Tomasi, « branleur magnifique »

La rentrée est chargée pour Tomasi. À quelques heures de la deuxième soirée Kimono qu’il organise à la Java, l’homme au peignoir rouge prépare aussi la sortie de son prometteur deuxième EP le 3 octobre (en exclu dès le 30 septembre sur La Face B héhé). Nous l’avons accueilli autour de houmous, baguette, bières et thé vert pour démasquer le personnage et découvrir davantage son univers, sa sensibilité artistique et ses projets.

La Face B : Salut Tomasi, comment ça va ?

Tomasi : Écoute, je suis un peu fatigué parce que du coup, il y a pas mal de préparatifs pour l’EP. Il y a beaucoup de choses à faire encore : on prépare des disques physiques et qui dit disques physiques, dit des trucs envoyés encore avec des formats que je ne comprends pas et je me prends un peu la tête avec ça ! Mais sinon, ça va bien. Et vous ? (rires)

LFB : Ecoute, très bien, nous aussi. Tu dois ressentir pas mal d’impatience en ce moment car il a fallu un an de travail pour réaliser ce nouvel EP.

Tomasi : Exactement. En fait, c’est né dans ma chambre comme tout projet en général. C’est la première fois que je me suis entouré. Du coup, j’ai remixé les tracks et refait toutes les voix en studio avec Valentin Montu. C’est une vraie réelle première expérience car j’ai travaillé avec quelqu’un qui m’a apporté autre chose. J’ai vraiment grandi cette année en enregistrant ça entre novembre et décembre 2018.

LFB : Et tu avais déjà fini de composer l’EP durant l’été 2018 …

Tomasi : Globalement c’est ça. L’EP a été fini durant l’été 2018 puis ça a pris un an pour se monter et trouver des partenaires.

LFB : Tu as aussi collaboré avec Benjamin Joubert qui a travaillé pour Metronomy, NTM, Phoenix, The XX… Comment l’as-tu rencontré et comment s’est déroulé votre collaboration ?

Tomasi : C’est Valentin qui me l’a recommandé. On a beaucoup échangé à distance. Je l’ai peu vu même si je suis passé dans son studio mais je dois avouer que le mastering reste pour moi une science occulte. Je lui ai proposé mon projet un peu comme ça et il a tout simplement accepté.

LFB : Tu restes perfectionniste sur l’élaboration de tes sons !

Tomasi : Je le deviens au fur et à mesure ! Au départ, j’avais plutôt tendance, en bon flemmard, à me contenter de ce que je balançais directement mais finalement, c’est un bon apprentissage de le devenir.

LFB : Justement, il y a tout un contour qui est dessiné : le personnage avec son peignoir rouge, les clips vidéos où tu es souvent isolé avec un monde qui tourne autour de toi et souvent tu restes passif. Comment t’es venu à l’idée cet univers-là ?

Tomasi : C’est un peu ce que je vis, romancé. Cela m’amuse beaucoup. Le clip de Happy Ending est le plus représentatif de ce que tu as décrit. C’est même le point de départ : j’ai bossé la vidéo avec un réalisateur qui se nomme Nicolas Garrier depuis le premier jour.

Quand je voulais lancer le projet de Tomasi, on était sur les quais à Paris, on ne se connaissait pas même si on était dans la même fac de ciné avec des amis en commun. Je lui dis que j’ai envie de faire un clip mais que je n’ai pas trop de thunes. Il m’a répondu que lui aussi voulait réaliser un clip ! Depuis, nous avons réalisé cinq clips ensemble. C’est une vraie aventure humaine. Notre vraie référence de base est BoJack Horseman lors des premières saisons : le générique montre BoJack seul avec le monde qui l’entoure et on est parti de ça ! On a vraiment créé le personnage ensemble, à partir de trente secondes de générique d’une série finalement. (rires)

LFB : Finalement les références cinématographiques que tu développes, ce sont toujours des personnages qui rigolent beaucoup mais qui cachent une mélancolie qui est absolument horrible. Tomasi, personnage dans Le Péril Jeune, c’est tout de même l’archétype du mec qui rigole mais qui est un putain de dépressif et autodestructeur. À l’image de ce type de personnage, incarné souvent par Jim Carrey ou Robin Williams, est-ce que tu considères Tomasi comme un clown triste ?

Tomasi : Complètement. C’est un peu prétentieux car je l’incarne mais c’est un branleur magnifique. Il s’agit des personnes qui me parlent et qui me touchent le plus. J’ai découvert Le Péril Jeune au ciné-club de mon collège en classe de 3ème et j’ai pris une grosse claque. Je ne faisais pas partie des garçons sages. En parallèle, il se trouve que je suis prognathe un peu comme Romain Duris et mes potes me charriaient beaucoup avec ça : « Hé ! Tomasi ! ».

En plus, le personnage incarnait une certaine idée de la jeunesse, de l’autodestruction mais aussi de la non-peur de la mort : vivre dans le moment présent, ce que moi j’ai beaucoup de mal à faire. J’ai besoin d’une quête comme le font les personnages des films dApatow dont je suis très influencé : ils partent d’un point pour arriver au point suivant, sans beaucoup avancer mais ayant appris beaucoup et gagné quelque chose.

