec le français.

LFB : Malgré tout, au niveau de la musique qui entoure les mots, on est quand même sur des influences qui sont très anglo-saxonnes. Quel travail ça a été pour toi de rendre musical le français à travers les textes et les thèmes que tu utilises sur de la musique un peu soul? Ce n’est pas forcément évident.

Floyd Shakim : Je te confirme que c’était un peu un challenge. Je me suis rendu compte que j’écoutais beaucoup plus de musique en anglais, peut être que ça m’a un peu aidé car je me suis beaucoup moins calqué sur des chanteurs ou chanteuses français.e.s et j’ai essayé de trouver un truc vraiment personnel.

Je ne dis pas que c’est bien ou pas bien, mais au moins ça m’a aidé. Je fais beaucoup de yaourt et des mélodies. Dans le yaourt il y a des sons qui ressemblent à de l’anglais et une fois que j’ai ces bases là j’essaie de rajouter du français, c’est une sorte de puzzle. Je pense que ce qui fait que j’ai réussi à trouver un truc qui me plaisait, c’est que ce n’est pas trop éloigné de mes influences mais ça reste du français. Le phrasé est français, il y a pas de mélange. À force d’essayer de faire sonner la langue, je suppose que j’ai trouvé une façon de faire qui me convenait. 

LFB : Ce qui m’a marqué et qui est intéressant, c’est que contrairement à beaucoup de projets qui font ça ou ont l’ambition de faire ça, ta façon de faire est hyper lisible. Le texte est hyper compréhensible et ce n’est pas forcément toujours le cas.
Il y a une vraie symbiose : tu peux écouter et comprendre le texte, mais il est en même temps imbriqué dans la musique. C’est pour ça que je te questionnais au niveau du travail de composition et de réflexion.

Floyd Shakim : Niveau composition, j’essaie d’écrire sur la musique qui est déjà faite. Je vais vraiment adapter le texte à la musique. C’est peut être ça qui m’a aidé. Comme les influences de la musique sont assez lisibles de manière générale, je pense que c’est plus facile de rentrer dedans et d’arriver à trouver un phrasé, un flow et une façon de faire qui sont cohérents.

Je n’ai jamais fait l’inverse, peut être que ce serait différent. Je suis content que tu me dises qu’on comprend ce que je dis, j’ai beaucoup de mal avec la diction. On m’a fait beaucoup de reproches là dessus, j’ai du mal à articuler parfois (rires

LFB : Je vais aller un peu plus loin à propos des Funambules. J’ai l’impression que cet EP a un début, un milieu et une fin. Faire un projet « total », construit comme une histoire, deux faces qui se répondent, c’est quelque chose que tu’avais toujours eu en tête?

Floyd Shakim : Ouais. C’était vraiment l’objectif dès le début parce que j’adore les projets qui sont comme ça. Je ne savais pas si c’était réussi alors si tu as eu cette impression là je suis content. C’était l’envie principale, même si l’histoire est un peu abstraite et implicite. Il y a un point A, un point B.

Je voulais quand même qu’il y aie une espèce d’évolution ou en tous cas l’impression que j’essaie de raconter quelque chose. À un moment, le projet faisait 13 titres car je voulais sortir beaucoup de musique. Mais pendant plusieurs mois j’étais un peu torturé, je me disais « ça veut rien dire, t’as des morceaux au milieu qui ont aucun rapport avec les autres »… J’étais un peu perdu.

Je demandais l’avis de pleins de gens qui me disaient que les morceaux étaient bien, mais je n’arrivais pas à leur expliquer ce qui me gênait. C’est dur de demander à des gens extérieurs de faire l’effort de tout écouter et de voir s’il y a une cohérence, il n’y a que toi qui puisse le faire. Ou un réal ou un DA, si tu en as un. Moi j’étais un peu partagé entre sortir toute la musique que j’avais faite et raconter un truc, quitte à sacrifier certains morceaux ou les sortir plus tard.

