Saycet: « J’ai toujours composé en strates, de façon verticale »

Dans un troquet parisien de son quartier, nous avons retrouvé Saycet, compositeur de musique électronique, à l’occasion de son nouvel album, Layers, sorti le 8 octobre dernier. Autour d’un verre de vin nous avons longuement parlé de confiance en soi, du sens à donner à son métier, du plaisir soudain ressenti en live et de bien d’autres choses…

Saycet pour la release party de son album Layers le 28 octobre au Badaboum à Paris
Saycet pour la release party de Layers le 28 octobre dernier au Badaboum à Paris. Crédit photo: Céline Non

La Face B: Salut Saycet ! Tu viens de finir ta tournée 2021 et les premières parties avec Thylacine. Comment ça va ? Pas trop fatigué ?

S: Non ça va. C’est assez galvanisant. Physiquement je suis un peu fatigué mais on n’a pas non plus fait 70 dates donc on a le temps de s’en remettre. Mentalement c’est cool mais il y a beaucoup d’émotions, il faut digérer tout ça. C’est plutôt des choses positives. On a terminé avec le Transbordeur à Lyon, une grosse salle. C’est un super souvenir avec un public assez pointu en électro. Et en plus avec l’équipe de Thylacine avec qui je m’entends très bien.

LFB: D’ailleurs, comment s’est passée la rencontre avec Thylacine ?

S: On s’est rencontrés entre 2012 et 2014 je ne sais plus trop, via un ami en commun et on a déjeuné ensemble. C’était un peu avant l’album Transsiberian. On a échangé sur notre manière de mixer un morceau ou de composer. Et on a 11 ans d’écart donc c’est assez intéressant de se confronter à une génération différente, de voir la candeur qu’il avait aussi. La candeur c’est pas négatif hein ! Lui, sa carrière était vraiment en train d’exploser, donc c’était bien de voir comment il gérait ça. C’est quelqu’un qui ne se met pas trop la pression, en tout cas en apparence, qui prend le temps de vivre les bonnes choses et moi je trouvais ça assez dingue. J’ai un caractère complètement différent du sien.

On est restés un peu en contact, on s’écrivait des messages de temps en temps. Puis il a fait une résidence au château de Versailles où pendant une journée et trois nuits il s’est immergé dans l’ambiance sonore du lieu pour en créer un morceau. Grâce à lui, j’ai pu faire la même chose. Il a parlé de moi à Thomas Garnier, qui s’occupe de la communication audiovisuelle et qui connaissait déjà mon projet. Pendant Versailles on s’est beaucoup rapprochés. Je lui ai fait écouter mon album et il m’a naturellement proposé la tournée.

C’est le genre de rencontre où tu ne calcules rien et au fur et à mesure tu te dis « mais en fait, ce mec est cool ». Il est très bon musicalement et humainement parlant il est super intéressant. Je pense que dès que ça commence à être intime, je suis quelqu’un d’assez réservé et je crois que lui aussi. Au bout du compte, il nous a fallu 7 ans avant qu’on se rende compte qu’on s’entendait vraiment bien et qu’on avait des valeurs communes donc c’est assez rigolo.

LFB : Tu jouais le 28 octobre dernier au Badaboum à Paris pour la release party de ton album Layers. Il y avait la vidéo, qui fait partie intégrante de ton projet depuis le début et c’était la première fois qu’il y avait ton nouveau live avec Zita Cochet. Quelles sont vos impressions et comment est-ce que vous travaillez la scénographie ? D’où est-ce que vous puisez vos inspirations ?

S : Dans l’ordre, c’était cool (rires). J’pense qu’on a eu de bons retours et je fais confiance à Zita: si elle me dit que c’est bien, ça l’est.

Il faut savoir qu’on travaille ensemble depuis 2005 donc la création est simple. Tout passe par le dialogue : on est constamment en train d’échanger, de se dire ce qu’on veut et on s’adapte. En plus, on a cette base commune où on a été colocs pendant quatre ans donc on sait comment on bosse. Elle connaît très bien mon son et elle m’accompagne vraiment dans les évolutions de mes influences. Elle me fait des retours aussi, que j’entends ou pas d’ailleurs.