LFB : Comme tu dis, il s’agit de personnages qui présentent des normalités qu’on aimerait cacher et c’est ce qui ressort de l’EP. C’était donc pour toi nécessaire de te dévoiler plus ?

Tomasi : J’en ai même un peu marre d’écrire sur moi ! Il est vrai que sur le premier EP, il y avait Petit Frère de Haine et d’autres qui ne parlaient pas de moi mais là c’est très autocentré. C’est à la fois une gêne, une souffrance de parler de moi mais aussi une thérapie. C’est venu un peu par la force des choses : c’étaient les morceaux qui me plaisaient le plus et malheureusement ils parlaient de moi, sauf sur Somnambule qui s’éloigne de ça. En tout cas, j’ai moins envie de faire ça à l’avenir.

La Face B : Même si cela reste au final très personnel, je trouve que les propos que tu développes sont universels. Plein de gens vont se reconnaître dans Menteur, Menteur

Tomasi : Bien sûr. Quand tu fais de la musique, tu peux raconter n’importe quoi aussi ! On le voit autant chez les rappeurs hardcore qui parlent de gamos mais qui en fait vivent chez leur mère ! Bien que cela soit de moins en moins le cas car ces gens-là se font cramer vite. Dans les mensonges bien faits, je trouve qu’il y a quelque chose de magnifique, comme les braquages.

LFB : Dans les premiers titres, tu décris ton personnage comme quelqu’un d’ingrat, solitaire, menteur mais sur la piste Avatorus, il change de posture et semble se repentir. Comment penses-tu faire évoluer ton personnage par la suite ?

Tomasi : Le principe est que je me pose des questions et quoi qu’il arrive les questions amènent d’autres questions. Je tends surtout à m’amuser avec celles-ci en ce moment, qu’elles soient larges, ciblées sur qui m’entoure, voire sur ce que je vis avec ma génération sans vouloir délivrer un message mais plus pour savoir où je me situe sur un plan personnel.

Je ne pense pas que je referai de Monument, tu vois, vers des paroles plus imagées, en tout cas pas avec Tomasi. J’ai plus envie de marrer encore un peu, de trouver des punchlines qui me font rire et toujours avec un fond un peu triste.

LFB : Ce que je trouve intéressant aussi, même si c’est profondément mélancolique. J’ai l’impression que tu pointes toujours sur le petit point de lumière qui arrive au fond comme si ton objectif était de te rapprocher davantage de cette lumière. Il y a peut-être un fond thérapeutique aussi …

Tomasi : Ça l’est forcément. Aujourd’hui, je n’écris pas pour faire de la musique à la base. Comme tout le monde, je grattais des trucs avec mon Ipod Touch de l’époque puis au bout d’un moment, j’ai commencé à faire de la guitare à 11 ans et à 12 ans j’ai écrit ma première chanson.  J’ai toujours séparé l’écriture de la musique à la base. J’essayais d’avoir les mélodies les plus catchy, j’imitais un peu ce que je voyais à la télé et ce n’était pas du tout la même musique que maintenant. Là, c’est devenu thérapeutique, pour me rassurer mais je ne suis pas sûr d’aller mieux avec ça.

LFB : Je vais te faire un compliment : j’ai beaucoup pensé à Odezenne, pas dans les paroles mais plutôt dans les compositions. Contrairement à d’autres rappeurs, il y a un vrai son organique qui se dégage. Du coup, comment composes-tu pour que ta musique soit fragile mais aussi vivante ?

Tomasi : Sur scène, j’essaie de montrer ça aussi. Je ne connais pas de rappeur qui fasse de la pop et qui ait des instruments sur scène et qu’il en joue. Moi, j’adore être seul scène et jouer de la guitare pour juste rappeler que j’essaie de faire au maximum avec de vrais instruments.

Mon rêve par la suite, ce serait d’enregistrer avec de la vraie batterie sur mon premier album. Je sais exactement quelle batterie, celle de In Rainbows de Radiohead, d’aller rapper sur des choses inconnues et de garder l’esprit pop. Je veux revenir à l’organique avec le temps. Déjà parce que je trouve qu’il n’y en a pas assez dans la musique actuelle et à l’image d’Odezenne, ils ont pris un batteur dès qu’ils ont eu le moyen sur l’album Dolziger Str.2 qui est pour moi l’un des plus grands albums de la décennie. Donc j’essaie de garder ce côté organique en y mettant plus de guitares, quitte à faire un album de rap rock comme ce que Disiz a réussi à faire il y a dix ans. Sa chanson Extra-Lucide me fout des frissons : quand la batterie éclate à la fin, à chaque fois j’ai le cœur qui se perce.

LFB : Tu mêles la confusion entre tes flows et un son pop atmosphérique et lancinant, c’est ça qui rend intéressant ta musique. On sent notamment l’influence de Radiohead dans certains titres. Mais on retrouve des sonorités punks dans ta voix, notamment sur Du Sperme sur le Peignoir.

