TYRON, la double facette de slowthai

Un sourire diabolique, un phrasé millimétré et un don pour taper dans le mille, l’enfant terrible de Northampton est de retour et nous délivre aujourd’hui TYRON son deuxième album à la croisée d’un rap dur et profond et d’une douceur décomplexée par l’expression de ses failles et tourments…

TYRON est en fait un double album, comme pour mieux illustrer la personnalité de l’artiste, une première partie revendicative, bercée par un égotrip si cher à l’artiste, cette Face A c’est surtout son rapport à l’image, celle qu’il montre et fait exploser aux yeux de tout le monde, vous ne voulez pas voir slowthai ? et bien vous aller en bouffer partout et à toutes les sauces.
Cette volonté se traduit dans cette première partie par un rap assez dur et street, influencé par la culture des freestyles. 7 morceaux aux prods saillantes et bien poignantes qui font la démonstration de techniques propre au rap alternatif.

Dans ce rapport à l’image il y a bien sur la vidéo, chaque clip de l’anglais est un petit évènement tant il arrive à créer des atmosphères.
Influencé par ses références cinématographiques et sa créativité débordante, il parvient non seulement à embarquer le public à chacune de ces apparitions mais aussi les artistes avec qui il collabore, dans le clip de MAZZA par exemple, on retrouve un A$AP Rocky complètement fondu dans l’univers du jeune anglais.
Ce titre, comme cette vidéo, est un banger qui exacerbe nos folies respectives.
Dans le clip, les deux rappeurs goûtent au fruit défendu. Cette pomme qui fait l’effet d’une drogue les emmène dans un trip où plus rien n’a de sens : les proportions n’existent plus et tout part en live, slowthai explose tout sur son passage.
Une folie destructrice qui apparait sous un autre angle chez A$AP quilui est en bad complet, il titube et phase complètement face à tout ce qui l’entoure.
Dans le clip on nous en fait voir de toutes les couleurs sans ménager nos sens. On se fait balancer à droite à gauche comme les cerveaux de nos deux artistes.

C’est aussi ça la force de slowthai : son personnage, très provocateur qui fait preuve d’une certaine violence, influencé par des films d’horreurs, avec ses sourires bien flippant et sa rage débordante, est un moyen pour nous auditeurs et spectateurs de voir quelqu’un casser les codes, faire un bon gros doigts aux complexes et tout envoyer valser. Avec lui il n’y a plus de codes, n’en déplaise à ses détracteurs, slowthai est comme ça et le restera.
Cette image est nécessaire car elle permet aussi de faire décomplexer toute une génération sur le paraitre. Les trips débordants de l’artiste sont une vraie inspiration. Pour bon nombre de jeunes qui se retrouvent dans le personnage, slowthai n’est autre que le visage d’une jeunesse anglaise d’aujourd’hui, en proie aux questionnements, à la recherche de repères mais surtout talentueuse, plus que jamais.

Cet album c’est aussi l’occasion pour slowthai de nous délivrer l’ensemble de sa palette technique, à la croisée de la drill, de la trap, du rap old school même de la pop, et du rap us, et influencé par de la grime et du punk rock, slowthai est touche à tout et arrive à créer un imaginaire qui lui est propre et à le partager avec son insolence désormais légendaire.

Toujours dans cette idée d’avoir deux facettes, celle qui stagne dans sa solitude et ses pensées difficiles et celle qui revendique et s’affirme par sa différence et son talent, l’artiste nous dissémine tout au long de l’album que ce soit dans les textes et interprétations dans ses clips, la formule populaire « wagwan », un condensé de « what’s going on ? » cette phrase que l’on dit à tour de bras, comme un « ça va » classique qui n’attend pas de réponse particulière.
Wagwan c’est la meilleure façon d’illustrer qu’il peut tout se passer dans une vie comme rien ne se passer.
C’est l’expression d’une inquiétude dans le morceau push avec Deb Never  » Wagwan, what you onto? Far side of the yonder, far cry from a younger Hard times made me stronger » comme celle d’une excitation comme dans l’intro du clip CANCELLED avec Skepta ou les deux lascars nous livrent une prestation bien barrée.

C’est d’ailleurs maintenant un rendez-vous pris à chaque sortie d’album tant l’alchimie entre les deux rappeurs est flagrante, après l’excellent Inglorious, slowthai reconduit son invitation à Sekpta pour nous livrer ce morceau CANCELLED qui vient nous décoller une bonne droite dans la machoire avec toujours ce sens de la punchline, on notera un petit bonheur de phase « Run through the streets with a few Gs, We ain’t killing them softly » qui ravit notre petit côté puriste et adepte du mot juste.

