Une conversation avec Malik Djoudi

2019 n’a que trois mois et elle nous a déjà offert des albums qui étaient aussi attendus qu’ils sont au final réussis. Un début d’année exaltant pour les chroniqueurs musicaux que nous sommes. Tempéraments, le nouvel album de Malik Djoudi va paraître ce vendredi, fait partie de cette vague d’albums géniaux qui nous ont plus qu’emballés. On n’a donc pas résisté à l’opportunité de faire passer le poitevin au feu de nos questions. On a parlé de sa manière de composer, du poids des mots et forcément un peu d’Etienne Daho.

LVP : Salut Malik, comment ça va ?

Malik Djoudi : Ça va pas mal. C’est un peu le rush avec la sortie de l’album mais ça va pas mal … ça va bien même.

LVP : Justement, comment tu te sens à la sortie de ton second album ? J’ai l’impression qu’il est plus important que le premier non ?

MD : En fait le premier je le sortais sans penser à le vendre… Je pensais surtout l’offrir à mes potes sans trop le sortir de ma chambre. Et en fait j’ai été très surpris avec ce premier album, il m’a apporté beaucoup de joie et j’ai été très content de la façon dont il a été reçu.
Ce qui m’a permis d’avoir un peu plus confiance en moi pour le deuxième. La composition de Tempéraments s’est faite de manière vraiment naturelle et au final j’ai eu des ailes pour celui-ci .
Et c’est assez chouette et confortable de travailler avec un label comme Cinq 7 qui m’a offert énormément de liberté dans la création de cet album.

LVP : Ton album s’appelle Tempéraments et s’ouvre avec Tempérament au singulier. Est ce que tu as envisagé ton album comme une collection de tempéraments justement ?

MD : Oui c’est ça. Tempéraments au pluriel comme plusieurs facettes de moi même. Le morceau, au singulier, explique un peu mon tempérament qui peut se balader dans des abysses et revenir à la surface…. Des moments où j’essaie plus de me contrôler même si je peux aller dans des profondeurs. Et il fait partie de cet album comme plusieurs histoires, plusieurs visages de moi même.

LVP : J’avais lu que tu avais envisagé ton premier album comme une thérapie, une catharsis…

MD : Ouais (rires)

LVP : Je me demandais si tu avais envisagé le second de la même manière ou de manière totalement différente ?
MD : Je l’ai fait de manière différente, encore une fois en ayant plus confiance en moi. Le premier album s’est fait à un moment où j’ai failli baisser les bras. Je ne savais plus sur quel pied danser, ou aller, ni même quelle musique faire … Et au vu de l’accueil du premier album, je l’ai fait de manière plus libérée.

LVP : Tu as été surpris par cet accueil ?

MD : Oui bien sûr. Tu sais j’ai du mal à juger mon travail parce que je le vis de l’intérieur donc je pense que c’est plus aux autres de le faire. Je pensais pas du tout avoir cet accueil là c’est sûr.

LVP : Encore une fois, tes textes sont très personnels. Est-ce que tu n’as pas peur d’ouvrir trop ton intimité aux gens ?

MD : En fait j’y réfléchis pas trop. Pour moi la musique ça reste quelque chose d’assez sacrée. Avant j’écrivais en anglais et comme maintenant j’emploie des mots français, j’ai envie d’être complètement sincère avec ce que je fais et ce que je vis. C’est personnel et intime mais je pense avoir les mêmes sentiments que beaucoup de gens et j’ai envie de les partager.

LVP : Ça te plait que les gens se reconnaissent dans ce que tu dis ?
MD : Oui bien sûr. Je me sens vraiment comme les gens, une personne du peuple qui peut passer par beaucoup de joie et parfois un peu de tristesse. Donc voilà, je vis la vie d’ici, comme tout le monde.

LVP : Il y a des ambiances très nocturnes sur ce nouvel album. Je me demandais quand tu composais et comment te venaient les idées ?

MD : Les idées arrivent souvent la nuit, quand je sors ou quand je dîne. Ces idées de compositions et d’arrangements m’arrivent dans la tête, j’ai souvent des suites d’accords et de mélodies dans la tête. Avant je composais la nuit mais mais maintenant dans la mise en forme des choses, quand je travaille, ça se passe le jour.

LVP : Tu penses qu’il y a une heure idéale pour écouter ta musique ?

MD : (Il réfléchit) Sur cet album je te dirais que le dimanche soir c’est à 21h30. Le lundi 19h et à partir du mercredi 22h30/23h.

