Une discussion avec Yndi

C’est juste après la sortie de son EP Introdução que Yndi nous accorde cet entretien, nous sommes mi février et nous la rencontrons pour la première fois avant de débuter une discussion passionnée et passionnante. Yndi vient d’annoncer tout récemment la sortie de son album Noir Brésil, en attendant, on discute avec elle de ce nouveau projet, de son rapport à la nature et à la spiritualité. On divague avec plaisir sur Miyazaki, le rapport à la langue et on tombe profondément d’accord sur la beauté du vivant et son côté inspirant. Morceaux choisis…

Yndi

La Face B : Comment ça va Yndi ?

Yndi : Bah écoute ça va, je viens d’enchainer une journée d’interview, c’était cool j’ai pu rencontrer des personnes super intéressantes et parler de ce que je fais mais pas que donc je suis contente.

La Face B : J’aimerais savoir dans quel état tu étais avant que sorte le premier live colors ? C’est osé de revenir de cette manière avec une chanson en français.

Yndi : Déjà j’étais ultra contente que Colors s’intéresse à mon projet et qu’ils m’invitent parce que c’est quand même un super média et qu’ils font un sacré travail pour mettre en avant les artistes. C’est très suivi en plus et c’est international donc c’était assez fou.

Pour la langue c’est un peu une question que je me suis posée tout au long du projet.
Je me suis dit : “je vais chanter pour la première fois en français et en portugais, est ce que les gens vont aimer ? Est ce que les gens qui ne parlent pas français vont quand même écouter ? Est-ce que je ne vais pas me fermer des portes ?”
Ça m’a fait me poser beaucoup de questions mais au final ça reste très positif, surtout d’avoir un média comme Colors qui me soutient.

La Face B : J’ai regardé un petit peu les commentaires en dessous de la vidéo Colors et il y a beaucoup de monde qui disait “j’attends ton retour depuis longtemps”. J’ai l’impression que tu as pris un virage assez différent mais que ton public y reste très sensible…

Yndi : Carrément, mais même si je sors quelque chose de différent sur le son, sur la musique parlée, sur l’esthétique, je garde toujours la même sensibilité. C’est la même partie de moi, la même pulsion qui fait que je crée. Je crois que les gens sont sensibles à ça.

Ça me faisait un peu peur d’imaginer que les gens n’adhèrent pas au truc mais j’ai tout de suite eu plein de retours hyper enthousiasmants.
Quand on est artiste, même si on évolue vers de nouvelles façon de créer, ça reste toujours la même partie de nous même qui nous pousse à le faire.

La Face B : Pourquoi la volonté de sortir un EP live avec 3 morceaux avant l’album, en session acoustique en plus ? 

Yndi : J’étais divisé entre le fait de vouloir faire des choses assez minimalistes, plutôt élégantes, sensibles et vulnérables et d’un autre côté vouloir produire en mélangeant plein de choses, faire des collages et au final être dans une certaine forme de maximalisme.

J’ai eu envie de présenter cette partie là de moi, qui est plus simple, plus vulnérable et j’éprouvais vraiment le besoin de le faire.
Ça s’inscrit aussi et surtout dans l’héritage brésilien de la bossa nova et de tous ces grands artistes qui ont fait beaucoup du guitare voix et dont je me suis inspiré pendant la création de l’album. C’est aussi un hommage.

La Face B : Il faut beaucoup de courage pour faire ça. Tu as expliqué dans la présentation de l’EP que ce type d’artistes et leurs interprétations avaient quelque chose d’intemporel. C’est assez intéressant d’arriver à proposer quelque chose de contemporain mais qui garde les codes de la bossa nova.

Yndi : Étrangement, je trouve que la bossa nova c’est un truc qui est très lié à un imaginaire d’une certaine époque et d’un certain endroit mais pour autant comme ce n’est que de la guitare et de la voix, ce côté épuré il peut parler à tout le monde.
Ce combo guitare voix existe et existera toujours même dans très longtemps j’imagine.

La Face B : Je suis personnellement arrivé à ta musique via Superpoze et les collaborations avec Dream Koala. Il est encore présent sur cet l’album qui arrive, il y a une vraie alchimie entre vous…

Yndi : C’est un ami depuis très longtemps, on a évolué ensemble dans la musique et on a passé des phases artistiques, des étapes côte à côte.

D’habitude je produis toute ma musique seule et sur cet album on passait beaucoup de temps ensemble, on parlait de nos questionnements et du fait que je voulais écrire en français. je lui ai aussi fait écouter des trucs brésiliens.

Donc avant même qu’on aille en studio ensemble, il était déjà dans le truc et il me soutenait à faire ce projet.
Du coup au bout d’un moment je me suis dit qu’on allait co-produire.
C’était juste génial de l’avoir sur ce projet, d’avoir à la fois sa sensibilité et sa capacité à synthétiser certaines choses que je faisais et que je ne voyais pas forcément.
Il trouve ce qu’il manque dans une chanson, il arrive à la restructure, il est juste super doué.

