Format Court #37 : Floyd Shakim, LaFrange, UssaR

Chez La Face B, on adore les EPs. On a donc décidé de leur accorder un rendez-vous rien qu’à eux dans lequel on vous présentera une sélection d’EPs sortis récemment. Aujourd’hui, on vous parle des dernières sorties de Floyd Shakim, LaFrange et UssaR.

Floyd Shakim – Les Funambules

On avait laissé Floyd Shakim en créateur d’ambiances géniales avec deux EPs sortis coup sur coup, Mermaids Fade et Gone. Si le garçon avait le chic pour nous offrir des titres à la beauté sonore réelle et addictive, son écriture en anglais l’empêchait d’allier la forme et le fond d’une manière totalement satisfaisante,offrant à l’artiste un terrain de jeu poétique qui jouait plus sur les sonorités et les images que sur la profondeur des sujets qu’il aurait voulu explorer.

Quatre ans ont passé et c’est un nouveau Floyd Shakim qui se présente face à nous, un garçon en quête de sens et qui se permet de mettre ses failles à jour dans un EP au nom prophétique : Les Funambules.

Les funambules, c’est vous, c’est moi, c’est un appel collectif à tout ceux qui naviguent en permanence sur un fil, quotidien permanent pour garder l’équilibre coute que coute et s’éviter la sortie de route. L’idée du collectif, même dit à la première personne , est essentiel dans les titres de Floyd Shakim comme il le dit très clairement dans Jack London «  viens on fuit l’égo, j’enterre le vous j’épouse le nous ».

Les funambules ce sont ces être solitaires qui grandissent et changent au contact des autres et du réel, c’est donc un EP forcément autobiographique et hanté par toutes sortes de héros comme des miroirs dans lesquels se retrouve Floyd Shakim : Don Quichotte, Jack London et son Martin Eden, les enfants perdus, les héros sacrificiels des films de Gus Van Sant jusqu’à la figure du Gemini qui sert de point de bascule et d’interlude à l’EP. Un point central entre deux faces distinctes.

Moi seul qu’il n’y parait, Floyd Shakim nous offre alors une œuvre introspective à la fois intime et collective dans laquelle il injecte toutes ses obsessions pour mieux les observer : l’appel de la folie, la peur de grandir, la solitude ,les nuits sans fin, l’obsession de la mort … Tout se mélange et frotte dans cette œuvre parfaitement maitrisée qui se révèle au fur et à mesure des écoutes comme l’une des grandes claques francophones de ce début d’année.

Bien sûr, si il a injecté un corps et une âme à sa musique, Floyd Shakim reste avant tout un véritable esthète sonore qui se permet la liberté des genres musicaux pour créer une harmonie stylistique au croisement de la soul, de l’électronique et du hip hop.

En découle une pop moderne pleine de caractère, à la fois inquiétante (Chambre Noire), physique (Enfants Perdus et son kick en apesanteur), aérienne ( Gus Van Sant et Gemini) et même lumineuse (Jack London), où Floyd Shakim joue avec les textures comme un alchémiste, offrant des marqueurs forts aux questionnements qui habitent sa musique.

Avec Les Funambules, Floyd Shakim s’offre donc une aventure sonore avec un début et une fin. Un écrin sonore parfait pour des réflexions qu’il aura pris le temps de maturer avant de dévoiler au monde.
Et au fond, ces pensées sont aussi les notre, alors on grimpe sur le fil, on regarde l’horizon et on avance pas à pas.

LaFrange – Everything’s Fine

Écouter LaFrange, c’est un peu comme regarder des cartes postales en sépia, et se remémorer des histoires passées. Everything’s Fine, son second E.P., nous plonge dans un état rêveur et nostalgique au gré de chansons inspirées de souvenirs d’enfance et d’amours adolescentes, de chagrins, ou d’envies de prendre le large…

LaFrange, aka Zoé, a élaboré sa musique inspirée de folk, aux accents pop et shoegaze en parcourant les bars où elle se produisait depuis ses 16 ans. Et c’est entourée des musiciens, Christopher Colesse et Simon Blévis, qu’elle nous offre cet E.P solaire et épuré, balade introspective aux guitares en apesanteur et au chant aérien, qui nous confortent et nous transportent.

