Une conversation avec Yoa

Avec Attente, Yoa fait son entre en grande pompe dans le milieu musical. Un premier EP impressionnant et bouleversant, aussi sensible que plein de force. On s’est posée avec elle pour en savoir plus, entre le besoin de régler les choses à travers la musique, son rapport à l’enfance et la place importante de la danse et du théâtre dans sa musique.

La Face B : Salut Yoa, comment ça va  ?

Yoa : Ecoute ça va bien ! J’ai enfin trouvé un rythme depuis le début de l’année où j’arrive à faire coïncider mes staffs et la musique, et les concerts. On a fait un super concert au Pop Up, et là je suis très excitée de la suite, j’ai hâte. (interview réalisée en octobre ndlr)

LFB : Et pour ceux qui te connaîtraient pas, peux-tu nous dire qui tu es ?

Yoa : Je m’appelle Yoanna , je suis suisse mais je suis née à Paris, je fais de la musique, j’ai de l’humour ma foi (rires) et voilà !

LFB : La première fois que je t’ai rencontrée, c’était y a deux ans, et à l’époque tu me parlais plutôt de théâtre que de musique. Du coup je me demandais à quel moment tu avais opéré le switch ?

Yoa : Alors, je déteste quand les gens parlent du covid en interview mais là du coup je suis un peu obligée (rires), puisque c’est au moment de la pandémie que j’ai commencé à me lancer. Je me suis mise à la musique pour deux raisons : déjà d’un point de vue « pratique », parce que c’était pour moi compliqué de continuer le théâtre pendant le confinement, car j’étais au Conservatoire et que les écoles ouvraient puis fermaient puis rouvraient etc …ce qui rendait difficile le suivi des cours de manière correcte.

Et ensuite, l’autre raison c’est que j’ai beaucoup de chance et j’ai le privilège d’avoir toujours eu le soutien de ma famille dans le choix de vouloir exercer un métier artistique. Malheureusement, dans le théâtre et le cinéma j’ai eu pas mal d’expériences malheureuses, notamment en matière de racisme, et dans la musique je n’ai pas encore vécu des expériences similaires.

Du coup je me suis dit « bon, tu reviendras au théâtre et au cinéma quand tu en auras envie, ce n’est pas grave, c’est moins urgent à l’heure actuelle ; essaie la musique pour voir ce que ça donne » .
Et finalement les choses ont commencé, je suis au tout début, la réception s’est faite plus facilement et plus naturellement qu’au cinéma, car ça va plus vite. Même si je prends mon temps.

LFB : Tu viens de sortir ton premier EP, Attente. J’ai eu l’impression en l’écoutant que la musique est un moyen pour toi d’entretenir le dialogue entre toi et toi-même – j’ai l’impression que tu règles beaucoup de choses en écrivant, en fait.

Yoa : Oui c’est exactement ça, et puis j’aborde des choses qui ne sont pas évidentes. En fait j’écris beaucoup pour moi, avant d’en faire un truc qui peut plaire à tout le monde. J’en parlais avec mon psy ce matin d’ailleurs, le moment que j’aime le plus dans tout ce milieu musical et dans les processus qui s’y déroulent, c’est le moment où je fais les choses pour moi : quand je suis seule dans une pièce avec un piano et une feuille, c’est le moment que j’apprécie le plus. C’est vrai que je règle plein de trucs, c’est d’ailleurs la sensation que j’ai quand un morceau est fini : « ça c’est réglé » .

LFB : D’ailleurs dans J’t’embrasse, il y a vraiment cet effet miroir je trouve, dans ta manière d’aborder la féminité. J’ai vraiment ressenti ce doigt d’honneur adressé à toutes les attentes que la société peut faire peser sur les femmes.

Yoa : Oui, carrément. Ce morceau là est un peu particulier en plus, parce que j’ai monté un spectacle autour des différentes représentations du féminisme, avec une amie qui s’appelle Léa Lelièvre, et j’avais écrit J’t’embrasse pour cette occasion-là justement. Donc c’est vrai qu’il s’inscrit dans cette démarche, il parle de féminité et de féminisme.

Mais paradoxalement ce n’est pas celui que j’ai écrit le plus pour moi. Alors que par exemple Grand Large, que j’ai écrit vraiment pour moi, je me souviens j’étais sous la douche, je cherchais à voix haute une mélodie en anglais, un mot à me répéter pendant une crise d’angoisse et ça faisait au début «it’s coming down».
Puis je l’ai traduite en français et ça a fait « tout redescend ».
Dans chacun des morceaux, je pense à une chose et une fois que le morceau est délivré je ne pense plus à ce sujet, je n’en parle plus. 

LFB : Et justement, revenir dessus en concert, ça te permet de voir le chemin que tu as parcouru depuis l’écriture du morceau finalement ?

