Une conversation avec Hyacinthe

En retard. Tout le temps. C’est un peu nous, ça. Mais juré, on est bien décidés à se rattraper. On commence donc avec notre interview de Hyacinthe. On avait rencontré le garçon peu avant la sortie de son très bon RAVE. Ce soir, il fera monter la température de la Maroquinerie. Le moment idéal pour vous dévoiler cette conversation où l’on parle de RAVE justement, de ses besoins d’explorations et de mise en danger et de ce que le rap français est devenu en 2019.

La Vague Parallèle : Salut Hyacinthe, comment ça va ?

Hyacinthe : Ça va bien. C’est mon moment de grand rush autour de la sortie. C’est du stress, mais du bon stress.

LVP : Tu as déjà eu des retours sur RAVE ?

H : Un peu, mais c’est surtout des gens proches et la presse. Mais c’est cool, les gens ont vu qu’il y a un cap qui a été passé avec l’album. Je trouve ça positif. Après, je n’ai pas encore eu le retour du public parce qu’il n’est pas encore sorti. Je l’attends avec impatience, parce que je pense que c’est le plus important.

LVP : Pour être franc, j’ai commencé à découvrir ton projet avec cet album. Est-ce que tu peux nous faire une mini biographie ?

H : En gros, je pense que cet album est le premier d’un nouveau cycle. Il y a eu la première période Hyacinthe de 2012 à 2017, où j’ai vachement bossé avec un collectif qui s’appelle DFH DGB. On a expérimenté plein de trucs : je rappais sur du gabber, du footwork et pleins de trucs qui n’ont rien à voir. Pendant ces années-là, il y a eu plein de projets, je faisais de la musique et je la mettais sur internet. Mais avec cet album-là, d’un coup, je me suis professionnalisé, j’ai fait de la musique mon métier. J’ai commencé à en vivre avec l’album précédent, Sarah, et là c’est le premier album où je suis artiste à temps plein.

LVP : Tu te radicalises de plus en plus dans ta recherche musicale. Ce qui est super intéressant, c’est qu’il y a une volonté de ne pas choisir de genre défini. Est-ce que tu penses qu’en 2019, un artiste doit s’affranchir des genres musicaux ?

H : Je pense qu’il n’y a pas de règles. Fondamentalement, je fais du rap. C’est du rap mais avec des choses en plus. Je retire rien, j’ajoute des choses. C’est du rap avec de la musique électro et des inspirations pop. Par contre, dans le processus en studio, je fais clairement du rap. Pour avoir fréquenté plein de gens dans d’autres milieux (électro ou pop), je vois que ce ne sont pas les mêmes façons de faire et de créer la musique. Moi-même, même si ma musique est bien différente de ce qu’on peut trouver dans le rap habituellement, dans la façon de faire et dans l’état d’esprit, c’est rap : surtout le côté instinctif.

LVP : Donc tu te considères encore comme un rappeur ?

H : Ouais, carrément.

LVP : Quand tu parles de côté instinctif, tu parles des prods ou des paroles ?

H : Un peu tout. Il n’y a pas de processus précis quand je bosse. King Doudou a produit la majorité des prods. On est au studio, je lui dis : « viens, on fait un truc un peu comme ça« , il commence à bosser sur une prod, et j’écris : c’est bien ou c’est pas bien et on avance comme ça. Puis ensuite on prend le temps de débroussailler.

LVP : Tu n’intellectualises pas vraiment ton travail finalement.

H : Non, je pense que sinon tu fais vite de la branlette et des concepts pour des concepts. Je fonctionne au maximum à l’instinct. Et ensuite, une fois qu’il y a une trame qui se dégage (j’ai dû genre faire 70 morceaux pour cet album-là)  je repère 3-4 des meilleurs morceaux et je construis autour, en essayant plein de trucs.

LVP : Il y a beaucoup d’expérimentations dans tes prods, autour de ta voix aussi. Quels outils as-tu utilisés ? Tu rappes, tu chantes, il y a des parties où ta voix a été modifiée. Est-ce que ça t’intéresse de jouer avec ta voix ?