Au final, c’est l’histoire qui l’a emporté. C’était important que du premier titre au dernier, on aie le sentiment de comprendre l’histoire s’il y en a une. Pour moi, il y en a une. J’ai essayé de mettre les morceaux qui me semblaient cohérents. L’interlude, c’était une façon de passer à la face B du projet. C’était une volonté de ma part et je ne savais pas si c’était réussi, donc si c’est clair pour toi c’est cool. 

 » Utiliser le français, c’est juste une manière de moins se cacher, moins prétendre… »

LFB : Il y a un côté vachement visuel dans le titre des chansons ou dans les paroles. Il y a un truc qui appelle aux images j’ai l’impression. 

Floyd Shakim : Je fais beaucoup appel aux images dans ma façon d’écrire. J’ai très peu de flashs, mais en général quand j’en ai ce sont des images. Je regarde beaucoup de films et à cette époque là aussi, je lisais aussi pas mal. C’est là que j’ai découvert Martin Eden de Jack London. Ça a été un déclic.

Ce n’est pas original, c’est un grand classique qui a inspiré beaucoup de gens, mais j’ai vraiment découvert la puissance de l’auteur, de cette histoire et je me suis beaucoup identifié au personnage. Même au niveau des films, j’ai regardé Will Hunting, Gerry et À la rencontre de Forrester de Gus Van Sant… Ce sont des films qui m’avaient vraiment marqué et qui, je trouve, laisse une empreinte incroyable.

J’ai plein d’images et d’émotions en tête de ces films là. Je pense que naturellement ça doit venir de ça, de tous les films que je regarde et des livres que je lis. C’est vraiment ça, des images que j’essaie de retranscrire. Je n’ai pas des flashs de génie où des paragraphes qui me viennent. De base, c’est très visuel. 

LFB : Si je te dis que pour moi cet EP est un peu hanté par des ombres qui se promènent, plus ou moins bienveillantes… C’est une idée qui te convient ou pas?

Floyd Shakim : Ouais, c’est exactement ça. (Rires) D’ailleurs, je pense que j’enverrais un message aux gens que je connais et aux gens de ma famille qui ne l’ont pas encore écouté pour leur dire que ça va mieux. Honnêtement, à cette époque j’étais vraiment très tourmenté. Il s’est passé plein de trucs, j’ai découvert plein de choses sur moi et sur les autres.

C’est arrivé au moment ou je commençais à écrire en français, donc du coup il fallait que je nettoie tout et que je remplisse des valises de toutes les ombres que j’avais accumulées. C’est complètement ça. Je ne me suis pas encore débarrassé de tout, donc d’un côté ça fait aussi du bien de les réécouter. Ré-écouter les morceaux, à une époque je ne pouvais pas le faire.

Ça me saoulait. Je me disais que c’était du passé, mais maintenant je vois un peu où j’en suis et où j’en étais à ce moment là. Ce sont des ombres qui te hantent plus ou moins violemment à un certain moment et maintenant c’est des ombres que je regarde un peu de loin. J’apprends à les apprécier tout en les gardant un peu loin de moi. En tous cas, je pense que j’ai accepté les ombres et que ce projet était une bonne manière d’expier tout ça et de les partager, car je suppose que je suis pas le seul dans ce cas là. Si ça peut résonner chez quelques personnes, c’est cool. 

LFB : Quand on explore ton EP et qu’on s’y intéresse : on sent que c’est quelque chose qui est profondément personnel pour toi, mais en même temps c’est un EP qui à mes yeux appelle à ramener les autres vers toi. Je trouve que c’est assez flagrant sur Enfants Perdus et Jack London puisque tu alternes entre le « on » et le « je ». Finalement, tu alternes un peu entre l’intime et l’universel. 

Floyd Shakim: Ça va avec ma personnalité. Naturellement, je suis pas totalement égocentrique, égocentré ou égoïste donc j’aime bien partager des choses avec les gens et avec des proches. C’est peut être un truc que je ne faisais pas avant mais j’aime bien amener les gens dans mon univers, c’est peut être un moyen de me faire comprendre un peu car je suis quand même assez pudique de manière générale.

