Sandór Waïss : « Je voulais que chaque titre soit lisible de deux manières différentes »

Connu sous le nom de BBP, ce beatmaker ultra talentueux a participé aux plus grands classiques du rap français. En passant par des titres avec PNL, Ninho ou encore Damso pour ne citer qu’eux, le Parisien a prouvé qu’il possédait la technique et les idées pour conquérir ce genre. Il est de retour aujourd’hui sous le pseudonyme de Sandór Waïss en sortant son tout premier album Broken Blue. Passant du rap à la pop, cet amoureux de musique nous livre le secret de son tout nouveau projet poétiques, aérien, et terriblement efficace.

La Face B : Salut Sandór Waïss, comment vas-tu ? Comment est-ce que tu te sens à l’approche de la sortie de ton tout premier album Broken Blue ? (NDLR, interview réalisée 3 jours avant la sortie du projet)

Sandór Waïss : Super ! J’ai hâte de la sortie de l’album ! L’air de rien, entre le moment où tu construis un album, où tu l’écris, tu l’enregistres et où il sort, c’est quelque chose de fou ! Je le voyais déjà en tant que compositeur, un peu en décalage. Mais une fois que tu le vis, c’est impensable le temps que ça prend pour créer un album.

LFB : Après BBP tu as fait le choix d’utiliser Sandór Waïss, pourquoi ce nom ?

Sandór Waïss : Sandór est tout simplement mon deuxième prénom. Et Waïss est mon nom de famille. Comme c’est un projet qui n’est pas du tout calculé, qui s’est fait naturellement, je ne voulais pas d’alias, ce qui allait à l’encontre des valeurs de l’album. J’ai simplement fait de la musique sans m’enfermer dans des cases, quelque chose fait de manière entièrement intuitive. Et le meilleur moyen, et surtout le plus logique de porter le projet, c’était de prendre mes noms naturels.

LFB : On te connaît évidemment dans le rap, pourquoi alors avoir construit ton projet autour de l’éléctro-pop?

Sandór Waïss : Je n’ai pas vraiment fait de choix. Je me suis lancé à faire des morceaux, et je ne voulais pas m’enfermer dans un truc de genre. Je me suis donc dit que j’allais faire des prods, et je poserai sur celles qui m’inspirent. C’est vrai que les singles sont assez teintés de pop, mais quand tu écoutes bien l’album, on peut retrouver des prods qui se rapprochent un peu plus des travaux que j’ai déjà fait. Dans tout le projet, on peut ressentir cette influence de la production rap.

Je ne l’ai vraiment pas pensé comme un album de genre, j’ai simplement fait de la musique, sans me mettre de barrières. Et je trouve cela même difficile d’enfermer l’album dans un genre.

LFB : Pourquoi le nom Broken Blue ?

Sandór Waïss : Le titre éponyme Broken Blue est le dernier titre que j’ai fait. À la base, l’album devait compté dix titres, dont j’étais très content. Mais ce son s’est fait naturellement sur la fin. Je trouvais qu’il symbolisait le projet, et résumait tout le propos de l’album. Ça m’a donc semblé évident après de l’appeler comme ça.

LFB : Peux-tu nous expliquer les différents aspects de la pochette de l’album ?

Sandór Waïss : L’idée était de faire un monument, comme un témoignage de l’espèce humaine pour d’autres planètes ou d’autres époques. On a donc réalisé cette structure en créant un langage où tous les concepts et morceaux de l’album, désignent différentes facettes de l’existence humaine et de nos vies. Il y a donc des symboles pour chaque concept. La structure sur la pochette réunit un peu tous ces concepts. C’est un peu une marque qui représente l’album et la vie humaine.

LFB : C’est-à-dire que l’assemblage de tous ces symboles représente l’album ?

Sandór Waïss : Je me suis beaucoup amusé dans l’écriture sur ce projet. Je voulais que chaque titre soit lisible de deux manières différentes. Avec une première lecture la plus triviale et évidente, et un sous-texte qui aborde la chose qui peut être comprise différemment. Et chaque titre de l’album est relié à deux notions principales. C’est pour ça que chaque titre possède son symbole avec ses notions et quelque chose qu’il exporte.

LFB : Pour découvrir ton travail, tu as sorti un court-métrage découpé en 3 titres se déroulant en Amérique du Sud, comment est ce que ça s’est passé ?

Sandór Waïss : Ça s’est super bien passé ! Le tournage était trop bien ! Au-delà d’être hyper talentueux, les gens étaient vraiment adorable. C’était une superbe expérience de tourner ça là-bas avec des paysages magnifiques, car la Bolivie est un pays magnifique.

LFB : Qu’est-ce que tu tires de cette expérience ? Est ce que cela t’a donné encore plus envie de réaliser des projets de ce style ?

Sandór Waïss : Cela m’a apporté énormément de choses. J’ai réalisé le court-métrage avec Ahllem, et c’était ma première expérience de vraiment diriger un tournage. C’est particulier, car j’étais à la fois en réal avec lui, à la fois producteur et à la fois artiste. Donc j’avais un peu la vision 360° de ce que c’était de réaliser un film. C’est passionnant et effrayant à la fois. J’étais déjà passionné de cinéma, mais maintenant, dès que je regarde un film, je vois toutes les contraintes techniques qu’il y a derrière. Je réalise toute la difficulté que c’est de produire, et de mener un tournage avec tous les imprévus. Je dirais que je suis encore plus attentif et encore plus admiratif de ce que je vois.

