Silly Boy Blue : « Je ne peux écrire que sur ce que j’ai vécu »

Interviewer un jeune artiste a souvent tout du piège puisqu’on cherche souvent à éviter au maximum les questions bateaux et la redite. Pour être tout à fait honnête, l’exercice n’a pas été des plus difficiles en ce qui concerne Silly Boy Blue. On a été tellement charmé par son premier EP But You Will qu’on avait beaucoup de questions à lui poser. On a donc été ravi de se retrouver face à une artiste qui reste sur ce fil tendu entre fragilité et force mais qui surtout, mène sa carrière le long d’un axe fort : l’honnêteté avant tout. Une interview garantie sans David Bowie.

La Vague Parallèle : Salut Ana comment ça va ?
Silly Boy Blue : Comment te dire … Théoriquement ça va. Je suis un peu épuisé moralement par le fait d’être restée coincée trente minutes dans un RER sans lumière et avec plein de gens. C’était fantastique ! Mais à part cette mésaventure de merde, ça va.

LVP : Avant de commencer à proprement parler l’interview, j’ai un objectif pour toi : ne pas parler de David Bowie !
SBB : C’est possible ! J’en ai parlé toute la journée aujourd’hui vu que c’est son anniversaire donc c’est envisageable !

LVP : Bon c’est parti ! J’ai énormément écouté ton EP et la sensation que j’ai eue, c’est d’entendre quelqu’un qui a eu mille vies. Comment tu expliques cette maturité qui transparaît dans ta musique ?
SBB : Je pense que c’est le fait d’avoir vécu des trucs assez douloureux qui m’a fait grandir assez vite dans certains domaines. J’ai aussi toujours été entourée de gens plus vieux que moi, j’ai sauté une classe et j’étais la plus jeune de ma famille… En fait, j’étais la plus jeune partout, donc j’ai du palier en étant plus grande. En trainant dans ma famille, avec mes amis, dans mon travail avec des gens plus âgés, j’ai toujours compensé le fait d’être plus jeune.

Et tout simplement, les trucs que j’ai vécus, le seul moyen que j’avais de les exprimer c’était la musique … Ce qui fait qu’on a l’impression qu’il y a plein de choses, mais ce sont finalement les mêmes histoires, racontées de manières différentes et à des époques différentes et des étapes de ma vie différentes.

LVP : Tu connais le concept des âmes anciennes ?
SBB : Oui oui !

LVP : Est ce que c’est quelque chose dont tu te sens proche ?
SBB : Je pense pas. Déjà je trouve ça présomptueux de dire « je suis une âme ancienne, qui ne correspond pas à cette époque de merde » même si c’est quelque chose que je conçois. Je pense que je suis une âme contemporaine (rires)… Si cela existe.

Non, je pense que je suis dans mon temps, c’est juste que j’ai des manières d’exprimer mes sentiments et mon vécu qui sont peut être dramatisées par ma mélancolie et comment je suis en vrai.

LVP : Justement, tes paroles évoquent souvent des sujets très personnels, est ce que tu envisages ça comme une catharsis ?
SBB : Ouais, complètement.

LVP : Et comment tu fais le juste milieux entre fiction et réalité ?
SBB : J’essaie d’être le plus sincère possible, en fait. Déjà parce que mes morceaux, je peux pas les écrire sur autre chose que ce que j’ai vécu. Je vais pouvoir écrire sur des ruptures, sur le féminisme, sur des oppressions, sur beaucoup de choses que je vis, mais je serais incapable d’écrire sur des choses que je n’ai pas vécues. Je trouverais totalement illégitime et irrespectueux d’écrire sur une cause qui n’est pas la mienne ou un sujet qui ne m’appartient pas. Je trouverais ça vraiment pas classe et je ne serais pas sincère.

Après, la différence entre fiction et réalité elle se fera pas forcément sur les paroles mais sans doute plus dans les métaphores et dans les choses que j’essaie de cacher. Mais aussi sur ce que j’ai envie d’être sur scène et qui ne colle pas à la réalité. J’ai ce gros conflit intérne ou je me demande si je suis un petit être emo discret et goth dans un coin ou si j’ai envie d’être une meuf hyper powerfull comme Lady Gaga.

LVP : Et c’est pas trop compliqué de ressasser ces sujets un peu personnels ?
SBB : Parfois c’est compliqué de jouer et de chanter des choses qui m’ont fait beaucoup de mal. Mais quand je me rends compte que je suis sur scène, que je joue des morceaux qui vont peut être toucher et plaire à des gens, je me dis que c’est un peu une victoire aussi pour moi. De me dire que j’ai réussi à dépasser ce stade, l’enfer de la création, où j’étais au fond du fond et d’en avoir fait quelque chose de musical et d’artistique. D’une certaine manière, c’est nécessaire en fait. Ça peut être douloureux, mais c’est une douleur que j’accepte et qui fait aussi ce que je fais.

