The Toxic Avenger : « J’essaie de faire de la musique sans aucun artifice »

Après la sortie de son cinquième album, Yes Future, composé de 18 titres reflétant sa vision nuancée de l’avenir, nous avons rencontré The Toxic Avenger afin d’échanger sur sa musique, ses inspirations et ses lignes directrices.

Lucas Harari

La Face B : Salut Simon ! Comment ça va ?

The Toxic Avenger : Très bien, merci et toi ?

LFB : Ça va bien aussi. Tu as sorti ton album il y a quelques semaines, est-ce que tu peux nous en parler un peu ?

TTA : C’est un album que j’ai fait en un an, à peu près. En partie sur Twitch, parce que je trouve ça cool. C’est un album avec lequel je me suis… Quand j’essaie de faire des disques, j’essaie de composer avec des images en tête. C’est pas la musique qui m’inspire, ce sont des images, des paysages, des époques et tout. J’ai toujours un espèce de même moteur, qui est le rétro-futurisme. Mais tu sais, c’est très galvaudé aujourd’hui de faire un rétro-futurisme un peu 80s’.

J’adore le rétro-futurisme des années 60-70. Je trouve ça ouf l’époque Pompidou, c’est quelque chose qui me touche beaucoup parce que c’était encore une époque où on se disait que ça allait être trop cool plus tard. On s’est un peu trompés. Mais c’est une époque qui me touche et que j’ai gardée en tête tout le long du truc. C’est pas forcément des choses qui s’entendent dans le process final. Quoiqu’elles s’entendent à certains égards, mais c’est pas forcément un truc évident au départ. Je fais littéralement pas de la musique des années 60-70, mais c’est mon moteur à moi.

Donc voilà, c’est un album que j’ai fait avec ce moteur, en direct sur Twitch, en streaming. Après c’est toujours pareil, je bosse huit mois et je me dis que je n’ai rien, que j’ai deux morceaux qui sont nuls et au final, je me retrouve avec un double album s’en m’en être aperçu (rires).

LFB : C’est quand même plutôt réussi. Au niveau de la construction, cet album a un lien particulier avec le monde d’aujourd’hui. J’ai l’impression que tu partages avec nous ta vision du monde, qui est assez nuancée : entre optimisme et résignation.

TTA : Ouais, complètement.

LFB : Cette dualité se retrouve dans ce dont tu parlais juste avant, avec ce rétro-futurisme. Comment tu envisages ces choses-là, ces traductions de ta vision du monde ?

TTA : Tu as raison. Et en même temps, je crois que je suis un personnage comme ça, qu’on pourrait qualifier de contradictoire quand on n’est pas très gentil, mais de nuancé quand on est plus gentil. C’est un truc qui se perd beaucoup, la nuance, en vrai. Je suis très contradictoire. J’appelle cet album Yes Future, un peu en contradiction à « No Future », qui au final est un truc qui veut dire la même chose si tu réfléchis bien. Les punk qui utilisaient « No Future » à l’époque, le faisaient parce que foncièrement, ça allait pas si mal que ça en vrai et que c’était presque un truc un peu provocateur. C’était une façon de dire qu’on n’est pas comme vous. Utiliser un « Yes Future » aujourd’hui finalement, c’est un peu provocateur parce que voilà, tout va pas terrible.

La dualité chez moi est comme ça partout. À la fois, j’utilise ça un peu comme un truc optimiste et à la fois, tout ce que je vois me désespère. Tu sais, je suis du genre à m’abonner à des petits comptes de news optimistes pour pas que ça me détruise trop la journée.

Sur ce disque, ça m’oblige presque à être un peu politique, ce que je n’étais pas trop avant. Et à la fois, je me dis que la musique électronique a déjà été politique auparavant, elle a même souvent été politique, sociétale aussi, beaucoup. La techno et les clubs, c’étaient aussi beaucoup des endroits où tu pouvais être qui tu voulais même à une époque où ça n’était pas possible. Ça s’est un peu perdu.

Ça m’a presque obligé à rajouter un petit truc politique parce que ça me fait mal.

LFB : À l’écoute de l’album, j’ai eu l’impression d’être face un film avec un personnage qui au début était sûr de lui, gonflé à bloc, surmontait les obstacles et qui, au fur et à mesure des morceaux, est confronté aux réalités du monde et là, il se prend une claque. A partir de là, j’ai l’impression que le personnage se retire, notamment avec Résidence Beauséjour, qui va lui faire du bien, et lui permettre de relativiser sa relation avec le monde.

