Rencontre avec Antoine Wielemans

C’est la deuxième fois que Antoine Wielemans accorde à La Face B une interview. Rien de tel que de revenir aux sources, c’est-à-dire, à la mer, pour discuter de la passion maritime du chanteur. L’occasion également de revenir sur l’expérience solitaire de l’écriture de l’album Vattetot, sorti en 2021, et de la vie qui lui est donnée en concert.

Antoine Wielemans @Eva Duc

La Face B : Es-tu heureux de jouer ici aux Francofolies ?

Antoine Wielemans : Hyper content, parce qu’on n’a jamais joué avec Girls In Hawaii aux Francofolies non plus. C’est une grande première. C’est super honorifique d’être invité ici avec le projet que j’ai lancé.

LFB : Sur scène, tu es avec un groupe aussi ?

Antoine : On a une formule live, au début c’est un projet solo mais je n’avais pas envie de faire ça. Ca a été envisagé en solo, mais j’aime quand même bien le côté bande de potes quand on tourne. C’est une petite formule, comme l’album a été composé vraiment en solo un peu en ermite dans une maison d’hiver sur base de boîte à rythme et beaucoup de claviers. On a choisi de garder toutes les boîtes à rythme pour avoir un truc assez simple à mettre en place pour déplacer tout ça, et donc c’est plutôt ces deux autres musiciens, une pianiste et un multi-instrumentiste, qui font tous les synthés.

LFB : La Rochelle, c’est un peu revenir aux sources pour toi, revenir à la mer. 

Antoine : Je kiffe l’eau et la mer, c’est un élément qui est super fort pour moi depuis toujours, je fais beaucoup de bateau et beaucoup de planche à voile. C’était génial d’être en Normandie, en plein hiver, pendant un mois et demi, deux mois, pour enregistrer le disque. Venir ici à La Rochelle pour le défendre en live, ça se veut symbolique. En général, les moments de tournée que j’ai fait en France pas très loin de la mer, c’est toujours un peu réjouissant – en Bretagne, en Vendée ou en Normandie.

C’est toujours agréable quand tu es en tournée de tomber sur un site comme ça. La matinée, on a plus l’air d’être en vacances, on mange des huîtres, c’est toujours un peu la fête. 

LFB : En Belgique, la côte n’est pas pareille ?

Antoine : La côte belge est connue parce qu’elle est très particulière. Elle est très courte : 60 km de large pour des millions d’habitants. Donc c’est les énormes marées un peu comme ici, c’est des grandes plages en sable avec des brise-lames et des digues, et alors par contre, au niveau de la construction d’urbanisme, ça a été un carnage. Dans les années 60-70, ils ont construit des barres d’immeubles qu’on peut voir aussi dans le nord de la France. De temps en temps, il reste 200m avec des dunes ,donc nous souvent quand on va à la mer en Belgique, c’est en hiver au mois de novembre. Il y a un peu le côté désuet, un peu désert, limite parfois déprimant mais déprimant chouette. Sinon, on va à la mer en Hollande ou alors en Normandie les côtes sont hyper belles au niveau nature quoi. 

LFB : Dans ton album, tu ne parles pas de la mer joyeuse. C’est plutôt une esthétique romantique très chargée, avec des grosses vagues. Ce n’est pas du tout le sud de la France ou le Cap d’Agde par exemple.

Antoine : Ce que j’adore aussi, la pétanque, le farniente, les potes et le ricard… mais pour moi c’est pas très propice au travail. L’été, j’aime bien profiter des amis. Mais je suis souvent très inspiré l’hiver et plus il fait horrible dehors, plus les éléments se déchaînent, plus c’est agréable d’être à l’intérieur. Parfois, faire une promenade d’une demi-heure par jour, et sentir la force de la nature, les embruns… C’est un peu un hasard, je connaissais un petit peu cette maison. J’y suis allé une fois en vacances, elle est à des amis, et ils m’ont proposé une fois d’y aller parce que l’hiver elle est assez peu occupée.

