Pablo Alfaya : « Je construis des univers, des tableaux qui seront différents à chaque fois »

Il y a tout juste un mois, Pablo Alfaya dévoilé son premier album : Hero. À cette occasion, on avait rencontré l’artiste Grenoblois pour parler de cet album, mais aussi de l’importance de l’océan, de la nature très spontanée de sa musique, de ses orignies et de l’importance de son dernier titre en français. Une conversation avec un artiste naturel et émouvant qui cherche à voir dans le noir pour trouver la lumière en chaque chose.

LFB : Hello Pablo, comment ça va ?

Pablo Alfaya : Ça va super et toi ? 

LFB : Ca va merci. Comment tu te sens alors que ton premier album s’apprête à sortir ?

PA : Ben écoute c’est le feu, c’est comme un accouchement, surtout que c’est un album que j’ai commencé quand j’avais 22/23 ans, j’en aurais 26 le 11 Novembre donc content que ça sorte pour pouvoir passer à la suite, continuer, à fond !

LFB : Le premier titre que tu avais dévoilé de l’album et même ton premier titre tout court c’était Ocean. On a l’impression que l’Océan il est partout dans cet album, il ouvre des chansons, on l’entend à plusieurs reprises, c’est un peu comme une entité qui revient et du coup on se demandait ce que ça représentait pour toi l’océan et quelle importance il avait dans ton imaginaire musical ?

PA : En tant que scorpion, je suis vachement sensible et relié au cosmos, c’est mon élément l’eau, et je pense que intérieurement ça faisait sens par nature. En terme de symbolique c’est plein de choses en même temps, à la fois c’est un champ des possibles immense, c’est à dire une porte ouverte vers l’inconnu, les découvertes de nouvelles choses et à la fois c’est quelque chose de très solitaire comme un voyage en bateau au milieu de l’Atlantique ou la sensation de pouvoir être immergé sous l’eau dans une espèce de bulle ou parfois même d’être submergé, d’être sous pression.
Je viens d’un univers et d’un environnement très urbain, de Villeneuve à Grenoble, et je pense que dans mon imaginaire je suis allé chercher quelque chose qui était aux antipodes. J’ai un rapport avec le Pays Basque qui est très fort, depuis que je suis petit je vais à Biarritz parce que j’ai de la famille là bas, et l’océan a toujours été ce passage ou entre la fin du printemps et le début de l’été je me retrouvais sur les bords de l’océan et c’était mes meilleurs moments.
C’était ce qui m’inspirait, ce qui me donnait envie de devenir quelqu’un d’autre, d’aller plus loin que ma ville et mon propre entourage et donc il y a cette idée d’immensité, de champ des possibles, et surtout de relaxation intérieure, je dirais même un recentrage intérieur.

LFB : Tout ça on le retrouve sur la pochette avec ces vagues et ce folder en plein milieu comme si c’était la chose sur laquelle tu te concentres en plein cœur de la chose vers laquelle tu as envie d’aller. 

PA : C’est complètement l’idée, on est dans ce truc où ça se passe seul dans sa chambre le soir devant son macbook mais avec cette perspective d’immensité derrière qui à la fois fait rêver et à la fois fait très peur avec cette vague donc oui on le retrouve complètement.

LFB : C’est cette inconnue qui se confronte à la réalité.

PA : Il y a cette notion de sauvage qui se confronte à quelque chose de très terre à terre et toujours dans le contraste, et le contraste justement c’est l’élément qui résume ce qu’est ma musique, ma personne.

LFB : Quand on écoute ton album, la première chose à laquelle on pense c’est les Beach Boys et ce qu’il y a d’intéressant c’est que tu n’es pas à la recherche d’une musique passéiste, puisque dans ta musique il y a aussi des influences électroniques, hip-hop… Est-ce que c’est un défi pour toi de ramener le passé dans le présent et de trouver le bon étalonnage entre les deux ?

PA : Je fonctionne vraiment à l’instinct, au feeling du moment, cet album c’est une photo de moi à un instant et à cet instant précis il y avait cette vibe là, cette esthétique. J’avais une grosse fascination pour la personnalité de Brian Wilson qui est ce mec bipolaire dépressif sur fond summer océanique et qui a quand même fait des titres très solaires mais avec toujours cette lame de fond très mélancolique et nostalgique. J’ai trouvé beaucoup de réconfort chez ce gars que je n’ai jamais connu et que je ne connaitrais peut être jamais mais il y a un lien, un chemin cosmique qui s’est créé entre ce que ce mec a laissé et ce que j’ai pu faire à ce moment là donc oui, ce disque est dans un sens habité par l’influence des Beach Boys, clairement. 

LFB : Un aspect qu’on remarque dans ta musique, tu parlais d’une lame de fond mélancolique mais tu vas toujours être à la recherche de la lumière dans ce que tu fais, il y a un refus de plonger dans la pure tristesse.

