Sommes-nous Alain Bashung #12 : Leurs Petites Entreprises

Il y a de cela dix ans, l’éternel Alain Bashung nous quittait. Il laissera derrière lui son dernier souffle : à la fois inspirateur et créateur pour une lignée d’artiste. En hommage, nous avons demandé à certains musiciens de la nouvelle scène française de témoigner sur le chanteur. Plus qu’un inspirateur, Bashung a été comme un guide voire un père spirituel pour certains artistes. Comme Austyn et Melquiades, en leur permettant de lancer leur propre projet, leurs petites entreprises …

Austyn

« Bashung m’accompagne. Souvent et même ailleurs je forgeais doucement mes goûts d’adolescent dans mon t-shirt au coq, qui n’avait pas encore d’étoile, en parcourant les rayons du Cd Shop de Soissons. Il était là, dans la vitrine. Je la regardais chaque fois avant d’entrer, mais ce jour là mon regard était intrigué par ce visage sortant des verts nénuphars, sans prénom, sans nom, sans inscription. Le vendeur me renseigne, Fantaisie Militaire doit me plaire. Je rentre alors, détenant ma fameuse pochette surprise, pressé de la partager avec mon Akai triple lecteur Cd. Play. L homme de demain sera hors norme. Hors norme, comme cette poésie, comme cette atmosphère. On s’y inclinerait presque, moi qui occulte les cultes. Les cultes, j’en fais des films qu’on ne regarde pas assez, des vieux souvenirs. A l’entame de ma bobine, j’ai L’Homme à la Tête de Chou, Gainsbourg. Une K7 dans la Citroën ZX de mon père. Nous étions là, Bashung et moi, à ce même endroit, au studio Wooden D, lui pour enregistrer une nouvelle version de cet album, et moi à un autre instant, si modestement, pour enregistrer mon E.P. Je me disais bêtement qu’il n’était peut-être pas loin. Encore présent. Les grands laissent toujours derrière eux une aura indélébile et sans failles. »

Melquiades

« Le truc avec Bashung c’est qu’il faut pas commencer. Une fois qu’on y a goûté, on sait qu’après lui tout le reste sonnera toujours plat. Moi, ma première fois c’était l’année de mes 18 ans je dirais, j’ai tapé dedans; comme la marathonien dans le mur du 30ème kilomètre. Et à la première écoute j’ai compris que ma vie ne serait plus jamais la même. Et comme avec toutes ces grandes premières fois, le restant de notre vie se passe à chercher à nouveau cette première sensation. alors on y retourner. Pour s’assurer qu’à chaque fois tout y est. La profondeur, l’intensité, la présence. Alors on y retourne encore, pour essayer de comprendre, de saisir. Mais ce qu’on finit par comprendre c’est qu’on ne comprendra jamais vraiment. Et qu’il hantera pour toujours. Moi je vous le dis, Bashung, c’est comme la clope, vaut mieux pas commencer. »

« J’ai pas de tatouages, mais je sais qu’un jour je me lancerai. Et parmi eux il y en aura un qui parlera de Bashung. Pour les enfants c’est pareil, j’en ai pas encore mais un jour je me lancerai. Et si c’est une fille, ce sera Joséphine. »

« La fille m’avait demandé de mettre un peu de musique pour qu’on soit plus à l’aise. J’avais appuyé sur « play » sans trop savoir ce qui allait sortir. « On m’a vu dans le Vercors, sauter à l’élastique. » Je crois que c’est pas vraiment ce qu’elle avait imaginé. Moi je trouvais ça parfait. J’attendais le passage : « J’ai fait la cour à des murènes, j’ai fait l’amour.  » en pensant que ça détendrait un peu l’atmosphère, mais juste derrière il enchaînait avec « J’ai fait le mort », alors ça avait pas eu l’effet escompté. Bref, les ébats avaient tournés court, la fille était partie et moi j’étais resté là allongé sur mon lit à écouter Bashung. J’étais bien. Après tout, elle me plaisait pas plus que ça. »

« C’était à La Maroquinerie, je venais de jouer pour un tremplin et à la sortie de scène j’étais tombé sur Cali qui passait la soirée là-bas. Je m’étais démerdé pour me retrouver à boire quelques bières avec lui à sa table. On avait parlé de pleins de trucs et tout d’un coup, il me balance qu’un des moments les plus forts de sa carrière, c’était lorsque sortant de scène, Bashung lui avait dit qu’il avait été fier de la partager avec lui. A ce moment là je sais pas ce qu’il m’avait rendu le plus admiratif. Me retrouver face à Cali ou savoir qu’il avait côtoyé Bashung. J’étais en face de quelqu’un qui l’avait connu, alors finalement je m’étais dit que c’était un peu comme si je l’avais connu moi même. On s’est quitté rue de Ménilmontant et en partant j’ai fait un crochet par le Père Lachaise. »

Illustrations réalisées par Camille Scali.