WomenBeats, découverte d’un projet féministe et multiculturel

Sur la Face B on tient à coeur de promouvoir les artistes émergents et on sait à quel point la visibilité peut être diminuée pour certaines catégories d’artistes. Alors quand un projet nous contacte afin de relayer un programme permettant de professionnaliser les femmes dans l’industrie musicale ainsi que de mettre en avant des influences multiculturelles, nous sommes en joie. Le programme WomenBeats choisit tous les trois mois une lauréate qu’il va accompagner sur le plan professionnel. A l’occasion de la soirée de présentation de la seconde lauréate Morjane Ténéré, nous avons pu discuter avec Daphné et Léna qui portent le projet, ainsi que Morjane afin d’avoir son retour sur l’expérience.

Interview de Daphné et Léna, responsables de WomenBeats

LFB : Hello Daphné et Léna, comment allez-vous ?

Daphné : Super et toi ? 

LFB : Très bien ! Est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques mots ?

Daphné : Je suis Daphné Honigman, la fondatrice et directrice de l’association Far East Prod ainsi que du projet WomenBeats.

Léna : Je suis Léna Le Roux Bourdieu, chargée d’accompagnement artistique pour le programme d’accompagnement WomenBeats. J’ai rejoint Daphné sur le projet il y a quelques mois. 

LFB : Pouvez-vous me présenter le projet WomenBeats ?

Daphné : L’action de notre association Far East Prod a commencé en 2016 avec l’organisation du Dérives Festival, qui vise à mettre en lumière les scènes musicales et artistiques émergentes et alternatives du monde. En 2019, nous avons voulu lancer des évènements plus réguliers afin de fidéliser notre public. En se penchant sur nos programmations antérieures, on s’est rappelé qu’on avait toujours éprouvé des difficultés à identifier des groupes à lead féminin qui rentraient dans notre ligne artistique. On s’est donc dit qu’on allait proposer des événements dédiés à valoriser ces artistes émergentes, aux projets modernes et hybrides empreints d’influences culturelles diverses. Nous sommes aussi en collaboration avec Beats By Girlz France géré par Sarah Perez, Sharouh de son nom de DJ, qui fait des formations en musiques électroniques pour les femmes et personnes non binaires. Le programme WomenBeats, lui, s’axe plutôt sur des projets live, acoustiques et amplifiés.

Fin 2019, nous avons commencé les soirées WomenBeats. Cependant, le covid est arrivé. Nous avons repris les soirées trimestrielles avec une programmation assez éclectique peu à peu. Nous programmons des projets à lead féminin ou non binaire, les groupes peuvent bien entendu être composés de musiciens. Nous priorisons également les projets composés de musiciennes instrumentistes.  C’est difficile de trouver des projets où ce n’est pas seulement une chanteuse et des hommes derrière, mais c’est le but. Au-delà du fait que les artistes féminines n’ont pas assez de visibilité, nous avons constaté de nombreux blocages au niveau de la professionnalisation des artistes. On remarque l’écart effarant entre la part de femmes dans les écoles de musique et conservatoire, et celles qui osent finalement se dédier à cette carrière.

LFB : En quoi consiste le programme ?

Daphné : Il consiste justement à soutenir la professionnalisation des musiciennes en début de carrière et a été mis en place en septembre 2021. 

Léna : c’est un programme court et intensif sur deux mois. Nous avons une lauréate ou un groupe tous les trois mois. Directement après avoir choisi notre lauréate, nous identifions ses besoins et les axes sur lesquels elle a envie de travailler. Nous allons par la suite la mettre en contact avec nos partenaires dans des domaines divers et variés : booker.euses, editeur.ices, marketing digital, stratégie d’export… En parallèle, Daphné et moi l’accompagnons en interne en respectant un programme défini ensemble selon ses besoin. Nous mettons également à disposition un studio pour répéter ainsi que des séances de coaching avec Frieda notre marraine afin de travailler leur présence scénique. C’est complet, intensif et entièrement personnalisé !

