La lettre #4 : Chilly Gonzales

Parfois, il est plus facile de s’adresser directement à un artiste pour parler de sa musique. On a donc choisi de destiner notre quatrième Lettre à Chilly Gonzales.

Chilly Gonzales Press Picture
© Anka

Lille,
le 13 Novembre 2020

Chilly, il faut que tout cela cesse, il est temps. Je n’en peux plus, je n’arrive plus à être un sale con et c’est à cause de toi. Depuis que je t’ai rencontré, ou plutôt entendu, ça n’a été qu’une longue descente aux enfers. Moi qui ne jurait que par le rock et la pop, ton arrivée dans ma vie fut pour le moins brutale. Je revendiquais cette culture, estimant qu’elle était la bonne et qu’il n’y en avait pas d’autre valable. Et puis patatras. Othello. Premier contact, première claque, d’une longue série. Ton approche m’a permis d’apprécier le piano solo, mais également des formes plus ou moins cousines, de Nils Frahm à Bach. Ce fut aussi l’occasion d’une prise de conscience : un piano peut être groovy, rock, reggae, rap, tout n’est que question d’intention. Grosse remise en question, il me fallait en savoir plus sur ce Monsieur Gonzales qui prend mes convictions à revers avec toute la légèreté du monde. Alors j’ai découvert Ivory Tower. Deuxième claque, plus forte encore. Cet homme ne joue pas de la musique, il joue avec elle. Passer du piano solo à l’électro, à la pop, au rap, au dubstep même ou au funk avec autant de facilité et de cohérence. Créer des mélodies iconiques dont la plupart occupent encore notre paysage audiovisuel, des pubs pour des groupes bancaires à l’entrée des joueurs de l’équipe de France de football.

C’est à ce moment là que je m’en suis rendu compte, tu ne joues et n’écris pas simplement de la musique, tu la comprends. Dès lors, quel bonheur de te voir la transmettre, l’expliquer, la vulgariser pour nous autres simples mortels. Vêtu de cette éternelle combinaison peignoir-chaussons qui colle si bien à ton personnage dégoulinant autant de classe que de légèreté, tu nous apprends la musique, en la jouant, en la décortiquant, en t’amusant, que ce soit en concert, lors de tes masterclass en ligne ou au Gonzervatory. Est-ce que j’aurais pris le temps de découvrir Drake ou Post Malone sans cela ? Rien n’est moins sûr.

Comment donc être réellement surpris lorsque la nouvelle m’est parvenue : Chilly ? Un album de Noël ? Non, pitié, non, laisse-moi au moins continuer à détester la musique de Noël, que j’ai toujours trouvée affreusement kitsch et opportuniste. Mais trop tard, le mal est fait et il n’est plus question de revenir en arrière. En plus forcément, il fallait que tu ailles chercher Jarvis Cocker, Feist et Stella Le Page pour finir de rendre ces 15 plages sublimes. Naturellement, il n’est pas là simplement question d’une compilation de classiques simplement enregistrés au piano mais bien de ré-interprétations voire de ré-écritures tant certaines s’éloignent de leur vocation originelle. Tu nous avais habitués à ce genre de cabrioles, quand encore il y a deux ans tu produisais Other People’s Pieces, qui comme son nom l’indique recueille des morceaux écrits par d’autres pour la plupart. Il n’était donc qu’une question de temps avant que la thématique de Noël ne soit abordée, je n’aurais pas dû me voiler la face.

Je n’ai donc pas pu détester A Very Chilly Christmas. Parce que ta bienveillance, ton ouverture d’esprit et la sensibilité qui respirent dans chacune de tes productions m’obligent à mettre toute mauvaise foi de côté. D’ici à la fin de ces quelques lignes, j’aurais donc à coeur de lui rendre justice. Le premier point que j’ai envie d’aborder, c’est ce renversement que tu fais opérer aux morceaux. D’une tonalité majeure à l’origine pour la plupart des morceaux, tu les transformes et les sublimes en les rendant mineurs. D’All I Want For Christmas is You par exemple, tu réussis à faire une chanson triste ce qui n’est pas un mince exploit. Pourtant, une chaleur se dégage de cet opus, symbolisée par la voix suave et proche de Jarvis Cocker. Les arrangements ainsi que les prises vont en ce sens, réalisant la prouesse de combiner la froideur de l’hiver et le confort du coin de la cheminée. Mes moments préférés, s’il faut que j’en choisisse, seraient God Rest Ye Merry Gentlemen, pour la beauté de cette mélodie, et We Three Kings, pour ses choeurs.

Alors oui, ton nouvel album, fut-il de Noël, est une franche réussite. Il est beau, subtil, triste, joyeux, humble et accessible. Il me réconcilie avec le genre, et j’ai maintenant hâte de passer l’hiver à l’écouter, mais pas que. Parce qu’il serait vraiment dommage de s’en priver sous prétexte que les fêtes sont finies ou que les beaux jours reviennent.

Merci Chilly, et à bientôt je l’espère.

Martin