Svinkels : « un concert du svink’, ça reste un gros truc pour les gens »

Il y a des moments qui donnent le ton d’une interview. Quand Gérard Baste est arrivé en loge pour nous saluer, il est reparti tout de suite pour « chercher des fruits ». On a été un peu inquiet aurait-il à ce point changé ? Finalement quand on l’a vu revenir avec une banane et deux clémentines pour poser une représentation phallique de fruits tout en buvant un verre de vin, on a été rassuré. Après quelques blagues autour du fait que nous les gros on faisait du « manspreading avec le cul », on a pu interroger les Svinkels à propos de leur présent, de leur passé et de leur futur. Morceaux choisis.

LVP : Salut les gars, comment ça va ?

Gerard Baste : Ca va plutôt bien, si ce n’est que je me suis fait mal au dos car j’ai voulu faire du basket pour un tournage MTV et je me suis fait un lumbago. Comme j’avais hyper mal au dos, je suis parti en vacances et deux jours plus tard j’ai glissé dans une piscine et j’suis retombé sur le coccyx. Donc l’état du mec est pitoyable mais je suis ravi d’être à Lille.

DJ Pone : Moi aussi je suis ravi d’être à Lille. J’ai toujours ma petite anecdote que je raconte à chaque à fois : la première fois que je suis monté sur scène y’a 22 ans, en 1996, c’était ici à l’Aeronef de Lille. Donc c’est toujours un passage important.

G.B : C’était avec qui ?

DJ Pone : C’était en demi-finale de championnat DMC. Donc j’ai une attache émotionnelle particulière avec cette salle.

LVP : Vous avez fait une pause de 10 ans avec Svinkels, pourquoi ce retour ?

G.B : Très honnêtement, la réponse qui semble assez évidente c’est l’argent … En vrai c’était l’envie de faire retourner le répertoire ensemble. En ce qui me concerne j’ai pas vraiment arrêté, je continuais à faire vivre les morceaux sur scène, d’ailleurs Xanax l’a beaucoup fait aussi avec moi. Mais on était pas tous les trois MC et tous les quatre avec DJ Pone. Remonter sur scène avec les Svinkels ça voulait dire avec Pone sinon ça n’avait aucun sens. Moi j’ai eu envie de repenser à un set Svinkels avec Pone, avec Nikus avec Xanax…

DJ Pone : Ça nous manquait en fait. Moi ça faisait longtemps que j’avais cette nostalgie, que je continuais d’écouter les albums, on continuait à se voir un peu séparément … Le truc était là, le temps a bien fait les choses et à un moment donné l’envie était forte et on l’a tous senti au même moment et voilà.
On avait envie de repenser les morceaux, j’ai reboosté les tracks, j’ai refait des versions, le son et les rythmiques. On est pas revenus comme des vieux schnocks, je trouve limite qu’on est meilleur qu’avant, que c’est encore plus maitrisé…

G.B : C’est pas à nous de le dire, mais c’est vrai. (rires)

DJ Pone : Ce qui était troublant c’était qu’à la première répète ou le premier concert c’était un peu comme si on avait joué la veille.

G.B : On s’était quitté, pas pour des mauvaises raisons mais voilà c’est difficile de tenir un groupe pendant quinze ans. On en avait marre pour plein de raison et au final au bout d’un moment l’envie revient et c’est là que c’est cool.
Finalement aujourd’hui on fait de la musique très différemment de ce qu’on faisait avant. Avant on était très ambitieux, on avait un besoin de réussir et de se prouver des trucs… Je dis souvent qu’on a un avenir brillant derrière nous, même si j’espère qu’il est encore devant nous hein.
Y’a plein de trucs qu’on voulait faire et qu’on a réalisés et on s’en est rendu compte avec le recul.
Et de pouvoir se dire « on a fait ça, on a fait ci et ça tue » donc maintenant faisons un truc pour les gens et pour nous, pas dans l’esprit de se dire « on est les plus forts » même si on est les plus forts (rires). L’idée c’était de faire de la musique pour s’amuser et pour le plaisir.