LVP : J’ai remarqué un truc, je me trompe peut être,on dirait qu’il y a une zone de flou dans la façon dont tu écris, ou le texte pourrait aussi bien être dit par une femme ou par un homme. Est ce que c’est quelque chose de réfléchi ?
SBB : Alors pas du tout ! (rires) C’est vrai que j’utilise souvent la deuxième personne parce que je parle à la personne en question. C’est pas réfléchi mais maintenant que tu me le fais remarquer ça m’arrange, parce que ça c’est fait pour s’adresser à cette personne-la. Mais ça me va qu’un mec puisse chanter mes chansons, qu’une meuf puisse chanter mes chansons, qu’un mec puisse chanter à son mec ou qu’une meuf puisse chanter à sa meuf et tout ça.

LVP : Mais même dans ton dernier clip, il y a ce côté très androgyne.
SBB : Ouais, c’est un truc qui me plaît. Déjà parce que je suis comme ça et que je suis complètement pour la fluidité des genres. Que moi je me cherche encore sur beaucoup de choses mais que c’est un truc que je défends à fond et j’assume maintenant de plus en plus mes choix pas genrés féminin et pas genrés masculin. Comme je te disais, je m’identifie aussi bien à un petit garçon un peu goth qui écoute Joy Division, les Cure ou Eliott Smith qu’à une meuf hyper powerfull comme Lady Gaga ou MIA. Donc j’assume ceci (rires).

LVP : On classe beaucoup ta musique comme triste ou sombre.
SBB : Ouais (rires)

LVP : Je sais pas si c’est moi qui suis bizarre, mais je la trouve hyper chaleureuse et réconfortante.
SBB : Oh Trop bien ! Ca me fait trop plaisir.

LVP : Moi c’est le genre de musique que j’écoute quand je suis dans un état émotionnel qui tangue. Et je me demandais dans quel était émotionnel tu te plaçais pour créer ta musique ?
SBB : Alors, j’ai eu de tout. Que ce soit des gens qui l’écoutaient en pleurant pour se mettre dans un état mélancolique ou en partant en voyage parce qu’ils étaient contents. Moi je l’ai composée telle qu’elle sortait, je l’ai pas théorisé du tout. Pour moi, ce sont des moments tristes qui donnent des morceaux que je trouve très heureux. Par exemple You’re Cool, même si elle sonne comme quelque chose de triste pour moi, c’était vraiment quelque chose de positif à écrire. Après, je suis vraiment contente qu’elle touche les gens, que ça soit triste ou malheureux, tout me va.

Subjectivement, en termes de paroles, je te dirais que c’est triste mais sans ça, j’aurais pas réussi à aller mieux, à mettre des mots sur les choses. On va dire que quand je commence à écrire un morceau je suis triste et quand je le finis je suis heureuse parce que j’ai fait le deuil de ce que je voulais dire. Donc pour moi, c’est vraiment moitié-moitié et ça dépend du contexte dans lequel tu l’écoutes aussi. On dira que chacun voit midi à sa porte, puisque j’ai cinquante cinq ans visiblement (rires).

LVP : Je sais que tu as écrit en français pour d’autres personnes. Est ce que c’est quelque chose qui t’a titillé pour ce projet ?
SBB : Pas du tout. C’est parti de Raphaël qui commençait à écrire son EP en français qui m’a fait écouter des maquettes et qui bloquait sur le refrain. C’est pas quelque chose que j’aurais fait spontanément. C’est pour l’instant pas un monde qui m’attire.

LVP : L’anglais te permet de te cacher encore un peu ?
SBB : Complétement ! L’anglais ça me permet de me planquer, ça me permet aussi que mes proches sachent pas vraiment sur quoi je chante. Par exemple ma maman qui continue de me demander mes paroles et à qui je dis « non ». Et aussi, j’ai toujours écrit en anglais car j’ai toujours écouté de la musique en anglais et c’est venu de cette manière-là naturellement. Donc pour le moment je compte pas changer, je me sens pas assez légitime sur le français.