Contrairement à un album, une chanson, ou quand je réalise mes prods, je joue les accords, je regarde si ça me parle, etc. Mais je n’ai pas à m’engager au delà du temps que je passe pour faire une chanson. Quand tu réalises un film, ce qui est fou, c’est que tu dois dépenser des moyens colossaux en amont, tout en ne sachant pas à quoi ça va ressembler, tout en gérant un millier d’imprévu. Le cinéma est vraiment un art complètement dingue.

LFB : Une passion pour le cinéma qui se ressent dans tes clips, comme le dernier avec le clip de Memories aux inspirations du studio Ghibli, es-tu fan de cet univers ?

Sandór Waïss : Totalement ! Je suis méga fan de Miyazaki et Takhata ! Mais pas uniquement sur l’aspect visuel. Il y a plein d’autres grands artistes du cinéma qui m’ont inspiré parfois dans mes textes, parfois dans ma manière de voir l’art, de concevoir les choses.

LFB : tu abordes le thème de la condition humaine dans cette série et dans cet album, est ce que c’est un sujet qui te tient à cœur ?

Sandór Waïss : Oui, clairement. Selon moi, c’est un peu le sujet fondamental. Nos vies, ce qu’on traverse, ce qui nous lie les uns aux autres en tant qu’être humain. Nous sommes finalement tous confrontés aux mêmes sentiments, envies, ou aux peurs. Et la condition humaine regroupe un peu tout ça.

LFB : Broken Blue donne aussi cette impression qu’il s’agit d’un album assez personnel, par exemple avec des titres portant le nom de Memories ou Kill You ?

Sandór Waïss : C’est plutôt lié à ma vie personnelle en tant que personne plutôt que ma carrière dans le rap. Par exemple Kill You, je ne sais pas qu’elle lecture on peut avoir lorsque l’on écoute le morceau, mais quand je l’ai écrit, c’est surtout une chanson faisant référence à la maladie et le temps. Quand on voit quelqu’un qu’on aime être malade, perdre petit à petit sa santé, le voir partir… Ce sont des choses qui m’ont énormément marqué. Kill You est en quelque sorte cette revanche, si je pouvais faire au temps et à la maladie ce qu’ils font aux gens que j’aime. C’est un titre assez figuratif, et je pense que les gens qui ont vécu ces choses ressentent très bien où je veux en venir.

La plupart des titres sont plutôt personnels en vrai. Par exemple, Broken Blue est une chanson sur le deuil. Typiquement, je l’ai écrite sans même vraiment y réfléchir. J’étais à l’enterrement d’un ami, et il faisait super beau ce jour-là. Et par exemple quand je vois le ciel bleu, je me sens bien. J’étais vraiment dans un truc trop chelou, où j’avais de la peine pour la personne qui était partie, puis je regardais le ciel et je me sentais bien. Mon cerveau a un peu vrillé en mode « laisse moi être triste en fait ! ».

LFB : Pourquoi chanter uniquement en anglais ?

Sandór Waïss : Ça aussi, c’est quelque chose qui n’est pas vraiment réfléchi. Dès le premier morceau, le texte est naturellement sorti en anglais. J’ai l’impression que je ne pourrais pas chanter des trucs aussi intimes en français. C’est un moyen de libérer et d’écrire ce que je voulais. En français, j’aurais eu un certain blocage à chanter je pense.

LFB : Est-ce que ce premier album est un projet « one shot » ou aurons-nous la chance de te revoir sous le nom de Sandór Waïss ?

Sandór Waïss : Je pense honnêtement que je vais continuer. Ça me permet de faire des choses que je ne peux pas faire autre part. C’est en quelque sorte mon espace d’expression, où je suis totalement libre. Quand je suis au service des autres, bien sûr, c’est un plaisir, j’adore ça et je ne pense pas savoir arrêter les prods dans le rap, mais j’aime bien avoir cet autre espace à côté. Où justement, je ne réfléchis pas au format, où j’ai l’impression de faire les choses de manière totalement spontanée.

LFB : Il n’y a pas de featurings dans Broken Blue, pourquoi ce choix ?

Sandór Waïss : Je n’ai rien contre les feats, et peut-être qu’il y en aura à l’avenir. Mais, j’ai cette impression où quand tu fais un featuring, il faut réfléchir à énormément de choses. À faire un morceau avec quelqu’un, s’assurer que le morceau lui convienne… Il y a tout un tas d’étapes qui se rajoutent, et qui font que c’est peut être un petit peu moins spontané. Et sur ce projet je voulais vraiment faire que des choses spontanées, qui viennent de moi, sans restrictions.

LFB : Est ce qu’il y a une tournée de prévue ?

Sandór Waïss : Je pense que ça va venir dans un second temps. C’est certain que j’aimerais partager cet album avec du public ! Je reçois déjà des messages qui sont énormément touchants, et ça provient de personnes avec qui j’aimerais vraiment partager tout ça. En plus, si cela se fait, je n’ai pas envie de faire un truc trop commun. Je veux proposer une expérience sur scène, et pour cela ça demande des mois de travail. Dans un premier temps, on va laisser vivre l’album, laisser la chose grossir, et voir comment cela évolue. Mais dans tous les cas, j’aimerais beaucoup !

LFB : Et enfin, que pouvons-nous te souhaiter pour la suite ?

Sandór Waïss : Prendre plaisir à faire de la musique, et surtout que les gens prennent plaisir à l’écouter. La base est quand même de partager ensemble de la musique.