La Face B : C’est très intéressant parce qu’au niveau des thématiques de vos travaux respectifs il y a beaucoup de liens qui peuvent être fait, notamment le côté sacré de la nature.
Son dernier album c’est beaucoup ça et c’est fascinant parce que chacun à votre manière vous arrivez à transmettre des palettes d’émotions qui sont plus ou moins similaires mais à travers des prismes différents.


Yndi : Oui c’est clair, humainement on ne se ressemble pas du tout, on n’a pas le même caractère, on est très différents mais sur la musique on se retrouve beaucoup.
Pour ce qui est du caractère sacré de la nature, ça me fait plaisir que tu le soulignes.
C’est vrai qu’à chaque fois que j’écris et que je me laisse aller aux images dans ma tête, il y a toujours des éléments naturels qui reviennent, toujours du feu, de l’eau, du soleil, plein d’éléments très forts, de la matière en fait.

Par exemple, avec l’eau, on peut écrire quelque chose de beau avec son côté très doux qui lave, ce côté presque religieux, calme et dans lequel on peut se sentir réconforté.
En même temps ça peut être ce truc énorme et intimidant comme des vagues et l’océan. Donc forcément ça inspire et ça provient aussi beaucoup de la culture brésilienne que je me suis appropriée à ma façon.

Dans ma famille et dans la manière dont on m’a appris à voir le monde, il ya beaucoup ce côté sacré. Je me souviendrais toujours de la première fois où je suis allée au brésil avec mon père. On est allés se baigner dans l’océan et j’allais aller dans l’eau et mon père m’a arrêté en me disant : “non non, il faut d’abord que tu parles à l’eau, que tu demandes la permission, tu ne peux pas juste te mettre en maillot de bain et sauter dans l’océan.”
C’est un truc qui est resté et qui est ancré en moi.

Dans le côté sacré, je dirais que je ne suis pas une personne très religieuse dans le sens où je n’ai pas une pratique fixe. Je ne fais pas des rituels tout le temps ni ne vais à la messe tout le temps mais c’est tellement dans mon éducation que dans ma musique j’arrive à me connecter avec ça, alors que d’habitude j’ai beaucoup de mal.  

La Face B : Ça me parle beaucoup ce que tu décris. De mon côté j’ai tendance à croire en la foi, non pas particulièrement à un dieu mais le fait de croire en quelque chose. Ça aide beaucoup de gens et il y a du positif à en tirer.

Yndi : Déjà en France il y a beaucoup d’aprioris notamment avec l’histoire que le pays entretient avec la religion.
C’est très facile ici de se retrouver rabaissé ou jugé hâtivement sur sa religion.
Je sais que le rapport qu’ont ma mère ou ma grand-mère à la foi, c’est quelque chose de magnifique et j’espère pouvoir transmettre ça un jour si j’ai des enfants parce qu’il y a ce côté magnifique de la vie et c’est super fort, ça fait partie de notre humanité. 

Dans une autre catégorie, j’ai beaucoup été marquée par Miyazaki qui parle de ça dans son art et je me souviens avoir vu ses films qui parlent de religion et de spiritualité.
Ça venait du japon donc rien à voir avec ce que je connaissais et pourtant j’avais l’impression de comprendre ce qui était exposé là.
En plus il fait ça à travers un média qui est considéré comme pour les enfants, à tort bien évidemment.
Donc voilà c’est la somme de toutes ces expériences qui m’ont poussé à exprimer cette part là de moi dans ma musique.

Ce qui est fou avec la nature c’est que c’est parfaitement organisé mais qu’en même temps c’est le chaos complet. Quand on voit un truc organique ce n’est pas géométrique, c’est parfait d’une manière et chaotique d’une autre.
Dans l’art on a la possibilité d’essayer de faire ça. 

La Face B : Le mélange Français-Portugais dans l’écriture est ce que pour toi ça  a été plus dur que l’anglais ? Dans le sens ou mettre des mots sur ce qu’on ressent dans sa ou ses langues natales c’est beaucoup plus fort.

Yndi : J’avais l’impression que pour faire ce projet, tel que je le visualisais, je n’aurais pas réussi à aller là où je le voulais avec l’anglais. Comme si pour accéder à une zone de ma tête il fallait que je passe par le français. Le portugais est venu naturellement parce que ce sont mes deux langues maternelles avec le français.

Avec l’anglais il n’y a pas cet aspect quotidien, je ne l’utilisais pas comme j’utilise le français dans ma vie de tous les jours. Donc c’était plus facile d’aller vers des choses abstraites et sincères alors que là avec le français j’ai dû passer par plusieurs phases d’écriture pour me débarrasser de ce côté routinier.

