Smeels, de l’amour avant toute chose

Le rappeur qui redéfinit les frontières entre rap, R&B et variété depuis 2017 nous a accordé un entretien pour évoquer Par amour et pour le geste sa nouvelle mixtape. On y discute d’amour bien évidemment mais aussi de succès, de pudeur, de confiance en soi et d’inspiration. Smeels nous livre son ressenti sur son succès récent et sur les attentes que cela induit. Un entretien fleuve réalisé par amour et que nous vous délivrons pour le geste.

Smeels


La Face B : Hello Smeels, ton projet sort dans deux jours, tu te sens comment ?

Smeels : Ça va super, je me sens incroyablement bien et soulagé en même temps. Ça fait un moment que je l’ai dans mon ordinateur et que j’ai envie de le partager avec les gens.

LFB : Dans Jusqu’au platinium tu dis “ j’suis à ma place, j’fais mon cash”. Tu te sens à ta place dans la musique ?

Smeels : Je parlais pas vraiment de la musique justement. Plutôt de la place en tant qu’artiste. Le fait de défendre ses propres idées, d’être dans mon espace à moi et faire mon truc de mon côté. C’est ça que j’appelle être à ma place.

La musique de base c’est pas un truc dans lequel je me suis axé volontairement. C’est d’abord des gens qui m’ont persuadé que j’étais bon. Je les ai écouté et j’ai continué à bosser. Aujourd’hui j’aime faire de la musique mais je ne parlerai pas d’une réelle passion. Peut être que ça le deviendra au fur et à mesure des projets.

Le son où je dis “je ne suis même pas passionné, j’suis venu faire du cash”, je me trahis un peu. Parce que ce son je l’ai fait il y a un an et mine de rien avec la sortie de ce projet là je ressens des trucs que je ne ressentais pas avant. Je me demande si ce n’est pas ça la passion au final.
Cette phase est très vieille, j’étais dans un mood particulier. Maintenant je ne suis plus du tout dans le même état d’esprit.

LFB : Par amour et pour le geste c’est un peu un manifeste de ta personne et de ton projet artistique. Il y a deux choses, le côté où tu fais tout ça parce que t’es capable de le faire te que tu en as conscience. D’un autre côté il y a le fait le fait que ce n’est pas ça qui te guide; ce qui te guide réellement, c’est le love.

Smeels : C’est ça, la direction artistique du projet c’est l’amour. Même sur des tracks où je vais être un peu plus tranchant il y aura toujours une petite touche de love dans les couplets ou le refrain.

LFB : Comme l’amour c’est le sujet principal du projet, quelle signification tu donnerais au “geste” ?

Smeels : Je pars du principe que quand tu fais les choses par amour, les gens ne le voient pas vraiment. Toi tu sais ce que ça représente mais pas la personne concernée. Du coup le fait de le matérialiser par un geste ça va rendre le truc encore plus fort. 
Donc en gros pour moi l’amour et le geste c’est la même chose c’est juste deux manières différentes de manifester ses émotions.
Si je prends la mixtape, l’amour il se transmet via les tracks, mais je peux le matérialiser par des rencontres avec mon public ou faire du merch. Quelque chose de plus concret.

LFB : Il y a un deuxième aspect sur ce projet que je kiffe, c’est le côté affirmation de tes aspirations. Tu fais bien comprendre qu’évidemment tu veux réussir et que t’as autant le droit que quiconque de le faire. C’est important pour toi de le rappeler ?

Smeels : C’est important, après je ne pointe pas du doigt la discrimination parce qu’elle existe et qu’elle existera toujours et ça me fait bien chier d’ailleurs. Mais si on peut faire des piqûres de rappel ça peut toujours faire du bien.

Dans tous les cas ça me fait du bien à moi. De me dire que j’ai le droit de réussir, ça peut aussi faire du bien aux gens qui m’écoutent. Je pense aussi aux autres quand je crée, des personnes qui sont dans des phases de démotivation par exemple.
C’est des petits coups de fouet pour te dire que t’es pas une merde. Si le poto il a réussi, tu peux le faire toi aussi, faut avoir confiance en soi.
Au final en y repensant c’est surtout pour moi, ça me fait du bien de penser ça et ça permet d’avancer.

LFB : C’est intéressant que tu parles de confiance. Dans ton projet on sent que tu t’affranchis un peu du jugement des autres et que t’es surtout concentré sur ce que tu veux proposer.
J’ai l’impression que c’est aussi pour ça que tu parles beaucoup d’argent, parce que le succès ça apporte trois choses, l’amour du public, les critiques et l’argent. L’amour c’est le cœur de ton projet, les critiques elles te passent au dessus, donc ce qu’il reste au final c’est l’argent, c’est plus un indicateur qu’autre chose.

