Une conversation avec Kalika

Cela fait un petit moment que l’on suit Kalika. Que ce soit sur scène ou sur album, on a toujours été frappé par la sincérité, la brutalité et la tendresse qui émanent de sa musique. Étrangement, nous n’avions jamais pris le temps de discuter avec Mia. On a donc profité de son passage au MaMA Festival pour rectifier cette erreur.

Crédit : David Tabary

LFB : Hello Mia, comment tu vas ?

Kalika : Ecoute, en vrai ça va bien. Je suis contente. J’ai une grosse charge mentale aujourd’hui pour être honnête. Il y a 1 000 trucs à gérer en même temps, pour le MaMA, la scène, la promo, les invits’… Et là je suis en préparation pour le premier single que je vais sortir de l’album. Le clip. Et vu que je fais beaucoup de trucs dessus, partout… Je ne vais pas dire que je fais tout, parce qu’il y a plein de gens avec qui je collabore. Mais je suis sur un peu tous les fronts en même temps et je suis grave contente. Mais c’est vrai que je suis un peu teubé là. Je suis dans un état où il y a plein d’infos, plein de trucs à gérer et je vais certainement oublier certains trucs.

LFB : A quel point KALIKA est un personnage pour toi ?

Kalika : Pour moi, ce n’est pas du tout un personnage. Ce n’est vraiment pas du tout un personnage. C’est 100 % moi, peut-être amplifié. En fait, je dis amplifié parce que j’ai l’impression que ça va rassurer les gens que je le dise, mais en vrai, je crois que ce n’est même pas amplifié. Je crois que c’est juste moi et juste que par contre, c’est plus dur dans la vie de tous les jours d’être soi tout le temps. C’est fatigant d’être soi tout le temps, si tu dois vraiment être sincère H24, dire toujours tout ce que tu penses, t’habiller tout le temps comme tu te sens bien… Ça demande un vrai effort et du courage, et je pense que ce courage, je ne l’ai pas tout le temps. Du coup, c’est plus dans la vie de tous les jours où je ne suis pas trop moi. C’est un personnage, je suis plus éteinte, un peu plus dans ma tête, etc, et je ne donne pas accès comme ça à tout le monde. Mais en vrai, dans mon projet, c’est justement pouvoir être soi, sans limites, et assumer complètement. J’ai trouvé cet espace-là pour pouvoir le faire.

LFB : Tu te sens protégée dans ce projet j’ai l’impression.

Kalika : J’ai peur de rien dans ce projet-là. Je n’ai peur de rien dire. Tout ce que je fais, je n’ai jamais peur de le faire. Je ne sais pas pourquoi, c’est un peu comme un truc magique, c’est un petit monde qui existe dans ma tête, mais juste les gens ne le voient pas forcément. Quand tu rencontres quelqu’un, tu ne sais pas ce qu’il y a dans sa tête. Tu ne sais que ce qu’il va te dire. Et parfois, juste dire quelques phrases par-ci, par-là, ça ne suffit pas pour connaître quelqu’un. Je trouve qu’à travers ce que je fais, mon art, ça permet vraiment d’être honnête et de dire qui je suis. Tous ces visuels, pareil, une personne, c’est vraiment tout son univers intérieur, c’est sa petite planète intérieure. Et je sais que moi, souvent dans la vie « normale » que tout le monde voit, j’avais du mal à trouver ma place, à exister dans ce monde. Donc je me suis créé un monde dans lequel je peux exister.

LFB : C’est vrai que même au niveau des visuels, que ce soit les pochettes des EPs, les photos de presse, ou même les clips sur lesquels tu travailles, c’est l’expression de ton intime, de la façon dont toi, tu te vois.