Tomasi : Whoa ! C’est Alexis de Inuit qui m’a déjà confié ça au FAIR. Il m’a dit que Du Sperme sur mon Peignoir c’était garage… Je trouve ça ouf !

LFB : Dans la façon que tu interprètes, c’est punk et désespéré en même temps. J’ai l’impression que tu gueules des énormités sur ce titre pour ne pas montrer que tu es triste, c’est la colère d’un mec ivre en fait.

Tomasi : (rires) J’ai eu beaucoup de soucis dans la vie avec ça ! (rires) Littéralement !

LFB : Tu as déjà réalisé une Kimono à l’International lors de la Fête de la Musique. Comme promis, cette soirée se renouvelle mais cette fois-ci à la Java. Comment est né ce projet de mini-festival d’un soir ?

Tomasi : Faire de la musique c’est cool mais faire de la musique avec des copains, c’est quand même vraiment mieux ! On est plein d’artistes à traîner ensemble quotidiennement et on essaie de s’entraider sans que cela soit forcément crédité ou marqué. On a voulu créer un emblème de ça, qui soit loin des labels et qu’on mette nos forces en commun en une seule soirée. Le but désormais est de rentre la soirée Kimono mensuelle. On en discute avec la Java. Ce ne sera pas à chaque fois ma soirée mais on pourra promouvoir nos potes et faire tourner la prog’.

LFB : Puis les gens risquent de se lasser de voir la même chose !

Tomasi : Exactement ! Pour ce jeudi, ça sera avec Trente, mon pote, mon frère. Ian Caulfied sera de la partie aussi.

LFB : Qui sera pour la 1ère fois avec un batteur…

Tomasi : C’est un gros challenge pour lui ! Il y aura du monde et ça sera sa première date parisienne cette année ! Il y aura aussi Le Renard et la Tortue qui illustre bien l’idée de la Kimono : ce sont des gars de Champigny. Or avec Trente, on a tous grandi dans ces endroits-là (ndlr : Trente vient de St Maur et Tomasi de Joinville) et notre meilleur pote, Paul, venait de Champigny. Il se trouve que son petit frère, Louis, fait aussi de la musique sous le nom de Loufox avec Nils Handz et ensemble ils forment Le Renard et la Tortue. Je les ai vus une fois, ça m’a plus et je me suis dit « On les invite ! ».

LFB : Il s’agit d’un vrai regroupement familial !

Tomasi : C’est le but ! Ce sont des choses qui nous plaisent, ou la famille !

LFB : Et donc dans ce type de live, on peut espérer voir des collaborations comme sur certains titres en studio ?

Tomasi : C’est aussi le but de ça ! Justement, on a Refuge et Aghiad qui vont faire un dj-set après les concerts. Refuge et Trente ont bossé ensemble, moi avec Trente aussi…

LFB : Lors de la première Kimono, on a pu découvrir Yoanna qui avait chanté sur J’ai plus peur, sera-t-elle aussi de la partie ?

Tomasi : J’ai plus peur n’est pas encore arrivé dans un EP ou autre. Je l’ai travaillé avec Yoanna qui est une artiste à part entière. C’est un morceau sur lequel nous avons travaillé ensemble.

Yoanna prépare beaucoup de choses au niveau musical.

LFB : Elle a une voix séduisante…

Tomasi : Oui, sa voix est extraordinaire !  Et elle sera bien sûr avec nous pour cette deuxième Kimono.

LFP : Quels sont tes coups de cœur récents ?

Tomasi : Il y a Luidji que j’écoute beaucoup, surtout pour le côté organique que je trouve chanmé et sa voix. J’écoute aussi Pouchkine d’Odezenne, le dernier titre de Baden Baden qui me tue depuis quelques jours et que je trouve magnifique. Et j’attends l’album de Vald ! Si c’est dans la même veine que Journal Perso 2, ça va bien me plaire ! Et enfin les copains de Last Train.

LFB : Au fait, c’est quoi ton souci avec Damien Saez ?

Tomasi : (rires) Euh, en vrai… J’aime pas ! Franchement tous les artistes sont en mode « J’aime pas mais je respecte et tout » mais là j’aime pas et je ne respecte pas (rires). Il fait de la provocation gratuite, tout ce que j’entends sur le mec me débecte. C’est un peu n’importe quoi : c’est un mec qui fait l’inverse de ce qui m’inspire ! C’est un branleur pas magnifique !

LFB : Est-ce que Tomasi descend du panier basket ?

Tomasi : Aaah ! « L’homme descend du singe. Tomasi est un homme, Tomasi ne descend pas du panier de basket. Je vous félicite, cet excellent sophisme vous vaudra un avertissement. Si vous êtes aussi bon en mathématiques qu’en philosophie, vous devriez savoir que c’est le dernier en tant que blâme. Combien de blâme pour un renvoi ? … » Et d’ailleurs, pour l’anecdote, c’est très bien que tu te demandes ça. Il y a un morceau qui est toujours en ligne et que j’ai réalisé avec mon ancien groupe qui s’appelle Clairvoyant. Il s’appelle Tomasi et il y a tout cet extrait à la fin de ce titre. Je vous invite à le réécouter !