UGLY : de l’importance de s’aimer selon slowthai

« Who am I ? What I stand for ? » deux grandes questions existentielles qui en 2019 semblaient tarauder l’esprit de Tyron Kaymone Frampton alias slowthai dans le frontal Missing (Nothing Great About Britain). Et c’est après un long cheminement personnel que ce dernier semble avoir enfin trouvé sa réponse. UGLY, acronyme de U Gotta Love Yourself, encré ad vitam aeternam sous son œil gauche, mais aussi titre de son nouvel album paru plus tôt en mars, raconte ainsi l’apprentissage de celui qui a appris à aimer son véritable je et ce, à la seule force de sa volonté. Récit, ci-dessous, d’un album qui à coup sûr marquera sa génération.

On l’attendait terriblement ce virage punk, lequel seyait déjà si bien à slowthai avec le furieux Doorman quelques années plus tôt. En novembre dernier, l’artiste sortait par ailleurs i know nothing, morceau tout en transparence qui suggérait ce qui allait advenir de la suite de sa discographie.

Society tells us we need money we need mortgage

We fall into what’s expected instead of what we want

We rely on a system that’s failed us

We’re in prison waiting for a day off

Il y a eu cette sortie puis de l’attente, un peu trop, jusqu’à ce que le silence soit tût fin janvier et annonce la sortie d’UGLY. Produit par Dan Carey (Wet Leg, Geese, Sinead O Brien) aux côtés de Kwes Darko, cet album retranscrit un cheminement sur plusieurs années, allant de celui qui semblait se haïr, rongé par quelques démons, à celui qui aujourd’hui s’en est libérés et fait de l’amour de soi quelque chose d’essentiel.

Yum, faisant office de préambule, fait le rideau se lever et slowthai, alors protagoniste de ce récit introspectif, fait face au miroir et confronte celui qu’il semblait ne plus reconnaître. Un face à face accentué par un leitmotiv positif, au début : You are great, you are good / You’re king, you’re queen / You’re a genius, puis suivi d’emblée par la réalité qui finit par le rattraper. Et c’est là que la cadence du morceau s’accélère de plus en plus, à la limite de l’anxiogène, sous fond d’électro industrielle entrecoupée d’un souffle suffocant, de sanglots venant de celui qui tente de se décharger d’un trop plein émotionnel.

Car ici, subsiste un poids sociétal lourd, un poids causé par ceux qui aimeraient qu’il se laisse avoir par tous ces vices s’étant emparés de lui par le passé. Des vices que slowthai a revu à la modération voire totalement arrêtés pour certains. Inspire, expire – jusqu’à te libérer à 100%, voilà ce qu’il faudra retenir de cette entrée en matière pour le moins cathartique.

Selfish prend la relève et met en avant la confrontation inéluctable de celui qui finissait par se fuir. Confrontation au sens littéral et au-delà des mots, puisqu’en effet, slowthai a pour ce morceau pris le pari de s’enfermer pendant vingt-quatre heures dans une pièce recouverte de miroirs, expérience live où sa patience a été mise à rude épreuve. L’idée ? Se confronter à son reflet et son esprit sans nulle autre diversion, à l’exception d’un pot de peinture et quelques crayons posés ici et là. Expérience psychologique difficile que ce dernier aura tenu pendant près de huit heures. Remarquable, il faut l’avouer.

S’ensuit Sooner, titre pop-punk à l’allure dynamique sur une insouciance perdue mais recouvrée à temps où les émotions se permettent d’exister. slowthai énumère ici quelques expériences passées d’une période de vie estimée, celle de l’avant succès, loin du monde de la musique où seules les balades en 306 dans la campagne de Northampton comptaient et rythmaient les journées d’une jeunesse presque oubliée. Vivre pour soi et non pour les autres, voilà le bilan qu’il semble avoir tiré de cette analyse. Avec Feel Good, il célèbre la joie de vivre, la sienne, mais aussi ses travers mis de côté. Et c’est en compagnie de Shygirl, laquelle fait ici les chœurs, qu’il délivre cet hymne hédonique qu’il nous tarde d’entendre résonner entre les murs de l’Elysée Montmartre le 27 septembre prochain.

Puis vient le temps de la ballade, Never Again, indispensable après le défouloir qui a précédé. Retour au spoken word pour le rappeur britannique qui confie un épisode tragique et déchirant de sa vie survenu quelques années plus tôt quant à cet amour perdu, enlevé prématurément. Toujours dans une continuité dramatique, l’interlude Fuck it Puppet dévoile une plume incisive où il livre épisodes dépressifs et combats intérieurs, notamment face à ses excès en nombre qu’il a su arrêter tant ils nuisaient à son état psychologique, son rapport à lui-même et son entourage.

Vient alors la seconde partie de l’album, avec un penchant majoritairement plus punk que la première et qui bouscule plus que jamais les codes du rap, pour notre plus grand plaisir de fervents amateurs et amatrices de cette scène qui ne cesse de se magnifier au fil du temps. HAPPY, résolument addictif, manifeste une sensibilité assumée, un combat permanent contre lui-même et l’envie irrépressible de laisser de côté ses pensées les plus obscures pour les troquer contre d’autres plus lumineuses, à la seule force de l’amour et de l’espoir : Love’s a shield, my armour’s hope.

Le grand moment de beauté de ce disque arrive avec le titre éponyme de l’album, presque cinématographique, et sur lequel slowthai a laissé de la place au talent des membres de Fontaines D.C. afin qu’il cohabite avec le sien. Intense, sincère et bouleversant. Voilà trois adjectifs qui définissent parfaitement ce que Tyron aura fait de plus beau jusqu’ici. Un morceau où la sensibilité artistique des dublinois n’y est pas anodine, mais mêlée à la sienne, alors il n’a d’égal que la beauté et l’excellence. L’excellence d’un morceau où le chant associé à ce punk incendiaire fait de ce morceau un grand moment de grâce. Constat amer, slowthai bouillonne de l’intérieur et extériorise une colère trop longtemps contenue en lui tout en usant de la musique et de son langage universel comme porte-parole d’une société qui n’en peut plus : We’re just puppets in a simulation / Bein’ brainwashed to a regime.

Falling, sous son faux air calme et reposant, illustre un passage à vide où plus rien ne le retient et où l’immensité des choses prend le dessus sur l’être infiniment minuscule que nous sommes toutes et tous. Sur Wotz Funny, la confrontation est une nouvelle fois de mise et slowthai fait ici de son humour noir et second degré, une qualité évidente pour rire de tout ce dont on ne se permet pas ou plus.

Bien que le moment de grâce trouve son point culminant avec le titre éponyme de l’album, comme mentionné précédemment, Tourniquet nous offre un sentiment similaire. En effet, ce titre aurait très bien pu faire office d’une collaboration rêvée entre Radiohead et MGMT (replongez vous dans Of Moons, Birds & Monsters, vous comprendrez pourquoi), tant il repose ici une sombre mélancolie où l’espoir sera toujours le plus réconfortant des refuges. Avec 25% Club, l’album se laisse envelopper d’une fin sentimentale, d’une déclaration d’amour à celle qui occupe son cœur et qui mieux que n’importe quelle thérapie, a pu le sauver du gouffre et panser quelques une de ses fêlures les plus profondes.

C’est en puisant parmi ses maux et ses faiblesses que slowthai aura pu trouver la force nécessaire pour faire un disque à son image, c’est-à-dire à la fois sensible, complexe et puissant. Ce qui donne ainsi déjà lieu à l’une des plus belles réussites de 2023.