Kalika : La manière dont je vois les choses, dont je vois les gens, la rue, les actions. C’est vraiment essayer de montrer mon regard sans faux-semblant. Et pourtant, ça demande du travail, c’est stylisé, on a l’impression. Mais c’est parce que, souvent, quand je regarde des trucs, je ne me contente pas juste de regarder, et je me fais mes petits films en plus. Je rajoute des choses. Ça me tient trop à cœur. J’ai vraiment envie de le montrer aux gens et de le partager. J’ai la sensation qu’il y a plein d’autres gens qui eux aussi ne voient pas les choses pareil.

LFB : J’ai l’impression que dans ton écriture, dans ce que tu racontes, tu as vraiment le besoin et l’envie de réparer certaines choses de ton existence.

Kalika : Oui, clairement. Après, je pense que beaucoup d’artistes qui font de la musique et de l’art pour les bonnes raisons généralement, souvent ce sont des gens qui s’en servent pour transformer. Pour transformer le réel, des souvenirs. Et c’est vrai que moi j’ai transformé, mais aussi réparé, c’est le bon mot. Comme la déesse Kali : la déstruction pour la reconstruction. Souvent, j’aime bien tout détruire parce que c’est soit la rage, soit la colère, soit l’injustice et en même temps, j’ai beaucoup d’espoir et j’ai envie d’en faire quelque chose de mieux, de m’en servir. C’est vrai que c’est beaucoup de souvenirs personnels, c’est beaucoup l’intime. C’est un peu une transformation de souvenirs traumatisants dans ma musique, et j’essaie d’en faire quelque chose de beau, parfois violent. Mais moi, je trouve que ça peut être beau la violence, quand elle est transformée. Ça devient une œuvre d’art. Mais surtout quelque chose de cathartique, et ça, ça se sent sur scène, où je trouve que ça prend tout son sens. Je vois les gens, je sens qu’ils ont vécu les mêmes trucs que moi, je les reconnais et c’est magique. Parce qu’à ce moment-là, je me sens moins seule. Je sens que ça aide d’autres gens, qui se sentent aussi moins seuls et qui peuvent se lâcher, être eux-mêmes dans une ambiance bienveillante.

LFB : Pour t’avoir vu plusieurs fois sur scène, il y a vraiment de la transmission d’énergie, mais pas à sens unique. Toi, tu donnes beaucoup aux gens mais ils te donnent beaucoup aussi. Et même, je trouve que les titres sont plus « pimpés » sur scène, pour être plus à l’avenant et plus forts. Limite, les morceaux sur l’EP sont apaisés.

Kalika : Ouais. Pour moi, ce sont deux endroits différents : la scène et l’écoute chez soi. Mais dans l’EP, c’est sûr qu’il y avait certains sons qui étaient plus doux. Genre Tu partiras quand même était plus doux. Mais en fait, je n’ai pas envie de faire ça. Il y aura des choses douces, mais je crois que j’ai encore une espèce d’urgence. J’ai envie de faire plus de sons énergiques, même s’ils sont plus pop, plus lumineux parfois, parce que je vais mieux et tout. J’ai pas envie de tendre vers le truc plus chanson française mignonne. Je sais qu’à un moment sur l’EP, j’allais vers ça, mais en fait non.

LFB : Un titre comme Dinosaure, que tu joues en guitare/voix, tu sens l’urgence et la violence même s’il est sous un enrobage de douceur.

Kalika : C’est toujours un juste dosage à trouver et là, l’histoire est tellement lourde. Je ne me voyais pas… On a essayé de faire une prod’. Je trouvais que ce n’était pas juste. Pour moi, chaque chanson est une œuvre d’art à part entière. J’aime bien penser un peu dans le tout avec un album mais des fois, ça m’emmerde un peu, parce que je trouve que chaque chanson est importante. C’est une histoire et du coup, parfois je me permets de faire un guitare/voix tout doux alors que d’habitude, on m’entend sur les trucs vénères et tout. Parce que parfois la chanson n’aurait pas été digeste, on aurait moins entendu l’histoire, et elle aurait été moins pure. Et là, je pense qu’il fallait qu’on entende l’histoire, et qu’elle était déjà assez trash comme ça. Il n’y avait pas besoin de rajouter un truc derrière.

crédit : Inès Ziouane

LFB : Ce qu’il y a d’intéressant, c’est vraiment la façon dont je ressens ta musique. J’ai l’impression que chaque production est pensée pour rendre honneur à ce qu’elle raconte.

