Pi2r « Le texte, c’est vraiment le premier truc qui m’attrape dans la musique. »

Quelques semaines avant la sortie de son EP, East Blue, nous avions rencontré Pi2r, un jeune rappeur parisien, pour parler de son projet et de sa vision du rap français. L’occasion pour lui de donner sa première interview, et de nous raconter un peu plus sa vision de la musique et de la vie de rappeur.

LFB : Peux-tu te présenter et présenter ton projet ? 

Je m’appelle Pi2r, qui est le nom de mon projet solo. Je fais du rap, ça fait un moment maintenant que j’ai commencé. C’était au lycée, donc ça doit faire six ou sept ans. Mais j’ai vraiment enregistré des morceaux un peu plus sérieusement depuis le premier confinement, donc depuis deux ans environ. J’ai également un collectif qui s’appelle Les Âmes Studio, avec beaucoup d’artistes. Pour l’instant en terme de musique ça se concentre surtout sur moi et une amie qui s’appelle Azel et qui est chanteuse, elle compose aussi, notamment beaucoup d’instru pour moi. 
En fait, j’ai fait des études après mon bac pendant deux ans, et j’ai arrêté pour faire de la musique. Ça a pris un peu de temps, peut-être un an et demi, avant que je m’y mette sérieusement… Et il y a eu le confinement. Cette période m’a clairement motivé, je me suis dit que c’était le moment. J’étais parti avec des potes à la campagne, ce sont ceux des Âmes Studio d’ailleurs, c’est là que ça s’est formé, on a habité ensemble pendant trois mois, moi j’ai fait beaucoup de musique. Et même Azel, c’est là qu’elle a commencé à s’y mettre. Comme tout s’arrêtait, il n’y avait plus que ça à faire. Donc, même mon projet solo, c’est à plusieurs finalement ! 

LFB : Tu as sorti un projet en avril, raconte-nous !

Yes ! C’est un EP 5 titres, qu’on a fait dans un studio qui s’appelle Le Dojo, qui avait été fondé par le collectif la 75e Session, il y avait Nepal dans ce collectif, Sheldon… On a enregistré tous nos sons là bas, avec Sheldon, qui est rappeur et qui a été l’ingé son sur le projet. En fait, on a fait un premier son avec lui et on a trouvé ça tellement cool qu’on s’est dit qu’il fallait qu’on en fasse cinq. Azel m’a fait écouter des instru, on a construit les maquettes comme ça, on est allé au studio, on a enregistré… 

D’ailleurs, j’aimerais bien faire de la scène avec cet EP, on verra ! J’ai fait quelques concerts déjà, dans des bars, des événements organisés par des potes, l’an dernier avec Azel on a fait un concert à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes… Et puis, avec elle on pense à un projet commun, qu’on a fait complètement nous-mêmes de A à Z et qui devrait sortir dans pas longtemps…

LFB : Tu as un style d’écriture très profond, assez littéraire, tu écris seul ? Comment ça se passe, as-tu des sessions d’écriture où c’est plutôt des fulgurances dans le métro, etc?

J’écris vraiment tout le temps, j’ai des quantités infinies de notes dans mon téléphone… A l’origine, j’ai vraiment commencé par l’écriture, c’est vraiment ce que j’ai aimé direct dans le rap quand j’ai commencé à en écouter. Je n’écoute quasiment pas de rap américain, car je ne comprends pas ce qu’ils racontent, j’écoute que du rap français. Le texte, c’est vraiment le premier truc qui m’attrape dans la musique et c’est donc par là que j’ai commencé. C’est devenu un réflexe, quelque chose que je fais tout le temps : je suis dans ma vie, quelque chose me vient, je commence à écrire et c’est comme un fil en fait, c’est quelque chose que tu déroules avec les rimes. Je pense à une première phrase, après je trouve un mot qui rime avec… J’écris que sur mon téléphone. Dans la vie de tous les jours, je ne me dis jamais que je vais écrire. D’ailleurs, dès que je me dis qu’il faut que je le fasse, c’est un peu moins bien. 
Ça me pose d’ailleurs problème avec la musicalité, dans le sens où j’ai un rapport au texte très important, j’écris des trucs sans musique, sans instru. En fait, quand j’ai une instru, je vais piocher dans mes textes un truc qui irait bien avec. C’est un peu là-dessus que j’essaye de progresser, de rendre les choses plus musicales. Pour l’instant, je fais peu d’instru moi-même, mais j’ai vraiment envie d’en faire plus sérieusement, donc j’y travaille, même si ce que je fais ressemble vachement à de la techno pour le moment (rire). 

