Serpent , une dysfunktion qui provoque la jouissance

On le sait, le nouveau rock français est marqué par un certain sérieux et une envie d’en découdre, et oscille souvent entre le froid et le mur du son brutal. Au milieu de ces nuées sonores se glisse un vilain petit Serpent qui fait la nique aux tendances et dirige sa barque vers des contrées où le groove et la funk se retrouvent, au cœur d’une énergie dévastatrice et collective. Après un Time For A Rethink en guise de manifeste, le groupe a délivré récemment Dysfunktion, un nouvel EP qui enfonce le clou d’une musique revigorante et bourrée d’énergie.

Serpent pochette
Photo : David Maurel
Visuel : Valerian7000

Si l’on ouvre un dictionnaire et que l’on se réfère à la définition simple de Dysfonction, on y trouvera ceci : Défaut de fonctionnement, fonctionnement anormal, principalement en ce qui concerne la sexualité masculine. La grosse panne sèche et la terreur de tous les mâles alphas de la planète qu’ici on méprise avec le plus grand plaisir.

En anglais cela donne Dysfunction et sous la moulinette de Serpent, le tout se transforme en Dysfunktion. Un bug dans la matrice, un reboot dans le rock qui passe par le funk et une envie : coller aux tendances froides du punk et de la coldwave des grooves et des rythmiques timbrées qui nous donneront à tous l’envie folle d’onduler avec ce Serpent.

Ces cinq garçons ont pris le temps de repenser leur musique (Time For A Rethink, vous pigez ?) et s’offrent donc une mue plus chaleureuse, tout en gardant l’énergie folle qui les caractérise, ainsi que l’envie de s’offrir une aventure de groupe où chacun a sa place, et le ton obsédant de paroles en anglais qui deviennent à certains moments une sorte de fourchelang qui nous hypnotise. Tout ceci donne donc à nos oreilles cet excellent Dysfunktion, nouvel effort en six actes.

Si la plupart des morceaux de ce nouvel EP avaient déjà trouvé une place prépondérante dans les excellentes sorties live du quintette, ils prennent une ampleur différente en version studio.

Loin de verser dans la nostalgie, même si les influences du groupe oscillent ostensiblement entre les années 70 et 80, la production offre elle un son complètement moderne et clair, laissant la part belle à tous les instruments et offrant une place de choix à la voix reconnaissable entre mille de Lescop.

Don’t Waste My Time ouvre donc l’aventure et dès les premières secondes, on remarque ce sentiment étrange, comme si l’on retrouvait un vieil ami que l’on reconnaissait, tout en observant ces changements. Le morceau semble être là pour faire la transition avec Time for a Rethink. On y retrouve ce tempo saccadé, ces guitares qui s’envolent et le chant parfois robotique de Lescop, mais à côté de ça, le morceau mute lentement, nous entraîne dans des endroits incongrus et nous fait sévèrement danser et nous entrainer vers … Dysfunktion.

Le titre éponyme de l’effort en est aussi l’essence. La dysunfktion est dans l’air et cela se ressent dans le morceau. C’est là qu’on réalise avec bonheur le motif réel de cet EP : un piratage en règle, une attaque sauvage vers notre hémisphère gauche et une tarte dans la gueule de nos attentes. En 3 minutes 33, Serpent nous offre un mélange explosif, allant cherchant dans la soul, la funk et la froideur des années 80. Ici et là des cris fous interviennent, un saxo dingue nous fait la nique et le morceau nous laisse sur les rotules. Un grand moment libérateur, sans doute aussi une ode à la folie, ouvrant les vannes d’un groupe qui met toute son ambition dans la surprise et l’énergie.

Vous pensiez pouvoir vous reposer ? Que nenni, voilà Lonely Freak et Zombies (That’s What We Look Like) qui débarquent. Deux titres en écho, comme si la solitude de l’un venait s’éteindre dans la meute de l’autre, dans une ouverture vers le monde et ses camarades de jeu qui fait notre plus grand bonheur. Dans la première, c’est la basse et la batterie qui prennent le pas et qui nous retournent, bien aidées par les guitares sur les passages instrumentaux. Là aussi, on ressent cette sensation presque vertigineuse de folie douce qui s’intensifie avec Zombies, morceau hyper lumineux, collectif et presque schizophrénique par instants. Si vous aviez laissé quelques verrous de votre volonté fermés, c’est le moment idéal pour les faire sauter.

Et c’est tant mieux, puisque c’est le moment choisi pour le grand feu d’artifice, avec Ice Age. Déjà repérée elle aussi en live, la track impressionne et réjouit nos oreilles. Un titre imparable, dansant, joyeux et bordélique comme on l’aime. Cold Sweat enchaîne et ne relâche pas l’énergie, allant puiser dans nos dernières ressources pour nous envoyer un dernier uppercut collectif, qui termine en beauté cet EP qui ferait pâlir d’envie beaucoup de groupes.

Comme quoi, un changement de lettre peut totalement changer un mot. Parce qu’avec Dynsfunktion, Serpent provoque la jouissance musicale qu’on n’attendait plus. Un style unique dans la scène française actuelle, qui donne au groupe une saveur particulière, bien aidée par une sincérité et un désir qui nous touchent en plein cœur. Un nouveau coup gagnant, en attendant la prochaine mue.