To Make a Fuzz about it

Depuis le temps qu’on l’attendait ! Entre le Covid et les aléas de la vie, Fuzz était programmé au Trabendo depuis un temps que les jeunes de moins de trois ans ne peuvent pas connaître. Et enfin, enfin, ce jour est arrivé.

Pamplemousse ouvrait la danse. En passant le contrôle de sécurité, déjà résonnaient à l’extérieur du Trabendo les premiers accords d’une ouverture ébouriffante. A seulement deux sur scène, le duo mixte propose un son énorme. Le guitariste, chanteur, donne de sa personne, rageur, et occupe l’espace, secondé par sa compère batteuse, qui tient excellemment son rang. Le groupe monopolise donc la baraque, évite les temps morts et réussit aisément à faire hocher les têtes et les corps sur des accords qui tabassent. Le duo, réunionnais, nous offre une sonorité qu’on n’attendrait pas venir de l’île. Une vraie découverte scénique.

Leur troisième album vient à peine de sortir (une chronique plus complète se trouve ici), et reste dans le jus des deux précédents. Le duo de noise ne s’embarrasse pas de faux semblants. Ça tabasse de bout en bout. De longues parties instrumentales, parfois à la limite du méditatif, sont entrecoupées par la voix parfois un peu criarde du chanteur, qui, peut-être, est le seul point clivant du groupe. Mais pour les fanatiques du genre, on a ici un une découverte qui nous rassure quant à l’état de la scène rock française. Elle se porte très bien.

S’ensuit Fuzz. Ce trio est un des nombreux projets de l’hyper actif Ty Segall. Disciple du non moins prolifique John Dwyer (Thee Oh Sees, Damaged Bug), le californien au court carré blond est un insatiable musicien. De son projet perso, avec déjà une bonne quinzaine d’albums au compteur (sans compter les live, les BO et autres albums annexes) et pléthores de projet parallèles (dont Fuzz), il est dur de suivre le fil. L’homme est sans conteste un des monuments de notre génération. Il a réussi à créer son style, reconnaissable en deux accords, et il a tourné à travers le monde, faisant montre d’un talent époustouflant, le propulsant comme une référence, une influence de nombre de groupes qu’on écoute aujourd’hui.

De nature guitariste, sur ce projet-ci notre héro du soir s’attelle à la batterie -tout en gardant une bonne partie du chant à son compte. Et ça va vite, très vite. De trois albums, et pas mal d’EP et singles, on en retient bien un truc, c’est la folie. La guitare et le basse sont bourrées de .. fuzz, qu’on ajoute aux gigantesques parties de batterie, et nous voilà avec un cocktail Molotov de rock etatsunien, gras, lourd, psyché, tonitruant. On y retrouve, pour notre plus grand plaisir, le son, la patte Ty Segall, ainsi que sa voix, iconique. On sait qu’il enregistre tous ses albums seul parce que ce mec-là est un excellent musicien, et un excellent batteur. Il n’y a qu’à prêter l’oreille à la batterie présente dans le projet pour s’en rendre compte.

Fuzz (2013), II (2015) et III (2020), tous chez In The Red Records, sont des doses d’énergies invraisemblables. Des heures de pure fun, mêlant parties instrumentales orchestrées à merveille, du gros son qui tache, des breaks de batterie en veux-tu en voilà, des changements de tempo, des arrêts, des reprises, des solos, des airs incessants. Bref, la quintessence de toute cette mouvance psyché étatsunienne qu’on peut retrouver chez -liste non exhaustive- Thee Oh Sees, Frankie and the Witch Fingers, Night Beats ou encore Post Animal. Un vrai kiff. Et quel kiff de se joindre au Trabendo plein à craquer en train de s’époumoner sur le refrain de Say Hello ou What’s In My Head. Quel exutoire.

Parce que, oui, côté scénique, on est sur du Ty Segall tout craché. A contre-temps de la plupart des performances live données aujourd’hui, on a ici un vrai travail, une vraie refonte de la discographie du groupe. Pour éviter le côté récital d’une chanson après l’autre, Fuzz tronque, remodélise, propose des transitions, des solos, varie les intensités et les genres. En somme, on a eu le droit à un récital de rock psyché à la sauce Segall. Et, croyez-le ou non, le Trabendo, plein à craquer n’attendait que ça. Lors des rares pauses que s’autorisaient les musiciens pour se réaccorder ou s’hydrater, le public réclamait une nouvelle dose. La fosse, rapidement transformée en un bouillon de plus en plus transpirant, n’était pas en reste.

Pour autant, il est ici nécessaire de souligner l’un des enjeux du groupe. En temps normal, on n’a souvent d’yeux que pour le ou la chanteur.euse, qui plus est souvent guitariste. Ici, l’attention des projecteurs et caméras des téléphones n’étaient braquées que sur un seul homme, le batteur. Souvent cantonné à un rôle d’ombre, en retrait des compères guitaristes, bassistes, ou autres, ici la batterie attirait toute la lumière. Fuzz est le projet batterie de Ty Segall. Rien que dans le mix, on sent que l’accent est mis sur lui. A son arrivée sur scène, il tape un gros coup dans sa grosse caisse, qui résonne dans les travées de la salle. Le Trabendo frémit. Et, on n’a jamais eu autant eu de breaks, de changements de tempo, de densité et d’intensité en un seul concert. Fuzz est un groupe où la batterie n’est pas au second plan, mais bien l’instrument majeur.

Fuzz redonne ses lettres de noblesses à un rôle souvent minoré dans notre univers musical. Bien sûr, il n’est pas le seul batteur à sortir des paternes classiques de batterie, mais il faut souligner l’importance de ce genre de groupe. Ty Segall, en plus d’être un monstre de notre génération, est un musicien accompli, qui ne manque pas une occasion de faire montre de son talent, et d’en faire profiter.

Toutes les photos ont été réalisées par Loélia, qu’on peut retrouver sur instagram juste ici : @aileol.photography