Smeels : C’est une très bonne remarque et c’est ce qui fait que j’avance malgré tous les trucs que j’ai pu rencontrer dans ma life. L’amour on ne peut pas me l’enlever et le fait de faire de l’oseille non plus parce que ça ne dépend que de moi.

Pour ce qui est des critiques, si je sors un morceau qui ne plaît pas à quelqu’un, ça ne changera rien à ma vie. Je vais toujours avancer.
J’écoute les critiques mais quand je fais quelque chose et que ça me plait, je ne pense pas à l’autre. C’est d’abord un élan personnel, tout ce que je sors ça me plaît profondément.
Il n’y a pas de calcul et c’est assez spontané, c’est peut être aussi pour ça que plein de gens se reconnaissent dans mes textes.

Tu as envie de faire un truc ? Tu le fais, si ça passe tant mieux, si ça ne passe pas, tu recommences et tu essayes de t’améliorer.

Dans l’idéal il faudrait enlever les anticipations des jugements et ne jamais prévoir tout ça. Parce que ce n’est pas du réel et que si tu veux sortir un projet tu le sors point final. Le tout c’est d’oser.

LFB : Il ne faut pas oublier que tout projet artistique reste une proposition donc ça peut aider à démystifier l’accueil probable du public.

Smeels : Tu ne peux pas plaire à tout le monde, c’est impossible.
Et ce qui fait la beauté du truc c’est aussi de parler à un certain type de public et pas à un autre. Par exemple moi je ne déteste pas le métal, mais je n’adore pas non plus alors qu’il y a plein de gens qui kiffent ça. C’est aussi ça la liberté artistique.

LFB : Ce que je kiffe dans ce projet c’est que comme sur tes autres projets il y a toujours cette ambivalence entre tunes et meufs mais en plus il ya cette clé de lecture plus personnelle. Tu parles à plusieurs moments de ta mère, tu te livres sur tes douleurs. Est ce que c’est rassurant de mettre en avant le cash notamment pour pouvoir se livrer un peu plus derrière ?

Smeels : Pas vraiment, c’est surtout le contraste entre des choses sur lesquelles je peux parler crûment sans aucun problème, que ce soit l’argent ou les meufs et d’autres sujets qui touchent à ma famille par exemple sur lesquels j’ai vraiment du mal à mettre des mots.
Tu vois lâcher un “Je t’aime Maman” dans une musique ça me fait flipper alors que je le pense à mort.

Je ne suis pas le seul dans ce genre de situation. Il y a un focus sur moi parce que je suis artiste et que j’exprime des choses publiquement mais je pense qu’il y a plein de gens qui n’arrivent pas à extérioriser ce qu’ils ressentent envers leurs parents.

Donc en gros dans ma musique je ne vais pas camoufler mes émotions comme l’amour pour ma mère mais je vais le dire avec un peu plus de tact et de subtilité que quand je parle d’argent ou de meufs.

LFB : J’ai l’impression que Very Bad Drip ça a été un acte fondateur dans le sens où les gens ont compris qu’il fallait compter sur toi. On savait qui tu étais surtout après Selfmade mais tu as un peu pris tout le monde de cours avec une palette technique qu’on ne soupçonnait pas.

Smeels : Grave, c’était pas vraiment le but de surprendre les gens mais j’aime beaucoup tester les réactions.
A la base je mettais beaucoup de sons à moi dans les stories et je regardais comment les gens réagissaient. C’est d’ailleurs un peu comme ça que j’ai construit ma tracklist.
Mais pour Very Bad Drip je n’ai pas eu envie de fonctionner comme ça parce que je me connais et je sais qu’il n’y a personne qui m’attend sur ce type de morceaux donc c’était un test pour voir si les gens seraient réceptifs.

C’était pendant le confinement, déjà de base j’suis un mec qui s’en tape royalement de tout mais alors là j’en avais encore plus rien à foutre comme il n’y avait rien à faire.
Je me suis dit vas-y je balance un trois titres comme ça et je me fais plaisir.
Tu le ressens sur toutes les tracks, je m’amuse à mort. Je sors des mots en anglais et des flows hyper cainris.
J’ai balancé le projet et ça a été plutôt bien reçu. Je n’étais pas étonné parce que je ne sortais pas de nulle part non plus mais ça m’a fait plaisir de voir que le public m’attendait aussi sur autre chose que des sons hyper love.

LFB : Ça a crée une hype, notamment avec ton passage chez Mehdi Maïzi. Je voulais te demander si ça avait changé quelque chose dans ta façon de créer ? Vu la nature de Very Bad Drip et ce que tu proposes là maintenant.