Depuis, on n’a pas changé nos modes de création. Ils sont plus matures, plus pointilleux, plus exigeants aujourd’hui mais la matrice même de la création réside dans cette parfaite connaissance qu’on a l’un de l’autre. On est accordés et ça c’est inaltérable. Donc la création de cette scénographie c’est une espèce de mutation de celle de Mirage qui avait légèrement la même base mais qui n’était pas aussi poussée. On a tourné en Chine en 2018 et là, il y a un truc qui s’est passé et elle a voulu faire des tests.

LFB: Tu te vois un jour travailler sans elle ?

S: En vidéo ? Non. Ce qui est assez marrant et hyper bizarre c’est que les premiers concerts que j’ai fait sans vidéo c’était avec William (Thylacine) et je n’avais jamais joué sans elle avant. De ma vie ! Elle m’a dit: « il faut que tu le fasses, c’est hyper important, ton show peut aussi exister sans vidéo ». Et je me suis rendu compte qu’elle avait raison.

Mais à partir du moment où on va raconter une histoire je ne me vois pas du tout travailler sans Zita. Il n’y a pas que la création; il y aussi l’ambiance, la vie des dates et c’est des choses que j’ai envie de vivre avec cette fille. Elle est super, c’est une très bonne amie. Et de voir que 20 ans après, avec cette personne je peux toujours partir, en France ou très loin à l’étranger, ça n’a pas de prix. Là, on fait une création pour le musée d’Orsay et elle est dedans.

LFB: Le ciné-électro le 13 janvier. Est-ce que ça a un lien avec ton projet de ciné-concert sur le film Finis Terrae de Jean Eipsten sorti en 1929?

S: Oui c’est tout à fait ça. C’est un super exercice qui permet de montrer au public qui t’aime une autre facette de toi. J’ai beaucoup de pression. Pour l’instant je n’arrive pas vraiment à faire ce que je veux mais c’est normal c’est le processus créatif et comme justement je fais de la musique à l’image je me complique peut-être la vie. Je suis hyper content, c’est un film que j’aime énormément. On a eu l’autorisation de Gaumont et d’Orsay (la création fera 30 minutes) de pouvoir retoucher au montage. Zita va donc remonter de façon chronologique en temps réel sur ma musique. C’est un cinéaste qu’elle aime beaucoup aussi donc c’est cool mais on pas encore commencé. On va faire ça début janvier je pense. Je vais d’abord faire la musique sur les images et elle, elle va sélectionner celles qui lui semblent vraiment pertinentes.

LFB: Justement.. L’image occupe chez toi une place prépondérante. Je pense notamment au clip surréaliste Solaris que tu as imaginé avec Julie Joseph et qui a gagné un certain nombre de prix (Russie, USA, Ukraine). Le projet s’est fait sur 2 à 3 ans, ça parait long… Pourquoi ?

S: C’est hyper simple. On a bossé ensemble sur une publicité de Van Cleef & Arpels, où elle était réalisatrice et on s’est bien entendu. Puis en 2018 elle m’a parlé de son projet de court-métrage où elle cherchait un artiste. Je lui ai dis que je sortais un album en 2020 donc je ne lui mettais pas la pression. Julie l’a élaboré dans les moments où elle n’avait pas de travail à côté et c’est de l’animation donc c’est normal que ce soit long, il n’y avait pas de prod’ ni de budget. Elle a mis du temps avant de me montrer quelque chose. Elle avait peur sauf que via la pub qu’on avait faite je savais déjà ce qu’elle créait.

Je pense que c’est une animatrice et illustratrice renommée. Si tu adhères à son univers il y a quand même très peu de chance pour que tu n’aimes pas le résultat, donc moi j’étais juste impatient. C’est un travail particulier et personnel. C’est assez unique et je trouve ça cool aujourd’hui, alors qu’on est dans une sorte de normalisation, de voir naître ce type de projet.

