Territory, Protocol expérimental

Voilà enfin un protocole qui nous plait. Non, celui-là n’est pas sanitaire, malgré qu’il ait pris ses fondements en pleine crise et entre deux confinements. Territory a sorti mi-mars son premier album Protocol après l’excellent EP Times, New Romance. A l’image de leur pochette, ils enchainent les aplats de morceaux noirs d’où émerge que très peu de lumière. Album radicalement post punk, sombre à souhait, ravageur, Protocol est une supernova. 

On le sait, la pochette est le premier contact avec un album. Et on apprécie particulièrement quand elle relève de l’œuvre d’art, celle qui vous annonce la couleur et vous embarque directement dans la musique. Les Territory l’ont parfaitement compris et y ont mis un soin bien particulier. Ils ont confié la création à leur ami Jamie Parkhurst, artiste à Los Angeles. Aplat de couleurs tranchées, peintes de façon brute à même le sol, il se dégage une vraie force de la pochette. On ne peut pas s’empêcher de penser aux codes couleurs d’un Violator de Depeche Mode. C’est sans doute pas le but, mais ça sent les bonnes refs. Ténébreux, voir violent, le noir mange l’espace et seul un aplat blanc vient nous donner une dose d’espoir. Cependant, même cette lumière, par la façon dont elle est apposée, nous donne l’effet d’une claque. 

S’il y a bien un truc qui peut ruiner un album, et surtout de shoegaze, c’est la branlette musicale. Les ponts qui durent 3 minutes sans rien derrière juste pour montrer un talent de guitariste, les mélodies trop complexes mais du coup impossibles à retenir, les effets inutiles pour exhiber des pédales qui serviront chacune trente secondes en concert. Dans Protocol, tout est calibré, tout est pensé pour retenir l’attention à chaque seconde, pour stimuler la curiosité, l’envie de chercher des notes que l’on n’avait pas entendues la première fois. On s’y accroche, et pas qu’en période noire. 

Dès les premières notes, Territory réussit à nous embarquer dans une ambiance assez magistrale. Quelques notes de synthés qui résonnent tels des violons qui s’harmonisent, avant d’être rejointes peu à peu par le groupe en un rythme lourd et pesant. La voix se fait légèrement saturée, presque suspendue. Avec Brain Damaged, la messe est dite. Le groupe se part d’un style entre le She Wants RevengeInterpol, et Placebo. Des pépites post punk 90’s insufflées de drame, l’album en est truffé. Satisfied intensifie la cadence et la violence dans des refrains qui donnent envie de crier à la lune, ou encore White Flag qui réussit avec brio de nous transmettre musicalement son histoire de capitulation.

Territory se plait à aussi à expérimenter, et comme tout bon album des années 90’s incruste quelques ballades désespérées. Caroline, dont le nom résonne comme un appel de détresse sur les refrains, est un moment en suspens terriblement prenant. Le final résonne encore dans nos mémoires. Darling possède quant à lui des airs de The Cure avec sa guitare en écho et sa mélodie lancinante. Un beau crescendo de tension dans la plus pure veine Shoegaze. Le plus « pop » de tous, Avallon réussit aussi à nous saisir avec ses refrains qui nous rappellent nos meilleurs périodes émo, à mimer notre désespoir sur des envolées vocales désespérées. 

Mais le groupe est loin d’être seulement ténébreux et extrêmement efficace. Étonnamment pour un album composé en confinement, les morceaux semblent rodés pour les concerts. Des moments qui bastonnent après une brève accalmie, on rentre presque dans le domaine du noise. Decide est un concentré de guitares criardes comme un cri de douleur, contrebalancées par une voix blasée et saccadée. Une évocation The Wytches qui nous déplait pas. La détresse contenue jusqu’alors se libère dans une déflagration qui nous ravage sur son passage. 

Ténébreux, on avait compris que le groupe l’était. Horrifique, ça devient d’autant plus intéressant. Under Another Sky nous fait penser à du Marilyn Manson qui se serait lancé dans une BO de film. L’instrumentale relève du génie, on pourra pointer les synthés qui deviennent orgues métalliques sur les couplets, les guitares qui s’entrechoquent avec violence et les notes qui s’envolent telle une boucle infinie. Personnifiant le mal absolu, Myers est un hommage aux classiques de films d’horreur Halloween. Aux prises du serial killer, le groupe illustre quant à lui le sentiment d’oppression, d’urgence, tel un danger funeste qui s’approche fatalement vers vous. 

Si vous l’avez toujours pas compris, Protocol est une bombe. Une bombe d’efficacité, une bombe de rage, une bombe de noirceur, une supernova absolue. On ressort véritablement bouleversé, comme si trop d’émotions contraires nous avaient traversés. Le désespoir, la colère et la peur bien sûre, mais aussi l’immense admiration et moments d’émerveillements apportés par l’album. Sans aucun doute, Territory est un groupe qui se mérite autant à écouter qu’à voir en live. On le sent, on le sait, ils savent manager la tension et nous faire exploser quand ils décident. On a hâte de devenir les marionnettes de Territory. 

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