Kalika : C’est vraiment ça.

LFB : Un titre comme Chaudasse est percutant, parce qu’il y a la prod’ mais aussi parce que dans la façon dont tu l’interprètes, et les mots utilisés, tout est pesé en fait.

Kalika : C’est ça. Chaque détail compte. C’est beaucoup de travail. Je me prends beaucoup la tête. Et j’ai plein de versions sur chaque titre. A part quand il y a l’évidence direct. Mais quand j’ai un mini doute, je vais en faire plein… Sur Chaudasse, c’est un truc de fou. On a fait un milliard de versions. Au début, j’aimais trop le titre, mais ça sonnait comme plein d’autres trucs. Un peu plus joyeux, ça sonnait comme Thérapie Taxi, des trucs comme ça. Et je ne voulais pas que ça soit typé, que ça fasse penser à quelque chose. Je voulais juste qu’on rentre dans l’histoire et dans la violence de l’histoire. Qu’il y ait quand même un côté hymne pop, mais vénère. C’était un dosage. C’était un vrai parti pris de mettre une partie un peu hardcore à la fin, mais je ne regrette pas du tout.

LFB : Tu t’essouffles en fait. Même sur Olala, j’ai l’impression qu’il y a vraiment cette idée. J’ai l’impression que tu utilises aussi l’humour et le langage un peu cru, plus comme une protection que comme de la provocation. Pour te protéger à certains moments de ce que tu racontes.

Kalika : Ouais, et pour que parfois le message passe mieux. Parce que parfois, je sais très bien comment les gens réagissent, ils n’écoutent même pas parce qu’ils se disent que c’est engagé. Là, tu mets un petit peu d’humour pour qu’on voit que c’est une histoire, les gens tendent un peu plus l’oreille et écoutent l’histoire jusqu’au bout. C’est aussi pour ça. Donc oui moi, ça m’apaise de mettre un peu d’humour sur des choses hardcores parce que sinon j’aurais envie de mourir si je raconte tout au premier degré, comment je l’ai ressenti, comment je l’ai vécu. Sinon, tu meurs à la fin. C’est une sorte de transformation de l’égayer un peu, d’en rire, mais si ce n’est pas drôle en soi. C’est montrer à quel point c’est absurde aussi. Genre Chaudasse pour moi, il y a une part d’humour et dans le clip aussi, mais c’est absurde, ça n’a aucun sens. Parfois, les réponses que j’ai à ça n’ont aucun sens aussi. Les commentaires, c’est « ah mais elle dit chaudasse, elle est vulgaire » alors que j’étais en train d’incarner le truc, de montrer que c’était ridicule d’utiliser ce mot en permanence contre nous. Et au final, des fois les gens comprennent tout à l’envers, ils font des efforts à l’envers.

LFB : Ce que j’aime beaucoup, c’est que tu franchis jamais la limite de la vulgarité. C’est cru, mais c’est jamais vulgaire. Je me demandais s’il y avait un défi particulier pour toi de « poétiser » la crudité du quotidien. Parce que les termes que tu utilises, la façon dont tu t’exprimes, c’est quelque chose d’hyper moderne mais c’est jamais gratuit.

Kalika : Merci, ça me touche que tu l’aies capté. C’est un gros travail que je fais et il y a tellement de gens qui s’arrêtent à un mot. Ils entendent « chaudasse » ou « fesse » et ça y est, « c’est drôle, t’es vulgaire, t’es provocatrice » alors que pourquoi utiliser ces termes, ils n’écoutent pas tous mes mots les uns après les autres pour dire ça. Je ne comprends pas toujours.