Clip Solaris extrait de l’album Layers de Saycet

LFB: Je disais que le clip avait été long à voir le jour mais de la même manière tes albums sont longuement mûris. Tu mets en moyenne 5 ans à les faire, 6 pour Layers. Est-ce que finalement ce n’est pas le temps nécessaire pour proposer une œuvre qui te corresponde et qui évolue avec tes préoccupations du moment ?

S: Je ne sais pas. En fait, je t’aurais dis oui jusqu’à Layers. Et en même temps sort avant la série La révolution sur Netflix et le documentaire animalier Le roi bâtard sur Canal +, pour lesquels j’ai composé la musique. Je me rends compte finalement que les gens ils aiment tout autant donc je me dis que je me prends sacrément la tête pour rien quelque fois. Peut-être que je devrais jeter plus de créations et avoir plus confiance en mon travail. A part Murmuration, les compositions ont été finies en 2017. Après c’est un travail de production, ça a pris plein de formes différentes. Layers à la base c’était un morceau sans voix, hyper binaire, on aurait dit du Max Cooper. Ça se trouve il était mieux avant, j’en sais rien (sourires) mais en fait je ne me fais pas confiance.

LFB: Ton premier album, One day at home est sorti en 2005. 15 ans plus tard, tu doutes encore ?

S: Ouais. Mon obsession pendant mes 4 premiers albums a été de faire des morceaux qui se ressemblaient tout en étant différents. Et là je commence un peu à me dire qu’on s’en fiche, s’il y a vraiment l’émotion et s’ils aiment te retrouver alors c’est génial. Peut-être que les gens ont envie d’écouter quelque chose qui ressemble aux albums précédents.

LFB: Donc tant pis si tu perds des personnes, tu en gagneras d’autres..

S: Alors moi j’ai tendance à en perdre (sourires). Plus maintenant mais au départ oui. Mon premier album c’était vraiment un album très électro et les 2e et 3e étaient beaucoup plus pop. J’en ai donc beaucoup perdu de cette base mais j’en ai gagné aussi. Quand tu fais une collaboration avec Juliette Armanet, c’est un autre public et quand derrière tu refais un truc très très électro, le feat avec elle, tu le perds. Là je commence à trouver un peu ce que je veux, enfin je te dis ça mais.. (sourires)

LFB: Quand tu as sorti Layers tu as dis sur Facebook que tu étais partagé entre excitation et soulagement et que tu avais pensé arrêter la musique de manière plus globale. C’est quand même assez rare de dire ça dans un contexte de promo presse.

S: Alors oui sauf que tu ne l’as pas lu sur mon Facebook public ! Mais je ne le cache pas. Depuis 2005-2006, depuis Myspace, les artistes peuvent s’exprimer de manière intime. C’est pas quelque chose que je fais beaucoup via les réseaux sociaux mais je pense que c’est hyper important de savoir que les gens doutent de manière générale et d’un point de vue créatif aussi.

Des fois je me demande ce que je pourrais faire d’autre dans ma vie et j’pense que c’est sain de se remettre en question. Est-ce que tu as envie de continuer de faire de la musique ou pas et dans quelles conditions. Est-ce que c’est compatible avec ta vie privée ou une vie de famille. Tu évolues. Quand tu commences à faire ce métier tu as entre 22 et 23 ans, quand tu en as 41 il y a plein de trucs qui rentrent en jeu donc oui j’ai eu envie d’arrêter. C’était après Mirage. Je faisais pas mal de musique de pub. C’était super, dans le sens où ça t’apporte du confort matériel et tu apprends de nouvelles techniques mais c’est pas le domaine le plus épanouissant artistiquement

Avant qu’on me propose des projets intéressants comme Le roi bâtard il s’est passé environ 8 mois. Pendant ce temps-là créativement parlant j’étais en précarité, je ne savais pas ou plus ce que je voulais faire, j’étais perdu. J’étais en plein dans la conception de mon album et il était très loin d’être avancé..

LFB: Est-ce que dans ces moments-là tu penses aux gens qui attendent l’album ?