Smeels : Ouais il y a un truc qui est arrivé fort et que je n’avais pas ressenti pour la musique jusque là, ça s’appelle la pression mec. Pour la première fois de ma vie je me suis dit ok il faut que je balance du contenu non pas de bonne qualité mais de archi méga bonne qualité.
C’est cool t’as un projet comme Very Bad Drip qui marche, tu tapes ton nom sur twitter tu vois des gars qui disent “ouais Facetime morceau incroyable”. Tu n’as pas envie d’arriver après ça avec un truc moins bien.

Donc ouais c’est un nouveau sentiment, je ne te cache pas que j’ai un putain de stress pour la sortie. J’ai écouté le projet 1000 fois au moins mais j’ai toujours cette petite appréhension en mode “est ce que j’ai vraiment fait le taff ?” .

Ma façon de travailler a quand même pas mal changé. Je me prends beaucoup plus la tête à écrire, il y a 10 fois plus de textes. J’essaye de ne pas trop me répéter, faire revenir les mêmes sujets oui mais j’en parle jamais de la même façon.

LFB : Sur un morceau tu dis “un peu d’amour, un peu de love” comme si c’était une recette. Pour autant personne n’a la recette de l’amour sauf que toi t’as complètement intégré le fait que l’amour ça soit une partie prenante de ta recette du succès. A défaut d’avoir celle de l’amour, tu as celle du succès.

Smeels : C’est parce que tu en as besoin pour avancer, tu as besoin de quelqu’un qui t’aime. Le love c’est un truc que j’ai goûté partiellement parce que je suis très spécial aussi mais quand c’était le cas j’étais hyper heureux, il y avait plein de trucs qui se passaient bien dans ma vie.

Donc oui dans ma recette il y a l’amour qui se glisse car t’as besoin d’une touche de love pour réussir tout ce que tu entreprends.
Déjà parce que ça te rend heureux et que tu es épanoui, ça se ressent aussi dans ton travail et ce que tu proposes.
Tes sons ils seront de meilleure qualité, un peu plus joyeux mais toujours dans la mélancolie parce que c’est une sensation que j’aime apporter dans ma musique.

LFB : Tu penses qu’il faut être sûr de soi pour parler d’amour ?

Smeels : Ouais un minimum, pour pouvoir choisir les mots que tu utilises et surtout les assumer derrière. Si tu parles d’un truc que tu ne connais pas je pense que ça se ressent et en plus c’est bizarre pour toi après dans la vraie vie. Faut être en mesure de coller avec ses dires. Moi je suis sur à 1000% de moi et c’est pour ça que je parle de tout ça avec aisance.

LFB : Je trouve que le choix des prods est différent par rapport aux autres projets, il y a beaucoup plus de rondeur, quelque chose de plus authentique et organique. Par exemple sur les deux premiers morceaux où la guitare ressort beaucoup. C’est quelque chose que tu as recherché ?

Smeels : Ouais carrément, quand je fais un projet je me fixe toujours sur un instrument, cette fois ci je me suis dit que ça allait être la guitare et le piano.
Du coup ils ressortent beaucoup. Sur ces deux tracks là je me suis considéré comme un plug-in supplémentaire sur la prod, je ne me suis pas vu comme une voix mais plus comme un intru, comme un sample sur une prod. Après sur les autres tracks je suis un peu plus détaché. 

LFB : Ce que tu appelles la “Vibe” ça définit grave ta façon de créer parce que maintenant tu es capable de sortir des projets ultra différents et je me demandais si tu arrivais à te projeter artistiquement ou si c’était toujours que du feeling et de la “Vibe” justement ?

Smeels : C’est plus momentané oui, juste avant l’interview j’étais en train de faire du son et ça ne ressemble pas du tout à tout ce que j’ai déjà fait. Ça ressemble à ce que j’ai envie de faire aujourd’hui à 15h30. Je prends une prod, je fais un petit yaourt dessus, ça peut être de la variété, de la pop, pas de zumba pas de drill par contre. Et comme tu l’as dit c’est la vibe, mon mood qui m’inspire.

LFB : Du coup j’imagine que tu n’as pas de plan, une idée du type de projets que tu vas sortir à l’avance ?

Smeels : Ça peut dépendre de la première track. Dès fois j’aime bien le délire que je viens de créer et je me dis que ça serait bien de faire un projet autour de cette énergie. parce que pour moi la musique c’est avant tout des énergies.
Ça a été le cas avec ce projet, la première track que j’ai faite c’était Oseille. C’est le son qui porte la mixtape avec Bleu Ciel et c’est à partir de ça que j’ai construit le projet.

LFB : Mon morceau préféré c’est Merci

Smeels : Moi aussi mec !

LFB : Parce que pour moi ce morceau résume tout. Que ce soit le projet ou même ton art. Il y a des fêlures, l’amour comme inspiration, mais aussi la confiance en soi. C’est kiffant le moment où tu dis Pause et tu rappelles que t’es le boss.