LVP : C’est un album de nuit en fait ?

MD : Ouais c’est un album de nuit (rires)

LVP : Est ce que quand tu composes, il t’arrive de te laisser surprendre par ta musique ? Que ce soit elle qui t’emmène ?
MD : Complètement … C’est marrant que tu relèves ça parce que oui c’est vrai. J’ai des idées de départ dans la tête et après je me laisse aller par le son de synthé que je peux bidouiller, par la couleur, l’accord de guitare que je vais mettre et si je mets cette pédale qu’est ce qui se passe… Souvent il y a des accidents qui arrivent et je me laisse porter par ça. Je trouve ça super, ça fait partie de la magie de la musique. Ça m’emmène, je me sens comme si on était deux et qu’on dialoguait elle et moi. Je me laisse aller.

LVP : Tu donnes beaucoup d’importance aux mots. Est-ce que c’est ton écriture dicte la couleur de la chanson ou est-ce la composition qui guide les mots ?

MD : J’écris beaucoup sur la sonorité donc c’est souvent la composition. Ce qui se passe c’est que je trouve une suite d’accord, je fais une mélodie et des bribes de mots arrivent et quand des mots me percutent, ce sont eux qui vont être leitmotivs pour le morceau et à partir de là, je construis ma chanson.
Je fais très attention aux mots que j’emploie, je peux mettre 2 mois à trouver trois mots, mais c’est la sonorité qui va m’emmener au texte qui lui va donner un sens au tout.

LVP : Ce qui est impressionnant c’est que le mot tombe toujours juste. Ca doit être un travail énorme non ?

MD : Oui, comme je te disais parfois je mets des mois à trouver un mot, mais tant que je l’ai pas trouvé, je ne peux pas y aller. Je ne mets pas un mot au hasard.

LVP : Le fait de chanter en français a t’il renforcé ce besoin de l’importance du mot ?
MD : Complètement. L’anglais tu peux le faire sonner rapidement ce qui n’est pas du tout la même chose en français. Le français c’est plus difficile, mais j’ai dix fois plus de plaisir à écrire en français qu’à écrire en anglais. C’est une langue vaste et infini. Un mot peut dire des tonnes de choses. Par exemple si je te dis en te parlant entre toi et moi « j’aime la vie, j’aime les gens » tu vas me dire « ah oui c’est pas très joli ton machin ». Alors que mis en musique ça a un pouvoir musique.

LVP : Finalement ce que tu cherches c’est transformer le quotidien en poésie ?

MD : Exactement. (rires)

LVP : Je voudrais parler de deux personnes qui ont un rôle sur l’album. Tout d’abord il y a le duo avec Etienne Daho dont la filiation me semble assez évidente. Est-ce que tu peux me parler de cette chanson ?

MD : On s’est rencontré il y a deux ans et demi au Midi Festival à Hyères. On est rapidement devenu amis je crois. Il me conseille et il est à mes côtés. Il s’intéresse beaucoup au projet et d’avoir « le parrain de la pop » qui parle souvent de moi, de l’avoir avec moi ça me donne des ailes, ça me pousse à faire les choses et ça m’encourage. C’est une amitié qui est très précieuse pour moi. On est parti ensemble jouer à Arles cet été puis lors de son passage à Poitiers on a chanté ensemble Sous Garantie. On a eu des bons retours et on a trouvé que ces voix se mariaient très bien et on se disait que ça serait vraiment bien de faire quelque chose ensemble.
Ce morceau là, je l’avais pensé pour Etienne Daho et on s’est dit « allez faisons un duo, enregistrons-le »

LVP : Le texte c’est toi qui l’a écrit ? Parce que c’est une vraie déclaration d’amitié…

MD : Ouais c’est moi qui l’ai écrit. Et comme il dit Etienne, des chansons sur l’amitié, il y en a pas beaucoup.

LVP : L’autre personne qui a travaillé c’est Ash Workman. C’est toi qui l’a contacté ?

MD : Ça fait très longtemps que je m’intéresse à Ash Workman, même avant le premier album parce que j’adore le son de Metronomy. Et je trouvais ça vraiment cool pour la musique que je fais, d’avoir l’ingé-son qui travaille pour ça. J’ai cherché à le joindre mais il est assez difficile à joindre et c’est lui qui choisit les projets sur lesquels il travaille.
Finalement, le groupe François and The Atlas Mountain, qui sont des amis, avait travaillé avec lui et Amaury Ranger, qui suit mes projets depuis le début, avec qui je discute beaucoup et qui me conseille aussi artistique et a un regard extérieur sur ma musique, a présenté mes maquettes à Ash Workman qui a accepté de travailler avec moi. Donc avec Amaury on est parti en Angleterre travailler avec lui.