Du coup, la musique est un bon moyen de passer ce truc là. En incluant les autres avec le « on », c’est une manière de ne pas leur laisser le choix, de leur dire « maintenant vous êtes avec moi ». Je ne passe pas mon temps à me plaindre, c’est un truc optimiste et peut-être un peu naïf, « vas-y on y va les gars! » (rires). Ce n’est pas totalement pourri, ce n’est pas totalement la merde, il reste toujours un peu de magie et de bonnes choses à vivre et à prendre. C’est comme tu dis, d’être un peu plus intime avec les gens qui vont écouter ce que je fais.

LFB : Finalement, mettre Funambules au pluriel ça a rien d’un hasard. Tu parlais d’égocentrisme et le fait de le mettre au pluriel ça va dans cette dynamique là.

Floyd Shakim : Pour moi, quand je pense aux Funambules, j’ai François en tête, j’ai mon pote Lucas , j’ai mon pote Malik, j’ai Icaz… Quand j’ai trouvé le titre, je me suis reconnu mais aussi tous mes amis et ma génération, j’ai l’impression qu’on a un truc un peu en commun, un truc un peu désabusé… Les Funambules, c’était aussi trouver comment faire ce que t’as envie de faire avec peu de moyens, ne pas se trouver des excuses « j’ai pas ceci, j’ai pas de label, pas de tourneur, pas d’éditeur »…

Faire avec ce que t’as même si c’est un peu casse gueule ou pas toujours bien fait. C’était un peu histoire de parler de moi et des gens que je connais, et tous les gens qui ont un peu la même façon de penser que moi. Loin de moi l’idée de me comparer à Martin Eden car je suis pas aussi courageux ou jusqu’au-boutiste que lui, mais je me reconnais beaucoup dans sa démarche. Je sais pas si t’as lu le livre mais je te le conseille. C’est un marin à la base qui vient d’un milieu pauvre et qui va essayer de s’extirper de sa condition pour une femme.

Son but est de devenir écrivain. Il veut à la fois devenir écrivain pour la séduire et pour sortir de sa condition. Il a ce côté « je peux faire aussi bien que vous, peut être mieux que vous, sans tout ce que vous avez eu au départ ». Je me suis pas mal reconnu la dedans. Y’a ce côté Don Quichote, le mec qui veut aller combattre des trucs qui n’existent pas… Je sais pas si c’est très clair tout ce que je te raconte (rires).

LFB : Dans les références littéraires ou cinématographiques que tu cites, il y a beaucoup de personnes solitaires en combat contre le reste du monde et qui cherchent à trouver leur place malgré tout. Will Hunting par exemple, tu sens qu’il y a une attraction/répulsion.

Floyd Shakim : C’est un gros défaut d’avoir l’impression que tu te bats contre le reste du monde alors que le reste du monde se fout un peu de toi. Tout le monde te veut pas forcément du mal. Pendant longtemps j’avais ce truc là, et je fais genre mais je l’ai toujours un peu (rires).
C’est la dualité, tu as l’impression que tu as plein de trucs à prouver, que tu n’es pas moins bon ou plus con que les autres mais en même temps personne ne te le dit clairement.

Il y a un peu ce truc là de se prendre pour un héros qui combat je ne sais pas quoi mais qui a besoin de le faire en tous cas. J’ai cet énorme besoin de vouloir prouver que je peux faire un projet, le sortir, aller jusqu’au bout et que ça ne sera pas forcément moins bien. Il y a toujours ce besoin de vouloir se comparer aux autres. C’est un gros problème, là on rentre dans la thérapie (rires). C’est un peu cette histoire de héros un peu solitaire qui se bat contre lui même. 

 » En incluant les autres avec le « on », c’est une manière de ne pas leur laisser le choix, de leur dire « maintenant vous êtes avec moi » « 

LFB : Gus Van Sant, c’est un peu le cinéaste de la solitude. Ses personnages principaux sont quasiment tous des inadaptés qui malgré tout évoluent et changent au contact du monde, car le monde réel est toujours là quoi qu’on fasse. 

