Sun : « Ma musique, c’est la violence des grands sentiments »

À une époque où la musique s’affranchit de plus en plus des genres musicaux, SUN n’est pas du genre à faire dans la demi-mesure. Derrière ce nom de scène se cache Karoline Rose, à la fois musicienne et actrice, qui a condensé toutes ses influences dans un style qu’elle a nommé Brutal Pop. On est allé à sa rencontre pour en savoir plus sur elle et sur sa musique à l’occasion de sa participation au Crossroads Festival.

La Face B : Salut Karoline, comment vas tu ?

SUN : Hey Charles, ça va bien, Merci !  Et toi ?

LFB : Ça va plutôt pas mal. Pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore, pourrais-tu nous raconter l’histoire de SUN ?

S : En 2017, j’étais sensée jouer à Rock en Seine en solo sous mon nom (Karoline Rose). C’était un projet plutôt électro que j’avais bossé avec Babx. Mais quelques semaines avant Rock en Seine, la tombe de mon père avait été enlevé. Le choc de cet événement m’avait complètement anéantie et remis en doute tout ce qu’il y avait dans ma vie. Petite, j’avais choisie le tournesol comme embellissement à graver sur sa pierre tombale car il avait une présence irradiante. Malheureusement, la pierre a été détruite sans que je puisse en récupérer un morceau. Alors j’ai eu deux déclics : le premier était que je ne pouvais plus faire dans la demi mesure et qu’il fallait que je me jette corps et âme dans ma musique, de façon la plus authentique et sincère possible, pour sauver ma peau. Le deuxième, c’était que la seule façon de créer une stèle pour un être qui n’a plus de présence physique c’est d’en faire une œuvre d’art. J’ai tout de suite rappelé Dan Lévy qui m’avait contactée après m’avoir vue en concert à cette époque et, ensemble, on a monté un set avec un batteur et Rock en Seine, c’était le premier concert de SUN.

LFB : Si je te dis que pour moi ta musique, c’est l’amour dans la violence, est-ce une idée qui te convient ? J’ai l’impression que c’est un peu ça la brutal pop : un cadeau qui t’explose à la gueule quand tu l’ouvres.

S : J’adore ! Pour moi, c’est même la violence dans l’amour. Pas au sens glorification des violences conjugales (bien au contraire) mais plutôt la violence des grands sentiments. Quand j’aime, ça me bouffe, ça me transperce, ça me donne des ailes de phénix. C’est puissant mais ça peut faire très mal. J’essaye de transmettre ce sentiment qui habite mes tripes avec ma Brutal Pop. Je passerai probablement toute ma vie à essayer de transmettre ce jet d’amour de supernova qui me traverse.

LFB : Ça, c’était pour la forme. Le fond de ta musique est à la fois très poétique et semble éminemment personnel. Quelle part de toi mets-tu dans tes chansons ?

S : Ça fait plaisir de lire ça car j’y met tout ce que j’ai. Quand SUN est né, j’ai décidé d’abandonner les « projets sympas », les directions artistiques « cohérentes », les plans de com « bien ficelés » pour faire place à l’émotion brute. À douze ans, j’ai vu le clip de Violet de Hole pour la première fois et j’ai été submergée par le tourbillon émotionnel des paroles et de la performance vocale hallucinante de Courtney Love. Cette sincérité violente couplée à la poésie m’a toujours inspirée et j’essaye de m’en approcher un peu plus à chaque chanson.

LFB : Est-ce important pour toi de trouver un équilibre entre parler de ta propre expérience tout en la ramenant vers des choses qui vont parler aux gens ?

S : Oui, c’est très important pour moi de toucher les gens. J’ai moi même été touchée par Hole ou Strapping Young Lad ou Björk. Ils m’ont «cueilli» aux bons moments. Mon expérience perso mise en musique va peut être résonner avec quelqu’un au bon moment au bon endroit. Alors ma chanson aura rempli son rôle. C’est ça qui est magique, c’est ça la récompense.

LFB : J’ai l’impression qu’au delà de tout ça SUN est un projet qui parle d’émancipation. Être soi et accepter toutes ses facettes qu’elles soient douces ou dures, pop ou metal. Est ce que c’est l’idée que tu veux véhiculer, ce message d’émancipation et d’acceptation ?

S : J’aime savoir que m’observer et écouter ma musique puisse aider et libérer quelqu’un. Lui donner des ailes. Pas de combat ou de débat avec soi-même ou avec les autres mais juste sauter à pieds joints dans les courants de son propre océan et se laisser emporter. Être surpris par les étapes parfois bizarres de son propre chemin et faire confiance dans le processus. C’est une forme de lâcher prise.

LFB : D’où te vient cette voix ? Et surtout comment la travailles-tu ?

S : Très jeune, j’ai sauté dans les courants de mon propre océan haha (rire) et j’ai fait ma voix au fil des expériences. Groupes de stoner, de metal puis de brutal death dans mon adolescence, puis comédies musicales, opéras contemporains, théâtre et projets pop. Toutes ces expériences éclectiques m’ont « ouvert » la voix pour la mettre au service d’un maximum d’émotions différentes. Je travaille ma voix au quotidien que ce soit mon registre « clean » ou « scream ».