LVP : Je voudrais parler un peu de ton live. Tu as joué avec des groupes et là, tu es seule sur scène. Je me demandais comment tu avais pensé ton live, surtout au niveau de l’occupation de la scène.
SBB : J’ai fait des lives pour me roder, là j’ai une résidence parce qu’il y a encore du travail à faire la dessus et j’y pense encore tous les jours. C’est venu assez naturellement d’occuper l’espace déjà parce que je suis toute seule et qu’au bout d’un moment, il faut faire quelque chose. C’est vrai que de gérer mon live de A à Z, ça m’a permis de m’affirmer. Et vu que ce sont mes paroles, mes mélodies et que je peux vivre le truc sans problème car je sais de quoi je parle, ça m’est venu naturellement d’incarner les morceaux comme je les incarne parce que ce sont des choses que j’ai vécues, je les vis un peu sur scène.
Je bosse là dessus tous les jours et j’avais vraiment besoin d’être toute seule et livrée à moi-même pour que la prise de risque me booste aussi.

LVP : Y’a un truc d’assez fascinant en live quand on te voit, et qu’on te connaît un peu en dehors, c’est que tu as une façon de fixer les gens qui est limite intimidant.
SBB : Sérieux ? Trop bizarre (rires)

LVP : Et donc ma question c’est comment Ana se transforme en Silly Boy Blue ? (rires)
SBB : Pas du tout d’alcool déjà ! Je pense qu’il y a plusieurs facteurs : il y a le stress, l’adrénaline qui me fait être à fond dedans… Y’a ce que je chante, complètement ! Moi je suis seule donc j’ai besoin du contact avec le public, de lui chanter les morceaux et de les incarner donc ça, ça fait un lien. Et les morceaux, je les vis comme quand je les écris donc j’y mets l’intention comme si j’avais la personne en face de moi, les responsables des oppressions en face de moi … Je les interprète vachement, ce qui fait que je peux être en colère ou émue, passer de la méchanceté à la gentillesse (rires).

LVP : Y’a quand même quelque chose d’hyper frontal dans ta façon d’être.
SBB : Ouais mais ça correspond vachement au projet en fait. Le projet c’est un peu « salut c’est moi, je suis toute seule, ça c’est un morceau ». Donc je vais aller me buter pour que ça plaise et que ça fasse ressentir des choses car tu es en face de gens qui ont payé pour te voir et voir d’autres groupes donc tu te dois d’incarner quelque chose et de proposer quelque chose qui plaise ou pas mais qui soit légitime à être sur scène. Moi je suis toute seule, y’a personne pour me planquer, y’a pas quinze musiciens hyper talentueux autour de moi et il faut absolument que je propose quelque chose d’honnête pour pas sortir de scène et avoir honte de ce que j’ai fait

LVP : Au final on en revient toujours au fait que ta musique est très personnelle. Est-ce que tu envisages un jour de la partager avec d’autres musiciens sur scène ?
SBB : Pourquoi pas. Je sais pas encore parce que c’est le début et que pour l’instant on est d’accord avec le tourneur et le label pour présenter le projet avec moi et mes machines. Ensuite on verra selon l’avenir, selon les dates mais c’est un truc que j’envisage parce que j’ai pu bosser avec des musiciens et ça apporte toujours quelque chose. On peut pas dire, même si c’est un projet solo « c’est juste mon backing band » , les musiciens apportent toujours quelque chose que ça soit personnel ou professionnel et tu apprends toujours quelque chose. Donc j’aurais aucun problème à partager ma musique comme je l’ai fait en studio avec Robin et Cyrus. C’est toujours productif et ça fait toujours constructif.

LVP : Les chansons que tu joues sur scène, en dehors de celles présentes dans ton EP, sont très électroniques. Est ce que c’est une orientation que tu veux prendre ou c’est du au fait que tu sois seule sur scène ?
SBB : C’est du au fait que je sois seule sur scène, que parfois des chansons que je joue ont été finies deux semaines avant et donc ça se joue encore entre moi et mon ordi grosso modo. Après, c’est vrai qu’en faisant des lives, je me rends compte que c’est plus simple de rester sur des trucs électroniques ou guitare-voix … Après je nie pas du tout le côté électronique de ma musique, c’est un truc qui me plait et je découvre encore tous les jours sur la MAO ou sur Abbleton. Je sais pas encore quelle direction va prendre la suite, je sais juste que ça va rester fidèle à ce que je fais là parce que je sais faire que ça. Mais là tout de suite, c’est plutôt en terme de logistique, mais aussi d’affirmer ce que je fais là.

LVP : Et tu penses au live quand tu écris tes chansons ?
SBB : Avant non, maintenant un peu plus, notamment pour la guitare … Après, avant de penser à comment jouer, ce que je vais faire tout ça, je pense surtout « est ce que j’ai envie de chanter, est ce que j’ai envie de dire ces mots-là, comment j’ai envie d’être en chantant ça et ça qui me motive le plus » ? Si je veux faire du piano sur un morceau, mettre ou pas de la guitare par exemple, il suffira de le bosser, parce que c’est moi qui fait les parties, donc je pense surtout à comment je veux l’incarner et maintenant, de plus en plus, à quelle place il aurait dans ma setlist, quel morceau il pourrait remplacer … Après j’y pense et puis je commence à composer et je me dis « là je vais mettre un truc hyper vener… » et puis finalement ça finit en piano voix et je suis la « quoi ? qu’est ce qui c’est passé ? Pourquoi ? ».