LVP : C’est un luxe pour toi tout ça non ?

MD : C’est un vrai luxe. Tu sais je le raconte souvent mais il y a trois ans j’étais dans ma chambre et aujourd’hui je fais un album avec Etienne Daho, Ash Workman et Philippe Zdar.

LVP : Et justement, c’était important d’ouvrir ton univers et la réalisation de ton album à d’autres ?

MD : C’est moi qui ai réalisé l’album mais pour le son ouais totalement. Tu donnes à quelqu’un mais Ash Workman est très à l’écoute de ton ressenti, il veut que ça te fasse plaisir. C’était une immersion, on s’est plongé là dedans pour voir comment bien faire sonner les choses. C’était un travail collaboratif, il a eu le final cut mais sur le son du disque je n’ai rien à dire, c’est allez au-delà de mes espérances.

LVP : Tu as sorti deux clips très cinématographiques. Est-ce que le cinéma continue d’influencer ta manière d’envisager ta musique ?

MD : Bien sûr. Je peux avoir les mêmes sensations quand je vais voir un film ou quand j’écoute de la musique. Souvent quand je compose, je ferme les yeux et ça m’appelle et me rappelle des paysages. J’imagine un film dans ma tête et ça m’aide à composer.

LVP : Est-ce que tu te verrais composer pour le cinéma ?

MD : Tout à fait. Le film sur la musique ou la musique sur le film ça a des pouvoirs magiques. C’est comme le mot sur la musique. Ça façonne tout ça.

LVP : Et pour quel genre de films tu te verrais faire ça ?

MD : J’aimerais beaucoup composer pour Xavier Dolan.

LVP : Tu repars sur scène. Est ce que tu as envisagé des choses pour le live ?

MD : Oui on a une nouvelle scéno, une nouvelle disposition et surtout on a des nouvelles chansons (rires).
Non mais tu le sais, tu as vu quelques concerts et c’est vrai que sur la fin de tournée on était vraiment assez solide et là on a tout refait. On a fait notre premier concert dimanche, après un long travail de résidence et c’est vraiment un nouveau spectacle.

LVP : Finalement la scène ça a toujours été le point central de ta musique, là où elle se développe le plus non ?
MD
 : Où elle se transforme … C’est une transformation. Quand je vais sur scène c’est impalpable, je sais pas comment mais il se passe quelque chose en moi … Ouais, il se passe quelque chose en moi.

LVP : Pareil que pour ta musique, est-ce qu’il y a des heures ou tu préfères jouer ?

MD : (Il réfléchit) J’aime bien jouer jusque minuit, parce que après une heure du matin c’est sport. Mais oui entre 19h et 01h du matin c’est pas mal, après c’est dur de rester concentrer. J’ai joué une fois à 10h du matin c’était compliqué. Mais tu vois ce concert au pop factory dont on parlait, je pense que c’était un des meilleurs concerts qu’on ait donné.

LVP : Est ce que tu as des coups de coeur à nous faire partager ?

MD : Tu sais quoi, ça fait des mois que j’ai pas regardé un film par manque de temps. Pareil pour les bouquins alors c’est assez compliqué … Récemment j’ai vraiment adoré le dernier album de Toro Y Moi.

LVP : Pour finir j’ai deux questions cons pour toi. Y’a une phrase qui revient souvent à la vague parallèle c’est « il est vachement sympa Malik Djoudi ». Alors est ce qu’il est vraiment vachement sympa Malik Djoudi ? (rires)

MD : Ouais je pense que ouais, je pense qu’il est sympa Malik Djoudi carrément ! (rires).
Moi quand j’aime bien, j’aime bien. Tu sais j’adore me poser tranquillement pour parler avec les gens. Nous tous on est souvent dans notre trucs à vivre à 100 à l’heure alors moi j’aime bien me poser avec les gens sympas. Donc ouais je pense qu’il est sympa Malik Djoudi (rires).

LVP : On confirme. Dernière question. Comment tu fais pour garder une voix pareille en fumant ?

MD : (rires) Je fume pas tout le temps ! Et puis j’y fais attention quand même, quand je sens qu’elle est un peu enrouée, je mets les holà !