PA : Complètement, il est là le côté héroïque et c’est pour ça que j’ai appelé cet album Hero, je trouve qu’il y a une forme de courage et je ne parle pas que pour moi mais pour les gens dans la vie en général. On dit que la vie c’est dur, ce n’est pas un long fleuve tranquille et oui c’est ça, tu as tout ces trucs que tu dois laisser exister autour de toi qui peuvent être très dur mais en même temps c’est animal et instinctif, on est dans la recherche de la lumière, comme une plante qui veut pousser, il y a toujours cette notion d’espoir et bien sûr on a tous nos moments tristes mais il y a une réunification autour de ça et c’est quelque chose que je recherche.
La symbolique de l’océan, de l’eau, l’élément aquatique la recherche de l’unification, en fait l’eau s’adapte à n’importe quelle forme que ce soit dans une théière, à n’importe quelle forme de terre, au final elle prend cette forme là et va être unifiée au milieu de n’importe quel environnement et situation. L’eau finit toujours par faire un avec ce qu’elle touche.

LFB : Tu disais que cet album est un instantané mais tu n’as pas plutôt l’impression que c’est l’inverse ? En fait chaque morceau est une photographie de quelque chose de différent et qui multiplie les personnages aussi, parce que tu es à la fois narrateur et héros des chansons que tu racontes.

PA : Il y a un vrai trouble de la personnalité dans cet album, parfois il y aura un alter ego et parfois c’est purement personnel, en même temps je pense que dans le fond tout ce que je recherche c’est l’unification avec les gens et avec mon environnement au même titre que l’eau.
Il y a ce truc qu’au long d’une journée nos humeurs peuvent être très changeantes, moi je peux être devant la plage à regarder l’océan, les choses qui se passent et d’une minute à l’autre ma perception va être complètement différente, ça peut être un son que j’entends, une vision que j’ai ou un message que je vais recevoir.
On est toujours dans ce truc ou d’un moment à l’autre on va avoir de la hauteur vis à vis de ce qui nous entoure et à d’autre pas du tout et on va se laisser submerger. C’est un peu abstrait ce que je raconte mais je pense que c’est ce que sont les émotions, c’est très fluctuant. 

LFB : Justement, est-ce qu’en fonction du personnage que tu mets en avant dans tes chansons il y a une manière différente d’écrire ? 

PA : Comme je suis vachement instinctif, je n’arrive pas à prévoir donc les chansons elles ont été écrites, enregistrées au gré de mes émotions, de mon bon vouloir, c’est un peu une montagne russe, ça suit une vibe de l’instant présent, il n’y a rien de calculé.

LFB : A quel point ça représente une thérapie pour toi ? Lorsque tu as sortie Ocean on a senti que c’était une sorte de libération.

PA : Oui, c’est la chanson la plus « réunificatrice », c’est une chanson sur le fait d’accepter que tout rentre et que tout sort et on va surfer là dessus. Mais du coup oui pour moi la musique c’est complètement une thérapie, ça me permet de tenir le cap, c’est à la fois le truc qui me détruit et me déséquilibre mais qui en même temps me fait tenir sur la route.
Ocean c’est le titre le plus parlant sur mon état d’esprit et sur la route qu’emprunte cet album.

LFB : Avec un peu de recul sur ce morceau, est-ce que tu vois tout le chemin que tu as parcouru depuis sa création ?

PA : Oui complètement, avec ses grosses parts d’ombres et de lumières. On est toujours là-dedans de toute façon, je pense que l’un ne marche pas sans l’autre et ce morceau il permet d’apprendre à marcher dans le noir pour trouver la lumière.

LFB : Finalement c’est le travail d’une vie…

PA : Exactement, c’est tout simplement humain.

LFB : Cette chanson, même sans le savoir à l’époque, c’était un peu le premier chapitre de ce que tu es et ce qu’est ta musique.

PA : Oui et c’est étonnant parce que ce n’est pas le premier titre que j’ai écrit mais c’est quand j’ai fait ce titre là que j’ai compris l’unité du truc, à la fois dans le titre il y a ce côté très rassembleur et ça a eu le même effet physique et matériel à partir de ce morceau dans le disque entre les chansons entre elles.

LFB : Tu parlais de lire les paroles, est ce-que c’est important pour toi que les gens puissent avoir accès au texte ?

PA : Pas du tout, c’est physique avant tout et c’est pour ça qu’on dit que c’est une musique très imagée, très paysage, c’est coloré et parce qu’avant toutes choses le message passe physiquement par le son, tu peux ne rien comprendre à l’anglais mais l’émotion passe, et je pense que l’émotion auditive est le premier rapport qu’on a tous à la musique. Le texte c’est juste la part d’ego. 

LFB : Le texte peut permettre aux gens de rattacher cet album à leur vie aussi.

PA : Oui, je pense que les gens qui en ressentiront le besoin, ça se fera naturellement et ils iront voir d’eux même. Je ne suis pas dans des tracks avec des messages engagés, donc les gens si ils sentent quelque chose ils iront creuser d’eux mêmes, mais quoi qu’il en soit oui je vais me débrouiller pour que les paroles soient accessibles.

LFB : A la fin de l’album tu glisses une petite chanson en français, est-ce qu’écrire en français fait partie de ton processus d’écriture ?