Mais en effet, c’est un gros travail de fond où j’essaie de toujours utiliser ces mots du quotidien, qui existent. On ne va pas faire comme s’ils n’existaient pas, comme si on ne les recevait pas dans la tronche et comme si on ne connaissait pas des fesses aussi. Je pense que c’est un truc de fou de dire le mot « fesse ». Ça me fait trop rire, alors que dans la vie de tous les jours, tout le monde dit ça.

LFB : Ce qu’il y a d’intéressant aussi, c’est que ta musique sert de miroir à la société, dans le sens où quand un homme va le dire, tout le monde va trouver ça normal, et dès que c’est une femme qui emploie un langage quotidien… J’ai l’impression que dans la musique, les femmes devraient juste parler de pâquerettes et de champs de fleurs.

Kalika : C’est ça. Toujours être douce. C’est ça qui me saoule aussi, ce culte de la douceur chez la femme, chez la chanteuse en France. C’est une représentation féminine douce, gentille, amoureuse et triste peut-être à cause d’un garçon. Mais c’est toujours mignon. T’as pas le droit d’être en colère j’ai l’impression. Sauf qu’il y en a plein des femmes en colère, vraiment plein.

LFB : Justement, la réaction des gens renforce encore plus la puissance des morceaux et le discours que tu essaies d’interpréter. Ceux qui le comprennent vont le prendre de la bonne manière et finalement voir ces réactions à la con, ça fait que montrer à quel point tu es dans le vrai.

Kalika : Ouais. Je me souviens à la sortie de Chaudasse, c’était particulièrement marquant les réactions et tout des vieux fachos. Ils avaient harcelé plein de fans à moi aussi parce qu’elles étaient féministes et ça avait fait tout un truc. Je m’étais dit qu’en vrai, je ne regrette par une seule seconde d’avoir fait ce titre et d’avoir été jusqu’au bout de manière tranchée. Je n’ai rien voulu adoucir et je ne regrette pas du tout parce qu’au moins, même ceux qui ne sont pas d’accord, ça les a marqué. Ça arrive à leurs oreilles, ça les marque. C’est un premier pas pour qu’ils puissent potentiellement se remettre en question. Et il y en a des fois qui se remettent en question et je suis choquée. Même si c’est 5 personnes tu vois. Ça commence comme ça.

Je voyais des mecs qui, au début, se sentaient agressés. Je peux comprendre, parce que j’utilise la même attitude qu’eux et je leur ai expliqué le propos, il y en a qui étaient énervés, qui limite voulaient m’insulter et finalement, ils comprenaient. Et ça m’a trop touchée.

LFB : J’ai aussi l’impression que ça fonctionne avec la perception de la musique. Comme c’est de la pop, ça ne pourrait pas être cru, direct, alors que si tu faisais du rap, personne ne se poserait la question.

Kalika : Ouais c’est vrai. Moins en tout cas. Quand t’es une meuf dans le rap, c’est déjà dur pour d’autres raisons. Mais en effet, c’est vrai que dans la pop, ça ne se fait pas de ouf en France. Ça commence et je pense qu’il y a beaucoup d’artistes qui ont envie de le faire et qui retournent leur veste à un moment parce que ça fait peur. On voit que ça va être plus compliqué, plus long.

LFB : Ça passe mieux quand c’est en anglais.

Kalika : Ouais, faut faire un mélange anglais/français. J’y avais pensé, à ça. Ça peut le faire pour certains projets mais moi, je ressens le besoin de le dire en français pour l’instant. C’est comme ça que je veux le dire. J’ai envie que ça soit flamboyant, que ça s’entende.

crédit : Inès Ziouane

LFB : On en parlait tout à l’heure. J’ai l’impression que Latcho Drom est un EP sur la reconstruction amoureuse en 7 étapes avec l’acceptation que la personne en face de toi est un pervers narcissique qui détruit, le fait de lui dire, etc. Je me demandais si ce que tu as fait là, qui est un peu codifié comme un mini-film, c’est quelque chose qui t’intéresse dans tes projets ? De raconter une histoire sur le long cours.

