UssaR : « UssaR c’est le soldat en déroute qui essaie de chercher des réponses »

En juillet 2020, on faisait la rencontre avec UssaR et son premier six titres éponymes. On avait été embarqué par sa musique hybride et intense, qui mêlait avec brio la lumière et la noirceur. En un peu plus d’un an, UssaR a fait beaucoup de chemin : un label, un tourneur et un ep, désormais intitulé Étendues, qui prolongeait avec bonheur la musique de l’artiste. Son passage au MaMa Festival était donc le moment idéal pour le retrouver à nouveau.

La Face B : Salut UssaR, comment ça va ?

UssaR : Bien écoute ça va super bien, franchement c’est hyper cool, je suis en pleine tournée et on enchaine les dates. On fait découvrir la musique et tu vois, faire découvrir la musique à plein de gens en France c’est vraiment ce que je voulais. C’est hyper cool, ça se passe bien ! Hier c’était vraiment magique.

LFB : On t’avait déjà rencontré il y a un peu plus d’un an. Depuis tu as trouvé un label, un tourneur, tu as fait le chantier des Franco, tu es lauréat du FAIR et tu joues ce soir au MaMa. Est-ce qu’on peut dire que tu n’as pas vraiment chômé en un an ?

UssaR : Vraiment on as bossé, il n’y a pas que moi, c’est un travail d’équipe avant tout comme dirait Deschamps. Un travail avec beaucoup d’abnégation. On a beaucoup travaillé et ce qui est bien c’est que j’ai l’impression d’être sur un projet de bouche à oreilles, c’est à dire que les gens qui aime me ramènent des gens qui aiment et les gens qui aiment me ramènent des gens qui aiment et c’est super cool. J’adore les gens qui viennent me dire « Ah putain, c’est mon pote qui m’a fait découvrir ! » j’adore ça.

LFB : Et est ce que tu as l’impression d’avoir un « alignement d’étoiles » ou tu as l’impression que c’est aller un peu vite quand même ? Il y a des gens qui galèrent pour trouver un label, un tourneur et toi on a l’impression que tout est venu hyper naturellement.

UssaR : Je ne sais pas si je suis la meilleure personne pour répondre, je sais que je c’est quelque chose que je veux très très fort. On se met des objectifs ensemble et des objectifs élevés pour réussir à avancer toujours et a ce qu’il se passe des choses. Quand j’ai l’impression qu’on est trop sur nos lauriers, il faut des idées, il faut qu’il se passe des choses : une captation, une idée, un feat… Tu vois, j’ai toujours envie qu’il se passe quelque chose pour que le projet existe et surtout pour créer, on a tellement été sevré de création pendant aussi longtemps que là c’est très très bien de faire des choses.

LFB : Ton EP sort en vinyle et je voulais te demander quelle importance ça avait pour toi d’avoir un format physique pour ta musique ?

UssaR : Je ne voulais pas faire un CD pour l’EP je dois l’avouer. Je connais très peu de gens qui écoutent encore des CDs. Moi j’écoute des CDs de temps en temps mais ceux que j’ai depuis 10 ans. Ce qui me plait avant tout dans le vinyle c’est que déjà, je suis un collectionneur de vinyle à la base vu que j’ai beaucoup travaillé le sample et le sampling je l’ai beaucoup fait en vinyle. Et puis l’objet, tu vois, donner quelque chose dans les mains des gens avec les paroles, quelques images, mon écriture, j’adore ça, je trouve ça beau de donner quelque chose aux gens.

LFB : Tu avais sorti un EP en éponyme et là il ressort sous le nom Étendues. Il y a un jeu de mot qui est évident avec le format de l’EP. Je me demandais, c’est une question que j’avais déjà posée à Gaspard Augé, qui est l’importance du pluriel dans le titre Étendues pour toi ?

UssaR : Le pluriel, justement je voulais que « ces » étendues riment avec ce qu’il y a à l’intérieur de l’EP, il y a du paysage, il y a des routes, des plages, la mer et en fait, ce panorama Étendues au pluriel c’était une évidence parce que ça montrait aussi, je pense, la volonté de naviguer entre différents courants musicaux et différentes influences.

C’est presque parti comme une blague. Genre extended, UssaR extended, bah « UssaR étendues ahahah ». Alors que au final, « UssaR Étendues » c’est hyper intéressant et je l’assume complètement et je suis hyper content qu’on aie trouvé ce titre.

LFB : Tu en parlais, je trouve justement que les « Étendues d’UssaR » c’est de montrer plus de subtilité, des chansons avec des boucles, des choses qui sont peut-être un peu plus lumineuses, et vraiment la volonté de montrer toutes les facettes qui peuvent correspondre à ta musique et qu’on avait pu découvrir en live mais qui n’étaient pas forcément sur le premier EP.