LVP : Justement refaire de la scène, ça vous a donné envie de refaire de la musique ensemble ?

DJ Pone : Bah c’est le cas ouais, on prépare des nouveaux morceaux.

G.B : On a déjà 7/8 morceaux. Évidemment on les joue pas encore parce que là on est à plein sur la tournée de reformation. On rejoue les anciens titres remis au goût du jour par un jeune DJ prometteur qui a commencé à l’Aéronef en 1996 (rires).
On va incorporer petit à petit les nouveaux morceaux et on a prévu de sortir, peut être pas l’album entier, mais au moins un EP avec comme deadline le 08/06/2019.  D’ici là on va sortir des clips et des trucs … Donc oui ça y est c’est dans les tuyaux.

 

 

LVP : Et au niveau de votre public, vous avez l’impression qu’il a évolué …

DJ Pone : Non (rires) Il a grossi !

G.B : Ouais il a grossi.

LVP : Je demande parce que je fais énormément de concerts de rap et le public est de plus en plus jeune.

DJ Pone : Ouais là pour le coup nous on est pas du tout là dessus. Je vois récemment, on a joué à Saint-Germain-en-Laye dans une petite salle où le public était très proche de nous et je voyais les mecs entre 40 et 50 ans qui était juste entrain de kiffer.
Je pense qu’il y a des gamins qui ont entendu parler de Svinkels et qui sont venus nous voir mais dans l’ensemble je pense que c’est plus entre 25 et 40 ans.

G.B : Après certains jeunes découvrent. On a fait beaucoup de trucs avec Biffty et ce qui est marrant avec lui, qui est vraiment dans la filiation Svinkels et qui est vraiment un de nos enfants, c’est que c’est ses parents qui lui ont fait découvrir.
Y’a des jeunes quand même dans le public.

DJ Pone : Mais y’a surtout des gars qui ont laissé leur meuf pour la soirée en leur disant « c’est bon y’a Svinkels ça fait 10 ans que je les ai pas vus ».

G.B : C’est marrant sur les réseaux sociaux qui disent « c’est bon j’ai oublié ma vie, j’ai laissé mon portefeuille à la maison, je ne vous donnerais des nouvelles que dans 2 jours » donc on voit vraiment que c’est un gros truc. (rires)

DJ Pone : Moi ce qui me fait marrer c’est que je me souviens de nous quand on tournait y’a 10/15ans, on voyait les wampas et tout avec des cheveux blancs, avec leur meuf et leur enfants et désormais c’est nous.
Et les groupes de rap plus jeunes maintenant ça doit être pareil. Soit ils nous connaissent pas, soit ils se disent « oh la la les anciens ! » (rires)

G.B : On a fait ce calcul là. Quand nous on a commencé à faire du rap dans les années 90, on écoutait beaucoup de musique des années 70, on écoutait les Doors, Jimmy Hendrix … Des trucs qui nous ont influencés et formés.
Et désormais les jeunes qui font du rap maintenant, ben ils écoutent de la musique d’il y a 20 ans et il y a 20 ans c’est Svinkels et d’autres trucs du rap français.
Et pour finir sur cette réponse hyper longue, un truc qui m’a fait trop kiffé une fois : y’a des jeunes qui sont venus me voir après le concert pour me dire « putain y’a notre prof de français, il est bourré de ouf ! » (rires)  Ça résume un peu tout en fait.

LVP : Dans une des chansons tu disais « dans 20 ans on parlera de ma jeunesse comme d’un film culte ». Aujourd’hui je trouve que que votre musique a un peu atteint ce statut là. Comment vous l’analysez ?

