Porches : « Imaginer cet album c’était imaginer ce que ce serait de le jouer en live »

Un nouvel album de Porches c’est toujours un petit événement en soi, on patiente ardemment single après single, entrapercevant le pêle-mêle mélancolique et aérien qui nous attend. Avec All Day Gentle Hold !, sorti le 8 octobre dernier, Aaron Maine livre pourtant un tout plus éclectique, puisant dans l’effervescence du moment, et dans l’intensité spontanée qui habite son écriture. Entre Paris et New-York, nous avons eu l’occasion d’échanger avec lui au sujet de ce cinquième album.

Porches - © Jason Nocito
Porches – © Jason Nocito

La Face B : Comme c’est assez inhabituel dans le processus des sorties, je me demandais pourquoi tu avais sorti les trois premiers singles de Porches en cohérence avec l’ordre de la tracklist de l’album ? 

Aaron Maine : Je pense que c’est juste que je ne prévoyais rien, je n’avais pas prévu de faire les choses comme ça et quand je mettais les séquences ensemble je regardais ce qu’il se passait, mais j’aimais la façon dont c’était évident en fait. Je trouvais que ces trois morceaux donnaient une bonne idée de ce qu’est le disque. Je me disais que ces trois morceaux susciteraient l’attention des gens, donc ce n’était pas tellement prévu. Quand je préparais l’album, je coupais les titres comme des petits morceaux de papier, je les faisais tomber par terre pour voir dans quel ordre ils allaient tomber, et ensuite je testais en quelque sorte et je trouvais les bonnes transitions. Plus que sur aucun autre disque, cette manière de faire était la seule que je pouvais emprunter ! 

LFB : Il y a une forme d’urgence et d’intensité qu’on retrouve particulièrement sur cet album, d’où as-tu tiré cette dynamique ? 

A.M : C’était définitivement intense ! Je me suis senti extrêmement humain à travers tout ça, que ce soit dans la peur, dans la joie, dans la tristesse, ou dans la colère. Je pense que c’est le reflet d’une énergie qui bouillonnait. Avec tout ce qu’il se passait dans le monde au cours des deux dernières années, je voulais en quelque sorte capturer toute cette confusion, cette excitation. 

LFB : Tu as continué de travailler seul sur cet album ou as tu pu collaborer avec d’autres personnes dessus ? 

A.M : Porches est un groupe dans le sens du live, avec plein de gens, mais tout le process d’écriture et d’enregistrement j’ai toujours choisi de faire ça moi-même. Ça a été la même chose pour ce disque, je l’ai juste fait dans cette chambre. Mais je l’ai partagé avec beaucoup de personnes, je l’ai montré à mes amis en partageant des idées, et juste pour voir ce que les gens penseraient de cet album. Mais oui tout s’est passé dans ma chambre comme pour la plupart des albums de Porches. 

LFB : On se demandait avec un ami comment tu travaillais tes paroles, car elles sont en général très spontanées. Est-ce que tu écris tout d’une traite, comme si tu devais remplir une feuille de brouillon, ou est-ce que c’est très réfléchi et retravaillé progressivement ?

A.M : C’est un peu des deux je pense ! Avec les paroles j’essaye de capturer cette spontanéité, cette magie, peu importe comment tu veux appeler ça, comme si je n’étais pas assis avec un stylo dans la main. J’écris beaucoup, ce sont des sortes de libres associations dans mon journal, quand je prépare une musique je regarde la page et je choisis différents mots, et quand je chante la chanson à plusieurs reprises je vois ce qui sort et comment, je mets mon cerveau en off pendant un certain temps en fait. Et quand j’ai ces idées je choisis les parties qui viennent le plus de cet endroit du subconscient, même si je sens que la plupart des paroles ne font pas sens littéralement, il faut que j’ai cet indéniable émotion, ce mood rattaché à elles. C’était une sorte d’expérimentation. Sur cet album, moins utiliser les paroles c’est une façon de décrire ce scénario et de créer d’autres types de paramètres physiques. 

LFB : Ce processus de conception était-il le même sur Ricky Music, Pool ou The House ? Ou est-ce que c’était spécifique à cet album ?

A.M : Pool s’en rapproche le plus en ce qui concerne les paroles, c’est plus abstrait dans ses couleurs ses vibes etc. Mais les deux derniers disques sont peut-être un peu plus autobiographiques et se portent sur des expériences spécifiques que j’avais. La partie la plus enthousiasmante pour ce disque là maintenant ce sont vraiment les paroles, j’ai trouvé ce process et j’ai été capable d’aller vers une créativité qui n’était pas aussi directe dans le passé, donc je me suis vraiment senti confiant et fort en créant ces textes, et en les chantant.

LFB : Tu as eu l’occasion de remonter sur scène avec Porches récemment ?