UssaR : Complètement. Sur l’EP je suis hyper content d’avoir pu mettre Il pleut dehors  qui est un morceau d’abstract quasi pur ou je répète deux phrases. C’est un morceaux très lumineux, mais qui, pour moi est très sombre de par une histoire intime. Mais dans son format il avait quelque chose d’abstract de complètement assumé « Vas y là en fait on va faire de la boucle et on va s’amuser avec des textures, un beat qui drop et on est parti ! » et ça c’était un vrai déchirement… Parce que sur 6 morceaux je pouvais difficilement le mettre alors que sur 10 tu te dis «ah, merci mon dieu de pouvoir le mettre».
C’est mon bébé Il pleut dehors, je l’aime beaucoup.

LFB : Cette idée d’étendues je trouve qu’elle se ressent aussi dans ton écriture et dans ta façon d’utiliser les mots. Je trouve qu’il y a une vraie envie de multiplicité. Mais au delà des mots, je trouve que tu multiplies les rôles, les points de vue, tu es autant acteur qu’observateur dans ta musique en fait.

UssaR : Oui, même quand je me raconte moi, je crois que je prends un point de vue, au niveau de l’écriture, de distanciation parce que je ne supporte pas le nombrilisme. En fait je crois que ça me rend malade, même sur les réseaux-sociaux, c’est quelque chose que j’ai du mal à faire. Le côté genre « Regardez ma vie vie » et le « Aujourd’hui j’ai mangé McDo, c’est super ! ».
J’essaie toujours d’écrire, même quand tu parles de l’intime, d’essayer d’avoir suffisamment de distance. Déjà pour ne pas tomber dans le pathos et puis de prendre ce point de vue un peu extérieur même avec les « je » pour que l’auditeur puise s’y retrouver et pas se dire au bout d’un moment «Mais en fait qu’est ce que j’en ai a foutre de la vie de ce mec ?» parce qu’en fait on s’en fout de la vie de ce mec tu vois. Ce qui est important c’est le texte, et ce que ça raconte. Même si c’est « je » c’est surement un narrateur.

LFB : Est ce que UssaR est un personnage omniscient dans ta musique ?

UssaR : Non, UssaR il n’est pas omniscient. UssaR il est clairement extérieur à Emmanuel, il se permet plus de choses, il est plus noir, il a d’autres choses à raconter, mais il n’est pas omniscient. Ce n’est pas le narrateur qui sait tout. C’est le loser magnifique pour moi. C’est le soldat en déroute qui lui même essaie de chercher des réponses, qui matte les gens dans le métro en se disant « Lui il va où ? Et moi je vais où ? » mais il ne sait pas tout. Heureusement putain. Il serait chiant !

LFB : Au delà de ça, le fait de t’appeler UssaR pour « endosser » une tenue pour ta musique, est-ce que ça t’as libéré quelque chose dans l’écriture ?

UssaR : Oui parce qu’il y a des choses que je ne pourrais pas faire, pas dire et si mon projet s’appelait « Emmanuel Trouvé », je crois que j’aurais du mal à chanter certaine chansons parce que ce serait trop collé. Il n’y aurait pas cette distanciation, pas ce recul nécessaire qui transforme l’intime et l’expérience en, entre guillemets, art. Mais oui en art, l’art c’est quelque chose qui se propose et qui se partage et ce n’est pas cette espèce de petite bulle de moi. Donc je pense que si il n’y avait pas cette distanciation et ces atours que je prends sur UssaR, ce serait moins intéressant.

LFB : On avait beaucoup posé de questions sur ton processus de création sur ton EP d’avant, du coup j’ai essayé de chercher des choses un peu différentes. J’ai beaucoup écouté ta musique, je trouve qu’il y a quelque chose de profondément triste et violent dans ce que tu fais parfois, même dans les mots, dans les histoires que tu racontes. On va rester sur cette idée de distanciation, est ce que parfois il n’y a pas quelque chose de dangereux pour l’esprit, de regarder en permanence le gouffre ?

UssaR : Oui. Mais en même temps je crois que ce sont des bulles et UssaR se permet de regarder le gouffre. Et c’est bien pour moi m’empêcher de vivre avec tous les jours et d’éloigner ma propre mélancolie, mes propres angoisses, ma propre peur de la mort, qu’on ne soit que des être finis et je pense qu’UssaR, du coup, arrive à embrasser les choses et à les exprimer. Ça fait très bizarre de parler de soit à la troisième personne parce que les lignes sont forcément moins claires que ça tu vois. Mais oui, c’est un exercice.

LFB : Est-ce que, parce que ça aussi c’est quelques chose qui est très présent dans ta musique, est-ce que pour toi la mélancolie c’est une arme à double tranchant qui est à la fois nourricière et meurtrière ?

UssaR : La mélancolie pour moi, je ne sais pas, c’est comme de la confiture. Ça peut être très réconfortant, très sweet, très doux, y trouver un vrai plaisir à y revenir et en même temps tu peux t’y enfermer et te retrouver dans de la mélasse tu vois…

LFB : Et si tu en prends trop tu dégueules.

