Rencontre avec younès

On a profité du MaMa Music & Convention pour aller à la renconter de Younès, qui vient de dévoiler son premier album, Identité Remarquable. On a parlé fluidité, storytelling, sincérité, et du besoin de se nourrir des différents arts possibles sans rien calculer.

portrait Younès
Crédit : Inès Ziouane

LFB : Salut Younès, comment ça va ?

Younès : Ça va. Là je suis un peu fatigué tout de suite. J’ai une barre dans le crâne. J’ai besoin de dormir un peu, mais sinon ça va.

LFB : Qu’est-ce que ça représente pour toi de jouer au MaMa ?

Younès : C’est cool, parce que c’est quand même un festival dont j’entends parler depuis un moment. J’ai le sentiment que c’est quand même un festival qualitatif. Donc y être, c’est cool. J’ai hâte de voir comment ça va se passer.

LFB : Tu débarques avec ton premier album, qui s’appelle IDENTITE REMARQUABLE, qui est un jeu de mot. Ce que je trouve drôle, c’est que j’ai l’impression que dans cet album, il n’y aucun calcul mathématique. C’est-à-dire qu’il n’y a pas du tout de cynisme dans la façon dont il a été fait.

Younès : Effectivement, il n’y a pas de calculs au sens où « tiens on va faire tel son pour que ça marche sur tel truc, sur telle personne ». Effectivement, ça il n’y a pas. Après, il y a un calcul quand même, dans le sens où il y a une stratégie ou une envie qu’il y ait… J’avais envie de faire un album comme celui-ci. Donc d’une certaine manière, on pourrait y voir un calcul. Mais effectivement, c’est pas des maths.

LFB : Ce que je trouve très beau, c’est que c’est « hors tendance » dans le rap actuel. Il n’y a pas forcément la recherche de la punchline absolue ou des choses comme ça. J’ai vraiment eu l’impression que dans ton album, tu avais monté un film avec un lien qui va du début à la fin, avec quelque chose qui se tient aussi bien par morceaux, mais aussi dans son entièreté.

Younès : Ça fait plaisir. C’est un joli compliment. D’autant plus que j’aspire à réaliser des films. Si je peux commencer en faisant un album, c’est bien.

LFB : Tu l’as envisagé comme ça ? Créer quelque chose de complet ?

Younès : Ouais, j’avais envie que ça se tienne, qu’il y ait une certaine cohérence. Comme il est quand même assez introspectif, l’idée, c’était de trouver cette cohérence chez moi.

LFB : Je trouve qu’il a un vrai truc « d’acteur », dans le sens où tu joues avec le flow, avec ta voix, c’est pas linéaire et j’ai l’impression que tu incarnes des personnages dans certains titres qui ne sont pas forcément toi en fait.

Younès : Ouais, complètement. Ça m’amuse aussi. Je viens d’une école de rap où j’apprécie le storytelling. Que ce soit Enfant du destin de Médine ou autre, j’aime bien quand les rappeurs se mettent dans la peau de quelqu’un d’autre et racontent. Du coup, naturellement je l’ai fait. Que ce soit sur HARRAGA, TROIS PETITS CHATS,… C’est un peu différent de l’introspection, mais c’est une manière aussi de se mettre dans les bottes de quelqu’un d’autre. C’est intéressant aussi.

LFB : Tu cites ces morceaux-là et moi ce sont deux morceaux qui m’ont vraiment marqué sur l’album, car j’ai l’impression qu’ils représentent l’opposé complet des personnages à l’heure actuelle : que ce soit le flic ultra violent et raciste ou la personne qui veut s’en sortir et finalement sombre et meurt en voulant vivre autre chose.

Et je me demandais, vu de la présence de morceaux plus introspectifs et plus centrés sur ta personne, si tu écrivais d’une manière différentes ces morceaux-là ? Une rythmique différente ?

Younès : Ouais, quand même, je les écris différemment c’est vrai, parce qu’il ne s’agit pas de moi. Tu vois, l’histoire de HARRAGA, ce n’est pas moi. On m’a raconté une histoire et j’essaie de faire en sorte qu’on y croit le plus possible ,mais effectivement, je raconte quelqu’un d’autre. C’est pas la même chose. Je ne mets pas le même engagement, je n’y mets pas les mêmes tripes. C’est autre chose. C’est peut-être plus intellectuel, c’est peut être plus sur la réflexion. C’est moins moi.

