So la Lune, sa vie et ses fissures

Après une impressionnante série de 7 EP’s en 2021 et un dernier trois titres sorti début d’année, So La Lune délivre Fissure de vie, une mixtape de 16 titres qui vient l’installer définitivement dans le grand monde du rap. Un opus qui vient synthétiser les thèmes distillés depuis ses débuts avec une justesse impressionnante.

C’est en 2019 que les auditeurs les plus avertis prennent connaissance de ce nouveau venu au grain de voix atypique. Un outil qui lui permet de se différencier, mais qui va également diviser d’entrée de jeu le public.
Des singles s’enchaînent et un premier projet apparait avec Tsuki. Première pièce de sa jeune carrière, elle lui permet également de ramener des auditeurs investis qui propageront sa musique. Ce qui les touche, c’est la manière avec laquelle le jeune homme dépeint son quotidien : un lexique singulier, des mélodies caverneuses, et toujours cette voix raillée portant la mélancolie qui habite l’artiste qui, cependant, à encore du mal à gérer le potentiel qui regorge dans ce même ton de voix.

Une fois son ADN constitué, il ne reste plus qu’à le peaufiner, trouver comment le faire évoluer sans lui enlever le charme naturel qui l’habite. En somme, arriver à un équilibre entre chacun des éléments qui l’habite pour créer une symbiose et gommer les petits défauts parasites qui peuvent se glisser dans sa musique, faute d’expérience.
Pour cela, So La Lune va travailler d’arrache-pied, libérant sept formats courts pour autant de portes d’entrée à son univers. Ces derniers lui assurent une omniprésence musicale sans même passer par le biais des médias. La promotion, cela n’est pas pour lui. Très discret et solitaire, il ne s’en cache pas dans ses textes : son boulot à lui c’est de faire de la musique, et comme c’est par ce médium qu’il se raconte, nul besoin de le faire ailleurs.

J’cuisine ça depuis qu’j’suis gamin, j’ai dit à l’équipe : « C’est bientôt prêt » et chacun s’sert
Parle moi en plata, en platine, en taga, j’arrive, j’fais pagaille, j’les froisse depuis pas d’âge
Nos rues, c’est gâté, on perdait sur l’papier, j’suis bon qu’à gratter ma vie et la rapper

So La Lune – Péché

Alors que les projets se suivent, que la formule s’affine et que le public s’agrandit, une question reste en suspens, celle du (symbolique) premier projet long. Attendu d’une part, la question de la redondance s’impose d’autre part. Effectivement, en donnant vie à ces thématiques dans des formats courts, le rappeur donnait continuellement une petite dose aux amateurs de sa musique. Mais cela sera-t-il aussi digeste sur seize titres ?

Heureusement, So La Lune peut compter sur l’équipe de chez Low Wood pour l’écouter, le conseiller et faire avancer sa vision. Importante dans tout ce qui entoure la musique du jeune rappeur, cette équipe lui a par exemple permis d’avoir une esthétique visuelle correspondant à merveille à ses récits. Au vu de son rythme de production, le choix des seize titres finaux n’a pas du être aisé et il y a fort à parier que cela s’est fait en équipe, donnant au final un projet digeste et collant aux standards du genre.

Guidé par sa mélancolie, So plonge sa plume dans une encre noire pour raconter tout ce qu’il a pu vivre : un mode de vie précaire, des ruptures amoureuses, des désillusions, les paradis artificiels que sont l’alcool et la drogue. Alimenté par ces éléments qui ont forgé l’homme qu’il est actuellement, il a trouvé dans la musique un exutoire mais également un moyen de faire de l’argent, ce qui pourrait lui permettre d’adoucir sa vie.
Si on peut lui reconnaître un côté pessimiste et désenchanté, l’humain derrière l’artiste semble bien plus complexe et doté d’une volonté à toute épreuve pour faire taire ses démons. Une dualité qui ne cessera d’alimenter le projet sur ces diverses thématiques.

P’têt que j’déconne grave ou p’tet qu’j’vais l’faire
Et comme p’tet j’vais l’faire, bah la tête j’vais l’faire
Gros joint d’betterave, mon gars rejoins-moi
J’avais que les dents, j’ai chassé quand même, j’avais que les dents, mais j’me suis rempli quand même

So La Lune – Soleil mourant

En réalité, la formule ne diffère pas tant des précédents opus, mais il offre ici une synthèse parfaite de ses récits, ainsi qu’une palette musicale assez large. On est loin d’un album noir jouant la carte de la tragédie : ici, on est sur un album sincère, où chaque phrase prend vie grâce à l’interprétation de son auteur. Des morceaux comme Guérison ou Péché viennent éclaircir la noirceur des autres productions, en appuyant la capacité de chant du jeune artiste encore rarement exploitée. Même les deux collaborations avec Da Uzi et Captaine Roshi ont été parfaitement choisies, collant à la fois à l’écriture de So La Lune et venant aérer le projet grâce à des flows différents. Tous ces éléments réunis forment un premier long format d’une précision remarquable, qui pourra parler autant aux premiers fans du rappeur qu’au plus grand public.