Stav & Tomasi : « On aurait du faire de la publicité »

Chez La Face B, on aime les artistes et ils nous le rendent bien ! Parmi la longue liste de nos artistes chouchous, Stav et Tomasi ont une place toute particulière. On les a fait jouer ensemble lors d’une de nos soirées et on a voulu les retrouver cet été pour une interview commune qu’on vous invite à découvrir maintenant !

La Face B : Comment ça va les gars ?

Stav: Ca va plutôt bien. Un peu fatigués mais…

Tomasi : Franchement, c’est un peu dur que ça aille pas là. Il fait limite trop chaud mais à part ça c’est un peu la folie ce festival !

La Face B : Est-ce que vous êtes contents de rejouer ensemble ?

Tomasi : Euh…

Stav : Ca va. (rires)

Tomasi : En fait on se déteste à la base et du coup on n’arrête pas de nous coller ensemble… En plus je trouve que ça n’a rien à voir ce qu’on fait… Nan nan, c’est un plaisir bien sûr. C’est trop bien. Et en plus ce soir, on partage plus que d’habitude, on partage un batteur ! (rires) Et du matos ! Mais en fait, c’est plutôt moi qui pique tout le matos et le batteur…

Stav : P’tit à p’tit je vais me faire évincer…

Tomasi : Ça t’embête pas si j’fais une ou deux chansons à toi d’ailleurs ?

La Face B : La première question que je me pose, c’est à quel moment vous vous êtes dits que vous alliez passer du rap à la pop ? Parce que vous êtes tous les deux finalement passés du rap à la pop de manière assez naturelle. Quel est l’élément déclencheur qui vous a poussé, chacun de votre côté, à ça ?

Stav : J’étais avec Rezinsky avant et déjà, dans le dernier album, je voulais aller vers des choses plus chantées, plus légères, mais je ne m’en rendais pas compte. Et en fait, quand j’ai arrêté le groupe, j’ai voulu faire des morceaux mais je savais pas du tout ce que j’allais faire. Ça a pris du temps, puis des connexions, des gens qui m’ont dit « on va partir de ton texte » « on va faire des accords »… Mais en fait la volonté que j’avais, c’était de pouvoir chanter sur la musique que j’écoutais en soirée depuis des années, et de pouvoir raconter à la fois ces soirées mais aussi ces choses qui m’arrivent dans la vie, ou des gens qui m’inspirent. Mes potes et le rap me permettaient pas ça. J’avais l’impression d’être un peu enfermé. Mais parce que j’avais un groupe aussi, alors qu’au final aujourd’hui je prépare des morceaux et on retrouve un peu mon côté rappeur, on retrouve beaucoup de choses, donc en fait maintenant y a plus de cloisonnement. Mais en tout cas, la volonté c’était de faire des choses moins cloisonnées que ce que je faisais, donc rap ou pop, je sais pas.

Tomasi : Ouais, mais c’est plus un biais d’écriture en fait. J’ai jamais l’impression de faire autre chose que de la pop en vrai. Le rap, c’est la nouvelle pop d’une certaine manière, et j’avoue que, bah, j’ai toujours fait des chansons, quoi ! Et après, quelle forme elles avaient ou quoi, je ne sais pas trop… Tu vois, à l’époque j’avais un groupe et on faisait de la chanson, mais version un peu indie pop machin, avec des guitares, puis par le flot d’écriture je me suis retrouvé à faire du rap un peu malgré moi. Je ne sais pas si j’avais vraiment la volonté d’être un rappeur… surtout, j’étais pas méga crédible quoi… Mais c’est plus y avait un flot de paroles, un flot d’écriture et c’est plus ça. J’ai surtout toujours l’impression d’être dans un entre-deux. J’aime bien écrire de manière fleuve, parce que ça me défoule, de gueuler mes textes un peu, et plus ça va, plus je m’assagis, et plus le jeu qui m’amuse le plus – et c’est peut-être ça la différence – c’est de résumer les choses que je veux dire en le moins de mots possible. Mais peut-être qu’avant, j’avais besoin d’écrire le plus possible pour dire des choses de manière précise, mais là, j’essaie de préciser le plus possible mais avec le moins de mots, c’est ça la seule différence pour moi.

