Rattrapage : Distractions, Fils Cara, Magenta

Autant se l’avouer, parfois on manque de temps. Alors des albums nous passent sous le nez, des albums qu’on aime mais dont on ne prend pas le temps de parler. On a décidé de contrer tout ça en lançant nos articles rattrapage ou l’on rient sur des albums des derniers mois qui nous on marqué. Aujourd’hui on vous propose de découvrir les derniers albums de Distractions, Fils Cara et Magenta.

Distractions- Soir de bal & Soir de bal (textes bruts)

Lorsqu’on écoute de la musique, une question nous taraude souvent : Un poème ferait-il une bonne chanson ? En quoi l’interprétation, l’habillage sonore jouent sur notre perception d’un texte ?

Cette idée, les garçons de Distractions ont forcément du se la poser. Chez eux tout né des mots, des textes bruts qui prennent vie au cœur de la ville.
La grande ville dévoreuse d’hommes et d’âmes, celle où se côtoient les espoirs et les déceptions, les errances, les alcools pas cher et trop forts, les sentiments qui nous broient et qu’on ne comprend pas toujours.

La première étape de Distractions c’est cette observation d’un monde qui tangue et qu’on aime autant qu’on déteste. Un spleen urbain qui jaillit dans l’écriture, dans le bouillonnement des pensées qui demandent à sortir et à vivre. Une ébauche brutale et humaine qu’il s’agit de tailler ensuite, de trahir peut être pour l’amener sur le terrain musical, revoir la rythmique et la dynamique. Fatalement, faire chanter les mots pour les amener ailleurs vers la musique.

L’écoute de Soir de bal se joue ainsi en deux actes, distincts mais complémentaires. Tout d’abord l’EP « musical », agencé comme une histoire, une plongée dans le béton et le sang entrecoupé ici et là par deux épreuves. On laisse la petite musique nous emmener avec elle, ces petites boucles électroniques hypnotiques et obsédantes qui collent si bien à cette interprétation enlevé, grandiloquente et presque théâtrale.

On écoute la rupture, la vie qui se brise dans le centre et sur abesses 2, on observe la mort et ici et là comme une ombre malveillante qui surgit parfois sans qu’on ne l’attende.

On se laisse happer par les cordes de Royal Cheese, on y voit la vie qui avance coûte que coûte, l’ironie d’un monde qui se détruit dans son quotidien et puis cette brisure d’un coup, quand le beat se fait plus fort et qu’on cherche plus que tout à sortir de ce cycle sans fin, trouver l‘intervalle, cette petite fêlure qui nous permettra malgré tout de trouver une petite lumière.

Et puis, il y a l’étape 2, le retour à la moelle, celle d’où tout part : le texte. À travers les textes bruts, offert ici de manière presque a-cappella, on voit tout le travail. La voix est monocorde, froide par instant. Malgré tout elle offre une vision différente, sans doute bien plus bouleversante de ce qui fait Soir de bal : ici les émotions ne sont pas « perverties » par la musique, elles viennent car on raccroche le texte à nos propres existences, désirs et souvenirs. Le texte vit par lui même, à nu et trouve ainsi un écho différent.

« J‘ai vendu mon poème pour des mots » nous conte Distractions dans Abesses 2. Il y a beaucoup de ça dans les deux faces de Soir de bal. Une musique qui se met au service de la poésie et non plus l’inverse, un travail assez fou d’habillage sonore pour un résultat aussi inédit qu’attachant.

Alors oui on peut le dire : la poésie est une musique qui fait battre nos cœurs.

Retrouver Distractions (Textes Bruts) ici

Fils Cara – Fictions (Acoustique)

C’est l’histoire d’un album à l’envers. Un Memento sonore qui se révèle d’une manière totalement différente alors qu’avec nos regards de personnes revenues de tout, on se disait qu’on savait déjà tout ce qu’il fallait savoir sur Fictions. On s’était planté et c’est sans doute tant mieux.

« Savoir écrire, c’est dire n’importe quoi sur un ton plus ou moins radical« . Il nous avait pourtant prévenu. Et plusieurs fois même. Alors qu’elle résonne au milieu de cette version acoustique de Fictions, cette phrase de Film sans budget prend tout son sens. Dans un sens comme dans l’autre, elle est habilement placée au cœur du projet. Dans un sens comme dans l’autre, elle éclaire l’imagerie de Fils Cara d’une lumière différente. L’aube et le crépuscule sont des frères miroirs et le stéphanois nous le prouve une nouvelle fois.

Du jeu de masques à la quête de vérité, le monde bascule. Placé face au soleil, les négatifs de Fictions révèlent leurs détails. Inattendu, célestes, parfois violent. Ici et là, on place une boite à rythme, on change les cordes par une guitare acoustique, le piano plane sur nos cœurs comme un astre à la fois nostalgique et réconfortant.