Je cherchais un endroit pour écrire, ils m’ont proposé d’y aller, mais seulement l’hiver… et en fait c’était génial. J’ai été un peu à l’aventure sans trop savoir à quoi m’attendre. C’est l’hiver, il n’y a pas grand-chose, c’est un petit village vraiment isolé donc c’est le calme plat. Il n’y a pas de réseau Internet dans la maison donc c’était la concentration absolue. Les deux semaines où j’y étais, c’était un moment où il y a eu de grosses tempêtes, où les galets des plages arrivaient dans les villes et il y avait des vagues déchaînées. C’était fascinant, il y a tout un bout de la falaise qui s’est décollée. Il y a un côté très sauvage. 

LFB : C’est effrayant aussi…

Antoine : J’étais bien à l’abri dans une maison avec une cheminée, donc il ne pouvait pas m’arriver grand-chose, donc c’était un peu hors du temps. Il pleuvait tout le temps, je ne sortais pas beaucoup. Je suis papa depuis quelques années et j’ai un emploi du temps de musicien où j’ai toujours adoré travailler tard le soir la nuit. Mais ça devient très compliqué de faire ça, et même si je peux le faire, ça me décale trop. L’isolement la nuit, c’est toujours un contexte hyper beau pour écrire, hyper inspirant, hyper propice, où tu n’es pas dérangé. C’était vraiment agréable de me retrouver deux ou trois semaines complètes en ermite à pouvoir travailler toute la nuit, je partais sur une idée et ça se passait bien. Je travaillais jusqu’au petit matin et puis j’allais dormir. C’était très libre.

LFB : Passer de la solitude immense durant la création de l’album à un retour à la civilisation et au partage des moments avec le public en concert, ça doit être bizarre ?

Antoine : C’est vrai que ce disque-là a un côté plus solitaire. En termes d’écriture, c’est quand même un truc que je fais de temps en temps parce que j’accumule de la matière, des bouts d’idées et des sons à Bruxelles en journée, mais j’ai vraiment besoin, pour faciliter un peu l’accouchement, d’être un moment dans un lieu très solitaire, où finalement je n’ai pas vraiment le choix que ça se passe. C’est quand même une mise en place un peu compliquée avec les heures de route, de réserver une maison, gérer des trucs à faire, les courses, du matériel, tout gérer les plans pour ma fille et ma copine. Il faut que tous les jours un morceau avance, et ça me met au pied du mur. Je ne ressens pas la solitude dans ces conditions-là comme quelque chose de triste ou de compliqué, au contraire, le fait d’avoir aucune distraction est un moteur pour avancer. C’est génial de ne pas être dérangé du tout et pouvoir être en immersion pendant plusieurs jours dans la construction d’un morceau, même dans tes pauses, aller se balader pour pouvoir continuer à réfléchir à des paroles. C’est comme un robinet qui s’ouvre en fait. 

Chez moi c’est assez efficace et inspirant, mais après le but de tout ça c’est quand même le partage. Je le fais un petit peu pour moi mais aussi pour le montrer, pour le faire écouter, le partager. Sur ce projet, c’est particulier, parce que j’ai fait tout ce disque un peu plus pour moi, c’était comme un cheminement assez personnel. Ça faisait hyper longtemps que j’avais envie d’écrire en français, c’est l’isolement qui m’a permis de m’ouvrir à ça.

J’avais un peu fait le tour avec Girls In Hawaii et j’ai besoin d’un peu d’autres sensations, rencontrer d’autres gens. J’étais content du processus de l’album et quand mon manager et le label ont écouté les morceaux, cela impliquait de faire des concerts pour les rendre visibles. Au début, ça m’a vraiment complément pétrifié, j’étais pas du tout dans cette idée. J’avais peur que ça ennuie des gens. J’avais peur que ce soit trop mélancolique, j’aimais bien que ça n’existe que sur disque, que ce soit disponible sur Spotify.

LFB : C’est un peu cathartique de confronter ça aux gens et en même temps impressionnant de se livrer autant ?

Antoine : L’acte de concert en lui-même, j’ai toujours eu l’impression que c’était un truc que tu imposes plus aux gens que des morceaux sur un disque. Ils peuvent aller au moment où ils veulent au numéro où ils veulent picorer, écouter une chanson et pas une autre. Le concept de concert est bizarre. Avant, j’avais peu confiance en moi sur le fait de le défendre en live et j’y allais vraiment à reculons au début, plutôt poussé par la promo et le label et en me disant “je vais être obligé de le faire”. Mais en fait, dès les premiers concerts et les premières résidences, on a eu beaucoup plus de dates que ce qui était prévu au départ. On a 30-40 dates jusqu’à l’hiver prochain. 