Kalika : Ouais, carrément. Pour le coup, ça se fait de manière assez spontanée. Parce que j’écris tout le temps mes histoires, tout ce que je vis. J’écris tout le temps beaucoup de chansons. Du coup, forcément il y a… Pas une cohérence parce que dans mes prod’, j’adore me faire plaisir mais dans les histoires, on sent que c’est la même personne qui vit tout ça.

Donc il y a un fil conducteur, oui. En effet, ce truc un peu film, c’est un de mes rêves. Je vois un peu chaque clip comme une continuité, une histoire globale. Mais mon rêve, ça serait vraiment de faire un film de tout ça. J’adore la réal’ aussi à côté. En effet, là je ne sais pas encore parce que c’est comme une truc de résilience, c’est un peu une thérapie.

Même moi, je découvre au fur et à mesure ce que je suis prête à dire ou non. Parfois, j’en fais des chansons. J’ai une chanson qui n’est pas sortie qui s’appelle Sarah et Stéphane, sur mes parents, et c’est une chanson qui me tient énormément à cœur. C’est une des premières que j’ai faites, dont j’ai été contente. C’était il y a 5 ans. Et je n’ai jamais eu le courage de la sortir jusqu’à présent. Mais là, ça y est, c’est le moment.

LFB : Ce sont des choses qui mûrissent avec toi en fait.

Kalika : C’est ça. Et du coup, parfois tu ne sais pas. J’essaie de laisser la magie des choses, je m’exprime, je laisse sortir plein de trucs même si c’est plein de formes différentes. Ensuite, une fois que j’ai tout ça, je regarde tout ce que j’ai et je me dis « OK, qu’est-ce qui va dans le même projet ? Quelle est l’histoire que j’ai envie de raconter et que je peux raconter maintenant ? ». Et après, en fonction, je les mets dans un même projet.

Je trouve que Latcho Drom est une prémisse à l’album, une introduction à l’album. C’est un peu le même processus. Il y a l’amour toujours, le truc homme/femme un peu toxique, mais je vais revenir un peu à la base. Donc mes parents, même si je l’ai un peu fait sur Dinosaure, mais là c’est vraiment mes parents, leur histoire d’amour, après moi l’enfant qui grandit, l’adolescente et maintenant, moi qui essaie d’être une femme. Parce que je ne me considère pas encore comme une femme.

LFB : Ce qui est intéressant quand on t’entend parler et quand on connaît un peu le projet, j’ai l’impression que la musique n’est qu’un outil et que dans 10-15 ans, tu pourrais très bien écrire un livre, réaliser un film et qu’en fait, il y a vraiment le besoin de tout englober dans KALIKA, de tout t’autoriser.

Kalika : C’est vrai. La musique, c’est juste un médium, en soi. Après, c’est celui que j’arrive le mieux… Parce que la voix, c’est le truc le plus pur, le plus juste. C’est vraiment la résonance de l’âme pour moi. C’est ça qui est incroyable, et c’est pour ça que forcément, j’avais envie de faire de la musique, et j’ai toujours chanté. Je trouve que dans une voix, tu sens tout. Même sans les mots. Mais tu as raison, ça sort de tous les côtés. J’ai besoin que ça sorte, que ce soit en écriture, en mélodie, en prod’, en shooting, en visuels, que ça soit un clip, un film, un livre. D’ailleurs, je suis en train d’en préparer un, c’est marrant que tu dises ça. Je suis en train de préparer une expo aussi. Je dessine aussi. C’est la même chose, sous une forme différente. Mais j’ai besoin de l’exprimer, j’ai besoin que ça sorte.

LFB : C’est aussi un truc moderne parce qu’à une époque, en France, un artiste ne pouvait faire qu’une chose, et j’ai l’impression que c’est en train de se décloisonner aussi.