S: Non. Et heureusement parce que sinon ça ne serait pas sain pour créer. Tu te dirais « je ne peux pas prendre mon temps parce que les gens m’attendent ». Et en plus de ça je ne suis pas Angèle, il n’y a pas 300 000 personnes qui me suivent.

LFB: Oui mais tu as quand même une solide « fanbase ». Sur Youtube par exemple, tu n’as que des commentaires positifs…

S: Ouais mais il n’ y a pas beaucoup de gens donc ils sont très fidèles, c’est super, mais ça ne peut pas être un « game changer » quand tu ne sais plus où tu en es. Quand tu doutes de toi, tu doutes. Après, je suis hyper respectueux, j’pense que j’ai une vraie relation avec les gens qui m’aiment bien et justement comme ça reste assez confidentiel je crois que je réponds à quasiment tous les messages qu’on m’envoie. C’est très humain.

Mais dans ton quotidien, tu zappes ça. Et puis c’est le quotidien du compositeur qui est pas une grosse « re-sta » mais qui vit quand même de sa musique. Ça peut être parfois assez monotone. Tu te réveilles le matin et tu te dis « faut que je fasse de la musique ». C’est ton métier mais quand tu n’as pas un énorme projet qui te tombe dessus, un film ou un gros label qui te met la pression, des fois ça peut être déconcertant.

Donc c’est dans ces moments-là où tu te dis que ce serait peut-être bien si tu avais un autre travail qui t’embarque. Moi j’ai beaucoup le temps de penser. Après c’est ultra bourgeois ce que je suis en train de te dire mais le matin je me réveille, je bois mon café et peut-être qu’entre huit heures du matin et midi je peux me poser des milliards de questions. J’ai aucune obligation. Des fois c’est assez vertigineux. (pause) C’est chouette, parce que je n’ai pas de problème pour manger mais en même temps qu’est-ce que je vais faire, comment je vais le faire, pourquoi le faire… ? D’où le questionnement sur l’arrêt de la musique.

LFB: J’ai l’impression que tu aimes les challenges, et que depuis tes débuts tu es habitué à faire face à des choix compliqués : travailler dans un vidéo-club tout en essayant de faire de la musique en même temps, monter ton propre label..

S: En fait ce qui a été compliqué c’est le covid. Pendant la crise, j’avais la chance d’être sur La révolution et je n’avais pas de tournée ni de sortie d’album. Je sortais du Roi bâtard et j’avais le futur long-métrage de Noémie Merlant, Mi iubita, mon amour qui arrivait juste après et pour lequel j’avais également fait la bande originale. J’avais donc une chance folle. Le système arrête de tourner et moi j’ai du travail contrairement à tous mes amis musiciens. Mais, en même temps, je me demande à quoi je suis utile. La vraie question du confinement. Je ne sais pas faire de pain, je ne sais pas faire de vêtements, je ne suis pas médecin..

LFB: Mais justement on s’est rendu compte que la musique avait un réel pouvoir..

S: Oui pour les autres mais pas pour moi. Moi avec ma sensibilité, la confiance relative que je peux avoir à certains moments je me dis que je ne sers à rien dans la société. Mais qu’est-ce que je sais faire d’autre ? Je me suis posé la question un certain temps.

J’ai eu la chance de ne pas être confiné à Paris et j’avais mon matériel pour composer. Avec Netflix et la production John Doe on travaillait à distance, ils ont vraiment été adorables. On se parlait beaucoup par téléphone, on en avait besoin. Mais quand tu raccroches, tu te demandes vraiment à quoi tu sers. C’était tellement bizarre ce qu’on était en train de vivre. Là, je suis en train de galérer et il me faut des gants, un masque pour acheter des courgettes et il faut que je bouffe quoi. Tu te demandes vraiment profondément à quoi tu sers.