TTA : C’est marrant, parce que j’ai jamais ces réflexions-là quand je fais le disque, parce que j’essaie de faire ma musique de la manière la plus abrupte et presque primaire possible. Typiquement, ça fait depuis toujours que je fais de la musique avec des groupes de potes, etc. mais foncièrement, ça fait plus de quinze ans que c’est mon métier. En fait, je n’ai jamais appris le solfège par exemple, et j’ai toujours composé ça de manière empirique. Littéralement, je vais appuyer sur une note de mon clavier, puis sur une autre, ça va pas bien sonner donc je vais bouger. C’est vraiment de manière empirique.

Sauf qu’en quinze ans de métier, même si je ne le veux pas, aujourd’hui je maîtrise mon instrument. Je sais ce que je fais. Mais j’essaie quand même de toujours cultiver ce truc où parfois, je vais prendre le temps de me dire « tout ce que t’as appris sans le vouloir, on va essayer de le mettre de côté et on va essayer de refaire de la musique de manière hyper basique comme ça ».

Du coup, j’ai pas cette analyse-là quand je fais mon disque parce que justement, je fais ma musique de manière très primitive. Mais par contre ensuite, c’est une analyse hyper pertinente, parce que c’est une analyse que j’ai eue aussi une fois tous les morceaux mis bout à bout. Je me suis aperçu qu’il y avait vraiment une trame. Et évidemment que cette trame, je l’ai exagérée en mettant les morceaux dans un ordre particulier.

En fait je ne sais pas, j’ai l’impression qu’il y a bien ce truc résignation mais qu’à la fin, ça se termine autrement. Je ne sais pas trop comment ça se termine à vrai dire, j’ai du mal à analyser le truc. Ça pourrait se terminer de manière assez tragique, mais j’aime pas ça, qu’un disque se termine de manière tragique.

LFB : J’ai eu l’impression qu’à la fin, le personnage partait en ermite, il s’isole du monde.

TTA : Ça, c’est moi (rires).

LFB :  Pour moi, il sortait de Résidence Beauséjour, il était un peu plus confiant et tempéré mais ensuite, il est confronté à Ne quittez pas, où il est de nouveau confronté à ces choses auxquelles il ne peut rien faire et ensuite, il s’isole derrière avec Lake City Quiet Pills.

TTA : Le pire, c’est que tu taperas le nom du morceau dans Google et tu verras que c’est très, très peu innocent ce titre. Il est beaucoup moins calme que ce qu’il laisse penser. En gros, c’était le nom d’un site internet dans le code source duquel on a découvert qu’en fait, c’était un site de recrutement de tueurs à gages. Les Quiet Pills, c’est une balle de pistolet. Et voilà. Donc j’aime bien ce truc très innocent de dire que c’est mignon, c’est presque un apaisement mais en fait, non. Il y a une double lecture dans ce morceau.

LFB : Donc on est plutôt sur l’isolement, voire plus.

TTA : Ça dépend comment tu le lis.

LFB : Si tu devais ressortir un titre de cet album, tu choisirais lequel ?

TTA : Ça serait Bien cordialement, qui est le morceau que j’ai fait avec ma femme parce que je pense, sans fausse modestie, que ça peut être un hymne générationnel, ce morceau. C’est un truc qu’on aurait pu écrire avec ma femme il y a vingt ans parce que c’est des choses qu’on a tous vécu en étant plus jeunes. Aujourd’hui, on est dans un plus grand confort, mais on n’a pas oublié.

En gros, c’est une lettre de démotivation. Et nous, on revendique beaucoup le droit au manque d’ambition. C’est un truc qu’on aime beaucoup avec ma femme, ce droit de dire : j’ai pas envie de me crever pour une boite. Je suis très OK avec le fait de ne rien foutre de ma vie. Moi mon but dans la vie, c’est de vivre en fait. Donc c’est un morceau que j’adore et j’ai vachement envie de continuer dans ce registre-là, peut être sur un autre projet ou je ne sais pas. Mais il y a un truc que j’aime bien avec le truc d’être foncièrement très politique. Parce que ce morceau est très politique, il n’est pas dans le ton, c’est pas un morceau très Macron-patible. La société de la gagne, ça m’énerve beaucoup.