Kalika : J’espère. C’est vrai que je ne l’ai jamais intellectualisé, ce truc-là. C’est vrai qu’on nous met beaucoup de limites tout le temps. Mais ça je pense que c’est vraiment dans ma manière d’être depuis que je suis petite. J’ai toujours été un peu comme ça. J’aime bien avancer en crabe comme on dit, tu commences une mélodie de chanson et d’un coup je m’arrête au milieu, je prends un café, j’écris une idée de clip sur le début. Et après je vais voir un pote, je reviens et je vais commencer à dessiner un plan. Tout se faisait en crabe et quand j’étais petite, c’était pareil. Genre un coup je chantais dans ma chambre, un coup j’écrivais dans mon journal intime, un coup je faisais plein de dessins.

LFB : L’art est partout.

Kalika : Ouais mais je ne m’en rendais même pas compte que c’était de l’art. C’était ma manière à moi de m’exprimer parce que dans ma famille, c’était vraiment complexe, ils prenaient toute la place. J’avais pas le droit de parler. En fait, c’était juste ça, j’avais pas le droit de parler, j’étais enfermée dans ma chambre. Donc il fallait que je parle d’une certaine manière, j’allais pas parler toute seule comme ça. Du coup, il fallait que ça sorte, quoi.

LFB : Ouais, c’était s’exprimer ou devenir fou en fait.

Kalika : Voilà. En gros, j’ai trouvé grâce à des dessins, à ma voix, des mélodies, en dansant dans ma chambre, en faisant n’importe quoi. Mais j’ai gardé ce truc très enfantin comme approche.

LFB : Très pur en fait. Même sur scène, le fait d’incorporer de la danse, un côté un peu théâtral, tout ça, il y a vraiment…

Kalika : Mais ça pareil, ce sont des trucs que j’ai trouvés dans ma chambre devant le miroir. Toujours dans le même processus d’enfant. Et peu- être plus tard, je prendrai des chorégraphes, des trucs dans tous les sens et tout, mais j’ai vraiment ce truc qui m’anime de rester pure. C’est vraiment un mantra pour moi : il faut rester pure, rester vraie, sincère jusqu’au bout. C’est une quête d’identité aussi.

LFB : C’est KALIKA en fait.

Kalika : Voilà. C’est se demander ce que je suis, en faisant en sorte que tout vienne de moi, je découvre qui je suis un peu. Quand tu grandis avec une famille qui te laisse zéro place, tu ne sais pas qui t’es et sans eux, tu ne sais pas qui t’es. C’est ça en fait qui s’est passé. Je suis partie à mes 18 ans et d’un coup, je ne savais plus qui j’étais.

LFB : Tu as pu te reconstruire quoi.

Kalika : Ouais, je n’étais personne. Je me suis rendue compte que j’étais juste un truc au milieu de tous ces gens et que j’étais un équilibre pour eux et que je m’étais adaptée à eux tout le temps et que j’étais rien, en fait. C’est bizarre, mais je n’étais pas grand-chose. A ce moment là, c’était la révélation et je n’étais pas bien. Heureusement, j’ai écrit et je me suis rendue compte que si, j’avais des choses à dire. Donc j’étais quelqu’un, et petit à petit, j’ai construit le truc.

LFB : Tu étais une page blanche et tu as noirci la page avec KALIKA.

Kalika : Voilà. Je vois ça comme un truc très lumineux. Au début, c’était sombre. Le moment où je m’en suis rendue compte et où j’ai commencé KALIKA, c’était très sombre. Je n’allais vraiment pas bien. KALIKA, c’était mon dernier élan vital. Du coup, petit à petit, c’était vraiment un processus pour retrouver la lumière. Ça paraît un peu gourou, mais en ressenti intérieur, c’est ça. C’est un apaisement, la résilience, un pansement un peu. C’est ce que j’ai fait avec l’album et je suis trop contente parce que maintenant, c’est beaucoup plus lumineux.