Floyd Shakim : Comme tu dis ce sont des histoires d’inadaptés qui essaient parfois dans leur folie de changer les choses. Créer leur monde idéal. Parfois quand je réécoute l’EP je trouveçanaïf, et parfois je me dis que je m’en fous. Je ne vais pas faire semblant. Tu disais « l’ironie à tout prix », pour moi c’est aussi une façon de se cacher. Là, je voulais être très naïf et très transparent. On essaie tous de créer un monde qui nous convient peut être plus que la réalité, il n’y a rien de mal à vouloir se créer un perchoir et y rester de temps en temps. 

LFB : La naïveté, c’est le meilleur moyen vers la sincérité aussi… Quand tu as sorti Chambre Noire, on avait discuté toi et moi. Tu m’avais dis que ce n’était une chanson que tu ferais pas écouter à ton ou à ta psy. Je me demandais quel niveau d’impudeur tu avais mis dans cet EP et si tu n’avais pas peur de la faire écouter aux gens de ton entourage? 

Floyd Shakim : À une époque je pense que j’aurai eu peur, parce qu’à une époque je ne parlais pas forcément aux gens. C’est une phrase bizarre, mais c’est vrai. Je gardais tout pour moi, et le fait de faire ces morceaux m’a appris à parler de plein de choses avec mes proches, que ce soit la solitude, la mélancolie… Pleins d’émotions plus ou moins compliquées. Maintenant, je suis beaucoup plus en paix avec ça.

Là où la pudeur m’a arrêté, c’est dans l’amour. Je ne me sens pas encore prêt ou capable de bien parler de l’amour parce que je ne suis pas certain d’avoir bien compris le sentiment, de faire la différence avec l’affection… Je pourrais en parler, mais il y a énormément de chansons d’amour qui sont très bien écrites, sauf que moi je saurais pas encore comment bien en parler. Le truc dont je sais le mieux parler, c’est tous les sentiments d’introversion, de solitude, de quête de sens… Il ya un truc de franchise, et le plafond c’est tout ce qui est amour et relations amoureuses. Ça va venir, ça viendra mais ici c’était le seuil.

LFB : Au final, à quel point cet EP t’a permis de te reconnecter et faire la paix avec toi même? 

Floyd Shakim : On va dire que je progresse (rires). Je ne saurais pas te dire à quel niveau, mais en tous cas j’ai appris à mettre des mots et assumer. Je pense qu’il y a un moment où on veut absolument combattre tous ces sentiments là, on veut vraiment lutter contre et s’en débarrasser et je pense que cet EP m’a appris qu’il faut juste les assumer.

Assumer le fait d’avoir des côtés sombres, faibles, même un peu lâches. On est tous un peu lâches parfois. J’ai appris à être un peu plus indulgent avec moi même et avec les autres. Ce n’est pas facile, mais voilà. Il faut apprendre à assumer qui tu es, ce que tu veux faire, tes intentions, et moins te cacher. Assumer aussi la naïveté, comme tu le disais c’est le meilleur chemin vers la sincérité.

J’aime beaucoup l’ironie que ce soit dans la musique ou la littérature, mais c’est aussi un excellent moyen pour ne pas avancer. Tu peux être très brillant avec l’ironie, mais parfois c’est juste trop en fait. Moi j’ai envie qu’on me parle directement et qu’on ne se cache pas derrière des personnages et des idées, donc c’est ce que j’essaie de faire. Je ne sais pas si c’est totalement réussi encore.

« Tu peux être très brillant avec l’ironie, mais parfois c’est juste trop en fait. »

Quand tu utilises un terme comme Enfants Perdus, c’est un peu ça aussi. Garder une part d’enfant, c’est la vérité et dire les choses comme elles sortent sans réfléchir. 

Floyd Shakim : Exactement, c’est ça. C’est de revenir vers une époque où tu n’as pas tous ces filtres que tu dois avoir en société ou avec tes amis. Quand on est petits, parfois c’est un peu cruel mais c’est surtout très très direct. Je me rappelle que quand j’étais petit parfois à l’école tes potes venaient à 4 ou 5 et ils te disaient « Non, on a décidé de plus te parler, tu nous as saoulé ».