LFB : Justement, avec un titre comme IDENTITE REMARQUABLE, on voit que c’est un morceau où t’as mis tes tripes. Il est beaucoup plus physique que d’autres titres.

Younès : Ouais complètement, c’est vrai.

Il y a juste une prod’ qui rencontre un texte que j’avais déjà commencé à écrire, et ça me touche et ça défile, et je continue à écrire, tu vois ? Mais ce n’est pas… Moi c’est beaucoup ce que j’aime dans le rap, des textes fleuves écrits avec le cœur, tu vois ? Quand une prod’ te fait parler, je trouve ça beau. Tu as des choses à lui dire à cette prod’.

LFB : On est vraiment sur du storytelling comme tu dis, où l’évolution du texte est nourrie par la prod’, mais la prod’ grandit aussi par le texte qui est dessus.

Younès : Ouais ouais. J’ai calqué mon texte à la prod’ parce que la prod’ est venue telle quelle, quasiment. Du coup, j’aime bien ce côté d’abord très calme pendant 2-3 minutes, et puis d’un coup que ça pète. Je trouvais que c’était propice à raconter des choses.

LFB : Est-ce que tu as eu l’impression d’avoir mis, comme un puzzle, des pièces de ta vie dans cet album ?

Younès : Complètement. Tu le vois avec les vocaux par exemple, qui sont des vocaux tirés de mon téléphone, tirés de ma vie. J’aime bien les albums. J’avais envie… Enfin, souvent ils le font de manière musicale, mais moi je l’ai fait différemment. J’aime bien les albums où tous les sons s’enchaînent de manière très fluide. Donc, j’avais quand même un petit peu envie de ça. Et je me suis dit, vu que c’est quand même un album très perso, très lié à moi, pourquoi ne pas y intégrer quelques vocaux ? Parce que c’est un truc qui fait partie de ma vie, le son – je parle beaucoup par vocaux, ou il y a des trucs tirés de vidéos. Je trouve ça authentique, joli, ces moments capturés de vie, et je me suis dit pourquoi pas ?

LFB : Il y a cette idée de figer l’instant en fait. Pour moi, quand tu écoutes des morceaux hors de toi, on a vraiment l’impression que c’est Younès en 2021-2022, et que c’est toi à cet instant-là, et que finalement ta musique sur les prochaines sorties pourrait partir sur des choses complètement différentes parce que tu ne seras pas la même personne.

Younès : Ouais, c’était complètement la volonté d’avoir un album qui dise « Younès 2022 ». Younès à 27 ans, voilà quoi. Dans dix ans du coup, je peux le regarder et me dire « ah, c’était ça ».

LFB : Là, tu n’as pas de recul dessus mais peut être que dans 10 ans…

Younès : Ouais exactement, je verrais comment je voyais les choses aujourd’hui et je trouverais ça marrant de voir comment ça a évolué.

LFB : Tu parlais des prod’ et de la façon dont elles t’inspirent. Moi, ce que j’aime beaucoup dans l’album, c’est qu’il n’est pas linéaire. Il y a vraiment des prod’ différentes et il y a beaucoup d’influences, je trouve. Il y a des sons clairement faits pour danser, des sons avec des influences plus orientales, il y a des trucs un peu plus physiques. C’est ce que je te disais tout à l’heure, chaque chose nourrit le texte et l’émotion qui en découle. Je me demandais comment tu travailles les prods, ou comment tu les sélectionnes ?

Younès : Moi, j’ai simplement besoin… Je ne suis pas musicien. J’ai juste besoin d’être touché par la mélodie. C’est tout ce qui m’importe en réalité. Que ce soit de la trap, de la drill, de la chanson française, si la prod’ me parle, je vais avoir envie d’essayer de poser mes mots dessus. Après j’y arrive et je n’y arrive pas. Mais du coup, il s’agit surtout de ça. Après, parfois, il y a quand même des prises de risques. Il y a des prod’ qui ne me parlent pas tout de suite de manière évidente, comme C T PHOTOS, TROIS PETITS CHATS, mais il y a une envie d’essayer un texte dessus, et une fois que c’est fait, je trouve ça stylé. Je trouve que ça colle avec cette idée-là et tout. Donc voilà.