La Face B : Ouais ce qui est intéressant aussi c’est que j’ai l’impression aussi que vous avez légèrement aussi remisé la provocation au placard quoi…

Tomasi : Peut-être un peu… On s’assagit un peu avec l’âge aussi… De mon côté en tout cas, c’était un peu un truc très adolescent d’avoir envie d’être entendu je pense, de crier un peu plus fort que les autres ou de dire des choses que les autres disaient pas pour exister… Et avec tout le lot de ce qui va avec en fait. Certains qui te reconnaissent comme ça, d’autres qui se disent « Pour qui il se prend ? » et en fait c’est vraiment juste parti d’une envie de changer un peu ce que je faisais, mais pas pour les autres, plus pour soi. Peut-être dans cinq ans, je ferai de la valse, tu vois, je ne sais pas… (rires)

Stav : Moi, je pense je me suis retrouvé peut-être un peu québlo. Tu parlais de la posture de rappeur, mais peut-être le côté provoc’ à fond… Je trouvais que j’avais des sensibilités, des choses en moi que j’arrivais pas à exprimer par ce biais-là. Et je pense qu’avec l’âge, on travaille plus sur les contrastes, on est peut-être plus dans une sorte de finesse, je sais pas… On se fait de l’expérience. Et du coup, j’avais besoin de décloisonner ça. Je me suis pas dit : je vais aller dans la pop, mais plutôt : je vais essayer d’ouvrir le champ des possibles au maximum, si je veux continuer à faire cette musique qui m’anime tous les jours et être raccord le plus avec moi, en tant que personne dans la vie, qui évolue, qui prend en âge… C’est très bien, je pense, comme ça, je m’en rends compte que maintenant.

Tomasi : Tout est pop, dans le sens populaire. J’ai jamais eu l’impression, et je pense que tu partages ça, de jamais avoir fait ou faire de la musique de niche ou quoi… Peut être on s’y est retrouvés malgré tout, mais en fait je ne sais pas j’ai pas envie de faire de la musique qui n’est pas facile d’écoute, qui se la raconte… Pas qui se la raconte, mais qui est techniquement… Des fois elle est comme ça, mais… La musique que j’aime et la musique que j’écoute, c’est la musique où tu comprends ce qui se passe. J’ai beaucoup de respect pour Jacob Collier, mais j’avoue que je comprends pas énormément ce qui peut se passer et je respecte énormément, je trouve ça incroyable et ça anime beaucoup de mes amis, mais moi c’est pas ce qui va me toucher le premier, en premier lieu.

Stav : Puis y a tellement de musique aujourd’hui… Moi je kiffe tellement de trucs en fait… Je vais kiffer d’la pop, d’la synth pop, je vais kiffer des trucs latinos à fond. Que ça soit la pop ou le rap, ça s’inspire énormément de ça, et je pense que c’est tellement décloisonné. Ou alors j’ai besoin de décloisonner, de plus avoir peur… Tu vois, à une époque je me disais, si j’ai un beat latino ça va faire appropriation culturelle, maintenant je m’en fous en fait, j’essaie d’y aller à fond et je vais mélanger ça avec une sitar ou un truc. Ou un truc hyper 80’s , c’est cool en fait.

C’est ce qui m’anime, enfin, c’est ce qui nous anime.

La Face B : Mais malgré tout, enfin tu vois, ça aussi c’est un point commun : j’ai l’impression que vous avez pas encore complètement cassé la carapace… je dirai spas d’un syndrome de l’imposteur, mais d’une certaine pudeur… Parce que tu vois, quand toi tu dis que tu fais de la pop de fragile, ou que lui il dit qu’il fait de la pop de supermarché, y a une certaine manière de se foutre derrière un espèce de voile…

Tomasi : En fait, je pense qu’on partage ça, c’est un peu le goût de la formule, le goût des mots, beaucoup plus que le fait ça ait un vrai intérêt ou pas, et c’est intéressant, le miroir que ça renvoie. Moi, je sais que j’en n’ai pas toujours conscience. Je dis ça plus comme une blague, parce que de toute façon c’est très dur de cloisonner sa propre musique, pour employer un terme que tu employais, et je n’ai pas envie de le faire en fait. J’ai envie de dire que je suis différent et toujours.

Je sais que c’est une manière de se mettre dans une case tout seul perso…

La Face B : Ouais, et de te protéger des attentes des autres aussi quoi…

Stav : C’est des choses que j’essaie de vachement… Je me suis toujours dit pop de supermarché et tout, mais je pense pareil que toi. J’aime bien construire une formule, construire un univers…

Tomasi : Peut-être on aurait pu faire de la pub tu vois…

La Face B : Tu serais né y a 30 ans, t’aurais été Frédéric Beigbeder ! (rires)

Stav : On est plus schnocks que des pubards ! Mais on a préféré la voie de la musique, comme des cons. (rires)

Tomasi : Mais en fait, j’adore les belles formules, je trouve ça incroyable quand tu résumes en une phrase un truc complexe, c’est assez fou. C’est le vrai point commun entre notre musique d’une certaine manière, c’est l’amour de la phrase qui marche et que tu vas retenir. De la punchline. J’voudrais bien que la headline de l’article ça soit « On aurait du faire de la publicité » (rires)

Stav : Parce que, quand moi je disais pop de supermarché, mes potes ils me disaient « Ah l’bâtard » quoi. Y a un côté où, à partir du moment où t’as fait ça, tu peux tout te permettre. Mais en même temps, je me rends compte qu’un an après, je me dis que ça cloisonne encore le truc et j’essaie de trouver un autre truc… D’avoir moins la formule…

La Face B : Ce qui m’intéresse en plus, c’est qu’à travers l’art de la formule, vous mélangez aussi le fictif et le réel. Vos morceaux, ils parlent beaucoup de votre vie : dans Phalanges, tu cites le nom de tes potes et tout, mais en même temps tu vois qu’y a un côté fiction qui est très prononcé dans ce que vous racontez.