Je me rappelle de périodes comme ça où d’un coup t’as plus de potes dans ton école, tu vois ce que je veux dire? (rires). Sur le coup ça te brise le cœur, tu te dis « Pourquoi? Qu’est-ce que je vais faire? » et puis ils reviennent une semaine plus tard et ils te disent « Bon bah maintenant on te supporte un peu mieux, vas-y tu veux redevenir notre pote? ». J’ai ce souvenir là. Et moi aussi je l’ai fait. Ça c’est le coté un peu plus cruel de la chose.

J’ai énormément d’images de mon enfance, je suppose que c’est très courant. C’est des images très simples. Dans Chambre Noire, j’essaie d’en décrire certaines. Je parle de soda citron, des canettes, le sable et les genoux par terre quand tu joues au foot. J’ai beaucoup plus d’images de mon enfance que de mon adolescence.

L’adolescence, c’est une transition un peu dégueulasse où tu n’as pas forcément envie de te souvenir de tout (rires). L’enfance, c’est une des périodes qui étaient les plus heureuses. Ça fait un peu vieux con mais j’aime trop cette époque là, même si elle n’était pas parfaite du tout. Il y avait quelque chose de beau là dedans.

LFB : Et t’as pas le poids de la société non plus, alors qu’à l’adolescence on te demande de réfléchir à ton avenir et ce que tu vas faire de ta vie. L’enfance, c’est le champ des possibles. 

Floyd Shakim : Quand tu es petit, tout est possible. Même quand tu dis à tes parents « je serai ceci quand je serai grand » et ils disent oui à tout. Ma mère, si je lui disais que je voulais être basketteur professionnel ou acteur elle me disait « bien sûr! ». Et après à l’adolescence on te demande quel métier tu veux faire dans 3 ans et t’es là « je sais pas, je joue encore à la Playstation, je ne suis pas censé savoir comment je vais payer mon loyer » (rires). Il n’y a pas ce poids qui est énorme, c’est la légèreté. 

LFB : On en a déjà parlé, mais tu as sorti les Funambules en total indé, sans label. Comment tu vois cette expérience? 

Floyd Shakim : Je vais rajouter qu’ici il n’y a pas beaucoup d’argent avec le fait d’être indépendant, parce que tu peux être indépendant et avoir de l’argent. Les mauvais côtés, c’est que je manque un peu de moyen pour financer d’autres clips par exemple. J’ai financé le premier clip qui a été fait par Léo Chadoutaud et pour moi c’était l’investissement le plus lourd de tout le projet, de loin.
Du coup, sans label et sans éditeur, je n’ai pas la possibilité de financer un clip à la hauteur de ce que j’aimerais. On va faire d’autres clips et ça va être bien parce que ça sera avec des gens en qui j’ai confiance, mais c’est des clips avec peu de moyens. Le réalisateur sera payé en kebab et en bouteilles de rhum tu vois, c’est pour te dire le niveau des finances.

Les mauvais côtés c’est surtout le fait de pas pouvoir tout faire aussi bien que je le veux et ne pas forcément avoir la visibilité que je voudrais. Ne pas être assez puissant pour pouvoir diffuser et partager le projet autant que je le voudrais. Mais ça, c’est devenu un challenge pour moi maintenant. C’est une contrainte, mais il faut faire avec. Ces côtés là sont vite éclipsés par les bons côtés.

Le fait d’être en indé total me donne une totale liberté et je n’ai aucune limite, je peux sortir un projet de 30 morceaux, je peux faire les visuels que je veux, je peux tout sortir quand je veux… Je ne dois rendre de comptes à personne. à part les gens avec qui je travaille. Je suis totalement libre et je t’avoue que c’est vraiment génial. Je ne dis pas que tu peux pas être libre dans un label, c’est juste que vu mon niveau de développement, je n’aurais jamais autant de liberté dans un label car je ne suis pas connu du tout et ils ne voudront pas prendre de risques. Donc là, ça n’a pas de prix.

Par contre, je dois tout faire. Il faut que je finance le mix, le mastering, que je trouve tous les intervenants, que je fasse les pochettes moi même avec l’aide de mes potes… Même si des fois c’est chiant, au final je suis tellement plus fier de sortir ça comme ça. Le truc qui est trop cool, c’est que je suis beaucoup plus fier de moi. J’aurais peut être été moins satisfait autrement. 

