UssaR : « On ne peut pas se planquer sur un piano voix »

UssaR a sorti son premier EP de chansons le 16 juillet dernier. Nous l’avons rencontré à Paris dans le studio qu’il partage avec Léonie Pernet, qui figure d’ailleurs sur le morceau Violence. UssaR, de son nom d’artiste et de producteur, est pianiste depuis 20 ans. En tant que musicien, arrangeur, side man et directeur musical, il accompagne d’autres artistes depuis près de 10 ans : Youssoupha, Chilla, Kery James, Emel Mathlouthi, CharlElie Couture… Sur cet EP il synthétise ses influences musicales et son savoir faire. Le side man devient front man, à poil derrière son piano comme dans cette interview.

La Face B : Ton premier EP s’ouvre sur la chanson « Loin » que tu as écrite durant les dernières semaines du confinement, elle évoque le retour à la normalité et à la banalité du quotidien…

UssaR : Ce morceau très noir est sûrement un de mes morceaux préférés de l’EP parce qu’il montre beaucoup de choses de ce que je suis et de la façon dont je crée, et de mes influences qui sont entre l’urbain, la synth pop et la chanson française à texte, voix posée entre parlé chanté. C’est une chanson qui me définit beaucoup. C’était ce côté appréhension du retour à la normale, on va tous y retourner, se retrouver dans les mêmes endroits, on va se revoir aussi tristes, débiles et énervés. C’est ma misanthropie latente qui s’est exprimée dans cette chanson. Un je t’aime moi non plus pour Paris. Je t’adore mais mon dieu que tu nous défonces, tu nous pompes notre énergie. Tu apparais parfois très vide et futile, Paris. L’autre chose que j’aime c’est sa forme, une superposition sur une boucle si tu regardes bien le morceau. Loin est un morceau de présentation de mon univers musical fait de synth, de piano, le piano qui est mon instrument, il est présent dans tout l’EP. Après tu as la voix, puis ce beat qui est à la fois simple et agressif, la snare est censée te mettre une gifle à chaque fois qu’elle arrive. Et les cordes d’Arthur Simonini, qui est un excellent ami, on s’est rencontré quand on travaillait ensemble avec Emel Mathlouthi, c’est lui qui a fait par exemple la musique du dernier Celine Sciamma avec Para One (Ndlr : Portrait de la jeune fille en feu). Il a une patte, un grain de corde que je ne retrouve pas ailleurs et qui m’évoque les grands arrangeurs de corde de la chanson française. Il y a aussi cette référence en subliminal à ces grandes cordes hyper larges et expressives. Cette superposition fait que tu as UssaR, la chanson, « l’urbain », ce côté hybride est très présent. C’était évident que ça ouvre l’EP.

LFB : Quelles sont tes influences ? Comment les as tu synthétisées sur cet EP ?

UssaR : Très vite je me suis intéressé au rap, même petit, je suis d’une génération qui a saigné L’école du micro d’argent, Opéra Puccino, Le combat continue les grands albums du rap français de la fin des années 90. Je suis arrivé plus tard au rap américain. La patte du rap français c’était de sampler ce qu’il y avait sous la main cad des classiques, des musiques de film. Le rap français à l’époque avait un côté très romantique, il suffit d’écouter le prélude de Chopin sur That’s My People de NTM pour s’en convaincre. C’était moins présent dans le rap US qui lui avait d’autres influences : le jazz le gospel ou encore la funk plus à l’ouest. En premier lieu j’ai été influencé par le rap, puis très vite l’abstract, le hip hop et l’electro pur, des choses plus barrées, Flying Lotus The Gaslamp killer, TOKiMONSTA, Apparat… j’ai d’ailleurs commencé en faisant des choses plus expérimentales d’abstract hip hop avec un projet qui s’appelait Yachting Club. Aujourd’hui toutes ces influences se retrouvent dans UssaR parce que je travaille fort les boucles et les obsessions rythmiques comme dans « l’urbain ». J’ai fait des morceaux « pop » mais en les réécoutant avec le recul je me suis rendu compte qu’il manquait cette patte de prod que j’ai et qui est vraiment ce côté abstract hip hop très texturé avec une touche baroque. J’aime que mes morceaux soient des millefeuilles et qu’on puisse y trouver toujours un son nouveau à chaque écoute. Quand j’ai ramené ça sur un format chanson, je me suis senti bien, j’ai su que c’était ce que je voulais faire.

LFB : Quand et comment as tu commencé à travailler sur cet EP ?