Yoa : Un peu, peut-être. Là je m’en rends compte en en parlant, mais sur le moment pas tant que ça. La mécanique du concert est particulière quand même : il faut être capable de réactiver les émotions qui ont participé à la naissance du morceau, pour « être dedans » et restituer quelque chose de fidèle, mais sans oublier la dimensions performative et spectaculaire du live. Donc le recul que tu mentionnes par rapport au chemin parcouru, je ne le prends pas vraiment pendant le concert, mais a posteriori, là quand je t’entends le formuler, oui je me rends compte que de la scène à l’essence du morceau il s’est passé beaucoup de choses effectivement.

LFB : J’ai repéré autre chose, c’est ce rapport à l’enfance dans ta musique. Il y a une vraie envie de garder une naïveté, quelque chose d’assez pur, même dans les mots choisis, ce langage très direct.

Yoa : Oui, complètement. Je pense qu’il y a des choses d’enfance que je n’ai pas encore « réglées » justement, et peut-être que ces choses apparaissent dans ma musique. Mais c’est vrai que l’enfance cristallise beaucoup de choses chez moi, c’est un lieu très sain, un lieu de bonheur parfait qu’on ne retrouve plus jamais après parce qu’on est conscient de tout. Quand tu es enfant, tu es comme un petit chien, tu es juste là (rires).

Mais oui, l’enfance c’est un sujet important et d’ailleurs, même dans la façon de chanter, j’ai l’impression que je chante comme un petit garçon qui a perdu sa maman au Franprix (rires). Et puis je trouve que dans l’enfance, on touche à une forme de pureté, d’universalité, l’enfant comprend à la fois tout et rien… Il y a quelque chose de très touchant là-dedans. La musique que j’aime, les paroles qui me touchent, c’est celles qui me rappellent quelque chose, qui ont quelque chose de familier, qui recréent ce « safe space ». Et aujourd’hui c’est ce que j’ai essayé de faire vaillamment avec cet EP « Attente ».  

LFB: On parlait de la douceur et de l’onirisme qu’on retrouve dans ta musique, paradoxalement je trouve qu’il y a une vraie colère qui s’exprime derrière tout ça. Est-ce que pour toi, le meilleur moyen de l’exprimer c’est justement de ne pas le faire frontalement ? Pour moi, le message a encore plus d’impact de cette manière que lorsqu’il est crié…

Yoa : Alors oui, je suis d’accord avec ça, je suis très « force tranquille ». Par exemple, à première vue je suis discrète, et quand on me voit sur scène, l’impression de moi n’est pas du tout la même que lorsqu’on me rencontre dans la vraie vie : sur scène je danse, je bouge, je fais des blagues… Et puis aussi, je crois que j’ai toujours trouvé ça plus impressionnant les gens qui réunissaient à inspirer le respect par le biais de cette tranquillité. Quelque part, ils imposent le respect parce que justement ils n’imposent rien. En fait, pour être honnête je fonctionne comme ça car je ne sais pas non plus faire autrement, j’ai dû me mettre en colère peut-être deux fois dans ma vie, et encore je n’ai jamais crié. Je n’exprime jamais ma colère frontalement, comme on peut s’y attendre. 

LFB / En ce qui me concerne j’écoute ta musique depuis un moment et je trouve que ta musique a beaucoup évolué en matière de composition et de textures. Peux-tu nous dire quelle a été l’influence des gens avec qui tu as travaillé pour ce disque ?

Yoa : Elle a été énorme, je crois. Tous les morceaux qui sont sur l’EP ont entre quatre ans pour les plus vieux, et un an pour les plus récents. Il n’y a pas de morceaux plus récents que ça. Donc on les a écrits et joués avec Greg pour nous amuser en quelque sorte, quand on commençait à sortir ensemble. Il a découvert ma façon de chanter, il ne m’a jamais poussée spécialement à faire de de la musique mais il m’a soutenue quand je les faisais et ça m’a progressivement mise en confiance. Donc à partir de ce moment, on a commencé à faire des pré-prod ensemble : Greg s’est mis instinctivement derrière l’ordi, les logiciels, moi j’ai une formation de piano classique, donc pour moi cet aspect c’est du chinois… Moi j’étais à côté et on se partageait le travail.

De cette première phrase de création sont nés des morceaux comme Appartement : c’est un morceau qui n’a quasiment pas changé entre sa première version et sa version actuelle sur l’EP. Ensuite pour la deuxième phase, on est allés une semaine chez nos copains du groupe Inuit qui sont musiciens et producteurs pour s’enfermer dans leur studio, et on a tout retaffé tous ensemble.