Alors oui après tu adoucis les mœurs, tu fais rêver les gens, tu soulages, certes c’est hyper important. Mais sur un moment aussi violent tu te dis que tu as un « bullshit job » et tu as envie de tout changer. Tu as envie de fonder une famille, de revenir à un truc hyper premier mais c’est très vain en fait. « Ouais j’ai des états d’âme et je vais faire de la musique triste ». Mais je ne sais faire que ça. (rires) Puis après ça passe, tu réfléchis. Et puis je ne sais pas faire grand chose de mes mains, je ne suis pas très costaud ni scientifique donc je vais faire ce que je sais faire et c’est très bien. Le post Facebook privé était vraiment en lien avec ça..

LFB: Je trouve ça sain qu’un artiste s’exprime à ce sujet et je crois que tu gères encore seul tes réseaux sociaux ?

S: Oui mais on est beaucoup à le faire. Pour moi c’est un peu la base de ce que les gens attendent de l’artiste aujourd’hui. Surtout sur ce type de musique, où tu as autant de promiscuité avec le public. Les gens sont tellement impliqués sur ce que tu fais ! Ça les fait vibrer. Moi à la base c’est pour ça que je fais cette musique. Justement, tu vois là, après coup j’ai compris qu’il y avait une utilité, du sens. En fait, moi je veux juste du sens. Autre que marketing ou mercantile. J’ai vraiment nourri de vraies relations qui sont hyper abstraites parce que c’est des gens que je ne vois jamais ou que je n’ai jamais vus de ma vie. Ma musique vit à travers des décès, des mariages, des naissances, et moi ça me fait vraiment du bien.

LFB: Sur l’album Mirage il y avait le chant qui était très présent avec Phoene Somsavath. Il est totalement évacué sur cet album. Tu déclarais dans une interview avoir peur de la réception tout en aimant te mettre dans des postures d’inconfort et assumer tous tes choix.

S: Ouais heureusement ! En fait pour être très honnête j’ai eu beaucoup moins peur de la réception de l’absence de chant sur Layers que la voix assumée sur Mirage. Mais j’étais quand même inquiet parce que tu quittes les gens avec Phoene sur Volcano ou Quiet days, Yann Wagner sur Half Awake et Juliette Armanet sur un album bonus. Puis tu les récupères cinq ans après sur un truc super électro, un peu plus dark. Mais en même temps ceux qui me suivent depuis le départ, c’est avec One day at home et il y avait juste un poil de chant. En fait j’étais prêt à perdre tous les gens qui m’ont aimé avec le chant, je crois.

LFB: C’est osé..

Déjà j’ai pas grand chose à perdre honnêtement (sourires) et encore une fois en 2017-2018 il y a vraiment eu un tournant intérieurement. Les musiques de films m’ont fait énormément de bien et m’ont fait assumer qui j’étais. Ce qui est drôle, c’est que je dois énormément de choses à José, qui a été mon premier manager. Il m’a dit qu’il fallait que je mette du chant dans ma musique. Et il m’a fallu deux albums pour comprendre que c’était super mais que c’était pas forcément ce que moi j’étais.

Donc maintenant si on me propose un featuring avec quelqu’un ce sera avec grand plaisir mais ce ne sera pas quelque chose d’inhérent à ma musique. Et à un moment donné ça l’a été; et je l’ai très mal vécu. Avec Phoene ça allait parce que ce sont des morceaux qu’on a fait sur plusieurs années. Mais c’était délicat parce qu’elle n’arrivait pas à savoir la place qu’elle devait prendre, si je lui en laissais assez, si je ne la bridais pas trop. Alors qu’à la base il n’y avait pas de question à se poser. Mon premier album c’était moi. Et en fait, il fallait juste que je continue à être moi.

Saycet pour la release party de son album Layers le 28 octobre au Badaboum à Paris
Saycet pour la release party de Layers le 28 octobre dernier au Badaboum à Paris. Crédit photo: Céline Non

LFB: Pour revenir sur la voix, on t’entendait pour la première fois sur Half Awake en 2014. Tu disais que ce n’était pas un exercice facile et que tu préférais laisser ça à d’autres. Aujourd’hui tu chantes sur Volcano et tu as l’air de t’éclater. Est-ce que tu commences à assumer ou tu le fais pour remplacer Yan Wagner et Phoene Somsavath ?