UssaR : J’ai commencé quand je revenais de tournée avec Youssoupha en Afrique, j’avais dégagé deux mois pour travailler sur la musique du film de Kery James, et pour des questions de timing ça ne s’est pas fait comme prévu. Je me suis retrouvé avec deux mois libres, j’ai donc décidé de composer. Dans l’avion retour, je me suis levé en pleine nuit pour demander un verre d’eau et j’ai vu une des hôtesses en larmes dans les bras de son amie, très certainement une grosse peine de coeur. Je suis retourné à ma place en me disant que cette hôtesse qui pleure à l’arrière d’un avion c’était une chanson. J’ai écrit une première chanson Hôtesse tristesse puis j’ai déroulé et écrit beaucoup de titres avant d’en sélectionner six pour cet EP. Ces deux mois ont été mon espace de liberté, et j’ai beaucoup travaillé. J’ai écrit tous les textes de cet EP mais au tout début j’écrivais beaucoup avec ma soeur Camille Trouvé, qui est comédienne et marionnettiste avec une vraie plume et une sensibilité. Elle m’a donné des clés pour l’écriture, les clés dont elle se sert elle même en scénographie et dans son art. Elle m’a transmis cette volonté de raconter une histoire et d’avoir une dramaturgie dans le texte. Moi ça me parle, j’aime beaucoup ça dans la chanson française, les storytellers qui t’embarquent avec eux. Il y a des monuments de storytelling dans la chanson française. J’aime beaucoup Renaud pour ça. Je suis un fan inconditionnel de sa capacité à croquer des vies, il s’est « inventé des frangins », une vie de loubard. Il a une plume qui permet de croquer des personnages, je pense à sa chanson Mimi l’ennui. On a tous une pote mimi l’ennui.

LFB : Comment tu te définis ? Tu es producteur, side man, arrangeur, musicien…

UssaR : Moi je fais de la chanson. J’ai plusieurs vies, j’adore accompagner des artistes sur scène. On y apprends énormément. Quand t’accompagne quelqu’un comme Kery James tu prends des leçons. T’apprends ce qu’est un show, une énergie de scène.. Auprès de tous les artistes que j’ai accompagnés j’ai appris. Même des gens qui sont plus jeunes que moi comme Chilla. Elle a une assurance, un cap à garder que j’admire beaucoup. Il y a toujours quelque chose à prendre et en plus dans le rôle que j’ai souvent eu que ce soit avec Kery ou d’autres artistes, il y a un côté un peu maïeutique à faire de la direction musicale et faire le side man. Tu peux avoir des idées mais tu es là au service de la musique de quelqu’un. Ta musique va dans les interstices de la musique de l’autre pour la servir et l’embellir, que ça arrive mieux et que ce soit plus efficace. C’est passionnant comme travail et je ne pense pas que j’ai envie d’arrêter de me mettre au service des autres, que ce soit en prod, sur scène ou à la direction musicale. Après, avoir son propre projet c’est aussi une nécessité, j’avais ça en moi et j’ai mis du temps à le mûrir, l’assumer et trouver le temps de le concrétiser. C’est un espace, une liberté que tu te donnes.

LFB : Il me semble que tu as toujours baigné dans la musique et dans l’art ?

UssaR : On dit que les cordonniers sont les plus mal chaussés, moi je suis venu à la musique assez tard, à l’âge de 15 ans avec le piano. J’ai une famille assez musicienne, et le totem qui irradie l’ensemble c’est mon grand père qui était organiste dans la Cathédrale de Sées. C’est pour moi un phare absolu. Il avait tous ces bienfaits qu’apporte la musique. Il était aveugle de naissance, la musique l’a sauvé en l’empêchant d’être l’idiot du village, dans les années 1900 c’était comme ça. La musique lui a permis d’avoir un statut social, de « devenir quelqu’un ». Et en même temps la musique lui a donné un ailleurs spirituel, le nourrissait sans voir et lui a donné aussi un humour, une intensité que la musique porte en elle. En plus l’orgue est un des seuls instruments « classique » où il y a encore de l’improvisation. Les entrées et sorties de messe sont improvisées à partir de thèmes, de fugues… Parfois pour rigoler au milieu des fugues il nous faisait des pubs ou le thème de Mission Impossible (rires).

LFB : Tu te souviens de ta rencontre avec le piano ?

UssaR : La rencontre avec le piano a été un déclic. A 15 ans j’ai eu envie de prendre des cours, j’avais envie de renouer avec ça je sentais que ça me manquait. Quand j’ai commencé je n’ai pas lâché, je jouais 4 à 5 heures pas jour tous les jours, tout seul. J’ai pris mes premiers cours avec Sébastien Lovato qui est un pianiste jazz, dans l’école de musique que tient mon frère. Il y a beaucoup de musique et de création dans la famille. Je suis passé du jour en lendemain de rien à beaucoup. Ça a aussi été des heures de souffrance car à 15 ans j’avais beaucoup de trous dans mon apprentissage musical, j’ai passé des heures à déchiffrer avec acharnement ce qu’un autre aurait pu apprendre avec le solfège.