LFB : Tu parles de C T PHOTOS. J’ai l’impression que tu te regardes de manière très crue quand même.

Younès : J’essaie.

LFB : Je me demandais du coup si c’était important pour toi de pas détourner le regard, que ce soit sur toi ou sur la société. Parce qu’il y a des textes qui sont très forts aussi et qui représentent aussi la société actuelle. Il y a vraiment cette idée de tendre un miroir à la fois sur les autres, mais aussi sur toi-même.

Younès : Parce que je fais partie de cette société. Peut-être que je vais avoir un regard lucide à certains endroits, mais en tout cas j’en fais partie. Je peux critiquer le capitalisme, je suis en plein dedans quand même. C’est beaucoup plus complexe que ça. Tout est mélangé. Et du coup, j’essaie de réussir à porter un regard lucide sur moi-même et d’en tirer des enseignements et de les faire partager.

LFB : Est-ce que tu as l’impression d’avoir trouvé ta place à toi dans la société ? Il y a le morceau où tu parles du fait justement de te « confronter », entre tes potes de banlieue et toi qui venais d’un patelin.

Younès : Je me la fais, ma place. Après, j’ai toujours eu cette mentalité de me dire qu’ici, c’est chez moi. Là où je suis. Je ne suis pas quelqu’un de pas à l’aise de prime abord. J’essaie toujours de me mettre à l’aise. Maintenant, la place dans la société est mouvante. Tu vois, aujourd’hui j’en suis là. Demain, qui sait, je serais peut être à la campagne, loin de tous avec mes chèvres et ma femme.

LFB : J’ai l’impression que tu vis de manière très spontanée, au jour le jour. Limite, tu attends l’avenir et tu attends d’être surpris par ce que vont faire les choses. Par exemple, un rôle comme DRÔLE , je n’ai pas l’impression que tu l’aies cherché. Il t’est un peu tombé dessus.

Younès : J’ai une phrase qui dit que pour que ça me tombe dessus, je me suis mis en dessous. C’est exactement ça. Je ne vais pas aller frapper aux portes, je ne vais pas aller demander mais par contre, force est de constater que les choix de vie que je mène au quotidien m’amènent vers ces choses là. Le fait d’avoir fait du rap, de ne pas être passé par des chemins conventionnels, d’avoir droppé les études et tout. Mais tout à fait, je vois très bien ce que tu veux dire.

LFB : Je sais que tu essaies d’écrire un roman aussi. Qu’est-ce que ça t’apporte, pas forcément dans ton quotidien, mais en tant qu’artiste, d’avoir un spectre très ouvert sur les différentes choses ?

Younès : C’est rigolo. c’est des univers différents à chaque fois, mais proches par certains aspects. C’est un truc qu’on me dit souvent ça : « acteur, rappeur ou machin ? ». Comme si c’était hyper contradictoire, ou bizarre. On verra où ça me mène. Je suis curieux de voir où ça va me mener. Mais c’est vraiment pas un truc sur lequel je me suis posé des questions. Pareil, il n’y a pas de calcul.

LFB : J’ai l’impression que c’est très français de vouloir mettre des gens dans des cases.

Younès : Ouais ouais, carrément paraît-il que c’est français. Je ne sais pas mais en tout cas, moi je ne me pose pas de questions. Je fais et on verra ce qu’il se passe.

LFB : Tu pourrais finir par être le Donald Glover français en fait.

Younès : Peut être, je prends ça comme un compliment.

LFB : Il y a un peu de ça, d’habiter les choses aussi, parce que je trouve que Childish Gambino, dans ses albums, habite des personnages comme tu le fais.

Younès : Ouais, il est impressionnant ce mec.

LFB : Ça fait quoi de faire un featuring avec Médine ?

Younès : Ça fait plaisir. C’est stylé. Franchement il est classe ce mec, il a du charisme, il a de la prestance, il est humble. Du coup, c’est globalement un grand kiff.

LFB : Ça s’est fait de manière fluide aussi ?

Younès : Très fluide, ouais.