Tomasi : Bah moi j’ai l’impression que de moins en moins, et je travaille de ouf pour décloisonner tout ça, et en vrai y a ce truc « rock fragile » encore une fois, c’est presque une blague. Je sais très bien que je fais de la chanson. Et plus ça va, plus je l’assume et plus je le revendique en fait.

La Face B : Moi, c’est ton évolution personnelle, tu vois. Toi, je t’ai vu vachement évoluer sur scène, entre Somnambule et ce que tu as fait maintenant. Tu la vois l’évolution, elle est naturelle en fait. Pour nous, elle était évidente effectivement, sans doute pas pour toi…

Tomasi : Tu n’as pas le même chemin dans ta tête. C’est toujours fou d’être dépendant, entre guillemets, de rapport aux autres aussi, tu vois. Après, c’est obligatoire et ça fait partie du jeu. Il y a un côté où on commercialise notre musique, mais le seul truc auquel j’ai envie de me fier, c’est que ça sort de moi, que ça me plaise, et je me dis que ça pourrait plaire à d’autres. Pareil, l’âge aidant, plus ça va, plus on développe un langage commun, on retient les mêmes choses du passé et ma musique et ce que je mets dedans se rapproche plus de ce qu’écoutent les gens ou de ce que sont les gens, parce qu’en fait tous les petits trucs que je pouvais écouter à l’époque, bah y en a plein que j’ai oubliés, que j’ai pu intégrer, et ça devient peut-être plus large, ouais.

La Face B : Ouais, puis humain en fait, tu vois. Je trouve. Parce que tu vois, ce qu’on disait sur la provocation tout ça, je trouve qu’en fait même dans l’autofiction, c’est l’humain qui est au cœur de votre musique. C’est toujours des histoires, c’est pas parfait, c’est pas imparfait, c’est ni tout noir ni tout blanc, c’est vraiment des histoires d’êtres humains qui se démerdent dans la vie en fait…

Stav : J’essaie de tourner de plus en plus vers l’autobiographie, mais je garde l’autofiction parce que moi, ça me permet de… par exemple si je raconte une histoire de rupture ou je ne sais pas, bah ça va me permettre aussi de m’inspirer de mes potes et de pouvoir regrouper… Mais autour d’un mec, d’un personnage ou qui est Stav ou Benjamin quoi…

Tomasi : Ouais, j’ai vraiment l’impression de le faire de moins en moins. Et c’est très perturbant parce qu’avec le Covid avec tout ça, y a plein de morceaux qui auraient du sortir et qui sont pas sortis, et en fait j’ai l’impression d’être bien plus loin de ce que je sors aujourd’hui. Et c’est cool, ça fait partie du jeu et c’est trop bien, mais ouais je ne sais pas… Je ne sais pas où je vais avec cette phrase (rires).

Stav : Je pense qu’y a pas mal d’artistes qui essaient d’aller de plus en plus vers cette forme de sincérité et de plus avoir peur…

La Face B : Il y a une certaine liberté de plus en plus. Peut-être que ce qu’a changé le Covid c’est que… Finalement, tu t’es tellement retrouvé face à toi-même que t’as plus peur de le partager avec les autres…

Tomasi : Je pense que le Covid, il m’a fait gagner 10 ans ! Franchement, il m’a fait gagner 10 ans de carrière en musique. Dans la manière de comment je me vois, juste aussi se rappeler la futilité de notre métier d’une certaine manière, juste que tout peut disparaître d’une seconde à l’autre, et je pense que juste avant, je me montais la tête et j’étais dans un truc d’objectifs absolument à atteindre, personnels toujours. Ca m’a fait du bien de lâcher un peu la pression et de prendre le temps : « Mec, tu fais tout ça, qu’est-ce que je veux faire vraiment ? » C’est là où je suis revenu à la musique que j’écoute toujours, genre Arctic Monkeys, genre Strokes… Qui sont des moteurs qui n’ont jamais bougé depuis que j’ai commencé à écouter de la musique par moi-même, depuis que j’ai 11/12 ans, quoi. C’est ouf d’arriver à me rapprocher de ça.