LFB : A quel moment as tu désiré être musicien professionnel ?

UssaR : Je n’ai pas voulu en faire mon métier tout de suite. J’ai suivi des études de droit après mon bac jusqu’au master. En parallèle j’ai eu plusieurs groupes de hip hop, et même de jazz fusion, on a fait les premières parties de La Rumeur, Mademoiselle K et même Rocé. Que des beaux noms de la scène française. Le groupe amateur a commencé à se professionnaliser. Un jour j’ai du choisir entre un partiel et un enregistrement studio. J’ai choisi la musique. Ça a été long à assumer car être musicien pro c’est de l’incertitude et surtout énormément de travail pour être à niveau. C’est pas juste bien jouer, c’est aussi beaucoup de savoirs annexes comme savoir faire des balances, savoir préparer un show, écouter… ça semble couler de source mais c’est bien plus que de savoir bien jouer seul chez soi. Ça fait presque 10 ans que je suis musicien pro, que j’accompagne les artistes sur scène et que j’enchaine tous les projets. J’ai énormément de chance d’aimer tous les projets auxquels j’ai participé. 

LFB : J’aimerais qu’on s’attarde un instant sur la case musique « urbaine », tout est urbain, rien ne l’est ? 

UssaR : Ça ne veut plus rien dire, c’est comme si tu disais que quelque chose est rock parce qu’il y a une guitare électrique. C’est une case qui rassure. Ce qui est sûr c’est que les codes du rap, du hip hop et du RnB ont inondé la musique. Maintenant ce sont des outils, des textures, des ambiances qui sont à la disposition de tout le monde. C’est comme l’autotune, c’est un outil. Et l’utiliser ne signifie pas que l’on fait de l’urbain. Moi ma case c’est chanson. Prod ou pas, mes chansons existent toutes au piano. En vrai même dans le rap et « l’urbain » les gens écoutent des chansons avec des refrains qu’ils soient des toplines ou des gimmicks. Moi je fais des chansons, on peut les appeler chansons urbaines, d’abstract, variété, chansons d’amour même.

LFB : UssaR ça signifie quoi ?

UssaR : C’est plusieurs histoires entremêlées. Il y a un côté très classique dans UssaR, un côté vieux portrait. Le hussard c’est ce roman d’aventure de Giono « Le hussard sur le toit » une référence que tout le monde a grâce au livre ou au film. Il y a quelque chose de très français. Les hussards c’était des régiments qui partaient en première ligne. UssaR c’est le soldat intérieur, c’est cette guerre que tu te livres à toi même, la guerre des sentiments que tu te livres pour assumer et défendre ce que tu fais. Une double référence entre quelque chose d’intime et de celui qui va au front, sans faire de métaphore guerrière ultime.

LFB : La guerre était intense en toi au moment de la création de cet EP ?

UssaR : Intense, il y a eu des morts (rires). Je fais tout, je compose, j’écris, je produis, je mixe tout. Le dialogue intérieur est intense. Tu passes par des affres de doutes, de questionnement, des envies de mettre tout à la poubelle. A force d’écouter les morceaux tu perds des certitudes. Wajdi Mouawad a une belle image de la création, c’est mettre la main dans la rivière, sentir un poisson, et le but de la création c’est de le sortir de la rivière en passant par tout ton processus de création, ton savoir faire, et que le poisson soit encore vivant quand tu le présentes aux autres. Cette image m’a marquée. Est ce que le poisson que je montre a encore le germe de cette première idée que je trouvais belle ? Dans cette image il y a quelque chose de beau aussi, c’est l’idée que tu ne fais qu’attraper les choses. Avec 6 milliards ça s’est passé ainsi, je l’ai composée et j’ai tout de suite demandé à un ami à qui j’avais piqué cette chanson. Je la connaissais déjà trop bien. 

Le musicien est un artisan qui ne fait que gratter la terre autour d’une pépite.

LFB : C’est quoi ta chanson intérieure ?

UssaR : Elle est très mélancolique, il y a beaucoup de piano. C’est très bleu, introspectif.

LFB : Ta mélancolie qui infuse dans ta musique ?

UssaR : Notre musique porte tout ce qu’on ne peut pas être dans la vie et ce qu’on est profondément, tout ce que je me refuse d’être au quotidien. Ce côté ‘à poil’ qu’a ma musique, je ne supporterais pas de l’être au quotidien. C’est un réceptacle à ce que je suis profondément, parfois affligé, mélancolique, et sensible aux autres, à la société ou aux histoires de coeur.

LFB : La case que tu aimerais cocher sur la To Do list ?

UssaR : 6 milliards au Stade de France (rires sans rire), un piano voix au Stade. Sky is the limit.

https://open.spotify.com/album/3yYeIeluaTmyI1KcI8LaCk?si=cj6bm2h2Qh2B0sRPA4jb7Q