J’avais fait un truc que j’ai jamais sorti mais que j’aimerais bien sortir un jour. C’était sur caméscope et tout, au début de mes tournées, il y a très longtemps donc. J’avais filmé tous mes moments de loose. C’était à l’époque où il était de bon ton de montrer des salles blindées de gens surexcités, des hôtels sublimes, des piscines, des machins, des Miami. Bah moi j’avais ça aussi, mais tous les groupes ont des moments de loose et je les ai tous filmés et mis bout à bout et je trouvais ça trop cool. Mais cela dit, aujourd’hui, il y a une culture de la loose esthétique qui est arrivée. Les myd ont un peu une culture de la loose esthétique. C’est presque un peu devenu cool aujourd’hui mais à l’époque, ça ne l’était pas.

Dans ce disque, c’est peut-être la première fois, si je suis très honnête, où je ne trouve pas qu’il y ait beaucoup de mauvais morceaux. J’aime bien faire l’auto-critique de ce que je fais parce que c’est facile, tu les as beaucoup entendus donc tu entends beaucoup les défauts. Je trouve pas qu’il y ait beaucoup de mauvais morceaux. Si tu n’aimes pas le disque, et c’est tout à fait le droit de tout le monde, tu ne peux pas enlever le côté hypra-sincère du truc. J’ai été chercher des gens pour ce disque où tu ne peux pas dire que je l’ai fait par intérêt. J’ai été chercher LOFTI ATTAR, qui est l’un des inventeurs du Raï moderne. On a été chercher ça parce que j’écoutais beaucoup quand j’étais petit avec mes parents, qui étaient passionnés de musique d’Afrique du Nord et tout. Tu ne peux pas dire que j’ai été chercher ce gars-là parce que ça avait un intérêt.

J’ai été chercher Alain Chamfort parce que je l’adore, et les gens qui m’écoutent ne savent pas vraiment qui c’est, n’ont jamais vraiment entendu la face cool d’Alain Chamfort. Donc au moins, il est sincère, et il y a quand même beaucoup de morceaux où je me dis que je suis content de les avoir écrit, vraiment. C’est la première fois que je dis ça. Tu m’aurais demandé sur n’importe lequel de mes disques, j’aurais eu du mal à trouver un morceau. Mais là, franchement, ce sont des morceaux que j’aime bien, que j’écoute moi. Ça ne m’est jamais arrivé.

LFB : C’est déjà ton cinquième album. On peut dire que tu es arrivé à une certaine évolution de ta musique qui te plaît vraiment ?

TTA : Sur le moment, oui. Je te dirais peut être autre chose dans un an. Moi, vraiment je trouve que le disque est pas mal (rires). Mais après aussi, c’est con, mais j’ai passé la quarantaine, aujourd’hui j’essaie de faire de la musique sans aucun artifice pour plaire ou pour être dans l’air du temps. Et j’ai trouvé mon public, au final. Tu sais, j’ai eu une carrière qui a explosé très très vite il y a quinze ans. Trop vite parce qu’en vrai, je suis arrivé là et je ne savais pas vraiment faire de musique, je ne savais pas ce qu’était qu’être un artiste, je ne savais pas ce que c’était que de gérer une carrière, gérer un public. Je ne savais rien. Je suis arrivé là et on m’a dit que je faisais des concerts et j’ai dit : oui d’accord.

Au final, j’ai eu un passage à vide de ouf parce que, comme toute musique très à la mode comme l’était la French Touch 2.0, la New Rave, tout ce que tu veux, ça s’est barré. Je me suis retrouvé comme un con à me dire « ah mais en fait, c’est pas pour toujours ». Du coup, il s’est passé un truc qui n’arrive probablement qu’à peu de gens, ma musique est revenue un peu sur le devant de la scène, j’ai retrouvé plus d’auditeurs qu’au départ, ce qui est complètement fou. Je pense que j’ai tellement essayé de faire bouger ma musique dans des positions différentes que les gens qui sont là aujourd’hui, je pense qu’ils sont vraiment là. Donc je pense que je peux proposer des choses sans artifice. J’ai plus peur d’aller proposer un morceau avec Alain Chamfort, d’aller proposer des choses comme ça. Ça ne me fait plus peur du tout. Je pense qu’en fait, c’est ça d’arriver à la maturité de sa musique, c’est se dire que c’est ma musique, elle est comme ça et si ça ne marche pas, c’est pas grave.

LFB : Tu as composé une partie de l’album, voire tout l’album, sur Twitch. Comment s’est passé ton processus créatif sur un tel projet en étant en live ?