S: Oui mais je chante très peu. Je le fais parce que ça m’amuse, avec de l’auto tune, dans un style particulier, avec la mode du moment. Si ça se trouve dans 3 ans je ne chanterai plus du tout. J’aime bien l’interaction de la voix avec le public.

Par exemple, si on en revient à Thylacine, il y a du saxophone dans sa musique. A un moment c’est humain et c’est cool de l’avoir emmené dans un truc électro : eh bien moi la voix c’est un peu pareil. C’est très digitalisé, très synthétique. Je fais des harmonies en bouclant, c’est très humanisé mais il y a un rapport direct. Les gens voient ce que tu fais et comprennent, parce que le reste du temps ils n’y ont pas accès et c’est la faiblesse et la force de l’électronique. Tu ne comprends pas et tu as juste à ressentir. Et ça, j’ai voulu le garder. Je ne veux plus être deux sur scène. L’album je l’ai fait tout seul donc ça n’aurait pas vraiment de sens de reprendre quelqu’un qui chante sur des anciennes compos, alors que remettre tout ça au goût du jour c’est intéressant.

LFB: Et si tu devais choisir entre tes compositions et la scène ?

S: Mes compos. Par défaut je fais peu de scène et ce n’est pas par choix mais plutôt lié à l’industrie musicale. Quand tu n’as pas de label, tu n’es pas référencé donc les gens ont peur. Ils ne savent pas si tu vas remplir la salle. C’est tout un écosystème.

Donc oui, je préfère composer. Mais depuis le covid la scène m’a beaucoup manqué. Je crois aussi qu’il y a un truc qui s’est débloqué. Le set que je joue actuellement j’ai commencé à le tester en Chine, lors de notre grosse tournée asiatique. C’était un peu avant la pandémie. Sauf que je ne prenais pas de plaisir. Maintenant oui. Mais c’est peut-être lié à des trucs plus personnels.

J’ai lâché prise à un moment. Logiquement on devrait s’éclater quand ça va bien dans la vie personnelle et moi là, c’est pas forcément le cas. Donc c’est un peu bizarre d’être sur scène, de kiffer alors que c’est un moment où ce n’est pas forcément la joie. Mais ce déclic-là je l’ai eu et je pense que je ne le perdrai pas. Les sets solo c’est depuis 2017 tu vois, et j’ai mis 4 ans à vraiment m’approprier la chose. Ce plaisir d’être sur scène, que je n’avais jamais eu avant, je l’ai gagné en septembre dernier.

LFB: A quoi tu penses quand tu es sur scène ?

S: A un moment tu ne penses plus. Et ça c’est cool (sourires). Mais c’est rare. Moi ça m’a pris 15 ans. Tu penses mais c’est pas forcément en négatif. Du genre « je suis en train de penser que c’est vraiment cool ce qui est en train de se passer » ou « est-ce que je le fais assez bien ». Puis à un moment tu switches complètement. C’est peut-être un peu cheesy, c’est pas de la transe non plus mais quand tu commences vraiment à ne plus penser, c’est le moment où tu souris. Après, je suis un gros gros control freak et le fait d’être tout seul m’a énormément aidé. Je suis le seul responsable en cas de naufrage et derrière y’a mon double vidéo, Zita, donc elle va gérer.

LFB: Sur ton album, tu collabores avec Joseph Schiano di Lombo pour Murmuration; tu fais aussi du piano depuis l’âge de 5 ans..

S: Oui mais je ne suis pas pianiste..

LFB: Mais est-ce que c’était une évidence de faire jouer un pianiste ? Est-ce que tu envisages comme Thylacine de faire intervenir d’autres instruments sur scène ?

S: Sur scène non. Comme tu vois je commence vraiment à kiffer donc je vais rester un peu là-dessus. Collaborer avec des instrumentistes oui mais via la musique de films. A partir du moment on te propose de composer pour un violoncelle et qu’on t’en donne un, tu ne dis pas non.

