SÜEÜR, bruit, fureur et collision

La fusion. On pensait ce genre musical mort et enterré, on le pensait voué au revival presque morbide des héros de notre jeunesse, de Korn à Limp Bizkit en passant par le retour de Rage Against The Machine. Et bien, on doit l’avouer, on s’était bien planté. SÜEÜR débarque avec un premier effort, une mixtape de neuf titres qui dépoussière ce genre mal-aimé et lui rend même ses lettres de noblesse. Ce qu’on veut, c’est la SÜEÜR.

Si on ne devait choisir qu’un mot pour définir ce qu’on découvre à l’écoute du premier EP de SÜEÜR, ce serait celui-ci : collision. Quand les rimes se fracassent sur la prose. Quand l’ambition d’une chanson française littéraire et lyrique se carambole contre la crudité et la vulgarité d’un vocabulaire quotidien et un flow rappé qui ressemble par moment à de la prêche. Quand la lourdeur de la musique industrielle se rapproche sensuellement du hip hop ou du punk anglais. Quand enfin, on passe d’un personnage à la première personne mais jamais au premier degré pour ensuite se retrouver face à une histoire, un conte sombre et glauque dans les rues de Pigalle. Quand la fuite se retrouve face à la réalité, quand l’ennui rencontre la rage de vivre. Tout ça se retrouve, vit, existe et évolue : bienvenue dans le monde de SÜEÜR, un monde de bruit, de fureur, un monde de collision.

Ça commence avec une alarme, comme pour nous prévenir. Un sentiment d’urgence s’empare de nous, une tension apparait, elle ne nous lâchera plus. D’un coup d’un seul, la nuit nous entoure et en neuf titres, elle ne nous quittera pas vraiment. Quand La Logique est une introduction brutale, intense, qui nous attrape par le col et qui définit en un peu plus de trois minutes tout ce que le groupe a à nous proposer : La musique de SÜEÜR raconte cette colère, cette violence des oubliés, des gens qui ont la rage au ventre, qui sont bien décidés à ne pas se plier aux règles, à ne pas vivre selon des codes qu’on a voulu leur édicter, quitte à se prendre des douilles, quitte à finir seul, à tomber plus que nécessaire. Ici l’égo-trip n’existe pas vraiment, on est plus dans l’exact opposé de ce qui en général nourrit le hip hop : plus qu’une glorification d’un mode de vie néfaste, Théo Cholbi écrit des textes à la gloire des ratés magnifiques, ceux qui brillent dans la déchéance et s’en accommodent bien.

Il effectue pour ça un travail, proche de celui de l’acteur (rôle qu’il connait aussi bien) : chaque titre semble être la mise en avant d’un personnage, titubant, mal à l’aise, gauche et pas forcément adapté à la société.
Petit Jack, ressemble à un conte macabre, une histoire glauque et triste jusqu’à la nausée d’un homme qui se noie dans ses pulsions, dans le stupre pour ne retrouver que ses désillusions. Étrangement le titre se transforme en échappée, en fuite ou le temps file comme une balle avec une lumière étrange et presque positive par instant.
A l’opposé Malfamée est une ode à la différence qui se termine d’un coup sec comme si la chanson n’avait pas de fin tandis que MTM (Sur Ma Vie) reprend cette idée de fuite en avant, d’aller droit dans le mur et de déballer toutes les pensées possibles qui nous passent par la tête avant de finir par se fracasser dans le mur. Ridé Tout Paris prend le contrepoids de ce qui nous a été offert auparavant avec sa rythmique minimaliste qui la rapproche plus du hip hop presque classique. En équilibre, titre sur la dépendance, est une sorte de bilan de tout ce que nous propose SÜEÜR et représente à la perfection son titre, un morceau tout en tension jouant avec perfection sur les genres sans jamais déborder d’un côté ou de l’autre.

Peut-être est sans doute notre morceau préféré du groupe. Répété à l’infini, le titre transforme les mots en fantasmagories, transformant ce titre en rêve étrange ou un être se retourne sur sa vie, sur ses actes, essayant de jauger ce qui est faux, ce qui est vrai, ce qui est bien, ce qui est mal, faisant une sorte de bilan d’une vie qui pourrait se terminer à la fin du titre comme continuer à l’infini. Pleure et Migrants viennent terminer le voyage toujours en brutalité, la première prend le pas de l’ironie et du cynisme tandis que la seconde joue la carte du titre politique et fracassant.
Jeux de dupes, personnages multiples pour une ambiance crépusculaire et presque désespérée, le premier EP de SÜEÜR permet au groupe de prendre un créneau un peu délaissé dans la musique française actuelle et nous offre neuf titres où les mots et les ambiances jouent à armes égales. Des morceaux qui s’écoutent et se réécoutent pour pouvoir y découvrir toutes les nuances, dans les tons, dans les paroles et dans les sons. Une bien belle entrée en matière pour un groupe à suivre définitivement.