La Face B : Tes textes sont très descriptifs, ils permettent assez facilement de nourrir un imaginaire qui n’est pas imposé. Même si c’est une musique très personnelle, tu arrives à embarquer tout le monde avec toi…

Yndi : A la base avant de faire de la musique je voulais faire des dessins animés, c’est vraiment plus tard que je me suis approprié la musique.
Le premier truc que j’avais envie de créer c’était des images et dès que j’ai commencé à écrire des textes je suis revenu à ça en décrivant des sensations.

J’aime bien considérer la musique comme une expérience, ce n’est pas une question de performance, c’est plus un état d’esprit. Voilà ce que je vous propose et si vous rentrez dedans c’est génial. 

C’est aussi pour ça que j’ai pris beaucoup de temps à faire l’album parce que je n’étais pas satisfaite de l’expérience que j’avais crée. Il m’a fallu pas mal d’étapes pour arriver à proposer quelque chose de singulier. Je ne fais pas partie des artistes qui inventent des trucs mais je pioche partout et je fais des collages qui par leur association en deviennent uniques. C’est ça qui m’intéresse.

La Face B : Tu as mis 4 ans à créer cet album, quand tu as arrêté le projet Dream Koala tu savais déjà où tu voulais aller ?

Yndi : Je crois que je savais oui, parce que très tôt j’ai su que je voulais me réapproprier à ma façon mon héritage brésilien.
Je n’avais pas envie d’avoir une date arrêtée pour le projet. Il y a eu des périodes différentes, pendant un an je n’ai pas travaillé sur ça par exemple, après j’ai recommencé, je me suis laissé beaucoup de libertés et de temps.
Mais j’avais cette pulsion sur ce que je voulais faire. C’est aussi grâce à la chance que j’ai d’être une artiste indépendante. J’ai pu prendre ce temps là et c’est un luxe surtout dans la musique. 

La Face B : Toujours dans cette logique d’imaginaire, moi j’arrive très facilement à coller des couleurs sur la musique et je trouvais intéressant de te livrer la différence que je faisais entre Dream Koala et Yndi.
Dream Koala je voyais quelque chose de plus gris blanc noir, alors que Yndi c’est quelque chose d’extrêmement coloré avec beaucpoup de nuances.

Yndi : C’est hyper intéressant, et c’est vrai que pour ce projet là je ne voulais pas forcément autant de couleurs à la base. Mais c’est un album qui a eu plusieurs vies, il y a eu une première version, puis une autre avec Superpoze puis je l’ai de nouveau enregistré. Au bout d’un moment, je me suis rendu compte qu’il y avait plein de couleurs dans le projet. 

C’est pour ça que dans le clip de Nouveau Monde je voulais un dessin animé avec autant de couleurs. C’est une amie qui l’a réalisé, je l’ai découverte sur instagram, je l’ai contacté puis on s’est rencontrées. J’aimais trop son côté livre pour enfant avec des formes très rondes et avec beaucoup de couleurs.
C’est drôle parce qu’avec le recul j’ai l’impression de toujours retomber sur les mêmes choses, comme si je retournais à quand j’avais 9 ans et que je voulais faire du dessin animé alors que c’était pas du tout prévu.

La Face B : Tu n’as pas pris la voie à laquelle on pense pour faire ça au final.

Yndi : C’est ça exactement, il y a deux ans à aucun moment je me serais dit on va faire un dessin animé pour tel morceau alors que maintenant quand je le vois je me dit que ça n’aurait pu être rien d’autre que ça. 

J’avais envie qu’il y ait ce côté assez naïf dans les images et encore une fois j’en reviens à Miyazaki mais il y a ce côté très enfantin dans ses dessins. C’est cette naïveté, cette forme d’insouciance qui permet d’aborder des thèmes de manière plus profonde.
Ça me parle beaucoup et j’adore jouer sur les contrastes avec une apparence douce et un fond beaucoup plus fort, comme on le disait avec l’eau tout à l’heure.

La Face B : Pour les lives c’est un peu compliqué mais est ce que tu as quand même réfléchi à la manière de présenter cet album sur scène ?

Yndi : J’ai commencé à travailler plus ou moins dessus, je travaille avec des percussionnistes brésiliens que je respecte beaucoup.
Ils sont d’une génération plus âgée que moi, ils ont travaillé avec beaucoup d’autres artistes et ils ont quand même voulu travailler sur ce projet avec moi donc ça me fait vraiment plaisir de les avoir alors que je suis une jeune artiste.

Cette rencontre m’a fait beaucoup de bien parce que ma musique a été comprise et accueillie par des personnes qui font partie de ce qu’est la musique brésilienne.
Je travaille aussi avec une amie qui va jouer sur les claviers pour les parties plus électroniques.
J’aimerais bien que ce soit une rencontre entre le côté électronique et les percussions traditionnelles même si je n’aime pas trop ce mot là.
Je vois bien une alternance entre moment doux guitare voix et des moments énergiques où on danse et on s’éclate.

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