L’idée qui nous guidait c’était : tout a été fait dans la chambre, il faut que ça sonne comme tel. Et c’est là où les garçons sont forts, c’est qu’ils ont réussi à conserver exactement cet état d’esprit mais en apportant quand même une touche moins « crade », simplement grâce au dosage des productions additionnelles. Par moments on s’emballait à vouloir rajouter des saxo, des pistes diverses, mais on finissait toujours pas quasiment tout retirer. C’est là où tu mesures combien c’est agréable de bosser avec des gens comme ça. Donc quelque part, je n’ai pas été influencée par eux, ils ont surtout travaillé au service de ma musique pour la rendre belle et fidèle à ce qu’elle devait être en même temps.



LFB : Même s’il y a une forte influence anglo-saxonne dans ta musique je trouve, avec des références comme FKA Twigs, tu trouves ça important de chanter dans ta langue. Peux-tu nous en dire plus ?

Yoa : Mais tu sais, je pense qu’au bout d’un moment, je vais aller vers l’anglais en fait. C’est con, mais au début où je commençais à écrire des morceaux, je les écrivais en anglais ; sauf qu’on m’a toujours dit « en France, c’est plus facile de faire entendre ta musique en français qu’en anglais ».

C’est la seule raison pour laquelle je suis allée vers cette langue, je préfère être honnête plutôt que de m’en inventer d’autres (rires). Après j’aime les mots, mais parce qu’ils me permettent de sublimer le reste de la chanson : je les aime dans le cadre d’une harmonie générale, disons. Mais je ne tiens pas spécialement à cette langue. Ce choix, ça n’a pas de valeur supérieure pour moi par rapport à l’ensemble des autres éléments qui composent un morceau. J’aime bien écrire en français, mais si demain j’ai des envies de textes en anglais je vais pas me censurer c’est clair.

LFB : Et, est-ce que tu n’as pas l’impression avec cette musique-là, dans cette langue là, tu occupes une place en France qui serait plus difficile à occuper avec la langue anglaise ?

Yoa : Oui, carrément même. Mais après si on cherche on trouve toujours les projets dits « hybrides » , il y en a vraiment plein… Maintenant, moi c’est vrai que par exemple je ne suis pas blanche, je fais beaucoup de danse sur scène, avec des influences de théâtre, tout ça combiné fait que je suis juste contente d’être au bon endroit au bon moment. Je suis bien où je suis.

LFB : Justement, c’est marrant car en live dans tes morceaux il y a beaucoup de passages sans voix, comme pour laisser un peu plus de place à la danse, au théâtre, te donner l’occasion aussi de te mettre dans un « rôle » qui te permet de t’adresser un peu différemment à ton public. Est-ce que c’est important pour toi de continuer à aménager cet espace pour d’autres formes artistiques que la musique ou le chant ?

Yoa : Oui, c’est quelque chose que je veux continuer à défendre, mais par-dessus tout il y a l’objectif d’être à 100% dans la sincérité quand même. Donc d’arriver, comme un acteur finalement, à être sincère alors que tu fais semblant puisque tu as préparé une performance. Pour moi ces disciplines doivent continuer en tout cas à cohabiter sur scène, j’ai pas envie de m’en priver.

LFB : Maintenant que ton EP est sorti qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour les mois à venir ? 

Yoa : Hmmm, je ne sais pas ce qu’on peut me souhaiter, on me souhaite quelque chose si on a envie non ? J’ai jamais compris cette tournure je crois ! (Rires)
Mais en vrai, si je devais me souhaiter quelque chose, ce serait arriver à jouer un petit peu, à faire des concerts, c’est ce que j’aime le plus. C’est là où tu peux rencontrer les gens, tout simplement parce que tu les vois. Donc voilà, de la scène, mais pas uniquement, à vrai dire j’ai hâte de voir si les gens vont beaucoup écouter, ou pas beaucoup, et de voir comment je vais rebondir et réagir par rapport à ça.

J’ai hâte de voir ce que ça fait aux gens, si ça leur fait quelque chose. J’ai hâte d’arrêter mes taff alimentaires, pour laisser un maximum de place à la musique et en faire ma source de revenus. Oui j’ai hâte d’en être là, de pouvoir aller progressivement vers cet objectif pour produire encore plus gros ensuite. Pour le moment je peux pas trop me permettre de quitter Paris, ma base est ici, mais j’ai quand même hâte d’aller voir ailleurs disons.

LFB : Et enfin, la dernière question, as-tu des coups de coeur culturels à nous partager en ce moment ?

Yoa : J’aime beaucoup une chanteuse anglaise qui s’appelle Céleste, avec une aura incroyable, qui est trop stylée et qui a une voix de ouf. Elle chante vraiment comme Billie Holiday, elle est très mystique bien que très statique sur scène – j’adore.
Et puis Tomasi en vrai, qui a réalisé mon EP et qui fait de la musique ; j’ai un coup de coeur pour son album qui va sortir et dans lequel je suis – donc je suis contente ! Thx4Crying sinon, c’est super bien et il vient de sortir un clip, et aussi Louise Bisou

Crédit Photo : Inès Ziouane

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