LVP : On va passer sur une question hyper sérieuse.
SBB : Oh la la …

LVP : On est en 2019. Un festival comme « Les femmes s’en mêlent » existe encore aujourd’hui. La place de la femme dans le monde de la musique reste hyper marginale et toujours mise en avant sous la validation d’un homme. Comment toi tu vois la place de la femme dans la musique ?
SBB : Alors est ce que tu as quatre heures  devant toi (rires) ? Moi je trouve que la place de la femme dans la musique est encore extrêmement minime. Il y a des festivals et des programmateurs qui commencent à se bouger pour ça, à faire des efforts sur la parité mais ça reste encore beaucoup trop petit.

La place des femmes côté technique est encore extrêmement faible. Au final, ce sont des problèmes de fond : Comment tu veux qu’une femme ait aujourd’hui envie de faire de la musique quand elle voit qu’il y a trop peu d’icônes féminines, qu’il y a trop peu d’exemples, qu’il y a 15000 barrières à l’entrée, que les cours de guitares sont tous donnés par des hommes âgés,… ? C’est hyper problématique en fait et ça revient à trouver sa place dans un monde dominé par des hommes et c’est très très compliqué de se battre contre ça.

Après, il y a des initiatives de la part de festival comme Les Femmes S’En Mêlent, pour qu’il y ait d’autres personnes que des hommes blancs d’une trentaine d’années qui fassent des groupes de musiques… C’est bien mais il faut continuer. Il faut qu’il y ait des meufs toutes seules, il faut qu’il y ait des femmes en groupe…. En fait, quand je vois qu’il y a des projets de meufs qui ont pas le quart des vues youtube d’un groupe médiocre 100 % masculin, qui connaît tel mec qui a fait tel prix… Moi ça me dépasse. Je rencontre tout le temps des meufs archi talentueuses mais qui osent pas, qui ont pas rencontré les bonnes personnes ou à qui on a dit «  ouais faudrait que tu perdes 20 kilos ». Je rencontre énormément de meufs qui ont des choses à dire et du talent et en même temps, je vois dans les médias des groupes qui n’ont rien à dire et pas de talent et c’est hyper frustrant.

Moi j’ai toutes ces inspirations qui m’ont poussée à oser être qui je suis et à faire ce que je fais et j’espère que toutes, on pourra mettre une pierre à l’édifice. Moi j’ai un message à faire passer : les meufs, il faut faire de la musique parce qu’on a trop de talent pour se laisser écraser par des mecs qui n’en ont pas. Voilà. (rires)

LVP : Tu travailles en même temps que tu fais de la musique. Est-ce que tu te poses la question de choisir entre les deux ?
SBB : Ouais. Je pense que là je vais finir un cycle au niveau du travail et après je vais prendre le temps pour faire que de la musique. Je me la suis posée pendant des années cette question, que ça soit avec Pégase quand j’étais à la fac, avec mon ancien groupe quand j’étais à l’IUT,… Et là j’ai plein de dates et je dis que si je le fais pas maintenant avec mon projet à moi, je le ferai jamais. Donc je pense que je vais prendre le temps de faire que ça.
Et puis honnêtement, j’ai bientôt 23 ans, j’ai 4 diplômes, j’ai fait un IUT, une fac, un master et là je valide un second master donc j’en ai un peu ras la casquette de la réalité. Ça fait 6 ans que je fais des études donc tout ce que je devais à mes parents ou à ma scolarité c’est bon, ça fait deux ans que je travaille en alternance tout en validant un master. Donc mon quota de réalité je l’ai eu.

Et j’ai vu tous mes potes faire un Erasmus, passer le permis, prendre une année sabbatique,… Je me dis que j’ai droit à ce moment-là et que c’est un peu maintenant ou jamais. J’ai rempli toutes les cases que la société donne pour devenir une « personne respectable » donc maintenant je vais devenir artiste ! (rires)

LVP : Pour finir, est ce que tu as des coups de coeur récents ?
SBB : En série j’ai regardé You et pour l’anecdote, j’ai pris mon bain vers minuit en me disant, « je vais me mater un épisode » et je suis sortie de mon bain à cinq heures du matin en étant complètement fripée (rires). Non j’ai adoré cette série, je l’ai trouvé géniale.

En musique en ce moment j’écoute les Zombies à fond, c’est pas très récent. J’aime beaucoup Billie Eilish et King Princess et en français, Requin Chagrin.