TTA : C’est le cauchemar d’à peu près 99% des gens qui font de la musique, parce que tu ne peux pas te cacher. Tu ne peux pas cacher tes moments de loose, où tu vas rien réussir à faire. Ce qui représente 90% du temps. Parce qu’en fait, si c’était l’inverse, mon album, je l’aurais fait en trente jours. Donc évidemment qu’il y a des moments où tu fais des choses qui ne te servent pas.

Tu as un retour direct des gens aussi. Ça me sert, c’est comme ce qu’on dit des gens en concert : tu essaies toujours de convaincre celui qui est au fond de la salle et qui ne danse pas. C’est un peu pareil. Là, tu vas avoir des centaines de personnes et tu vas en avoir un qui te dit « moi je n’aurais pas mis ça ». Et en fait, c’est important d’avoir ce mec-là parce que parfois, il a raison. Mais par contre, il ne faut pas être orgueilleux. Dans ta tête, il ne faut pas te dire : « Hey mon coco, j’ai sorti quatre albums déjà, t’es gentil, je sais ce que je fais ». Non, il faut se dire que peut-être que le mec qui est là, dont j’ai jamais entendu parlé et qui a probablement aucune culture d’écriture de musique, peut-être que lui a raison. Et parfois, ça m’a servi.

Et en plus, quand tu es sur Twitch, tu ne peux pas utiliser d’artifices. Moi j’ai mes claviers, j’ai plein de synthés, et tu ne peux pas tricher. Tu es devant tes claviers et voilà, c’est hyper intéressant. C’est peut-être ça qui m’a fait enlever beaucoup, beaucoup d’artifices de ma musique. Ce disque-là, c’est juste un album de mec qui a composé des mélodies. Je suis parti de mélodies que je jugeais jolies et c’est tout. C’est pas un album de producteur, peut-être pour la première fois. C’est plus un album d’un mec qui écrit des chansons, avec une formule moderne et des synthés. J’ai plus l’impression d’avoir écrit des chansons que produit des chansons.

LFB : Tu as beaucoup de collaborations sur l’album, comment tu faisais ? C’était des morceaux écrits sur Twitch, et ensuite tu les proposais aux artistes ?

TTA : Oui, ça dépend. On s’est retrouvés en studio avec Alain Chamfort à Paris pour bosser sur un morceau que je lui avais envoyé et que j’avais composé sur Twitch. Au final, je ne l’ai pas gardé tel quel, j’ai complètement recomposé un autre morceau pour lui. J’adore faire ça. J’adore proposer une démo aux gens, les laisser enregistrer leur voix dessus, retirer tout de ma démo et reconstruire dessus. Ça me permet d’aller dans des territoires dans lesquels je ne serais pas allé avec leur voix à la base. C’est ce que je fais beaucoup avec Sophie, qui est sur mon disque. Quasiment à chaque fois, je lui envoie des boucles. Comme elle a beaucoup de talent et qu’elle est super forte, elle fait sa petite magie. Elle revient, j’enlève tout et voilà. Donc oui, c’est souvent des morceaux que j’ai fait avant, en pensant à ces gens.

Parfois même en pensant à ces gens-là et au final, en ne les ayant pas. Sur Résidence Beauséjour par exemple. Mon héros ultime à tout jamais, c’est Vladimir Cosma. Pour moi, c’est le maître absolu de tout. Et à la base, il avait dit oui. Sauf qu’au final, il nous a dit que c’était quand même très répétitif, ma musique. Il n’a plus vingt ans, il comprend peut-être un peu moins bien la musique plus moderne et surtout, peut être que le morceau ne lui plaisait pas. Mais du coup, dans ce morceau-là, il a quand même infusé tout le morceau. C’est très Cosma, quand tu le connais un peu. Mais oui, souvent j’écris des morceaux et je me dis que ça sera pour tel ou tel artiste.

LFB : Le titre qui m’a marqué, c’est Turning. La voix s’incorpore aux instruments. Le résultat est dingue.

TTA : Ça, c’est Sophie. Elle est trop balèze. Pour moi, c’est la chanteuse la plus sous-cotée de France. C’est une fille qui a gagné la Nouvelle Star il y a longtemps, qui avait fait un album estampillé Nouvelle Star, qui s’était fait faire un album par Skip The Use ensuite, mais je trouve qu’on l’avait vraiment sous-exploité. Depuis ce jour-là, elle fait quasiment un morceau sur chacun de mes disques. C’est une fille qui est jeune encore, qui était encore plus jeune à l’époque où j’ai commencé à travailler avec elle, qui devait avoir 20 ans. Elle a une voix, tu as l’impression qu’elle est passée par huit guerres, qu’elle a vu beaucoup plus de choses que tu pourrais en voir dans toute ta vie. C’est assez fascinant.

