Sleaford Mods fait corps avec Spare Ribs

Le groupe le plus revendicatif d’Angleterre est de retour just in time pour nous bousculer et balancer sa verve acide. On ne change pas une équipe qui gagne, la recette reste la même : une boucle électronique minimaliste mais terriblement efficace, et des diatribes brutales et saccadées qui sonnent comme du rap. Des punchlines massacrantes, une critique acerbe de la société anglaise, et une auto dérision à toutes épreuves ? On signe à chaque fois, et de façon un peu maso, et on adore ça. 

Pochette haute en couleur pour cet album au nom très peu vegan friendly. Avec Spare Ribs, le duo expose ses côtes de façon très graphique, en illustration de la classe populaire anglaise. Colonne vertébrale de la société, elle est pourtant considérée comme de la chaire à sacrifier par les élites. Une pensée de Jason confirmée par le terrible taux de mortalité dû au Covid, où la vie humaine semblait sans valeur et remplaçable pour les politiques anglais. Vous l’aurez compris, écrit l’année dernière en pleine pandémie, cet album est plus que jamais d’actualité et rempli d’amertume et d’ironie. 

Et le combat débute avec The New Brick, dans lequel Jason adopte l’attitude d’un Monsieur Loyal dans ce cirque médiatique. Hommage à Pink Floyd, ils décrivent ce nouveau mur infranchissable mis en place par les Tory, la classe dominante anglaise. Prête à tout pour maintenir le plafond de verre, elle s’accapare du pouvoir et nie les besoins du peuple.

Cette critique de la politique se poursuit de plus belle avec Shortcummings, un des sons le plus provocateur de l’album. Pourtant écrit en 2019, le groupe s’agaçait déjà de l’omniprésence de Dominic Cummings en politique et dans les médias, avant même son ascension en proche conseiller de Boris Johnson. Jeux de mots audacieux entre son nom et l’éjaculation précoce, la musique annonce une vraie lutte des classes. Avec sa guitare un peu rockabilly, et son refrain qui s’immisce dans votre tête, c’est le parfait exemple de l’efficacité de Sleaford Mods.

Derrière cette avalanche de sujets graves et importants, c’est aussi le talent absolu pour l’autodérision et de la moquerie. Elocution débute par un discours s’adressant directement au public à propos de l’importance des salles indépendantes, dans l’espoir de pouvoir s’en éloigner au maximum. Ca tombe bien, en ce moment elles sont toutes fermées. C’est pas politiquement correct, mais on rit jaune. Réconcilié avec le chant, Jason envoie des phrasés plus mélodiques qui lui vont terriblement bien. 

Ce goût de la provoque, on la retrouve notamment dans Spare Ribs où ils n’hésitent pas à balancer des noms de célébrités pour mieux se moquer de leur physique ou leur idéologie. Il y a aussi des raps aux allures de brèves de comptoirs un peu alcoolisées à la manière de Glimpses ou Thick Ear, où ils endossent avec fierté leurs origines prolétaire et leurs accents connotés. Longtemps honteux de tout cela, ils en jouent aujourd’hui à fond, ainsi que de leur statut de Working Class Heros.

Allure de The Prodigies avec qui ils ont collaborés dans le passé, I Don’t Rate You sort du lot avec ses effets bien saturés et sa construction plus complexe qu’à l’habitude. Effets vocaux, montée en puissance, il y a des réminiscences de rave party bien nerveuse. Ils expérimentent aussi beaucoup dans cet album, sortent de leur zone de confort, pour un rendu encore plus percutant.

Première fois dans l’histoire du groupe, des guests viennent faire les chœurs de certains sons leur donnant une petite attitude Rn’B. Nudge it se glorifie de la présence de Amy Taylor, du groupe de punk Amyl and the Sniffers, qui se prête au jeu avec talent. Elle vient rajouter sa verve au rap du groupe, qui pour l’occasion pousse à nouveau un peu plus la voix. Une critique de la gentrification et de la glamourisation de la misère, illustrée par ces instagrameurs privilégiés posant dans les quartiers prisons des plus démunis. L’art de créer du contenu vide de sens ou du comment se faire de l’argent sur le dos de la pauvreté.

Deuxième collaboration, Mork n Mindy introduit l’anglaise Billy Nomates qui s’empare des refrains mélodiques. Hommage au célèbre show américain? Sur fond de claviers futuristes, on est pourtant plongé dans l’enfance de Jason. Le clip se déroule dans une reconstitution de sa maison familiale, entre la nostalgie et l’amertume. Beaucoup de tendresse lorsqu’il tente de trouver de la beauté dans ses souvenirs d’enfance, bien qu’il était déjà conscient de la misère sociale dans lequel il était plongé. Une impossibilité de fuir ce milieu, qui il est et ce qu’il fait importe bien peu. 

Cette mélancolie conclura l’album avec Fishcakes. Un synthé qui résonne tel un fantôme du passé alors que Jason entonne une mélopée chargée d’émotions sur les anniversaires au fast food et les cadeaux de Noël de seconde main. « Au moins nous avons vécu » résonne telle une fatalité. 

Sleaford Mods est plus engagé que jamais. Alors que la crise sanitaire et social frappait au plus fort les démunis, ils ont composé et enregistré cet album en un temps record. Une urgence se dessinait. Celle d’exiger une réponse politique, celle de considérer la vie humaine, toutes les vies humaines, d’arrêter l’hypocrisie et de briser les tabous sociétaux. Spare Ribs est un témoignage de notre époque selon un point de vue bien souvent négligé : celui de la classe ouvrière et des plus démunis. Album important, il signe aussi un véritable renouveau musical du duo qui sort de sa zone de confort. Plus que jamais, Sleaford Mods fait corps avec l’Angleterre.