Smeels : J’aime bien jouer avec ce côté là, ça me fait rigoler de voir la réaction des gens. Quand t’as un mec hyper sûr de lui face à toi tu sais pas comment le prendre, ça te questionne, ça te fascine et ça te fait aller vers lui parce que t’as envie de comprendre d’où cette confiance.
C’est aussi l’occasion de rappeler que c’est moi le boss de mon son, je fais ce que je veux.

LFB : En plus c’est accentué par le texte juste avant ce moment où tu es grave en train de montrer tes faiblesses…

Smeels : Bah ouais, je suis archi comme ça en fait, je suis un mec rempli de fierté.
Si je m’embrouille avec ma meuf je lui présente mes excuses mais je suis obligé de montrer ma fierté et rétablir mon estime de moi tu vois. 

LFB : Le nom du morceau, Merci, il a une connotation particulière?

Smeels : Déjà ma dernière phase c’est “Merci d’avoir été, merci de m’avoir inspiré”, en gros c’est un merci pour tout.
Dis toi que ce morceau est destiné à une meuf en particulier et dans le son je la remercie pour tout. Pour les bons moments comme les mauvais parce que c’est quelque chose qui m’a forgé et qui m’a permis de créer ce projet.
Je mets ce morceau à la fin pour aussi remercier les gens, pour que tout le monde prenne ce merci là comme il a envie de le prendre.

LFB : Ça me fait penser à Kalash Criminel sur son album La fosse aux lions, il a un morceau ou il remercie les gens et il dit “ au fond j’vous aime tous” après avoir dit un max de trucs hardcores juste avant sur le projet.

Smeels : Je capte, j’aime bien faire ce genre de contraste aussi. 

LFB : Tu as des attentes particulières sur la réception de ce projet ?

Smeels : J’ai envie que les gens puissent mettre un peu plus de respect sur mon blaze (rires).
Non plus sérieusement j’ai envie qu’ils découvrent cette partie là de moi. Un truc que je n’ai pas vraiment dévoilé jusqu’ à aujourd’hui. Je suis totalement à nu sur le projet et j’ai zéro filtre.
Tu vois moi je me sens proche des gens qui m’écoutent et j’ai envie qu’eux aussi ils se sentent proche de ce que je suis et de ce que je vais pouvoir leur raconter.
J’ai envie que mes auditeurs se sentent concernés et puissent dire “on connaît Smeels aujourd’hui”.
J’aimerais que ça débouche sur un “succès”, soyons fous (rires).
Que ce soit un projet qui marque et que ça montre aux gens que j’ai passé une étape autant sur l’écriture que sur le choix des prods ou la direction artistique. C’est un projet qui m’a fait transpirer !

LFB : Je vais finir sur une remarque générale que je me fais sur ton projet et sur ta proposition artistique de manière générale.
Dans un morceau tu expliques que tu fais du cash pour oublier l’amour parce que “l’amour ça pue la merde” mais moi j’ai l’impression que Smeels c’est plutôt donner de l’amour pour faire du cash.


Smeels : Mec t’es chaud parce que c’est ça, c’est clairement ça, très bonne analyse !
Je pense que plus je vais donner du love dans mes sons, plus je vais être vrai, plus ça va m’être bénéfique. Pas qu’en terme de cash, c’est un gain général. Encore une fois tout passe par le love, quand t’as l’amour tout va bien,

LFB : Le cash au final c’est surtout une symbolique…

Smeels : C’est ça, tu en as forcément besoin mais le plus important ça restera toujours le love. Tant que ton cœur va bien, rien n’est grave.

LFB : Tu as des recommandations musicales à nous faire ? Un projet qui te fait kiffer en ce moment par exemple ?

Smeels : En ce moment ce que j’écoute c’est La Fève, c’est un artiste que mes managers m’avaient fait découvrir il y a deux mois mais comme j’oublie vite je n’avais pas regardé.
Mais un jour sur mon radar Spotify je suis tombé sur un son et depuis j’adore. C’est des textes hyper entiers, c’est du rap underground très kické et qui est très imagé, il y a un côté très théâtral. Tu as des punchlines qui font golri, d’autres qui font réfléchir, t’as aussi des punchlines ou tu arrêtes ce que tu es en train de faire et tu replay en mode “attends qu’est ce qu’il vient de dire là ?”.
C’est vraiment mon gros coup de coeur et c’est assez surprenant parce que de base c’est pas mon style de musique mais j’ai une attache folle pour cet artiste. Et pareil je pense qu’en 2021 il va y avoir un peu plus de respect sur son blaze aussi, en tout cas c’est un superbe artiste et il est très très fort.  

(Re)Découvrir Smeels :