Daphné : Notre grand axe c’est la structuration, le développement professionnel et la mise en réseau. Nous nous sommes rendu compte que beaucoup de femmes ont peur de contacter des professionnels, elles ne demanderont jamais plus que ce à quoi elles s’estiment légitimes. On peut travailler 5 ans sans oser contacter la bonne personne ! Sans faire de généralités, beaucoup d’hommes contactent dans un esprit « on sait jamais ! » et réussissent à se faire des relations autour d’un apéro. En tant que femme, c’est la production avant tout, afin d’atteindre la légitimité, mais en perdant du temps. Ce qui leur manque c’est le réseau. C’est pour cela que l’on apprend tout l’aspect technique et administratif, car ainsi elles savent et prennent confiance. Nous avons une vingtaine de partenaires issus de milieux professionnels divers qui prennent leur temps pour leur apprendre. Ainsi, elles se sentent prêtes à se lancer et ont déjà un joli réseau qui peut devenir des collaborations. 

LFB : Qui sont ces collaborateur.ice.s ? 

Léna : Nos partenaires sont des profesionnel·le·s des musiques actuelles issu·e·s de tous corps de métiers, qui s’impliquent beaucoup car iels croient à la nécessité du projet. Notre jury est également composé de nos partenaires.

Daphné : C’est aussi une forme d’engagement et de militantisme pour plus d’égalité sur les scènes de musiques actuelles partout en France. Nous avons identifié des structures qui partageaient déjà cet engagement au quotidien, et qui avec lesquelles nous partageons la même ligne artistique. Nous avons constaté un réel engouement autour de ces collaborations, qui nous permet de créer une communauté professionnelle et artistique bienveillante.

LFB : C’est très beau de voir autant de gens réunis autour d’une même cause et donnant de leur temps pour aider des artistes émergentes ! Comment la sélection des lauréates se fait ?

Léna : Nous avons lancé notre troisième appel à candidatures ce soir à l’occasion de notre soirée WomenBeats. Nous passons par la plateforme Groover. Les candidatures sont ouvertes à toute artiste féminine ou groupe porté par une ou plusieurs femmes. Les candidates doivent être actives dans la démarche de création sonore (écriture, composition, arrangement…) et non seulement interprète. Les influences doivent être diverses culturellement. Nous favorisons des artistes qui ont moins de cinq ans de carrière, qui ont déjà au moins enregistré un titre et un set de 20 minutes de concert. Nous souhaitons aussi que l’artiste ne soit pas encore accompagné, maximum un partenaire, puisque l’idée c’est de les aider à se développer et rencontrer ces partenaires.   La dernière fois nous avons reçu plus de 200 candidatures ! 

Daphné : Dont beaucoup d’hommes. 

Léna : Nous faisons une présélection avec Daphné, un top 10 que l’on présente au jury. On discute chacun et chacune de nos préférences. On retient trois artistes qui sont ressorties et on leur fait passer des entretiens individuels. Cela nous permet d’intégrer plus d’humain, de comprendre leur projet et leurs besoins. A l’issu nous sélectionnons notre lauréate ! 

LFB : Quelles sont les raisons qui empêchent que les femmes se lancent entièrement dans leur projet ?

Daphné : On pourrait en parler pendant des heures ! Souvent, lorsqu’on est socialisé en tant que femme, on nous inculque que l’on doit faire attention à tout. Le fait d’être en harmonie et cohésion avec sa vie perso, pro, familiale etc est le plus important et c’est ce qui lui donne de la valeur. Les hommes ont plus de pression dans leur vie professionnelle pour réussir et vont donc se lancer et prendre plus de risques. C’est pour cela qu’on parle plus de briser le plancher de verre plutôt que le plafond de verre, car avant d’exploser et devenir tête d’affiche il faut prendre la décision de se professionnaliser et d’en faire son métier. Nous avons rencontré beaucoup d’artistes émergentes qui nous disaient qu’elles faisaient ça à côté, sans beaucoup de temps car elles avaient un métier, des enfants… 

LFB : Concernant votre axe musical hybride, imprégné de différentes influences culturelles, pourquoi ce choix ? Est-ce un domaine qui manque aussi de visibilité ?