A.M : On a fait environ trois concerts il y a genre deux mois, et je crois que c’est tout pour cette année, mais c’était complètement fou ! Après deux ans sans concerts, c’était encore plus réconfortant et réjouissant que ce que j’aurais pu imaginer. Jouer devant les gens, c’était juste tellement spécial, je me sentais empli d’adrénaline, comme si on me sortait de ma cage et que je pouvais enfin être dans ce que j’aime tant faire. J’étais vraiment heureux de reconnecter avec le public !

LFB : Est-ce que tu considères que c’est la meilleure partie de ce que tu fais ?

A.M : Je pense que ce n’est pas forcément ma partie préférée, je ne pourrais pas faire l’un sans l’autre. Quand tu fais de la musique toute la journée, toute l’année, seul dans ta chambre comme ça, j’aime faire ça comme j’aime autant juste; travailler, enregistrer, écrire et créer de nouveaux matériaux. Mais arrivé à un point, tu te souviens que tu es humain, et tu reviens à l’essence de ce que tu fais et tu sais que c’est pour te connecter avec les gens. Sans l’aspect live c’est assez simple de se perdre, d’être confus, de se dire « pourquoi tout ça ? ». J’adore partager ma musique en live, juste pour avoir une réaction physique à celle-ci, donc c’est vraiment nécessaire pour moi de pouvoir faire les deux. 

LFB : Ça semble encore plus nécessaire avec All Day Gentle Hold ! étant donné toute l’énergie et l’intimité que tu as pu mettre dedans. 

A.M : Il y a une chose, c’est que quand je faisais la musique de cet album, quand je travaillais dessus, je pensais beaucoup, j’avais cette ambition de la jouer un jour, et je voulais que la totalité de ces morceaux soit la plus jouissive possible à jouer devant plein de gens. Avec les guitares, les drums, je voulais que ce soit évident et fort. Donc imaginer cet album c’était vraiment imaginer ce que ce serait de le jouer en live. 

LFB : Comment tu envisages la suite avec la tournée ?

A.M : Il y aura une tournée aux États-Unis et en Europe notamment. J’ai vraiment hâte d’y être, je voulais absolument que le disque sorte cette année car je trouvais ça très important de l’avoir à la fin de cette période, pour qu’il soit vraiment inscrit dans un contexte, un contexte dans lequel le disque était né en fait. Et le plan ensuite c’est de le jouer vraiment autant que possible l’année prochaine. Je n’ai jamais autant attendu le fait de tourner qu’avec cet album, c’est comme une succession de première fois d’une certaine façon. Un premier album, une première tournée, première fois que je fais un clip, avec toute cette énergie. C’est vraiment vivifiant, je pense que ce sera une célébration véritablement positive .

LFB : Tu as imaginé un dispositif visuel spécifique sur scène ?

A.M : Esthétiquement je veux juste avoir une super attitude, je veux donner tout ce que j’ai. Je ne veux rien retenir en moi, jouer un personnage, je pense que ce sera très émouvant de le jouer et c’est juste ce que je veux. J’ai songé à comment j’allais mettre en scène tout ça, mais je pense vraiment que le plus important ce sont les musiques, je pense qu’il y aura une énergie inhérente à tout ça.

LFB : Tu as réalisé le clip de ton single Okay, est-ce que c’est la première fois que tu fais cela ? Et  comment tu te sens vis-vis de cette nouvelle dimension créatrice que tu apportes dans ton travail ? Tu te verrais travailler cet aspect esthétique pour d’autres artistes ?

A.M : Je ne sais pas si je ferais un bon travail pour d’autres personnes (rires), mais j’ai toujours aimé la photo et la vidéo en tant qu’extensions de ma musique. Je trouve ça important de prendre la personne qui écoute dans l’univers de l’artiste, je trouve que ce sont les meilleures vidéos pour mon projet aujourd’hui. Avant c’était plus une contrainte, une tache à remplir, que l’on pouvait faire de plein de façon, mais j’ai réalisé que la chose la plus captivante que je pouvais faire, et la chose dans laquelle je me sentais le plus confiant et à l’aise c’était de chanter ces chansons dans des clips, de créer des personnages complètement déguisés, même si tout le process consiste à chanter la chanson. 

LFB : As-tu en tête des nouveaux·elles artistes que tu écoutes et dont tu aimerais nous parler ?

A.M : Récemment je n’ai pas écouté beaucoup de nouveaux artistes. Je passe par différentes phases où j’écoute beaucoup de nouveautés, et d’autres où je lance juste les soins que j’écoute depuis que j’ai 16 ans, comme Neil Young ou Al Green. Je suis totalement impatient vis-à-vis de la sortie du prochain disque de Tirzah, c’est l’une des quelques artistes actuel·les dont je suis extrêmement fan ! Mais je suis aussi très curieux de voir tout ce que plein d’artistes vont sortir prochainement dans les années à venir. J’ai la sensation qu’énormément de musique a été faite dans cette période de confinement, et qu’elle sortira bientôt, elle sort même probablement au même moment où l’on parle (rires).


Porches sera à La Maroquinerie le 16 mai 2022.

Écouter All Day Gentle Hold ! :