LFB : Ton dernier projet s’appelait, “le chemin est long jusqu’au point de départ”, c’est un titre assez évocateur et sensible, dis-nous en plus ?

J’aime beaucoup les titres à rallonge, il y a un truc un peu comme ça dans le rap français, notamment dans le rap français des années 2000 et j’aime bien, je trouve ça cool ! 
L’histoire de ces morceaux-là, c’est que j’avais déjà terminé l’EP qui sort en avril (ndlr : East Blue sorti le 27 avril), on l’a enregistré il y a un an, sauf que cet EP-là, je l’ai fait en studio. Il est hyper bien produit et il y avait plein de morceaux que j’avais fait avant, que j’aimais bien, mais qui n’avait clairement pas le même niveau de production. Je me disais que ça n’avait pas de sens de les sortir après, donc il fallait que je les sorte avant, sinon il y avait une forme de régression bizarre. J’avais quand même vraiment envie de les sortir, mais en même temps ça prenait du temps parce que je ne savais pas trop… Donc, le point de départ c’est l’EP que je vais sortir en avril et je me disais vraiment que c’était long. De manière générale, mon rapport à la musique et à la professionnalisation de la musique, d’en faire son métier, etc, c’est long, tu es en galère, tu as des doutes, c’est difficile, tu es constamment dans un truc de te montrer, d’être jugé… C’était un peu cette idée-là, même le chemin mental de se dire à soi-même “ok, je peux être un rappeur” ça prend du temps, et encore avant ça il y avait les sept ans où je faisais du rap et je ne savais pas trop, j’ai fait des études alors que ce que j’aimais faire c’était de la musique depuis toujours… Toute la force qu’il faut mettre… Maintenant j’arrive à me dire que je suis un rappeur, mais je n’en vis toujours pas, même si il n’y a pas que le fait de gagner de l’argent qui te font te dire que tu es un rappeur… Du coup, cette phrase m’est venue ! 

LFB : Justement, tu parles d’avoir fait des études alors que tu voulais depuis toujours faire la musique. Comment ça s’est passé cette mue, ce changement de vie avec l’arrêt de tes études ?

Pour moi, c’était évident que je devais faire ça. Ce n’était pas une décision difficile à prendre pour moi, après il y a la réaction des gens autour, mes parents qui n’étaient pas hyper contents au début, mais maintenant ils me soutiennent et c’est cool. D’ailleurs, il y a une phrase d’un morceau du prochain EP où je dis un truc “les êtres humains qui m’ont mis sur terre ils auraient préféré que je fasse autre chose”, et en vrai, cette phase je l’ai écrite il y a un moment et maintenant ce n’est plus trop le cas (rires). Et puis il y a toujours une période de flottement où tu te dis, j’ai arrêté mes études pour faire de la musique mais je n’en fait pas vraiment, et ça c’est quelque chose dont on ne parle pas beaucoup, mais l’énergie qu’il faut déployer pour réussir à se lancer dans un projet artistique ou même n’importe quel projet, c’est énorme. 
Je n’ai pas envie de faire que de travailler par exemple, je ne veux pas résumer ma vie à ça. Je trouve que dans notre génération, c’est séparé en deux : Il y a vraiment une partie qui n’a pas envie travailler toute sa vie, et qui remet ce schéma en question, et une autre qui est vraiment dans cette incitation au travail. Et je trouve d’ailleurs que c’est très présent dans le milieu du rap, cette idée qu’il faut charbonner. Mais c’est aussi une question sociale, il faut se sortir de la galère et ça on ne peut pas le critiquer. Mais du coup ce discours est ultra présent et souvent récupéré par des forces capitalistes et productivistes. 