J’aime peu de voix. Je ne suis pas un garçon très marqué par les voix mais là, pour le coup, à chaque fois elle fait des trucs et je me dis que je ne peux pas… C’est d’ailleurs elle qui a motivé mon envie de re-bosser toute mon instru à chaque fois que je reçois des voix ,parce que quand elle m’envoie des trucs, j’ai l’impression de ne pas du tout être au niveau de ce qu’elle me propose.

LFB : J’ai l’impression qu’à travers tout ton projet, tu attaches une importance particulière à l’aspect esthétique. Est-ce que tu as une ligne directrice ?

TTA : À la base, j’ai des parents qui sont des gens qui travaillent dans les arts. Ma mère est décoratrice et mon père est photographe. C’est d’ailleurs lui qui a fait la pochette du premier et deuxième album. Depuis petit, je baigne dans l’image en fait.

Mes lignes directrices ? En fait, c’est un film de Bertrand Blier, Buffet froid, qui se passe dans des grands ensembles, probablement du 13ème. C’est toujours pareil, c’est le futur des années 70, quand on se disait que ça allait être génial ces grands ensembles et que ça allait permettre de loger le plus de gens possible dans un petit endroit. Et en fait, évidemment non. Pour tout, à chaque fois, je regardais encore mes moodboards pour mes albums, mais c’est toujours la même chose. C’est les aplats de couleur, c’est du bleu, du rouge. C’est la solitude de la grande ville.

D’un côté, ça me fascine mais à la fois, ça me fait peur. Il y a un truc sur internet qui s’appelle les Liminal Spaces, qui sont des endroits qui te paraissent familiers mais qui sont un peu vides, où quelque chose cloche un peu. Typiquement, c’est le genre de truc qui m’inspire beaucoup. Moi c’est ma phobie, c’est de me trouver seul dans une salle de cinéma vide par exemple. C’est toujours un truc que j’essaie de reproduire dans mes pochettes.

J’aime bien qu’il y ait des grands espaces. Quand tu regardes la pochette de mon premier album, c’était une montagne un peu vide où j’étais tout seul, avec du bleu, du rouge. La deuxième était très rouge. La troisième, on était aussi dans des tons bleu, rouge. La quatrième, il y avait déjà des grands ensembles derrière et toutes mes promos se faisaient un peu sur des dalles, mes photos promo se faisait sur des dalles.

Après, sur la cinquième, je suis tombé sur la BD de Lucas Harari qui s’appelle La dernière rose de l’été et qui m’a foutu une claque graphique absolue. J’ai lu ça et je me suis dit qu’il fallait que ça soit cette personne qui s’occupe de la DA de mon prochain disque. Il fallait que ça soit lui. On l’a appelé avec mon associé et il a dit oui. Ce qui est fou, parce que vraiment si ce n’était pas lui, je pense que je n’aurais pas fait le même disque. En lui donnant ma ligne directrice un peu 70s, et c’est totalement son trait. C’est un truc où on s’est totalement compris, on s’est hyper bien entendus.

Tu sais, c’est très rare quand deux artistes s’alignent parfaitement artistiquement et qu’il n’y ait pas de points de désaccord, de divergences de point de vue. Et là, on s’est entendus parfaitement du début à la fin. À tel point que je lui ai dit qu’on allait pas faire de photos de presse, tout ce que je voulais, c’était des dessins de presse. Comme ça, il y aura pas de photos de moi mais seulement des dessins. Et il a créé tout cet univers, qui est arrivé bien avant que j’aie fini mon disque et qui a sûrement été une grosse ligne directrice pour mon disque. Je lui ai dit : pense Centre Pompidou, pense ce genre de choses, et comme c’est des trucs qui le touchent aussi, on s’est bien entendus.

Lucas Harari

LFB : Je n’ai pas encore vu passer de clips pour cet album. Est-ce qu’on peut y voir une volonté de ta part de faire vivre ta musique uniquement à l’oreille ?