H : Carrément ! J’ai voulu pousser le truc encore plus loin. La voix, c’est un instrument de musique comme un autre. Par exemple, je trouve qu’une artiste comme Charli XCX joue beaucoup avec sa voix. C’est à la fois hyper pop et des fois sur des morceaux comme Lucky, sa voix se coupe. C’est un truc qui m’intéresse, mais je veux que ça reste compréhensible. Je ne veux pas tomber du côté « faire de la musique compliquée pour qu’elle soit compliquée« . Je pense que ma musique sort du cadre rap habituel. Mais en même temps, quand je fais des concerts, quand je joue des morceaux en direct, si c’est bien et efficace, les gens ne se posent pas la question de ce qu’ils sont en train d’écouter. Surtout en première partie, ils prennent la musique instinctivement et captent le feeling.

LVP : Il y a beaucoup de morceaux qui sont faits pour le live.

H : Finalement, j’ai écrit l’album pendant que je tournais. Il y a un truc qui était vraiment cool, c’est que je testais directement les morceaux en live après les avoir écrits. Comme ça, je pouvais regarder physiquement la réaction des gens en live et penser à ce que je pourrais changer en studio ensuite. C’était super intéressant, et ça a pas mal influencé l’album. Tu sais, je te parlais d’instinct, mais je voulais vraiment qu’il y ait quelque chose de physique dans cet album, encore plus que dans Sarah. Je voulais qu’on le ressente : les tempos sont plus rapides et il y a un peu plus de kicks.

LVP : Tu as un univers très sombre. Il y a quand même certains moments où tu te laisses une ouverture. Est-ce que c’est important pour toi de laisser des portes ouvertes parmi la pénombre ?

H : C’est vraiment l’idée. J’ai toujours fait de la musique dark. Avec l’album d’avant, je me suis rendu compte que j’avais un public et que ce que je faisais parle à des gens. A partir de là, je me suis dit « Qu’est ce que je peux leur dire ? Qu’est ce qui est assez important pour être déclaré ? » J’ai essayé de ne pas tomber dans quelque chose de trop facilement nihiliste, c’est-à-dire se dire : « regardez, on est dans les ténèbres mais on peut s’en sortir ensemble dans le malheur« . Je voulais pas faire de la musique où je me complais dans la tristesse. OK, le monde part en couilles, mais qu’est-ce qu’on fait ? En premier, pour survivre et ensuite, pour aller mieux.

LVP : Il y a une volonté collective dans ton album. On est assez loin du Klub des Loosers.

H : Oui, même si j’adore le Klub des Loosers. Mais c’est vrai que quand j’écoute La fin de l’espèce, je suis déprimé, ouais. Même si ça défonce. Mais moi j’ai envie qu’il y ait un peu d’espoir. Après, c’est aussi lié aux concerts. J’ai pas envie que ça soit déprimant, un concert de Hyacinthe. J’adore l’énergie agressive mais je me dis : « venez, on se laisse la possibilité qu’à la fin ça aille« .

LVP : Justement, tu parlais du fait que tu as découvert que tu avais un public. Finalement, ce projet est encore plus radical. Est-ce que avec Rave, tu ne voulais pas faire une proposition aux gens plutôt que quelque chose d’attendu ?

H : Alors ça oui, je pense que j’ai pris des risques par rapport aux gens qui m’écoutent habituellement. Déjà, c’est vachement plus électro. On peut dire que c’est plus radical et plus pop aussi. Radicalement pop. Par exemple, une chanson comme Sans moi, tu peux la chanter très facilement. J’ai voulu sortir de la case Hyacinthe « il fait du rap sombre à texte« , une espèce de niche qui ne m’allait pas complètement. C’est un album qui est plus ouvert qu’avant mais qui possède en même temps une radicalité assumée. Parce que je trouve qu’aujourd’hui c’est dommage qu’il n’y ait que deux solutions proposées : soit tu fais du rap américain mais en français, soit tu fais du rap métissé à de la variété. Les deux sont cools, mais j’ai eu envie de trouver une troisième voie. Je pense que ça peut toucher plein de gens mais qu’effectivement il n’y a pas d’album de rap français qui ressemble à ça.

LVP : Le rap c’est un peu la nouvelle pop d’aujourd’hui finalement. Toi, ça t’intéresse qu’on sorte le rap de ses carcans habituels, non ?