LFB : Vous représentez un peu, pour moi, l’antithèse du rap parisien. J’ai l’impression qu’il y a un truc. Il y a une écriture de la normalité dans ce que vous faites.

Younès : Ouais. En tout cas, je pense qu’on essaie pas de s’inventer des vies. Non que ce soit le cas de tous les autres, mais en tout cas nos vies sont ce qu’elles sont, et on part de ça.

LFB : C’est la meilleure manière d’atteindre les gens, d’être sincère.

Younès : Je crois, hein. Je crois que l’intime réside dans l’universel. Maintenant, ce qui est difficile, c’est de réussir à choper le bon bout.

LFB : C’est quoi le futur pour toi justement ? Ou est-ce que t’as envie de l’emmener cet album ?

Younès : Franchement, je ne sais pas. Ce sont les gens qui vont décider. Moi j’ai beaucoup de mal quand je drop un truc… Quoique là, je reçois beaucoup de retours des gens qui ont visiblement été touchés par l’album. Donc ça fait plaisir. Ça donne une seconde vie, parce que moi ça fait longtemps que je le porte. On verra où les gens l’emmènent. Moi, je sens que j’ai envie de me battre pour le défendre, mais je sens aussi que j’ai besoin d’aller faire d’autres choses assez rapidement, couper un peu.

En ce moment je me montre beaucoup, je fais beaucoup d’interviews, je donne beaucoup. J’ai besoin de repartir dans l’ombre. Vraiment, ça m’appelle. Et puis pour repartir dans l’ombre, trouver d’autres choses et revenir les montrer après, quoi. Il y a le livre dont on parlait que j’ai envie d’écrire. La musique, on va voir sous quelle forme ça va…

LFB : Comment tu envisages de le faire vivre sur scène ? Est-ce que tu l’envisages avec un groupe ?

Younès : Franchement, groupe je ne sais pas. C’est vrai que dans ma démarche de scène, aujourd’hui, j’aimerais bien… Ça fait longtemps que je me bagarre, que je fais des petites scènes à droite, à gauche. Moi j’avoue qu’aujourd’hui, j’ai quelques dates encore mais j’aimerais bien faire dans l’autre sens : réussir un morceau, des morceaux qui fonctionnent, que tout le monde connaît direct, que ce soit des hits et après, vas y viens, on va les faire sur scène.

Alors que là, je ne crois pas que j’ai envie de me bagarrer sur scène avec cet album pour que tout le monde le connaisse. D’autant plus que c’est quand même un album très lyrics, donc soit tu connais les paroles, soit tu ne les connais pas. Je n’ai pas envie que juste les gens m’écoutent tout le long. J’aimerais bien les chanter avec eux . Je ne me suis pas dit que cet album, je voulais le défendre sur scène. Ce n’était pas ça l’idée.

LFB : L’album, tu avais plutôt envie de le sortir de tes tripes quoi.

Younès : Exactement, franchement je l’ai fait pour moi.

LFB : Toute oeuvre artistique part d’un certain égoïsme à la base je pense.

Younès : Ouais, exactement. C’est parce que ça me fait kiffer, quoi. J’avais envie. Si j’arrive à en faire kiffer avec moi, c’est mortel. Mais ouais ouais, complètement.

LFB : Est-ce que t’as des coups de coeur récents à partager avec nous ?

Younès : Je suis biaisé par ça mais j’ai bien envie d’en parler, c’est TIF ,que j’accompagne. C’est un rappeur et ça fait longtemps que je ne me suis pas pris une claque musicale comme celle-ci. Je travaille avec lui, donc je suis biaisé, mais je travaille avec lui parce que j’aime tous ses titres.

Il y a L’amour, c’est surcoté de Mourad Winter que j’ai aimé, vraiment, c’est très drôle, pas comme les autres livres. Et puis en film, je me suis refait les films de Brad Pitt pour voir un petit peu. J’ai pas fini encore, mais il m’a mis une bonne claque. Que ce soit dans Bullet Train ou Everything, Everywhere, All at once, au cinéma en ce moment J’ai grave kiffé aussi, j’ai trouvé ça très moderne, très 2022, dans le bon sens du terme.

Retrouvez notre chronique d’Identité Remarquable ici