C’est compliqué de trouver la frontière entre quelque chose de cool, où c’est une énergie qu’il faut déployer pour améliorer ta vie, et en même temps quelque chose de très aliénant, avec l’idée que le seul sens que je trouve à ma vie c’est dans le fait de travailler et d’accomplir des tâches, de déverrouiller des succès…
Il n’y a pas que ça, tu vois Soso Maness ouvre une bibliothèque, Zamdane qui fait un concert pour SOS Méditerranée, et ça c’est aussi un peu le fruit de cette mentalité, donc c’est ambivalent. Mais c’est compliqué d’évoluer là-dedans, car quand tu es un artiste en développement, tu es complètement assailli par des discours de motivation, quand tu ouvres instagram etc… Et quand t’es un peu down c’est difficile, en vrai, il faut juste accepter que ça va prendre du temps. 

LFB : Comment se passe ton travail concrètement, es-tu indépendant ? 

Pour l’instant, je n’ai pas de label, je suis totalement indépendant, je me pose d’ailleurs la question, si j’aimerais ou pas être signé. Certains jours, j’aimerais beaucoup qu’une équipe s’occupe de moi, de mon projet, et en même temps, je ne suis pas certain que ce soit le cadre dans lequel j’ai envie de faire de la musique. Je pense que je ne me rends pas bien compte d’à quel point ça rajoute un cadre hyper formel, sans doute tu perds un peu de contrôle sur ce que tu fais, tu as des obligations, des deadlines, un budget, je ne sais pas si c’est vraiment comme ça que j’ai envie de faire les choses. Pour l’instant, la question ne se pose pas trop. Je pense que je ne suis pas assez connu pour qu’on me signe !

LFB : Tu m’as parlé du collectif que vous aviez fondé avec tes amis…

On est une bande de pote, on se voit tous les jours, maintenant on habite ensemble, on a une vie collective quotidienne. A l’origine, on l’a fondé car on avait très envie qu’il y ait un compte instagram qui recense mes sons et ceux d’Azel, on s’est dit que si tout était au même endroit, si quelqu’un découvre l’un de nous, il pourrait aussi découvrir l’autre. De ça, on est parti dans une idée de collectif, peu après le confinement. Pour l’instant, c’est vraiment axé sur la musique, parce qu’il n’y a qu’Azel et moi qui faisons que ça de notre vie. Les autres font beaucoup de trucs, mais ça reste une activité annexe, donc sur le long terme on a vraiment envie que ça devienne multisupport. Parmi les membres du collectif, il y en a beaucoup qui aident à la musique, même si ce sont pas des musicien.ne.s. Il y a Pia, par exemple, qui fait tout le travail de graphiste, de monteuse, c’est elle qui fait toutes les petites vidéos que je peux poster sur instagram. A terme, j’aimerais beaucoup que ce soit elle et une autre personne, Nejma, qui fassent nos clips. 

LFB : Ce serait quoi le rêve du collectif ? 

Je pense que tout le monde ici n’a pas forcément envie de dédier sa vie à la création artistique. Mais moi, je trouverais ça stylé que chaque membre puisse faire ce qu’iel veut, que ce soit un support qui permette à chacun de s’exprimer, et qu’on mutualise nos ressources. Que l’argent qui sort de la musique finance des projets d’autres personnes… Je ne sais pas quelle forme ça va prendre. J’aimerais que ce soit une plateforme qui mette en avant les projets de potes qui se lancent, déjà ça ce serait très cool ! Au-delà de ça, en tant que personnes, on habite ensemble à Paris mais je pense qu’on aimerait habiter à la campagne à un moment. Et si vraiment on devient une plateforme avec beaucoup d’audience, peut-être prendre une forme politique… Dans ma musique, je le fais déjà beaucoup, donc pourquoi pas, mais c’est un peu plus complexe… Il faudrait trouver la bonne manière et la forme intelligente de le faire. Par exemple, ce que Zamdane a fait avec SOS Méditerranée ça me parle vraiment, c’est vraiment bien ce qu’il a fait et c’est rare dans le rap. C’est vraiment stylé que des jeunes avec une large audience l’utilisent pour ce genre de choses. J’ai l’impression, que ca devrait être une évidence quand tu as une audienc, de t’en servir de cette manière-là. Après, il faut encore une fois trouver la bonne façon de le faire, sans que ce soit moralisateur… 

East Blue, disponible sur toutes les plateformes depuis le 27 avril 2022. @pi2r_ame