Crédits : Crowns&Owls

La seconde facette de cet album est une partie un peu plus pop et douce dans les mélodies, mais pas dans le texte, slowthai se fait moins provocateur et se livre beaucoup plus sur son rapport à la solitude, aux moment difficiles de son passé comme de son présent.
On pense notamment au morceau Feel away produit par Mount Kimbie avec la présence de James Blake qui vient poser un couplet magnifique. Dans une ambiance intimiste les artistes évoquent les relations amoureuses et la difficulté de les voir se détruire à petit feu.
C’est un morceau introspectif, « Walkin’ through my mind, it’s a forest, don’t get lost again », qui nous montre un côté plus doux et fragile de l’artiste.
C’est aussi la preuve que slowthai sait bien s’entourer, après des collaborations avec Mura Masa, Gorillaz ou encore Disclosure, rien que ça, le rappeur reconduit sa confiance au génie mélodique du duo de musique électronique Mount Kimbie et en la tendresse légendaire de James Blake.

Toujours dans la douceur, on retrouve la voix angélique de Deb Never sur le morceau push qui évoque la solitude et la santé mentale. Un thème qui revient également dans le morceau nhs, bien inspiré par 2020 et notre quotidien chamboulé par le coronavirus.
NHS n’est autre que le National Health Service, le service de santé public du Royaume-Uni, dans le clip qu’il nous a offert, Slowthai kicke son texte dans son quotidien de confiné, dans la queue de caddies qui mène au supermarché et qui n’en finit plus, dans sa chambre assis sur son lit, à longueur de journée, il trône même sur un mur de rouleau de papier toilettes, objet mis en lumière pendant cette période si spéciale.
C’est dans ce décor que Slowthai nous fait parvenir plus qu’une simple mélodie, il élude un constat sur les inégalités toujours plus persistantes comme il le dit si bien, « What’s health without poorly? What’s wealth without the poor? Please the world we’re living in, I’m tryna give you reassurance ». C’est une nouvelle fois un morceau qui expose les fêlures d’un artiste qui est avant tout humain et qui se heurte aux mêmes difficultés que nous tous en ces temps étranges, car oui, slowthai est avant tout un humain avant d’être la bête de scène que l’on connait.

Cette double casquette résonne particulièrement dans le morceau avec Dominic Fyke et Denzel Curry puisque les artistes nous évoquent le quotidien difficile de la célébrité et la reconnaissance, le fait d’être en proie au jugement de chacun et aux interprétations qui sont pour souvent bien éloignées de la réalité. slowthai sait de quoi il parle, il a été mis en cause plusieurs fois cours de ces dernières années sans jamais n’avoir réellement fauté, c’est malheureusement le triste revers de la médaille.

Crédits : Crowns&Owls

L’album se termine par adhd, morceau le plus poignant de l’album et trouble du déficit de l’attention qu’a rencontré slowthai et qui l’a accompagné tout au long de sa vie.
Dans ce morceau, l’artiste illustre ses troubles anxieux, sa maladresse sociale et l’habitude néfaste de se renfermer sur soi même en permanence, slowthai a réussi à braver ce syndrome et désormais il arrive à transmettre son ressenti et ses émotions.
Plus qu’un simple syndrome c’est le besoin permanent d’être aimé qui reste ancré chez lui, la faute à un parcours difficile ou les gens ont pu faire preuve d’incompréhension et de rejet face à son cas. C’est un morceau magnifique et difficile mais tellement nécessaire.

En définitive, la double facette que nous évoquions dans le titre et qui se matérialise par ses deux parties n’en est pas vraiment une, le gamin de Northampton joue avec nos émotions et aime afficher des visages diamétralement opposés, l’un provocateur et dans la démesure, l’autre plus réservé et profond.
C’est surtout la revanche sur son parcours de vie, il le disait lui même sur twitter en 2020 en parlant de son adhd « je ris souvent quand je suis anxieux, ce rire gênant ne fait que montrer à quel point je me sens mal à l’aise », on retrouve cette ambivalence dans le projet sauf que ce mal être l’artiste a réussi à l’évacuer pour en faire un objet musical profond et décidément nécessaire en ces temps ou la santé mentale de chacun est mise à mal.
Vous le comprendrez donc, plutôt que de nous questionner sur sa bipolarité, cet album nous confirme tout simplement que slowthai est en réalité un artiste entier et qu’il sait le faire ressentir plus que tout.