Daphné : Oui. L’association axe son action sur la mise en valeur de scènes musicales peu diffusées en France. Cet engagement est intersectionnel. On est pour l’égalité et la parité, mais cela passe aussi par plus de diversité sur scène. L’égalité n’est pas seulement liée au genre, mais aussi à l’origine sociale, culturelle et ethnique. Les rôles modèles, c’est aussi ça ! Qu’il y ait autant de modèles de réussite différents qu’il y ait de profils de jeunes qui les admirent. Nous faisons également des «  ateliers transmission » dans une classe de terminale pro en non mixité choisie, dans un lycée de Saint-Ouen. Ces interventions consistent en une sensibilisation aux blocages potentiels liées aux attentes de la société pour les femmes, mais aussi à la présentation de métiers techniques et artistiques auxquelles elles pourraient aspirer, et surtout, nous demandons aux lauréates de choisir elles aussi un format d’intervention à la fin de leur accompagnement. Cela leur permet de se rendre compte du chemin parcouru en transmettant à leur tour ce qu’elles ont appris.

LFB : Les soirées aussi font appel à des artistes extrêmement diverses, avec de nombreux styles musicaux. (électronique, folk, dance…)

Daphné : Nous ne voulons pas enfermer le projet dans une esthétique en particulier, mais avons tout de même une ligne artistique directrice : nous promouvons les projets de musiques actuelles hybrides, qui retravaillent et revalorisent des sonorités traditionnelles du monde entier, empreintes d’influences culturelles diverses, et notamment extra-occidentales. Nous évitons à tout prix la case « musiques du monde », imprégné de néo-colonialisme.

LFB : Quel retour avez-vous du public pour le moment ?

Daphné : Le projet commence à être bien identifié par diverses communautés militantes dans les musiques actuelles, et nous recevons beaucoup de messages de soutien sur les réseaux. Lors des événements, nous avons reçu des avis très positifs des professionnels et publics présents, mais les comportements des publics suite à la crise sanitaire sont encore trop imprévisibles pour mesurer réellement l’impact des soirées.

LFB : Quelle est la suite du projet ? 

Daphné : Nous réfléchissons à plusieurs pistes de développement, comme notamment plus de création de contenus et de nouveaux formats d’événements pluridisciplinaires. On ne peut pas vous en dire plus pour l’instant, mais rendez-vous en septembre pour la deuxième saison du projet ! En attendant, vous pouvez suivre toute notre actualité sur instagram @womenbeats_ et sur notre site http://derives.studio.

LFB : Merci beaucoup !

Interview de Morjane Ténéré, deuxième lauréate du programme

Crédits: Christian Helgi

LFB : Hello Morjane ! Comment vas-tu ?

Morjane : Très bien et toi ?

LFB : Super merci ! Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Morjane : Je m’appelle Morjane, et j’ai 23 ans. J’écris des chansons essentiellement en anglais et en espagnol dans un style folk/blues. J’écoute aussi beaucoup de musiques traditionnelles d’Afrique du Nord et d’Amérique du Sud.

LFB : Depuis combien de temps fais-tu de la musique ?

Morjane : Je fais de la musique depuis petite, mais j’ai vraiment commencé à adorer ça et composer à l’âge de mes 15 ans. J’ai acheté une guitare et j’ai commencé à reprendre des chansons ce qui m’a permis de débuter aussi le chant. J’ai commencé à composer en essayant d’imiter des artistes que j’appréciais comme Amy Winehouse, puis j’ai voulu créer des morceaux plus personnels.

LFB : A quel âge t’es-tu professionnalisée ?