Les crédits se font ouverture, laissant planer un temps le calme et la respiration d’un monde comme dans un attente sans fin ou les instruments se mettent en place, un orchestre réduit prêt une nouvelle fois à chambouler nos mondes. À l’inverse, Concorde devient atterrissage, laissant les émotions nous envahir une dernière fois à mesure que la vie autour reprend sa place.

Au milieu, la mélancolie forcément, l’interprétation toujours. Le mot scandé est scandé haut, mais sans force, plus chanté parfois. Assumé toujours. Tout y est sans fioriture, taillé jusqu’à l’os souvent pour le meilleur, prouvant que le mieux n’est pas toujours l’ennemi du bien.

Si New York Times garde toute sa grandeur et que Sous Ma Peau reste ce petit hit incomparable, petit pan et films sans budget se présentent elle sous un jour clairement nouveau tandis que Hurricane reste toujours ce morceau bouleversant.

Fictions (Acoustique) c’est une épopée nouvelle, où les pièces du puzzle changent mais s’imbriquent toujours à la merveille. On se retrouve face à ce jeu fascinant de redécouverte étrange. Ces morceaux que l’on pensait connaitre se pare à nouveau avec bonheur du voile de l’inconnu et de la nouveauté.

À l’écoute, on le sent que dès le départ Fils Cara voulait nous amener ici, dans ce monde qui nous bouscule pour mieux nous surprendre. Pas vraiment un remake, mais une relecture subtile, intelligente et humaine.

Ainsi (re)vit Fils Cara.

Magenta – Monogramme

Parfois, le nom d’un album à un sens bien moins énigmatique que l’on pourrait le penser au premier abord. Car si l’on y pense, Magenta atout du Monogramme humain : un assemblage de plusieurs individualité qui se réunissent en un seul conglomérat.
Un Megazord qui ne fait éclater sa force qu’une fois toutes les individualités assemblées comme les pièces d’un puzzle vitale et vibrant.

Magenta c’est avant tout une histoire de potes de toujours. Des garçons qui se retrouvent, dans les peines, dans la violence du quotidien et dans leur interrogations.

Un élan collectif et fraternel, une force en mouvement qui a décidé de faire éclater ses forces et ses faiblesses dans les néons blafards de la nuit. Dans la chaleur trompeuse des synthés qui font danser.

Une musique qui danse et qui pense comme ils le disent si bien. L’idée sera risible pour certains, prétentieuses pour d’autres. Chez ces garçons là, elle est élevée sans cynisme comme la stèle d’un monde à construire. Les bases solides de pulsions aussi protéiformes (car en plus de la musique, la vidéo a un rôle tout aussi important à jouer chez Magenta) que vitales.

Une urgence de vivre qui se ressent tout au long de l’album. Car oui la vie passe et les doutes persistent. Gaspar Noé dirait que le temps détruit tout. Chez Magenta on en n’est pas là mais pas forcément très loin non plus.

Que reste-il des souvenirs qui disparaissent ? Comment envisager le passé ? La nostalgie est elle un guide où une force destructrice ? Ces questions vibrent dans certains des morceaux les plus efficaces et solides de l’album que ce soit la superbe ouverture Avant, sur Boum Bap et Faux ou encore Assez? qui est un morceau qui fait la jonction avec un autre thématique de l’album à savoir la santé mentale et le poids de la société sur nos esprits (sujet également évoqué Fatigué ou l’étrange et angoissante 2019 qui en moins de 3 minutes nous rappelle à quel point l’esprit humain est désormais assailli d’informations diverses en permanence.)

Assez? donc, premier titre dévoilé par Magenta et unique morceau déjà présent sur Long Feu est un morceau de transition dans tous les sens du termes. Achevant ces thématiques d’une manière forte et claire : nous rappelant que la résilience est parfois le meilleur des remèdes et que si on ne guérit pas toujours, il faut parfois se forcer à sourire et à avancer malgré tout, avec ces trous dans le cœur et son âme en vrac.

Solide, Honda Wave et Pointe Rouge s’attaque au troisième thème de l’album : l’amour. Celui qui répare, qui rend invincible, qui donne sa saveur aux souvenirs avant que n’arrive Monogramme qui termine l’aventure comme un jour qui se lève pour laisser la nuit derrière soi.

Œuvre ambitieuse et jamais tiède, Magenta est un projet qui passionnera autant qu’il irritera. C’est sans doute là sa plus grande force, éviter le tiède.

Magenta est un monogramme et Monogramme est le manifeste de Magenta. Une vision sans fard sur un monde et sur une génération qui laisse couler ses larmes dans les grosses basses. Un hommage jamais pastiche à une french touch française qui ne mourra définitivement jamais.