Dafné Kritharas, d’une rive à l’autre

À l’occasion du festival Villes des Musiques du monde, la chanteuse gréco-française Dafné Kritharas nous embarque sur les rives méditerranéennes, en parcourant des terres d’Orient.

Visant autant à rendre hommage qu’à mettre en avant les mélodies traditionnelles, patrimoniales ou contemporaines, le festival revient pour une 25ème édition. Parmi les têtes d’affiche : Omar Pène, Jî Drû, Goran Bregović et Dafné Kritharas. Un événement que l’on devine donc émouvant pour la chanteuse ayant été lauréate du Prix Musique d’Ici, décerné par ce même festival. Le concert s’est déroulé le jour de la sortie de son dernier album Varka, dont le mot signifie « la barque ».

Un titre évoquant le passage, l’échange, d’une rive à l’autre. Alors c’était comme si le temps d’un concert, Dafné Kritharas était parvenue à faire de l’Alhambra un bateau. Que l’eau de la mer montait peu à peu, nous plongeant dans l’univers musical de la chanteuse. Ne voyageant pas seule ; sur le navire de l’artiste, on retrouve Pierre-Antoine Despatures à la contrebasse, Paul Barreyre à la guitare, Camille el Bacha au piano, Milàn Tabak et Naghib Shanbehzadeh aux percussions, Rusan Filiztek au tembur (instrument à cordes kurde) et Artyom Minasyan au doudouk instrument à vent caucasien). Ces marins-musiciens viennent entre autres du Liban, d’Iran, de Turquie ou d’Arménie.

Une musique d’Odyssée

La musique de Dafné Kritharas semble s’être échouée sur les rivages d’une terre lointaine. Puis, s’y être autant abreuvée que nourrie. Ce refuge, on le devine grec puisque les chansons prennent racine dans la langue d’Athènes. Comme avec Preza Otan Pieis, qui est une chanson de prisonniers grecs. Composée alors que le pays est en pleine dictature. De plus, les paroles évoquent la prise de stupéfiant jusqu’à se croire invisible comme un dictateur. La musique est une invitation à la liberté. Ses airs ne sont pas sans rappeler le titre arménien Soode Soode de Richard Hagopian et Buddy Sarkissian. Pourtant, le mariage gréco-arménien se fait sur le titre Mystikas Pos S’Agapo. Ces deux titres sont autant dansants que transportant.

En revanche, certains titres sont quant à eux des invitations à la contemplation. Assis sur nos fauteuils de velours, nous observions l’artiste nous emporter dans des paysages de contes. Ainsi, on pourrait presque toucher du bout des doigts l’amande évoquée par le titre Amygdalaki. Ressentir sous l’épiderme les gerçures et les veines du fruit. Le morceau évoque une femme se servant d’une amande comme souvenir de son amant : « Mon amour (…) tu es de l’autre côté de l’horizon, je ne sais pas si je te reverrais un jour. Alors j’ai pris une amande que j’ai brisée et dans sa coque, j’ai gravé ton visage pour ne pas l’oublier ».

Dafné Kritharas nous raconte également l’histoire d’une sorcière crétoise. Le poème nous touche au point d’être pendue aux lèvres de la chanteuse. À l’image d’un aède antique, elle nous partage le récit d’une femme accusée à tort d’avoir trompé son mari. Ce dernier la bat, lui prend ses filles et la force à l’exil. Depuis, son refuge est la montagne. La légende raconte qu’aucun homme ayant pénétré ce lieu n’est ressorti vivant.

Le titre évoqué est une composition intitulée Le Colombier. C’est un titre qui n’est pas présent sur le dernier album. En somme, une précieuse surprise. Or, ce n’était la seule surprise prévue du concert.

Le son de l’inattendu

Dafné Kritharas nous a offert d’autres chansons inédites. Le concert s’est conclu sur une chanson sépharade, issue de Tanger. La langue n’est pas l’hébreu mais le ladino, branche hispanique de la langue hébraïque. Car il faut rappeler que les premières chansons de l’artiste sont autant en grecque qu’en ladino. on pourrait citer des chansons traditionnelles judéo-espagnoles comme : La Roza Enflorence, Sien Drahmas, ou encore La Komida La Manyana. Pour ce qui est du répertoire grec, les titres sont aussi faits de mélange. Nous évoquions des chansons traditionnelles, ou gréco arméniennes, il y a aussi des chansons de Turquie. Comme par exemple Katina Mou Gia Sera, dont il existe une version grecque et une version turque.

Lors du concert, la chanteuse nous a invités à partir pour la Turquie. Un instant suspendu au cœur des plaines d’Anatolie et des montagnes kurdes. Dafné nous a présenté le musicien Rusan Filiztek, revenant de Turquie. Les deux artistes ont évoqué leur séjour au Sud du pays. Noyés dans des collines dont l’immensité défiait l’horizon. Puis, ils ont entamé un duo. Rusan Filiztek s’amusait à faire des chants d’oiseaux. Ce qui a eu pour conséquence de toucher et faire rire le public.

À la fin du concert, on entend dans le public de multiples langues. Les gens se réunissent, discutent, font connaissance. Comme à l’image de la musique de Dafné Kritharas. On retiendra du concert, un moment de joie fédératrice.

Pour écouter Varka, le dernier album de Dafné Kritharas :

Pour écouter Djoyas de mar, le premier album de la chanteuse :

Crédit photos : Carmen Rozzonelli