Weezer, Humans After All

Bon oui, on l’a dit et on l’a répété, le monde est en plein chaos. Et les bonnes nouvelles se comptent généralement sur les doigts d’une main. Alors on ne va pas bouder notre plaisir lorsqu’on nous annonce un album surprise de Weezer. 25 ans maintenant que le groupe est un indispensable dans nos discothèques avec des très hauts et parfois des très très bas. Les californiens ont donc profité de cette pause forcée, qui aura vue la sortie de Van Weezer leur album de heavy metal être décalée, pour s’offrir un petit plaisir. Il s’intitule Ok Human et il est tout ce qu’on peut attendre d’un album de Weezer et sans doute beaucoup beaucoup plus.

Le point de départ pourtant laissait craindre le pire : dans une fièvre mégalomaniaque, Rivers Cuomo et sa bande ont donc remisé les guitares au placard pour partir en studio avec un orchestre symphonique et un piano afin de s’offrir un album sans ordinateur, sans instruments électriques et qui aurait comme objectif de regarder notre époque, et notre relation à la technologie, tout en rendant homme à la musique des années 60 et 70 (hello les beatles, hello les beach boys, influences majeures de l’album et des illuminations de Cuomo). Tout un programme qui avait de quoi clairement effrayer quand on connait la capacité des californiens à se noyer parfois dans le pire mauvais goût ( on a bien essayé d’oublier leur Teal Album mais il continue malheureusement de venir nous hanter).

Pourtant, la curiosité n’a eu de cesse de grandir en nous et on a décidé de faire un petit pari avec cet album : on allait attendre et on allait l’écouter sur une platine, comme à la grande époque donc. Et notre pari fut gagnant car oui ce Ok Human est un grand disque, un très grand disque même, et sa découverte se révèle finalement merveilleuse. Weezer s’offre un album qui n’aura pas à rougir à côté de ceux des héros de Rivers Cuomo. Sans doute est-ce du à sa spontanéité, à l’urgence qui émane de sa création, mais cette collection de 12 titres se révèle au final le travail le plus personnel du groupe et le plus … humain.

Surtout, bien loin d’une remise en question où d’un changement radical, il est au final un véritable album de Weezer, avec cette façon parfois insupportable de frôler la ligne jaune, où de traverser allégrement, ce qui ne sera jamais le cas ici, même si à l’écoute de certains morceaux on aurait pu craindre le pire, notamment sur Bird With A Broken Wing, le groupe fait preuve d’une retenu qu’on ne pensait pas lui connaitre tout en nous offrant un univers immédiatement reconnaissable.

C’est d’ailleurs ce qui rend la première écoute pour le moins assez étrange, nous emmenant dans un univers hybride qui n’a de cesse de jouer avec nos attentes et nos habitudes pour les retourner en permanence contre nous afin de nous surprendre encore et encore. Ainsi, dès l’ouverte, on se retrouve face à un hymne de stade transformé en pop de chambre. All My Favorite Songs est une ouverture parfaite, à la fois intense et tendre et qui nous prévient que la suite à venir sera à la fois inattendue et familière.
Ce n’est certes pas nouveau, mais cette manière de remplacer une guitare FM par des cordes offre un rendu musical aussi étonnant que réjouissant qui nous offre l’occasion d’headbanger tranquillement sur des hits tels que Screens, Grapes Of Wrath, l’épique Numbers ou l’excellente Aloo Gobi. Chacun de ces morceaux est porté non seulement par un sens rythmique impeccable, une douceur contagieuse et des refrains fait pour être repris en chœur ( on frisonne rien qu’à l’idée de découvrir ces morceaux en live).
Quand on réalise que bien souvent la production rock américaine est à l’heure aussi discrète qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine il est plus que nécessaire de souligner le superbe travail de Jake Sinclair.

Autre élément d’importance de cet album : le piano. Il est celui qui est à l’origine des parties les plus mélancoliques de l’album notamment les titres les plus mélancoliques d’Ok Human. Qu’il se fasse discret sur Numbers, plus physique sur Here Come The Rain ou devienne l’élément central et thématique d’un morceau avec la superbe Playing The Piano, qui s’enchaine à la perfection avec Mirror Image, il est un artisan discret et essentiel de cette aventure qu’est Ok Human.

Mais plus qu’un exercice de style musical qui aurait pu tourner à vide, ce sont les paroles de Rivers Cuomo qui permettent à l’album de se placer parmi les meilleurs de la carrière des Californiens. Car si il emploie des thématiques universelles (dépendances aux nouvelles technologies, solitude, crise sanitaire …) c’est à travers son propre prise qu’il s’exprime. Et c’est sans doute une chose assez inédite que de le voir ainsi se plonger dans son propre quotidien. Playing The Piano en est l’exemple parfait, le morceau ne disposant d’aucun filtre ou protection et nous offrant une vraie plonger dans le quotidien de l’artiste, que ce soit ses obligations. Et si certains morceaux se révèlent forcément sombre et en rapport avec l’époque anxiogène que l’on vit (le texte très poétique de Bird With A Broken Wing ou Everything Happen For A Reason), l’artiste ne verse jamais dans la sinistrose et cherche toujours à retrouver la lumière, à pointer la petite chose qui nous ramènera toujours les uns vers les autres.

Ok Human n’était sans doute pas l’album de Weezer qu’on attendait, mais on est à peu près sur que dans cette époque troublée, c’est celui dont on avait besoin. Mélancolique et optimiste, porté par une vibe douce-amère qui se transforme en réconfort chaleureux qui nous envahit, cet album concis et puissant émotionnellement, si il a été conçu dans l’urgence, sera sans doute l’un des albums du groupe qui vieillira le mieux.

Prochaine étape ? Van Weezer prévu pour le mois de mai.