Everything’s Fine s’ouvre sur These Days et des notes de guitare qui raisonnent et restent en suspens. Le morceau parle d’amours déçues : “I loved the words you said / The promises you made / Are you really sorry ? / Your gaze is so empty” (« J’adorais les mots que tu as dit / Les promesses que tu as faites / Es-tu vraiment désolé ? / Ton regard est si vide ») Et l’on se laisse envouter par sa chaleur et sa mélancolie qui nous rappellent l’univers Virgin Suicide (Sofia Coppola,1999). Stockholm donne envie de mettre les voiles en « une ode à l’automne teintée des couleurs de mes histoires passées » écrit la musicienne.

Sur Falling In Love, LaFrange a fait appel à Tina Rozen dont la voix prend peu à peu le dessus sur la sienne dans ce morceau éthéré décrivant les sentiments que l’on ressent quand on est amoureux.se. Puis le E.P. se termine sur Everything’s Fine dont le titre « tout va bien » cache les maux et dont le solo de guitare mélancolique finit de nous charmer.

Chaque morceau d’Everything’s Fine est sensible et sincère et semble échappé des pages d’un journal intime. Et ce n’est pas étonnant si la musicienne écrit : « Cet E.P. ne présente peut-être pas la meilleure version de moi-même mais sûrement la plus sincère. » Et s’il n’est pas « parfait » chaque détails du EP est authentique et touchant et on ne se lasse pas de l’écouter. Artiste à suivre !

UssaR – UssaR

Il y a des EPs qui vivent dans nos existences pendant un moment avant qu’on ne puisse en parler. Des chansons qui nous habitent et qui nous hantent un peu et qu’on a peur d’explorer complètement, car elles impressionnent, elles marquent et grandissent tant et si bien qu’on a peur à un moment de ne pas avoir les mots justes, ceux qui sauraient les mettre en valeur de la manières la plus juste possible.

Et de mots, il en est forcément question lorsqu’on s’attaque à l’écoute des 6 morceaux de UssaR. Ils sont le centre de tout, le centre névralgique d’une musique toute en constrastes.
Porté par une diction impeccable où chaque mot finit par devenir une arme d’émotion massive, Emmanuel Trouvé porte en lui une certaine tradition de la chanson française, ambitieuse et écrite, qui ne se refuse rien, osant frôler du doigt et de la voix un vrai sentimentalisme qui n’a pas peur par moment d’en faire trop, de s’offrir une plongée dans un certains lyrisme, pour mieux nous alpaguer.

Mais loin d’avoir le regard fixé vers le passé, UssaR, par le choix de son vocabulaire et des thèmes évoqués, est un garçon de son temps, amoureux à la fois transi (la sublime 6 milliards qui clôture l’EP) et désabusé (Dehors et son histoire d’amour trop forte pour être vécue pleinement et qui trouve toute sa saveur dans l’éloignement), qui regarde son époque comme un terrain de jeux parfait pour exprimer sa mélancolie (Loin, ouverture fabuleuse qui nous happe avec cette voix caverneuse qui évolue au milieu du chaos et des tensions), ses souvenirs ( Antilles Normandie errement lumineux dans des souvenirs enfantins) ses pulsions, qu’elles soient sombres ou lumineuses (l’intense La Violence, morceau tout en tension qu’il partage parfaitement avec Léonie Pernet).

Ce besoin de raconter des histoires trouve écho dans la manière qu’à UssaR d’habiller ses paroles. Ainsi, Dehors et 6 Milliards prennent vie sous la forme d’un piano-voix dépouillés qui laisse exploser toute la sensibilité et la juste des morceaux. Des morceaux taillés à l’os, sans apparats superflus derrière lesquels se cacher.

À l’inverse, Loin joue sur des nappes électroniques qui évoluent dans le temps vers une instrumentalisation plus orchestrée et ample qui marque l’évolution du morceau vers quelques choses de plus épique.

La violence joue elle sur ce beat minimaliste et lourd comme un battement de cœur régulier et froid qui finit fatalement par s’emballer laissant grimper autour de lui des montages électroniques entêtants et des cordes cinématographiques.

Morceaux plus lumineux, Pensées Rocher et Antilles Normandie jouent sur cet équilibre fragile entre organique et électronique, un combat sur le fil qui offre des morceaux à la fois plus pop et accessibles au cœur de l’EP.

Avec ce premier EP, UssaR nous offre une collection de titre dont on tombe amoureux, uniquement pour le meilleur. Une diversité musicale qui porte des histoires qu’on a tous vécu. C’est ça tous le charme d’UssaR proposer une musique à laquelle on s’attache, tout simplement parce qu’on y croit. Vérité, sincérité et émotion, l’artiste réussit la passe de trois pour notre plus grand plaisir.