Rencontre avec De Kersaint, l’homme qui fait rimer Musette et Pop Française

Il y a une chose que l’on a tous fait au moins un jour : se perdre sur YouTube. Pour certains c’est un sport, une recherche sans fin à la recherche de la petite pépite étrange, choquante ou bizarre qu’on finira par se passer en boucle. C’est lors d’une de ses sessions qu’on est tombé avec bonheur sur De Kersaint et ses reprises façon bal musette de certains morceaux pop récents. À la fois barré, drôle et attachant, on se les est tous passé en boucle. Et puis on a découvert sa propre musique et son EP Bonne Sess, sorte de bande originale d’un été sans fin. Ni une ni deux, on a donc décidé de lui envoyer un mail afin de mieux le découvrir.

LaFace B : Bonjour De Kersaint, comment ça va ?

De Kersaint : Ça va super merci !

LFB : Tout d’abord, qui es-tu ?

D K : Je pense que j’appartiens au groupe aujourd’hui conséquent de ces individus qui font d’obscurs projets musicaux dans leur chambre et les mettent sur internet !

LFB : Quel est ton parcours musical ? Où as-tu appris à faire de la musique ?

D K : J’ai suivi des cours de synthé quand j’avais 9-10 ans. Puis je n’y ai plus touché pendant des années. Je m’y suis remis sur le tard et j’ai en même temps appris un peu la guitare par moi-même.

Et à l’adolescence j’ai commencé à faire des instrus rap, à base de samples. A l’époque je faisais des remixes avec des acapellas de rappeurs. Je les mettais sur youtube mais la plupart des vidéos ont disparu car maintenant il y a les restrictions de droits d’auteurs. J’ai aussi fait des sons pendant longtemps avec un rappeur qui s’appelle Taîîkun. Et puis mes goûts musicaux ont évolué et je me suis mis à composer petit à petit des choses plus variées, cette fois en jouant les instruments. En fait c’est en cherchant des samples que j’ai découvert d’autres styles et que ça a pris le pas sur le rap.

LFB : Pourquoi avoir choisi de reprendre la pop française façon musette ?

C’est une référence à tous ces disques de reprises accordéon ou trompette qui foisonnaient dans les années 70 et qu’on retrouve aujourd’hui dans les brocantes et vides-greniers… Il y avait notamment André Verchuren, Yvette Horner ou Aimable et son orchestre, qui reprenaient des tubes pop et disco. Ça m’a toujours fasciné, musicalement c’était parfois à la limite du craignos, mais toujours joué de manière très propre, avec juste un peu moins de moyens que les gros succès…

Et moi au départ je voulais faire des remixes conventionnels de titres que j’aime bien. Hélas je me suis rendu compte que je n’étais pas du tout au top sur la qualité sonore de mes morceaux, le résultat n’était pas terrible, pas intéressant, j’étais vraiment dépité… Et c’est là, alors que je ressassais mes mauvais remixes la nuit en essayant de trouver le sommeil, que m’est venue cette idée lumineuse de faire des reprises musette : le côté un peu incongru de ces reprises que de toutes façons personne n’attend m’a permis de prendre moins ça au sérieux, de jubiler tout seul chez moi en les jouant.

LFB : As-tu eu des retours de la part des artistes que tu as repris ?

D K : Oscar Anton et Myd ont laissé un commentaire sous mes vidéos… Apparemment ils ont kiffé, ça m’a fait plaisir ! Je me demande quand même ce qu’ils ont pu penser en tombant là-dessus…

LFB : Même si cela pourrait ressembler à une grosse blague pour beaucoup, on sent un véritable amour des chansons que tu reprends. Comment choisis tu les pistes que tu reprends ?

D K : Il y a une ambigüité qui me plait, et oui c’est exactement ça je reprends des chansons dont je suis sincèrement amoureux, j’ai un vrai plaisir à les rejouer et c’est tout de suite plus inspirant, les accords me parlent. Souvent quand on aime un morceau, on a envie d’en écouter tous les covers et remixes existants pour ne jamais se lasser et retrouver le plaisir des premières écoutes. L’autre critère, c’est que je choisis idéalement des chansons d’artistes pas trop connus qui viennent de sortir. Ça m’a permis de découvrir plein de supers chanteurs ces derniers temps.