H : Carrément. Aussi, car il y a plus de gens qui écoutent du rap, donc plus de place pour tester des trucs. Il y a plus de public, la plupart des gens ont accepté le rap. Maintenant, tout le monde écoute Booba alors qu’il y a dix ans, c’était un peu chelou dans certains milieux. Je pense qu’on pourrait encore plus péter les carcans quand même, bien qu’étant sur une bonne voie.

LVP : D’ailleurs, tes featurings vont aussi dans ce sens. C’est la deuxième fois que tu fais un feat avec The Pirouettes, et je pense que personne n’aurait eu l’idée de faire un feat P.r2b dans le rap français.

H : Je ne me suis jamais forcé pour les feats, par exemple P.r2b c’est la pote d’une amie à moi et j’ai beaucoup aimé sa musique donc j’ai voulu faire un son avec elle. Et on l’a gardé parce qu’il était bien. En plus elle a quelque chose de pas si éloigné, c’est-à-dire qu’elle a une interprétation très chanson française, mais sur des prods gabber comme moi. C’est pour ça que ça fonctionne bien. On n’a pas fait une chansonnette alors qu’on aurait pu cependant.

LVP : Il y a un refus de chercher la simplicité aussi !

H : Je pense que si tu fais un morceau avec Hyacinthe quand tu as déjà ta carrière solo, c’est pour aller chercher autre chose que ce que tu fais d’habitude. Foda par exemple, sur Espérance de vie, s’est beaucoup éloigné de ce qu’il fait avec Columbine. Il a vraiment accepté de jouer le jeu : le morceau est déstructuré, il y a au moins 1500 synthés… Et je le trouve bien ce morceau. C’est trop bien. Et avec les Pirouettes, ce qui est cool, c’est que là on a fait un morceau assez pop, parce que dans l’album d’avant on avait déjà fait notre truc hardcore. Là, on pouvait se permettre d’essayer de faire un tube assumé. Je suis un peu plus rentré dans leur univers.

LVP : Il y a de la poésie dans la crudité au niveau de tes paroles. Tu emploies des mots très crus et directs. Faire du beau avec des choses plus ou moins laides, c’est une volonté pour toi ?

H : C’est quelque chose que je conscientise assez peu, mais sur l’album d’avant j’avais dit : « Je veux juste faire des trucs beaux avec des trucs moches« . Je vais faire un raccourci un peu facile, mais le monde est moche sur plein d’aspects et il n’y a que nos actions qui peuvent le rendre plus beau. Après, c’est le principe de l’art à toute époque. Essayons de rendre les évènements poétiques. Quand je parle de rave parties un peu crades, je trouve ça cool de rendre ça beau. Il y a plusieurs niveaux de lecture en plus entre « rave » et « rêve ».

LVP : Il y a deux années qui séparent tes deux derniers albums. Dans une société où tout va très vite, c’est pas un peu couillu de prendre son temps ?

H : Il y a plein de trucs qui expliquent pourquoi j’ai pris mon temps. Quand je pense à Sarah, je trouve que c’est un bon album mais que c’est pas un classique. Je voulais que mon prochain album soit incroyable. Puis c’est le premier album que je fais avec plus que 0 euro. Avant, j’enregistrais dans ma chambre et là j’ai pu aller en studio. Je me suis dit : « ok j’ai cette chance je veux que l’album soit ouf« . Et tant pis si ça doit prendre trois mois de plus. On n’est pas non plus au niveau des groupes de rock à l’ancienne qui laissaient huit ans se passer entre chaque album. Mais c’est vrai, j’aimerais peut-être accélérer le rendement.

LVP : Tu mises plus sur la qualité que la quantité.

H : Carrément. Il y a tout un processus qui prend du temps. En réalité, l’album m’a pris six mois. Mais j’ai passé six mois au préalable à chercher des trucs à dire et à trouver la bonne direction. Et quand on l’a trouvée, cette direction, c’est quand on a fait le morceau Rave, là ça a été très rapide, on faisait une chanson tous les dix jours.

LVP : Finalement, quels sont tes coups de cœur du moment ?

H : J’ai regardé la saison 3 de True Detective. J’ai trouvé ça trop trop beau. Sinon en musique, j’adore l’album Rap or go to the League de 2 Chainz et je kiffe aussi beaucoup l’album de Malik Djoudi en pop. Il est couillu, et il a évité tous les pièges avec talent !

 

Retranscription: Chloé Pasqualino