UssaR : Exactement ! Et si tu en prends trop tu dégueules. Le but c’est d’avoir le juste milieu pour ne pas tomber dans le pathétique et juste l’accepter sans la dégueuler.

LFB : On a beaucoup parlé des paroles. Je trouve que ta musique use autant des mots pour leur sens que pour leur sonorités et que la production ne va pas sans les mots et que les mots ne vont pas sans la production. Je me demandais comment tu malaxais l’un et l’autre pour réussir à les unir ?

UssaR : Je ne sais pas, juste tant que ça ne me plait pas et tant que ça ne sonne pas, ce n’est pas bon, je jette le texte et tout.

Je ne sais pas vraiment mais je sais que dans ma façon d’écrire je garde mon oreille de producteur. C’est-à-dire qu’il faut que ça se réponde, il faut que les rimes et les sonorités collent avec ce qui se passe derrière sinon j’ai l’impression de faire du bas étage. Dans ma mentalité et vu comment j’écris, je veux que ce soit comme un producteur qui choisi telle note de sins, tel nap, tel pattern de drum, tel son de snare, il faut que ce soit comme ça, c’est le même processus.

LFB : On parlait de genre musical, on cherche en permanence à caser les gens dans un genre particulier. Pour moi j’ai l’impression que ta musique c’est un gros doigt d’honneur à tout ça.

UssaR : Bein ouais franchement j’aimerais bien ! C’est le plus beau compliment qu’on m’aie fait en rendez-vous label; un mec qui m’avait fait un peu dépité et en même temps un peu intrigué, il m’avait dit « Bah oui mais t’es nul part , je ne peux pas vraiment te mettre dans l’urbain, je ne peux pas te mettre à coté d’intel, je ne peux pas vraiment te mettre… » du genre «qu’est ce que je vais branler de toi… ».

J’adore l’idée de pouvoir dire « Je vais faire un gros beat trap avec une voix en boucle ». J’adore cette idée là et après faire un piano voix avec une chanson sentimentale. Est-ce que les gens se refusent ça dans leur playlist ? Quand tu écoutes les playlists des gens ils ont des trucs tellement différents. Et pour les artistes c’est aussi le bordel dans nos têtes, on devrait être beaucoup plus libres que ce que l’ont s’autorise à faire.

LFB : Tu as une expérience de producteur, tu as joué avec d’autres gens avant de faire UssaR. Le seul featuring que tu as sorti pour l’instant c’est avec Leonie Pernet. Est-ce que ta musique en tant qu’UssaR pour toi elle est trop personnelle ou trop à toi pour la partager avec les autres ou est-ce que tu envisages justement d’ouvrir ta musique à d’autres personnes ?

UssaR : Il y en a avec qui j’aimerais bien feater mais on va se le dire clairement, aujourd’hui le feat est un processus de mise en avant de ton projet qui est souvent non lié à ta musique genre «Ce serait super que tu fasses un feat avec machin» et il y a un espèce de débilité et de « on met la charrue avant les boeufs » alors que, qu’est ce qu’on a à se dire avec intel ?

Ça m’est arrivé récemment sur un morceaux de me dire «ça je le vois en feat avec X ce serait génial» et d’envoyer un message insta et de faire «écoutes, j’ai ça je pense à toi, qu’est ce que tu en penses ?» Et qu’on me réponde «vas y, chaud».
Et ça c’est cool,. Mais la charrue avant les boeufs, se dire «il faut que tu écrives un morceau pour pouvoir feater avec…» c’est vraiment compliqué. Ou alors de coller « artificiellement » un artiste hype sur ton truc parce que « ce serait bien de l’avoir sur ta prod ».

LFB : Il faut que ce soit organique et pas cynique en fait.

UssaR : Exactement. Après j’ai des fantasmes de feats, des espèces de trucs d’alchimiste, c’est le coté producteur qui revient. Genre «Comment je fais si je veux faire un feat avec lui et lui sur la même track ? C’est quoi la track qui réunie ces deux personnes ?» Et ça c’est un autre délire, c’est assez drôle à faire, je n’y suis pas encore arrivé mais j’ai des fantasmes.

LFB : Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour le futur ?

UssaR : Ce qui me rends heureux c’est de créer et de faire des jolis morceaux dont je suis fier donc ce que l’on peut me souhaiter c’est de faire un bel album.

LFB : Est ce que tu as des coups de cœur récent à nous partager ?

UssaR : Un mec que je viens de découvrir récemment, c’est Marie Flore qui m’en a parlé, il s’appelle Thomas Guerlet. Il a un morceau qui s’appelle How Strange  qui est d’une beauté absolument incroyable. J’ai découvert ce morceau, il m’a un peu hanté mon été et j’ai trouvé ça très très très très beau.

Sinon, je suis un fan absolu de Dune c’est un bouquin que j’ai lu toute mon enfance, que j’ai adoré, je me suis fait les 7 tomes, j’adorais l’univers et j’ai trouvé le film de Denis Villeneuve absolument incroyable.

Crédit photos : Cédric Oberlin

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