Avec Joseph c’est venu assez naturellement. Mais c’est plus qu’une collaboration, on a fait le morceau ensemble. A la base je lui ai envoyé la grille d’accords de Mother et je voulais qu’il en fasse une reprise au piano sauf qu’elle est très compliquée à jouer. J’ai aussi travaillé sur ce morceau avec Alban Claudin, qui est le pianiste de Clara Luciani, on est arrivés à un résultat pas mal, ça sortira un jour ou l’autre et c’est super.

Donc Joseph il m’a envoyé un truc qui sort de l’espace; cette fameuse grille d’accords mais complètement revisitée ! En plein milieu de Murmuration, à un moment il y a une sorte de break, quelque chose de très saccadé et c’est ce qu’il m’a transmis la première fois. Je lui ai dis que c’était mortel mais que ce n’était pas Mother et qu’il fallait en faire une composition. Je lui ai proposé de venir au studio pour qu’on bosse. Dans toutes mes autres collaborations, je n’ai jamais travaillé comme ça de ma vie. Là c’était vraiment à part. Il a fait plein de tests avec le piano. Au fur et à mesure moi j’enregistrais, j’avais beaucoup de matières et je lui ai envoyé et ça lui a plu. Ça a été très rapide.

LFB: Ton album s’appelle Layers ce qui signifie « strate, couche ». En 2011 tu parlais dans une interview de cette étiquette pop que vous aviez, Phoene, Zita et toi, et de l’improvisation en live; qu’elle se jouait au niveau de l’empilement des couches et non au niveau de la structure. 10 ans après, est-ce que cet album n’est pas la somme de tous ceux que tu as fais précédemment ?

S: Si mais on pourrait avoir la même discussion sur celui d’après et ce serait la même chose. Comme Mirage était l’empilement de ce que j’ai fait avant etc mais oui tu as raison. A la base l’album devait s’appeler Malaparte mais je trouvais qu’il y avait un manque de sens. A ce moment là Layers n’existait pas encore, ou en tout cas pas sous ce nom là. Et pour la première fois j’ai vraiment essayé de trouver une signification à toutes les compos. Graphiquement également avec Ludovic Houplain. Donc j’ai mis beaucoup de temps. J’ai pris ce mot-là, Layers parce que c’est ma façon de composer, elle est en strate et elle l’a toujours été. Elle n’est pas forcément développée sur une ligne horizontale mais plutôt verticale.

Saycet pour la release party de son album Layers le 28 octobre au Badaboum à Paris
Saycet pour la release party de Layers le 28 octobre dernier au Badaboum à Paris. Crédit photo: Marceau Uguen

LFB: En écoutant Layers j’ai eu en tête Rival Consoles ainsi que Rone. Je trouve que ton parcours est un peu similaire à ce dernier. Vous vous êtes tournés tous les deux vers le cinéma et la scénographie occupe une place importante. Qu’en penses-tu? Est-ce que quand on fait de la musique contemplative on est voué à se diriger a un moment vers la musique de film?

S: Oui. Mais dans leur parcours, je ne sais pas à quel point la renommée des projets ont appelé le film. Rone, je ne le connais pas mais il a tellement tout défoncé en terme de notoriété, il a un univers ultra onirique donc on vient le chercher pour ça. En France c’est quand même quelqu’un de très connu. Rival Consoles c’est plus diffus. Et moi c’est encore complètement différent, c’est plus confidentiel. J’ai limite commencé par faire de la musique à l’image.

LFB: En fait tu as commencé l’aventure Saycet grâce au cinéma avec la BO en 2003 du film Laisse tes mains sur les hanches de Chantal Lauby qui t’a permis de déposer ensuite tes morceaux à la SACEM avant de te lancer…

S: Pour finalement revenir dans le cinéma aujourd’hui..

LFB: Tu as travaillé avec Vincent Arnardi, le mixeur de Jean-Pierre Jeunet, qui t’avait conseillé de prendre le choix le plus compliqué dans la vie, donc soit être designer sonore pour le cinéma soit faire de la musique. Comme tu avais déjà un pied dans le septième art, tu t’es lancé dans la musique.