G.B : On s’en doutait un peu en faisant nos trucs. On se disait qu’on écrivait un truc. Quand on a commencé à faire le groupe, on avait un gros démarquage par rapport à ce qui se faisait à l’époque en rap et en hip hop. Dès le début, on avait un statut particulier sur svinkels.
Et très honnêtement, ça se joue sans doute à quelques mois, on a été les premiers à parler de certains sujets, d’aborder la musique d’une certaine manière avec les jeux de mots etc … On a ouvert une porte.
Et le fait qu’on a jamais eu un succès énorme, qu’on ait pas eu un succès grand public ça rend le truc particulier. Ce qui fait que la communauté de fan de l’époque est encore vachement soudée autour de ça.

DJ Pone : Y’a aussi ce truc qu’à l’époque y’avait pas les portables etc… Ce qui fait qu’une grande partie de notre carrière n’existe que dans la mémoire des gens. Y’a des trucs d’anthologies qui ne vivent que comme ça.

G.B : C’est vrai qu’à l’époque, le téléphone c’était deux pots de yahourts avec une ficelle (rires).

DJ Pone : C’est sûr que si on avait eu à cette époque là des réseaux sociaux pour se filmer, je sais pas où on en serait aujourd’hui … Si on avait filmer le quart de ce qu’on a vécu, je peux te dire que ça aurait été flippant pour les gens (rires).

G.B : C’est sûr que c’était pas « Allez vite ! on jette un petit bateau pneumatique dans la foule »… Non c’était tabassage de mecs, coup de couteau, j’te vomis dans la gueule … Saint Malo quoi ! (rires)

DJ Pone : C’était intense. En vrai c’était sale, c’était vraiment sale. Mais on a changé, on vous rassure.

 

LVP : Mais ce qui est drôle c’est qu’à l’époque on vous marginalisait, alors que maintenant le « sale » c’est devenu hyper mainstream.

DJ Pone : Mais le crade-core c’est Svinkels et personne d’autre. Mais nous le sale c’était vraiment du sale, c’était vraiment dégueulasse (rires).

G.B : Mais en fait à l’époque, on se rendait même pas compte qu’on maniait un peu la provocation. Pour nous c’était normal en fait. Je me basais sur des rappeurs américains que j’écoutais et je traduisais ça en français sans vraiment me rendre compte.
Comme je disais on ouvrait certaines portes, après aujourd’hui on est moins sale que certains rappeurs… Même des mecs qu’on aime bien comme Orelsan et tout à qui on reproche certains propos alors qu’ils arrivent pas au quart de la moitié d’un mec comme Niska qui va passer à la radio et être écouté par des enfants et qui va dire des trucs dégueulasses.
Le sale nous on le faisait, mais d’une manière dérivée des américains, avec des jeux de mots et de l’écriture.

DJ Pone : Mais au-delà des textes, moi je pense que ce qui rend culte c’est la mémoire. Parfois tu vas vivre un concert qui te paraît extraordinaire et en le revoyant tu te dis « ouais bof ».
Plus ta mémoire fonctionne et plus tu inventes des choses et un concert qui était bien devient extraordinaire et le concert extraordinaire devient le meilleur concert de ta vie. Ça monte crescendo alors que finalement le jour même t’étais un peu secoué mais pas plus que ça.

G.B : Et c’est pour ça aussi qu’on a finalement jamais sorti de DVD, ça retranscrivait jamais le truc et ça s’approchait jamais de ce que nous on vivait et de ce que les gens vivaient. Et donc c’est pas la peine de montrer ça aux gens.

Aujourd’hui les carrières des rappeurs et des artistes sont montés de telle manière qu’elles empêchent les belles histoires longues… C’est des belles histoires rapides qui empêchent les histoires drôles qui nous sont arrivées. Comme les milliers de concerts dont on parle dans « c’est des cons ». Comme la fois où on est arrivé dans une salle de concert et toutes les affiches sont dans la poubelles et ça fait parti des trucs qui font qu’on a des milliers d’anecdotes à raconter. Mais nous on a le parcours d’un groupe de rock au final.