Morjane : J’ai fait des études à la Sorbonne et en même temps des concerts. Mais c’est seulement depuis cet été que je me suis consacrée à la musique afin d’en faire ma profession. Donc moins d’un an !

LFB : Quels sont les problèmes que tu as rencontrés sur ton parcours de musicienne ?

Morjane : A mes premiers concerts, j’ai remarqué que j’avais beaucoup de gens qui venaient me voir seulement pour me donner des conseils, comment jouer de la guitare ou chanter. Mais c’est de moins en moins le cas ! J’ai eu aussi de mauvaises expériences avec des ingénieurs du son ou des musiciens qui ne me prenaient pas forcément au sérieux. Mais je pense qu’en affirmant se place et en sachant véritablement quelle musique on a envie de faire on réussit à s’imposer bien plus.

LFB : Penses-tu que c’est une problématique récurrente dans le monde de la musique ?

Morjane : Lorsque je discute avec des amies musiciennes, nous faisons face aux mêmes problématiques… Ce qui mène à une perte de confiance ou un sentiment d’illégitimité. 

LFB : Comment as-tu entendu parler du programme WomentBeats ?

Morjane : Je suis tombée sur un post sur les réseaux sociaux ! J’ai eu envie de m’inscrire tout de suite. J’ai vu que c’était ouvert seulement aux femmes et j’avais justement envie de faire une nouvelle formation avec des copines chanteuses. Raison de plus de tenter ça avec elles ! Et c’était génial.

LFB : Comment le programme se déroule pour toi ?

Morjane : Niveau entourage professionnel, pour le moment je fais tout toute seule. Mais j’aimerais beaucoup travailler avec d’autres personnes afin de se partager les tâches, comme pour le booking, le management etc… Grâce à cet accompagnement j’ai pu rencontrer de très nombreux professionnels : une juriste, un booker, une éditrice… J’ai découvert des métiers que je ne connaissais pas forcément et ça m’a permis de beaucoup mieux comprendre cette industrie. 

LFB : Depuis combien de temps exactement tu travailles avec WomenBeats ?

Morjane : Depuis février !

LFB : C’est encore très récent du coup… Mais as-tu déjà senti un changement dans ta façon d’appréhender la scène ou gérer ta carrière ?

Morjane : Je commence vraiment à prendre conscience que c’est un projet qui se professionnalise ! Je comprends mieux les rouages de l’industrie, ce dont j’ai besoin et ce dont je n’ai pas besoin. Je me sens beaucoup mieux entourée ! J’ai gagné en confiance aussi car je côtoie des gens qui m’aident et qui croient en mon projet !

LFB : Tu as eu l’occasion déjà de rencontrer des artistes avec qui tu as eu envie de faire de la musique ou avec qui vous vous entraidez ? Une solidarité s’est créé autour du projet ?

Morjane : Pour le moment je n’ai pas rencontré d’artistes via WomenBeats mais c’est vraiment quelque chose que j’aimerais faire ! Je ne suis que la deuxième lauréate pour le moment, alors c’est encore un peu tôt pour un cercle des anciennes ! 

LFB : Tu vas bientôt monter sur scène ! Comment te sens tu ? 

Morjane : Un mélange d’excitation et de stress, mais je pense que ça va bien se passer ! 

LFB : C’est la première fois que tu fais une scène de cette taille ? 

Morjane : J’ai déjà eu l’occasion de faire Canal 93, Les Trois Beaudets… Mais c’est toujours le même stresse ! 

LFB : Quels sont tes projets pour la suite ?

Morjane : J’ai quelques dates en avril à Paris, et je vais surement aller à Londres après. Faire deux trois dates et aller jouer dans la rue ! J’ai aussi été sélectionnée au Women Metronum Accademy, un programme d’accompagnement à Toulouse ! Je commencerais en Juillet avec Flèche Love, une artiste que j’adore. 

LFB : Tu es super bien accompagnée ! Merci Morjane et à tout à l’heure sur scène !

Morjane : Merci à toi !

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