LFB : Comment arrives-tu à créer des chansons intimes mais qui paraissent aussi universelles ?

Antoine : Je pense que mes textes sont assez ouverts et parfois un peu abstraits, ça parle pas mal de nature, il y a quelques thèmes qui sont un peu universels dans le disque. Je pense surtout que musicalement, il y a quelque chose d’un peu mélancolique mais dans le bon sens du terme, un peu flottant. Au début, on jouait dans des salles assises, c’était à la sortie du confinement qu’on a lancé la tournée et ça passait hyper bien. En fait, c’était des petits lieux assez intimes et les gens étaient assis et ils se sont sentis super bercés dans la musique.

LFB : La musique électronique, l’expérience encore plus planante que l’on retrouve dans la mer par exemple.

Antoine : C’est un peu lié aux marées ou au vent, quelque chose d’un peu cyclique. Le son du vent est pour moi un son de synthé en fait, ou une espèce de vague de son et du coup, c’est super aérien.

LFB : Est ce que tu vis mieux le fait de composer tout seul ou à plusieurs ? 

Antoine : Dans Girls In Hawaii, on composait à 6, mais souvent de manière un peu séparée. On avait des longues périodes d’écriture chacun dans son coin, on en parlait puis on croisait. La grosse différence ici, c’était mon désir de faire un truc en français et après il y avait aussi le désir un peu annexe qui était de faire quelque chose en étant libre à tous niveaux et sans concessions, solitaire, solo. Je pouvais décider de tout. A la longue, après 20 ans de vie de groupe, on voit parfois le verre à moitié vide plutôt que le verre à moitié plein.

Les concessions me pesaient. Dans ce projet, ça m’a fait vraiment du bien de faire tout à mon rythme, tout à ma façon. Je me suis rendu compte qu’il y avait une énorme part de doute qui était omniprésente dans tout le processus et qui est très différente, tu ne peux pas te reposer sur les avis des autres, un jour tu y crois alors qu’un autre jour tu n’y crois pas et ça dure en permanence, c’est assez compliqué.

Tout le processus m’a fait revoir le verre à moitié plein de l’autre côté dans la vie, c’est un moment qui m’a fait du bien. Il y aura probablement un deuxième disque, mais là on est occupé à rebosser sur un disque de Girls in Hawaii. Ça m’a montré que le travail en commun c’est un truc ultra fort, une énergie qui est décuplée.

LFB : Est-ce que tu as un souvenir de concert en tant que spectateur qui t’a touché ?

Antoine : Il y a vraiment des concerts déclencheurs pour ce qui est de la jeunesse, quand on avait 16, 17, 18 ans, le début à l’Ancienne Belgique à Bruxelles, Noir Désir. Je pense que ça m’a super marqué, c’était ultra impressionnant, ultra fougueux, très très fort. J’étais super fan du groupe à ce moment là, c’était la première fois que j’étais dans une salle avec 2000 personnes, du son, des lumières et en fait de l’énergie brute, il y avait pas spécialement énormément de choses travaillées, juste très brutes, et des personnalités très marquantes et très fortes. Ouais, ça c’est vraiment un souvenir qui reste ultra précis, ultra fort, et qui m’a donné envie d’arriver un jour à ce genre de choses.

Sinon j’ai un autre souvenir d’un concert qui était incroyable. C’est Mathieu Boogaerts, que j’ai vu en Allemagne un peu par hasard parce que je revenais de chez des amis, et puis il passait au même moment. Il était en tournée, c’est une tournée qu’il faisait lui tout seul avec juste un bassiste. C’était incroyable au niveau du minimalisme et de l’économie de moyens, c’est quelque chose qui m’inspire. C’est tellement dur d’arriver à faire ça. Il y avait lui, avec sa guitare et son bassiste, et on avait l’impression d’entendre des percussions. Parfois, tu avais l’impression que tout peut s’écrouler en deux secondes, c’était super trippant.