Pierre de Maere : « L’amour ne peut qu’être merveilleux ou maudit, il ne peut pas être tiède. »

Au lendemain de son triomphe aux Victoires de la Musique, Pierre de Maere nous convie généreusement, entre candeur et pertinence, à entremêler nos visions des rêves et des sentiments. Au milieu de cette conversation intime et émotive émane la certitude d’une vision commune : la vie ne peut qu’être noire ou blanche. 

portrait Pierre de Maere
©Charlotte Engel

La Face B : On commence fort l’année avec une Victoire de la Musique, celle de révélation masculine de l’année. Ce n’est pas rien. 

Pierre de Maere : J’en rêvais, mais je pensais sincèrement que le prix reviendrait à Tiakola, qui le méritait amplement, avec ses disques d’or par dizaines. Le label était confiant et pour plein de gens cela semblait gagné d’avance. On me disait : « C’est pour toi », sans que j’y croie vraiment. En l’occurence, j’ai trouvé magnifique que Stromae me la décerne. Il est mon idole depuis toujours ! Avant de le connaître, je n’écoutais que de la pop internationale. Il a révolutionné le genre de la chanson francophone, que je trouvais un peu ringard.

La Face B : Il y a quelque chose de familier dans vos univers respectifs. Un côté « belge » peut-être. 

Pierre de Maere : C’est vrai qu’entre lui, Angèle, Iliona… il y a une tendance belge. Je ne sais pas ce qu’on a en commun, mais on me le demande souvent, peut-être une insouciance, une liberté, une façon de faire moins « scolaire » qu’en France. Pour ma part, je n’ai pas peur du mauvais goût. Le kitsch est mon terrain de jeu. J’explore et ne me ferme aucune porte. Comme Stromae. Sa musique est intelligente, rigoureuse, mais une créativité et une audace singulières lui permettent de révéler de nouvelles sonorités et concepts. Fuir la candeur et la fantaisie, c’est prendre le risque d’éviter les accidents heureux et les coups de génie. 

La Face B : Que retiens-tu de la création de ton album ? 

Pierre de Maere : Créer un album est un ascenseur émotionnel. Certains morceaux sont des casse-têtes absolus, textuellement et musicalement. Par exemple, Les oiseaux – dont je ne suis finalement pas si fier – a nécessité six mois d’écriture avec de nombreux trous dans le texte, sans parler de la prod’, qu’on a reprise une centaine de fois. Je manque parfois de recul et tout faire seul (bien que mon frère m’aide) engendre des blocages. Pour Jour-3, je me souviens avoir éprouvé de grandes difficultés à marier la prod’ et les voix afin d’aboutir à un tout digeste. Cet album, je l’ai vécu comme une année entière de souffrances et de joies immenses.

La Face B : D’où viennent la plupart des souffrances ? 

Pierre de Maere : D’abord, tu t’entends chanter sans même avoir enregistré les paroles. Tu te forges une idée fantasmée parce que c’est une maquette et tu as tous les droits, puis tu te retrouves à devoir concrétiser ça, à rendre honneur à l’image que tu t’es faite pendant des mois et à vivre la désillusion. Dès lors que je vais en studio, c’est tellement dur de faire honneur à mes mélodies. 

La Face B : Et les joies ? 

Pierre de Maere : In fine, au bout de la version 35 on s’habitue, on peaufine et on se satisfait du résultat. Globalement, je suis content de l’album, surtout des chansons Enfant de, Roméo, Bel-ami, Regarde moi, J’aime ta violence. Il y a des fiertés évidemment, mais tout pouvait aller encore plus loin, avec plus de temps. J’étais un peu pressé, mais j’ai repoussé les échéances quand même, de façon à ne pas être dégoûté au moment où j’ai rendu l’album. 

La Face B : La chanson Mercredi coïncide avec la sortie de la série éponyme à succès, produite par Netflix. Heureux hasard ou volonté de ta part ? 

Pierre de Maere : En réalité, la chanson a été écrite bien avant. C’est même le plus vieux single de l’album et il fait échos aux films de la famille Addams que me montraient mes parents à l’époque. Ce n’est pas de Tim Burton, mais ça pourrait l’être. C’est totalement déraisonnable et ça incite à être créatif, ça appelle l’imaginaire. Ma chanson Mercredi raconte l’histoire d’un jeune homme qui refuse de grandir et qui, chaque mercredi soir, se permet de rêver et de retomber dans ses fantasmes d’enfance.

La Face B : On retrouve beaucoup cette candeur de l’enfance dans tes textes. 

Pierre de Maere : Oui, le syndrome de Peter Pan est partout. J’adopte souvent un ton très enfantin sur les chansons, j’interpelle souvent ma mère : « Maman dit que je lui fais de la peine… ». Cette écriture très naïve qui sonne sincère, spontanée, me ressemble. 

La Face B : Mais cela ne t’empêche pas de parler mariage et engagement. 

Pierre de Maere : En effet. D’un côté je suis un enfant et de l’autre j’ai 65 ans dans la tête ! Dans Jour-3 je parle d’avoir des enfants et de me marier, c’est vrai. Il s’agit d’une balade d’amour un peu légère, certes, mais qui me plaît car elle raconte les prémices de la passion. Cela se réfère à ma première histoire d’amour, vécue l’an passé. Je suis aussitôt tombé amoureux de l’amour, ai réalisé que je pouvais être en couple, voir mon corps éprouver du désir. Je suis de ceux qui rêvent au long terme au bout de trois rencards. Dans la chanson, je dis : « Rien ne va trop vite / Pour un coeur amoureux / Je suis de ceux qui rêvent d’amour à mort / Sur un ciel bleu. »

La Face B : Heureusement qu’il y a l’art pour renouer avec le romantisme, cette notion oubliée. 