TTA : Ça serait mon choix. A vrai dire, je trouve ça plutôt cool. Je suis un enfant de la radio. Donc pareil, j’ai beaucoup fait d’images mentales. Donc oui. Et à la fois, il y a aussi une problématique bassement économique, qui est que faire un clip coûte très cher. Aujourd’hui, PNL loue la Tour Eiffel. Donc toi, tu arrives avec 3 000 balles donc forcément les gens vont dire « non mais on s’en branle ». Donc il y a aussi une problématique économique. Moi, je suis poussé par absolument tous les gens de mon entourage à faire un clip, notamment sur Bien cordialement. Mais typiquement, j’ai pas envie d’avoir un truc où il y aurait quelqu’un en train d’écrire une lettre de motivation. C’est assez explicite en fait.

Je navigue entre les deux, du coup. J’aimerais bien que ça reste comme ça et à la fois pour la promo, c’est compliqué de ne pas avoir de clips. Sujet compliqué. J’aimerais être un artiste assez important pour pouvoir me passer de clips. Est-ce que je vais pouvoir m’en passer cette fois-ci ? Je n’en sais rien. Toujours est-il qu’il reste des images parce que tous les jours, je suis sur Twitch du lundi au vendredi à 14h30. Du coup, si tu veux que je t’explique d’où viennent mes images mentales, j’ai 2h30 tous les jours où je dissèque ma pensée, aussi désorganisée qu’elle soit. J’essaie avec les gens de comprendre ce que je fais (rires).

LFB : Est-ce que tu as prévu quelques dates ?

TTA : Mon problème avec ça, c’est que plus le temps passe et plus je me dis que pour se retrouver seul devant 2 000 ou 5000 personnes, il faut être cinglé. C’est quand même à la base des configurations de cauchemars, ce truc où t’es là et tu as 5 000 personnes qui attendent de toi quelque chose. Après, je me suis dit que j’aimerais faire quelques dates, pas beaucoup, mais j’aimerais qu’elles soient gratuites pour les gens. J’essaie de trouver une solution pour faire ça.

J’ai beaucoup de gens qui me demandent pourquoi je ne fais pas de live. Déjà, parce que c’est une longue préparation. J’aime pas trop venir sur scène, prétendre que je joue et dire : « C’est vrai que je ne fais pas grand chose mais derrière, il y a des superbes images ». En revanche, la dernière fois que je suis parti en tournée, c’était avec ces machines et on m’a dit que c’était pas fait pour le live, que je n’arriverais jamais tous les soirs à reproduire ce que j’avais fait la veille. Donc j’ai dit : « Super, on part avec ça » (rires).

J’essaie de réfléchir à des moyens techniques, à autre chose. Je veux en faire mais pas n’importe comment. Je ne veux pas flouer les gens.

LFB : On croise les doigts pour qu’il y ait quelques dates.

TTA : J’espère, sincèrement. J’aimerais beaucoup, mais je cherche une façon de le faire d’une belle manière. La musique électronique sur scène, c’est à double tranchant. On a beaucoup vu le même genre de concert ces derniers temps : un ou plusieurs mecs sur scène où tu ne sais pas vraiment ce qu’ils font parce que tu ne vois pas vraiment, une belle scénographie et merci, bonsoir. Je viens plutôt de la musique live à la base, donc ça m’embête un peu. C’est facile, tu investis 10 000 balles dans un joli truc, tu as ton petit ordi, un clavier, et les gens sont super contents.

Je me souviens d’une fois où en fait, ma première tournée, je l’ai faite avec un batteur et un guitariste. Ce qui fait que ça sonnait pas comme sur le disque, parce que j’avais des musiciens. Et j’avais genre 1 000 claviers. On partait souvent en concert, avec les Bloody Beetroots, qui bougeaient partout. C’était des bêtes de scène. Moi je ne pouvais pas trop bouger parce que j’avais des trucs à jouer et tout, et j’ai des gens qui me l’ont reproché à la fin. Ils me disaient « ouais c’était cool mais tu ne sautes pas et tout ». Oui, parce qu’en fait je joue ma musique. Je ne peux pas parce que je dois jouer des trucs, je suis désolé. Et ils me disaient que ça sonnait pas pareil. Oui forcément, on joue le morceau. Si tu veux que ça sonne comme sur le disque, mets-toi un walkman sur les oreilles.

Mais j’aimerais bien, j’y réfléchis. Il faut aussi que je trouve un mec assez taré pour me suivre financièrement, parce que ça coûte de l’argent de faire un truc. Mais j’aimerais beaucoup, j’ai beaucoup de demandes en ce sens. J’ai refusé beaucoup de dates, parce que c’était que des dates de DJ set qui m’emmerdent un peu. On va voir.

Notre chronique de l’album ici.

Découvrir Yes Future :