LFB : C’est un peu comme un réalisateur qui a le director’s cut. 

Floyd Shakim : Ouais, c’est exactement ça. Alors après peut être qu’il faudrait que je me remette en question, que ça veut dire que je n’arrive pas trop à collaborer, ça c’est autre chose. Mais au final je ne pense pas, car je trouve des gens avec qui le faire. Ce sont des gens qui me correspondent, qui pensent un peu comme moi et qui sont un peu humains. Le fait d’être en indé a ses imperfections car tu n’auras pas la portée d’autres artistes, mais au moins je suis fier de moi et ce n’est pas tout le temps le cas. C’est un sentiment qui est quand même assez rare, donc je suis content et je ne regrette pas du tout. 

LFB : Cette question est un peu hypothétique mais comment tu vois ta musique vivre en live? 

Floyd Shakim : J’aimerai bien jouer avec mes potes sur scène. J’aimerais beaucoup être 2 ou 3 sur scène, avec un pote à la batterie/percussion, un autre à la basse et moi au clavier. De ma maigre expérience en live, dont le live avec François et son projet, j’ai trouvé l’énergie de groupe tellement géniale que j’ai envie que ça se reproduise.

J’avais très peur au début mais au final c’est trop bien, je pense que je le vivrais beaucoup mieux que de faire des concerts tout seul. Et puis même, avant et après le show c’est quand même plus marrant avec tes potes pour répéter, dire de la merde et boire un coup. Là je pense qu’à priori pour le moment je serai tout seul si je dois faire des lives, mais ça sera bien quand même. Mais dans l’idéal, en groupe ça serait génial. 

LFB : Pour rebondir là dessus, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite? 

Floyd Shakim : C’est une bonne question. Ça va être très banal, mais j’aimerai juste pouvoir continuer à faire de la musique comme je veux, pouvoir la sortir et rester en bonne santé mentale et physique. Ça, je pense que c’est mon souhait le plus cher pour moi et les gens.

Sinon, niveau musique, c’est pouvoir continuer d’avoir cette liberté et d’avoir les moyens de la partager via des jolies vidéos, des concerts, des collaborations.. Si je peux continuer à faire ce que j’aime sans que ça me coute trop moralement, financièrement et physiquement, ça serait parfait.

Tu as des coups de cœurs récents à partager avec nous?

Floyd Shakim : Le plus récent, c’est ma découverte des films de Takeshi Kitano. J’ai vu Hana-bi et L’Été de Kikujiro. J’ai trouvé ça génial. Je me suis reconnu dans les tics nerveux, j’en ai très souvent.

LFB : En réalité il a ça car il a fait un crash en moto et il a la moitié du visage paralysé.

Floyd Shakim : Aaaah, merde je ne savais pas du tout, je pensais que c’était nerveux comme moi. Mon dernier coup de cœur, c’est ça. J’ai acheté Kids Return et c’est le prochain que je vais regarder. Je ne connaissais pas du tout, je n’avais aucune idée qu’il faisait ce genre de film un peu loufoque et  très poétique. Ça me touche beaucoup.

C’est lié à l’enfance, cet espèce de personnage solitaire dans Hana-bi qui deal avec sa femme, l’histoire est super touchante. Je savais pas que Joe Hisaishi faisait la musique, là c’est l’apothéose, la cerise sur le gâteau.
Même si des fois la musique qui accompagne pourrait paraitre kitsch, ça ne me dérange pas. L’acteur je le trouve génial aussi. Je vais me faire un marathon de ses films.

Sinon niveau musique, j’ai peur d’oublier des gens… J’écoute que des vieux trucs comme un vieux con. Ah si, j’écoute un mec qui s’appelle Duval Timothy qui est sur le label de Vegyn. Je sais pas d’où il vient, mais c’est très beau. J’ai pas beaucoup d’infos mais c’est un projet instrumental avec parfois de la voix et beaucoup de piano, de textures.

Crédit Photos : Céline Non

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