PA : C’est l’unique fois en fait, c’est un peu l’ovni de cet album et il porte bien son nom sortie de route. C’est un peu particulier parce c’est une chanson qui aborde le sujet de mon grand frère qui est atteint d’une maladie très grave qui est la schizophrénie, moi aussi à travers ses troubles j’ai plein de points d’identification, on parlait de Brian Wilson tout à l’heure par exemple.
Quelque part c’est complètement raccord et mon but c’était que mon frère comprenne les paroles vu qu’il ne parle pas anglais.
Et ça m’est venu comme ça, ce n’était pas un calcul donc celle là elle est comme ça puisqu’elle est lourde de sens, il y a toute cette signification derrière, lui même par rapport à sa maladie c’est une sortie de route dans notre société.

LFB : Donc on n’est pas sûr de revoir une chanson en français dans le futur?

PA : Comme tout se fait au feeling et que je ne serais jamais là où on m’attend, personne ne pourra prévoir ce que je fais, la couleur du prochain disque, la langue, demain ce sera de l’espagnol après demain ce sera du chinois, c’est une histoire de vibe, comme l’eau, ça glisse, ça se transforme.

LFB : Vu que tu parles d’espagnol, tu es le fruit de plusieurs influences et cultures, IL Y a la France, l’Argentine, l’Espagne, même au niveau de la musique, on sait que tu es un gros fan de hip hop, donc justement comment dans ta musique toutes ces cultures t’influencent ? Parce que comme tu le dis, à travers ça tu restes dans le champ de tous les possibles.

PA : Exactement, je veux que les portes restent ouvertes, ça peut être un suicide, c’est pour ça qu’il ya cette phrase dans Hero in Disguise qui dit « by keeping all my options open I committed suicide » c’est une phrase de high fidelity en fait, un moment où il est sur le banc, et je trouvais cette phrase géniale parce que c’est cette notion de NE jamais vouloir s’engager. 

J’entends cette phrase et je me dis « putain mais c’est moi« , je me garde la possibilité de gouter à tout et à la fois ça peut être destructeur parce que quand tu ne t’engages jamais dans rien tu ne finis jamais rien. Et c’est aussi pour ça que le processus de cet album a pris autant de temps, j’étais en perpétuelle remise en question et comme je suis la vibe … Tu parlais des influences hip hop, des influences latines etc, moi quand j’écoute ces sons je me dis pas voilà je veux appartenir à telle communauté parce que je ne suis ni de chezmoi ni de chez vous.
C’est un truc qui me torture un peu puisque dans le hip hop par exemple c’est quand même des grosses communautés, il y a des codes, moi je ne m’identifie à aucun code et je ressens juste des vibes et des feelings, et aussi bien dans le hip hop que dans la musique latine il y a quelque chose de très physique et très instinctif c’est pour ça que je me retrouve là-dedans et je pense que si je passais un peu moins de temps à penser et à réfléchir je sortirais une quantité de contenu variable infini, c’est pour ça que je dis que je ne serais jamais là où on m’attend, je ne me mettrais pas dans une case.

LFB : Quand on pense au potentiel du live de cet album, avec une musique si orchestrale et ample pour un artiste qui commence…

PA : Toute la difficulté elle est là, dans l’idée pour représenter l’œuvre devant un public, mes besoins sont incommensurables, je ne suis pas un folkeux, un artiste à chanson qui prend un piano et une guitare et qui fait sa chanson. Moi je construis des univers, des tableaux qui seront différents à chaque fois et donc c’est une question qui est très compliquée pour moi.
Je peux clairement confier que je ne suis pas du tout à l’aise parce que je suis toujours dans cette notion de proposer une oeuvre entière, je ne travaille pas avec des producteurs, je ne travaille pas avec des personnes qui font ma musique, je fais tout en fait, j’ai quand même travaillé avec monsieur Jean Pierre Mayard qui m’a aidé sur la réalisation de cet album et qui a été une pièce aussi importante que moi dans ce projet mais j’ai ce truc ou je construis tout de A à Z donc c’est difficile comme il y a cette notion de moyen et c’est une grosse frustration.
Ce serait avec plaisir que je présenterai cet album mais quelque part comme je suis dans un truc d’instinct et de feeling, c’est déjà desservir le truc que de vouloir le reproduire et c’est en ce sens là qu’à l’avenir j’aimerais réinventer, produire beaucoup de contenu en terme d’image et de son plus que du développement de projet. 

Le live c’est plein de questions pour moi, j’en ferais surement mais je suis encore dans le flou complet.

LFB : Tu as des coups de cœur récents à partager ?

PA : Les trucs qui me font vraiment triper en ce moment, c’est un mec qui s’appelle Don Tolliver qui est signé sur le label de Travis Scott Cactus Jack et qui fait de très belles chansons.
Sinon j’ai aussi été très marqué par le travail de Rosalia et c’est d’ailleurs un petit peu mon projet : elle a ramené ses racines avec le flamenco, moi mon projet c’est l’Argentine, je vais aller chercher tout ce mysticisme de l’Amérique du Sud, ce rapport à l’animal et ces rythmiques encore jamais explorées dans la musique.

Photos : Cédric Oberlin