La Face B : C’est le fait de te raser la tête en direct sur La Face B qui t’a fait du bien !

Tomasi : Bien sûr ! Bien sûr !

La Face B : L’autre truc que je trouvais intéressant, pour vous avoir vu en live plusieurs fois, c’est que même si vous utilisez des bandes quand même, malgré tout, votre musique, elle est toujours, l’un comme l’autre, imprégnée de l’imprévu en fait… J’ai l’impression quand je vous vois que c’est jamais la même chose, parce que tout et n’importe quoi peut arriver sur scène et ce qu’il y a de cool c’est que ça apporte vachement à votre musique d’avoir un batteur sur scène…

Tomasi : Moi, c’est tout nouveau… Je ne savais pas que c’était possible moi avant… J’ai envie de faire le plus de concerts possibles, comment ça peut être le plus simple pour que ma musique arrive aux gens, et en fait je me rends compte que parfois, se prendre un peu plus la tête, ça vaut le coup. Logistiquement parlant, je veux dire.

Stav : Ca donne un côté vivant, parce qu’on est sur un instrument vivant, y a un groove, et en fait ça agit bizarrement sur ce que je vais dire, et même sur mon corps en fait. Je vais être beaucoup plus décontracté pour danser et tout.

Tomasi : Tu penses que c’est la batterie ?

Stav : Je pense que c’est un tout, mais en tout cas ça y participe. C’est marrant en fait, mais quand y a une batterie, je suis moins conscient de l’espace, je vais moins me regarder, d’une certaine manière…

Tomasi : Je pense que c’est l’effet d’avoir quelqu’un sur scène en fait. Je ne me sens pas tout seul.

Stav : Quand y a une instru, y a ta voix c’est un peu comme si t’étais au studio, y a un truc… C’est quoi la différence entre le studio et ça ? Mis à part ta performance vocale et comment tu vas communiquer avec les gens et ce que tu vas apporter en terme de mise en scène… mais la batterie, y a un côté justement d’hyper libération. Et puis y a aussi la relation que j’ai avec Titouan. Comme la relation que tu as avec Hugo. C’est pas les mêmes, mais c’est des relations très fortes, et du coup ça se voit, le public le voit. Et au-delà de ça, tu vois, j’ai eu plein de soucis… On a eu plein de soucis techniques au début des dates de l’été, et du coup aucune date s’est passée comme prévu.

Et en fait, j’ai du meubler, y a eu des bugs, y a eu des choses, des imprévus, et mine de rien c’est cool parce que les gens me disaient « Ouais putain y a un truc, tu gardes le spectacle en vie » et c’est important, ça m’a fait super plaisir. Je ne joue jamais devant le même public. Que je joue en première partie devant 500 personnes ou devant 40 personnes… J’essaie toujours de m’adapter vraiment au contexte et au lieu… C’est ce qui va rendre les morceaux vivants, en fait.

La Face B : Si vous deviez piquer un truc à l’autre ça serait quoi ?

Tomasi : Hmm… Son style !

Stav : Sa fougue !

La Face B : Votre chanson préférée de l’autre ?

Stav : Phalanges m’a beaucoup touchée.

Tomasi : J’avoue je connais pas trop les titres de tes chansons (rires) Merde, putain, j’suis baisé… Y en a une qui m’a vraiment marquée la dernière fois en plus… Faut que je retrouve… Toute façon, j’ai beaucoup bougé pendant ton concert ! Quel bâtard Stavo d’avoir mis une lettre derrière ton nom (rires)

Je sais plus laquelle c’est, putain… Je crois que c’est Boum boum.

La Face B : Vous seriez chauds pour faire un featuring tous les deux ?

Stav & Tomasi : Ouais, grave… Ca fait plusieurs fois qu’on dit qu’on essaie de faire un truc… Malheureusement, on est un peu occupés…

La Face B : Je vais finir avec une question ego trip, si vous aviez un compliment à faire à La Face B, ça serait quoi ?

Tomasi : Wow ! C’est toujours la bienveillance et la pertinence des interviews, où on parle à des gens qui n’ont pas juste lu le communiqué de presse, mais qui sont touchés par la musique et ça fait toujours une diff’ de fou…

Stav : Je ne saurais pas le formuler en compliment, mais à chaque fois que je fais une interview La Face B, ça éveille un truc dans ma réflexion musicale. Là, par exemple, quand on a parlé de cette formule quoi, c’était un truc sur lequel je cogite en ce moment, mais j’avais pas cogité comme ça. Je me dis, ouais faut que je sois plus spontané et plus ça, moins…

Tomasi Ça marque un point à chaque fois. Déjà, je me souviens des interviews qu’on fait ensemble, c’est fou.

Crédit Photos : Rarolin Cougeole

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