Sommes-nous Alain Bashung #5 : Les Grandes Voyageuses

Il y a de cela dix ans, l’éternel Alain Bashung nous quittait. Il laissera derrière lui son dernier souffle : à la fois inspirateur et créateur pour une lignée d’artiste. En hommage, nous avons demandé à certains musiciens de la nouvelle scène française de témoigner sur le chanteur. Si Bashung invoquait Les Grands Voyageurs, il oublia ces femmes – Ces Grandes Voyageuses – qui tout comme le chanteur teintent leur musique d’ailleurs. Il y a des tons d’Amérique Latine pour Clara Ysé et d’Orient pour Sarah Maison, qui ouvrent ce cinquième volet.

Clara Ysé

 » Ecouter En amont, dans la voiture, toutes vitres ouvertes. Lui qui n’est plus là, et qui nous raconte ce que c’est que d’être sur l’autre rive, toujours aussi présent, toujours aussi libre et grand.

Et je me dis que la magie, c’est d’écouter sa voix qui touche au cœur comme une grenade. Il est 6h du matin, on est en février, je suis en repérages dans les marais poitevins pour le tournage de mon premier clip.

Simon conduit.

Soleil qui traverse la brume à la surface des marais, talismans dans les cheveux. Je monte le son. Quelque chose de sa liberté nous emporte, et la joie d’être en vie pour l’écouter encore. « 

Sarah Maison

 » Souvenirs, j’aime tes slips couleur chair

Quand j’arrive à la Villa Arson à Nice, école d’art contemporain, je viens d’avoir 18 ans. Je pense que je suis enfin une adulte mais je sors tout juste du lycée. Je remplis mon petit appartement de babioles, une décoration minimale mais personnelle, je laisse les tableaux glauques de la locatrice, ne m’autorisant pas à les enlever, comme si je n' »avais pas le droit ». Je crois encore à une vérité donnée par les adultes, j’essaye de les comprendre pour intégrer leur monde. 

Je n’ai pas internet et pas encore d’amis, je mets en place un petit rituel d’adolescente, je m’achète des bières et j’écoute des disques en fumant des roulées. Il me faut remplir cette espace rien qu’à moi. Je ne m’endors pas sans musique. Mes goûts musicaux constituent un réel pan de ma personnalité, je me fabrique des pairs qui m’aideront à affirmer ma propre musique. Alain Bashung en fait partie. J’écoute ses disques de Pizza à Novice.

Je découvre un monde fait de blagues sérieuses, d’intonations absurdes, de premier degré au millième, d’une insaisissable manière de s’exprimer, portée par un type au charisme et à la prise de liberté immenses. Ce premier degré à la française m’a été enseigné pendant mes études en écoutant Bashung, je crois que c’est gravé à vie.

Aujourd’hui j’ai 30 ans et je ne ressemble pas à l’adulte que je fantasmais, mais ce qui est sûr c’est que je ne cesserai jamais de déconstruire la grande figure imposée. »

Illustrations réalisées par Camille Scali.
Photo de couverture : montage réalisé d’après une photographie de Catherine Faux (SIPA).