Pierre de Maere : Ma vision de l’amour est toujours idéale, excessive et éternelle, ou bien glaciale et maudite. Mais l’amour ne peut qu’être merveilleux ou maudit, il ne peut pas être tiède. L’album réside dans cet excès. Ce dernier est excessif, en terme de prod’ et surtout textuellement. Tout est romancé, tout est exagéré. Il faut rendre les choses passionnantes. C’est un album passionnel et romantique. J’aime le déraisonnable, la générosité, faire rêver. Mon objectif en tant qu’artiste est de repousser certaines limites dans la tête des gens. 

portrait Pierre de Maere
©Charlotte Engel

La Face B : Rêves-tu à d’autres projets musicaux ? 

Pierre de Maere : J’ai très envie de m’y remettre, mais pour le moment, c’est la page blanche. Non que je n’y parvienne pas, mais je n’ai pas encore pris le temps de m’y remettre, donc je n’ai rien en tête. Pas une seule maquette… 

La Face B : Comment fonctionne ton inspiration  ? 

Pierre de Maere : Cela implique de me mettre en conditions. Parfois, des thématiques me viennent en tête et les vocaux s’accumulent sur mon téléphone, mais c’est plutôt rare. Je suis la plupart du temps obligé de me mettre au piano, et de voir ce qui se passe ensuite. 

La Face B : Et quand comptes-tu te remettre au piano ? 

Pierre de Maere : Je viens de sortir un album mais je veux aussi prévoir une belle suite. J’ai soif d’y retourner mais c’est avant tout la prod’ qui me manque : les finitions, c’est ce que je préfère. C’est moins pénible que le texte, où je peux facilement écrire un couplet ou un refrain sur une heure et attendre des mois avant de le reprendre et de débloquer la suite. Des morceaux comme Mercredi ont été écrits sur 6 mois. (D’ailleurs, je préfère sa version d’origine que la version studio).

La Face B : Un jour je marierai un ange, qui figure sur cet album, a fait un carton sur Tiktok. 

Pierre de Maere : Tiktok est un vecteur de communication énorme et de propagande gigantesque. Il est en partie responsable du projet, même si celui-ci était déjà sur les rails et destiné à prendre son envol un jour ou l’autre. J’aimerais tant que ça se repasse encore ! Cela m’éviterait de faire des vidéos ridicules toutes les 2 semaines à des fins promotionnelles. Un jour je marierai un ange, je le vois comme le cheval de Troie de l’album. Après cette musique, les gens ont été curieux de la suite et ceux qui sont montés dans le train sont ravis de la direction qu’il prend. 

La Face B : Tu as récemment subi une déferlante de haine sur les réseaux sociaux après ton passage sur l’émission Quotidien. Comment l’as-tu vécu ? 

Pierre de Maere : Je lis un peu trop les messages des haters, mais ça ne me démonte pas le moral non plus. Que les gens ne comprennent pas la performance et trouvent cela ridicule, finalement cela m’importe peu. S’ils avaient vu le clip ils auraient sans doute compris. Le principal, c’est que je sois fier de ma performance. 

La Face B : On sent que l’image t’importe beaucoup, notamment dans les clips. Cela fait de toi un artiste très complet. Quelle portion de ton temps consacres-tu à cette partie visuelle ? 

Pierre de Maere : C’est une passion. J’ai fait de la photo de mode pendant quelques années et quand je suis revenu à la musique, je l’ai intégré à mon projet. Au bout du compte, mon projet est une combinaison de plein de choses artistiques. C’est ce qui me plait chez Stromae ou les Rita Mitsuko

La Face B : Des clips de prévu ?

Pierre de Maere : Beaucoup de mes chansons se prêtent au clip, car j’ai toujours les images en tête quand je compose, comme des tableaux. Toutefois, un clip fonctionne lorsqu’il donne une seconde lecture à un morceau ; je cherche donc à faire en sorte qu’il résonne avec le texte et non qu’il le retranscrive littéralement. 

La Face B : Un événement te guette, et pas des moindres : L’Olympia le 12 mai. Déjà plus aucune place assise ! Que ressens-tu devant cette perspective ?

Pierre de Maere : Je suis en pleine préparation de l’événement. J’ai notamment étoffé mon équipe de musiciens et compte préparer une série de visuels, car c’est une salle qui s’y prête. 

La Face B : Et tu n’as pas peur que le public perde un peu de son imaginaire en se focalisant sur l’écran ? 

Pierre de Maere : Aller à un concert, c’est comme aller au cinéma. On regarde. Il est donc interessant de développer cet aspect visuel. Sinon, autant écouter le disque. L’image reste un supplément, dont certains artistes n’ont pas besoin pour capter le public, mais autant le faire quand on en a les moyens. 

La Face B : Comment décrirais-tu ton univers en quelques mots ? 

Pierre de Maere : Épique, maximaliste, enthousiaste. Oui, je dirais enthousiaste. Généreux. J’aime surprendre. Je me demande vraiment à quoi va ressembler le prochain album.  

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