DJ Pone : La première fois qu’on a joué ensemble c’était dans un bar à Paris… Y’avait cinquante personnes donc 49 potes à nous tu vois. Mais c’était chan-mé.

LVP : Et d’une manière générale vous le voyez comment le rap aujourd’hui ?

DJ Pone : Ben moi je trouve ça génial. En même temps on a toujours kiffé le rap américain et français. Aujourd’hui c’est devenu la musique la plus populaire et moi je suis ravi d’aller manger dans un resto et d’entendre du rap français ou du Kendrick Lamar.

G.B : C’est devenu une musique qui est tellement variée qu’on ne peut pas cracher dessus. Y’aura toujours un pan du rap qui va t’intéresser. Après ça dépend ce que tu aimes hein … Nous les sonorités actuelles, on est obligé de les avaler aussi. Aujourd’hui elles se retranscrivent sur les remix ou les sons que Pone a mis sur les nouvelles instrus. Mais sur le nouvel album y’a autant des trucs anciens comme du boom bap mais tout est fait en 2018 et ça sonne comme aujourd’hui et pas comme en 1996.

DJ Pone : Et de toute façon il faut surtout pas faire ça.

G.B : Ce qui est ouf c’est que c’est une musique qui continue à susciter la contreverse, genre sur l’autotune ou autres … C’est comme si tu disais « nan y’a de la guitare electrique c’est de la merde », ça veut rien dire. Si c’est bien utilisé c’est cool !

DJ Pone : Nous on aime le rap et on peut enfin se dire « on a réussi c’est cool ».

LVP : Vous avez toujours mis une certaine forme d’hédonisme dans votre musique. Vous pensez pas que mettre en avant l’hédonisme en 2018 c’est limite plus important qu’en 1996 ?

G .B : Ce qui est marrant c’est qu’à l’époque ça ne se faisait pas du tout alors qu’aujourd’hui ça paraît presque évident. Quand on a commencé le rap c’était une musique qui était un peu triste. A la base elle vient d’un truc un peu festif qui par la force des choses devient une musique qui véhiculait une colère et une amertume parce qu’elle est ancrée là-dedans partout dans le monde. Aujourd’hui on est complètement sorti de ce carcan là et finalement l’image que nous on en a donné, aujourd’hui elle a plus rien d’original et les thèmes qu’on abordait il y a 10 ou 15 ans vont être utilisés par tout le monde. Mais ouais quand tu vas à un concert c’est pour t’amuser et nous on est un peu les chefs. On est un peu les G.O du rap faut pas se mentir, c’est notre boulot.

DJ Pone : Le dernier concert, vous m’avez quand même envoyé un message qui disait « est ce que tu es bien rentré ? » (rires)

G.B : Ben oui c’est important … Aujourd’hui on pratique toujours cet hédonisme mais en faisant attention les uns aux autres. C’est que de l’amour quoi en gros.

LVP : Ma dernière question … Est ce qu’il y a des chansons qui sont moins faciles à assumer à 40 ans qu’à 20 ans ?

G.B : Oh putain …

LVP : Je pense notamment à je pète quand je crache …

G.B : Ben tu sais quoi, Je pète quand je crache c’est un des seuls morceaux que mon fils n’a pas encore entendu. Sa maîtresse quand il était à la maternelle m’a dit « ouais tu veux pas venir faire une petite animation rap … » et je lui ai quand même expliqué que j’avais aucune chanson à jouer devant des enfants. Même la chanson la plus propre est déjà dégueulasse.
C’est des trucs qu’on a écrit quand on était petit … Moi aujourd’hui j’ai sorti un album solo qui est un peu plus abordable et dans lequel on entend un peu moins le mot bite, il est un peu dilué même s’il apparaît quasiment dans tous les morceaux.
Mais c’est vrai qu’aujourd’hui on fait un peu plus attention à ce qu’on mange, on fait plus attention à ce qu’on écrit … La preuve avec la banane.