S: Ma première relation avec la musique s’est faite avec le film de Chantal Lauby oui. Après il y a eu Saycet. Rapidement on m’a demandé de faire de la musique à l’image donc j’ai commencé à travailler pour le centre Pompidou et j’ai fait beaucoup de publicités. Là où je me différencie de Rone c’est que je me suis créé un profil de compositeur de musique de film et c’est encore une autre démarche. On ne disait pas « tiens j’ai écouté l’album de Saycet, on va le mettre sur un film ». Avant même que mes albums commencent à avoir une mini notoriété je faisais déjà de la musique à l’image alors que Rone on vient le chercher pour ça. D’une certaine façon c’est la carrière rêvée parce qu’en plus il est doué et à l’image il est bon.

Moi c’est pas mon projet Saycet qui m’a amené à l’image, enfin si (rires) mais les deux se nourrissent tout le temps. Constamment. D’un côté comme de l’autre, je pense que ce n’est pas choisi. Tu fais avec ce que tu as en tant qu’artiste. On t’offre des gros shows, tu as un label qui te développe, tu fonces et tu kiffes. Moi j’ai pas ça mais on m’offre de faire de la musique à l’image donc j’y vais et c’est cool.

LFB: L’intuition semble te guider depuis tes premiers pas dans la musique. Tu empruntes le synthétiseur de ton père à l’âge de 5 ans et apprends à y jouer à l’oreille, tu choisis ton nom Saycet au Louvre en croisant par hasard une statue que tu aimes bien, tu te fais repérer par ton futur manager dans le vidéoclub auquel tu travaillais, la rencontre avec Phoene se fait sur Myspace. Est-ce qu’il y a des choses que tu ferais différemment aujourd’hui ? Et surtout, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter de beau pour la suite ?

S: Je voudrais que ça continue ainsi, j’ai vraiment la chance d’avoir fait des rencontres de ouf. Et non, je ne ferais rien différemment. L’intuition te permet de faire beaucoup d’erreurs. Là, tu ne parles que des choses qui ont réussi. Mais il y a aussi beaucoup de déchets et c’est ce qui est cool, de se laisser guider par un truc qui n’est pas palpable et de ne pas agir en fonction de telle ou telle chose ou en pensant à l’après. Parfois ça ne marche pas mais de ça tu apprends vachement. Heureusement tu te plantes, tu te relèves et tu fais les choses différemment.

LFB: Est-ce que tu as d’autres projets en cours ?

S: Il y a aura une petite tournée en 2022. Je suis en train de faire la musique d’un long-métrage de FGKO qui s’appellera Du crépitement sous les néons adapté du roman éponyme de Rémy Lasource. C’est un film un peu dur, assez ambitieux. Ils ont déjà réalisé Voyoucratie en 2015. C’est la nouvelle garde française, tourné en 35mm et j’ai commencé aujourd’hui (ndlr: interview réalisée le 29 novembre 2021). Et j’ai un documentaire japonais Netflix, et un autre sur les requins qui se déroule sur deux ans, avec la même équipe que Le roi bâtard.

Le salut, encore une fois, il est venu de l’image et il vient toujours de là.

LFB: Pour conclure, est-ce que tu as fais un concert récemment qui t’a bouleversé ?

S: Oui, Colin Stetson au Petit Bain. Le mec est fou. Très humain. Il parle. Avant, pendant, après. C’est ça qui est important. C’est un grand virtuose mais en plus il est présent. Et ça pour moi.. Il y a eu l’avant et l’après covid. Moi je veux juste des gens qui soient là, je veux voir des humains, des personnes qui viennent te parler. En l’occurrence je l’ai vu discuter avec le public après le set, il était habité, content et tu te dis « ouais putain c’est cool ». Et c’est le mot de la fin. (rires)

Vous pouvez retrouver notre chronique de l’album Layers de Saycet ici et suivre son actualité sur Facebook et Instagram.

Crédit photo: Céline Non, Cédric Oberlin et Marceau Uguen.