LFB : Je sais que tu as participé aux Bars en Trans, cette année tu fais le Crossroads Festival. Que représentent ces festivals pour toi ?

S : J’avais fait les Bars en Trans il y a quelques années avec un autre projet mais en décembre 2019 j’ai fait les Trans Musicales avec SUN dans le Hall 3 du Parc Expo et, pour le coup, c’était une expérience beaucoup plus en accord avec moi (rire). C’était blindé, c’était grand, on a joué à deux heures du mat et l’ambiance était à son comble. C’était la grosse énergie de festoche qu’on connaît et qu’on aime ! Ce qui m’a plu au Crossroads – édition numérique -, c’est qu’on a pu travailler une forme courte, plus visuelle, pour créer une live session originale. C’était très différent des Trans mais tout aussi excitant !

LFB : Cette année est somme toute assez particulière vu l’état du monde. L’édition se fait donc en ligne. Comment as-tu vécu cette période ? Et surtout as tu profité des « contraintes » de la captation sans public pour t’amuser avec ?

S : Ça m’a beaucoup plu de tourner ce live avec l’équipe audiovisuelle et l’équipe du festival. On a pris plaisir à échanger nos visions artistiques et créer un objet qui retranscrit à sa façon le feu du live. C’est plus travaillé, plus graphique qu’un concert, c’est un objet dont je suis assez fière et c’était vraiment une super expérience !  

LFB : Tu es à la fois musicienne et actrice : en quoi l’un influence l’autre ?

S : Je ne sais pas trop. Je ne sépare pas les disciplines mais l’une coule dans l’autre. Il n’y a pas de frontière entre les deux. Dans la pièce « Nous l’Europe, banquet des peuples » de Laurent Gaudé (Avignon In 2019) j’ai, par exemple, un long monologue enflammé qui s’emballe et qui, à son apogée, se transforme en une chanson de SUN (Higher Fire ). J’amène mon batteur avec moi dans mes projets de théâtre et de cinéma. Je joue dans le prochain film de Tony Gatlif et mon personnage joue ma musique à l’écran. La musique, le mot – qu’il soit dit ou chanté – l’un ne va pas sans l’autre pour moi. 

LFB : Pour t’avoir vue sur scène, le côté théâtral est très présent (et plaisant), tu as emmené SUN avec toi en tournée pour une pièce de théâtre : est-ce l’idéal pour toi que les deux se rejoignent ?

S : J’adore ça ! C’est encore une autre façon de faire de la Brutal Pop : faire se rencontrer les disciplines et à travers ça, les publics. La scène de théâtre et la scène de musique n’ont pas la même fréquentation, je trouve ça important de brouiller les pistes. On se prend les meilleures claques quand on y est pas préparé. Quand « Higher Fire » retentit dans la cour du Lycée St Joseph à Avignon devant 800 théâtreux avertis et qu’ils se laissent prendre au jeu, qu’ils se lèvent pour danser, qu’ils applaudissent en plein spectacle (ce qui ne se fait pas au théâtre), j’ai l’impression de faire un peu ce pour quoi je suis là.

LFB : Qu’est ce que tu nous prépares pour la suite ? C’est quoi le futur pour SUN ?

S : Je viens de sortir une Édition Deluxe de mon EP Brutal Pop. J’ai ajouté une reprise de I Follow Rivers de Lykke Li et un remix techno de Fast Car. Pendant le confinement, j’ai commencé à faire des petites reprises d’une minute sur mon Instagram et ça m’a bien plu. Après vote des followers, la grande gagnante de l’opération était I Follow Rivers alors j’en ai fait une version longue pour la réédition de l’EP. D’autres covers sont préparation pour une deuxième vague et la suite pour SUN est en pleine préparation entre les États-Unis et la France. Il y a aussi ce film de Tony Gatlif qui sort en 2021 et qui va surprendre à l’écran et dans les oreilles. En attendant, des versions physiques limitées de Brutal Pop Deluxe vont être disponibles sur le Bandcamp de SUN courant septembre. Enjoy!

13/ Est ce que tu as des coups de coeur culturels récents à partager avec nous ?

S : Je surkiffe l’EP « Generasian » de Lim Kim. Ancienne idole coréenne qui a envoyé bouler son label (ce qui ne se fait pas beaucoup là-bas) pour s’autoproduire et créer un son entre MIA et Björk. Dans ses chansons, elle brise les clichés sur les femmes asiatiques et revendique sa liberté. Musicalement et surtout au niveau de la prod, c’est un bijou.

LFB : Pour finir, une question con : s’appeler Karoline Rose, avoir un groupe qui s’appelle SUN et faire une musique aussi brut et sauvage : il y a quand même beaucoup d’humour en toi non ?

S : Haha j’espère bien ! Il en faut pour traverser tout ce bordel qu’est la vie. Je me marre souvent quand on met le doigt sur ce genre de choses, c’est vrai que c’est drôle ! Un peu sucré salé par moments comme on l’a vu plus haut mais, à la fin de la journée, je me dis que j’ai beaucoup chance et de bienveillance autour de moi et que tout va bien.