LFB : En parallèle de ces reprises, tu as aussi sorti un EP cette année, comment composes tu ? 

D K : Je compose de petites bases musicales au synthé ou à la guitare que je garde de côté. J’ai avant tout des idées d’ambiance, de concepts, ou des références en tête, et ce qui va faire la différence c’est l’arrangement, le choix des sonorités.

Ensuite c’est au moment où j’enregistre que le détail des mélodies et des structures se dessinent, c’est aussi souvent là où tu te rends compte que ce que tu avais imaginé ne ressort de toutes façons pas comme prévu donc tu repars presque de zéro !

Mais de longs mois peuvent s’écouler avant que je me motive, car le drame c’est que je procrastine beaucoup.

LFB : Ta musique semble être une bande son faite pour des souvenirs. Quand tu composes quelles sont tes inspirations ?

D K : Je ne sais pas si ça se ressent, mais le son des années 70 est une grosse part de mon inspiration. Les musiques de films italiens en particulier, qui avaient des thèmes musicaux très marqués et mélodiques, de beaux arrangements, et effectivement une certaine teinte nostalgique et douce.

Souvent aussi, c’est une idée de titre, une photo, ou des images de films qu’on se fait dans sa tête, qui participent à cette inspi et me font aller dans une certaine direction. Par exemple dernièrement je suis tombé sur des images d’archives amateurs, tournées dans le village d’où je viens dans les années 60. J’ai mis une musique par-dessus, et le résultat était vraiment pas mal ! Je garde ça pour plus tard.

LFB : Bonne Sess pourrait être la carte postale d’un été sans fin non ?

D K : Ah oui c’est ça… peut-être un été fantasmé auquel on pense justement quand c’est pas l’été, et dont il ne reste que certaines impressions. On se dit qu’on était si bien, et on oublie que quand on y était on avait aussi des moments d’ennui, des galères, qu’on s’était finalement habitué aux feuilles dans les arbres et à sortir sans manteau.

LFB : On sent aussi qu’il y a une volonté solaire dans la musique que tu proposes. C’est nécessaire pour toi de contraster avec le monde qui se barre un peu en couilles ? D’offrir un vrai moment d’évasion ?

D K : Je n’y ai jamais consciemment pensé mais c’est vrai que dans la musique je suis plutôt à l’opposé de quelque chose d’éveillé et d’ancré dans la lourdeur du monde et du quotidien. J’aime qu’elle procure des sensations légères plutôt que des réflexions, qu’elle suggère des images lointaines. Mais c’est un goût artistique sans doute dû aux harmonies que j’utilise et qui s’imposent à moi, et non une réelle volonté !

LFB : Ta musique étant essentiellement instrumentale, y a t’il des voix avec lesquelles tu aimerais collaborer ?

D K : Bizarrement personne en particulier. Mais j’y pense en ce moment, car effectivement j’aimerais depuis longtemps avoir de vraies belles voix sur mes musiques, plutôt des voix féminines. Il faut avant tout un feeling artistique… Dernièrement je suis tombé sur le morceau Grandeza de Laure Briard, voilà le genre de chanteuse qui serait dans le même esprit !

LFB : As-tu des recommandations cultures à nous faire ?

L’été dernier j’ai découvert le cinéma d’Eric Rohmer et ça a été une révélation comme rarement j’en ai eu, je m’y attendais pas. J’ai enchaîné tous ses films. D’ailleurs il ne supportait pas l’utilisation de la musique à l’écran, moi qui aime pourtant les bonnes bandes originales… Mais là c’est tellement sublime et bien senti. Peut-être regardez L’arbre, le maire et la médiathèque, ce n’est pas un de ses plus représentatifs, mais il est d’une fraîcheur curieusement actuelle sur les questions de vivre à la ville, à la campagne, sur l’urbanisme, l’écologie…

D K : Quels sont tes futurs projets ? Que peut-on te souhaiter ?

J’espère sortir de nouveaux morceaux cet hiver, mais je n’ai encore rien commencé de concret ! Souhaitez-moi juste de prendre du plaisir dans la vie, de rester ouvert et en forme.