Otzeki : « Ce n’est pas le professionnalisme qui bonifie les choses, c’est le fait de s’approprier la performance »

À l’occasion de leur venue à Bondues pour le Coda Festival, nous avons rencontré le duo britannique Otzeki composé de Mike Sharp et Joel Roberts, à l’heure où ils travaillent à la préparation de leur nouvel album.

Otzeki by l'îlot son
Otzeki in Bondues by L’Îlot Son

VERSION ANGLAISE PLUS BAS / ENGLISH VERSION BELOW

La Face B : Pour commencer, comment allez-vous ?

Joel : On va bien, merci. On est excité d’être là.

LFB : Vous avez fait de nombreux concerts en France et vous y avez de nombreux fans. Comment vous le vivez ?

Joel : C’est vraiment cool ouais.

Mike : Oui, on ne peut pas se plaindre (rires).

LFB : Vous êtes basés à Londres actuellement. Qu’est-ce qui vous plaît dans cette ville ?

J : Pas grand chose.

M : Tu n’aimes pas la ville ? Tu déconnes ?! (rires)

J : Non j’adore Londres. Il y a une pression d’habiter à Londres quand tu vis au Royaume-Uni je trouve, surtout parce que c’est l’épicentre de tout. Culturellement.

M : Au niveau international, on sent que c’est la porte vers le reste du monde. C’est UN des centres du monde donc tu as le sentiment d’apprendre beaucoup, c’est un bouillon de culture. Beaucoup d’idées différentes, toutes sortes d’idéalismes qui ne marchent pas vraiment dans la réalité mais c’est vraiment intéressant d’être dans cet environnement où toutes les idées peuvent être discutées. C’est dur, c’est un endroit très dur à vivre. C’est cher.

LFB : D’après ce que j’ai lu, vous avez des personnalités très différentes, comment vous faites fonctionner votre duo ?

J : Tu as lu ça où ?

LFB : Dans votre bio (rires), du coup on s’est dit que ça devait être vrai.

J : Ça pouvait être inventé.

M : On devient progressivement de plus en plus similaires à force de passer du temps ensemble.

J : On devient des vieux.

M : On commence à parler l’un comme l’autre. On finit les phrases de l’autre.

LFB : Comment l’écriture automatique impacte la production de vos morceaux ?

M : C’est plutôt récent parce que pour le nouvel album on teste des morceaux sur la route. Certains étaient un seul jet de conscience. Il y a une chanson du nouvel album qu’on n’a pas encore sortie, qui est un seul flux de conscience du début à la fin et qui a été composée en une prise. Donc tous les accords, toutes les paroles, toutes les mélodies ont été inventées en une improvisation qui dure environ cinq minutes. C’est aussi automatique que possible.

LFB : Que vous apporte ce mode de travail ?

J : Maintenant il faut réécouter et essayer de retrouver les paroles, c’est vraiment difficile. Il chante absolument n’importe quoi (rires).

M : Non, c’est pas juste n’importe quoi. Il y a un passage où je dis “astéroïde”.

J : On dirait que tu dis “astenberg”, ce qui n’est pas un mot.

M : Mais c’est bizarre parce que tu reviens dessus. Et c’est comme se repasser un rêve. Tu n’as aucune putain d’idée que tu étais dans un rêve, la plupart du temps. Et tu y reviens en te disant « Oh mais qu’est-ce que ça veut dire ?” (rires) Et donc tu as ce truc automatique et c’est vraiment bon par rapport à l’angoisse de la page blanche dont je souffre souvent parce que je suis trop perfectionniste quand ça touche à la poésie parce qu’il y a tellement de bons écrivains que je me dis que je ne peux pas le faire. L’écriture automatique est bien par rapport à ça parce que tu dois te soumettre au moment. C’est une sorte de mécanisme d’adaptation.

J :  De même, tu dis que tes frustrations viennent du fait d’être dans une performance électronique et quelque part ça implique de sacrifier un élément de de musique live et d’improvisation. C’est un exercice rafraîchissant de ce point de vue.

M : Par exemple si tu t’imagines un traitement de texte qui souligne systématiquement les choses en rouge, comme en soulignant quelque chose qui n’est pas grammaticalement correct mais qui est écrit comme tu le dirais, à un moment donné tu vas avoir de la frustration envers ce programme. On a généré ce genre de programmes pour la musique, dont la plupart sont fictifs parce que la musique est issue des émotions et des sentiments.

J : Je pense qu’il y a des façons de le faire. C’est pour ça qu’on ne s’y est pas encore plongé tant que ça.

M : Oui, on commence à peine à faire ça parce que d’une certaine façon il faut développer une connection avec les gens et ça vient avec la structure.

LFB : Votre musique sonne souvent sombre, mais sur des morceaux plutôt dansants. Comment vous l’expliquez ?

M : Un manque de compétences de musiciens. En tapant sa tête contre un mur de brique. Ça finit par devenir stimulant. Ça fait du bien mais on a fait ça principalement parce qu’on n’est pas de très bons musiciens. Ce n’est que récemment qu’on prend conscience de ça…

J : En faisant de la merde, en étant mauvais (rires).

M : Il faut bien que ça vienne de quelque part.

J : Je suis plutôt un sound designer qu’autre chose.

M : Mais je pense que le côté sombre vient sans doute d’une nullité. Être nul à quelque chose. Si tu es mauvais pour discerner tes émotions ou si tu es mauvais à être malin ça t’emmène vers une forme de noirceur ou un sentiment de noirceur et tu finis par parler de ces sujets. Je pense que la véritable noirceur vient du fait d’être nul pour vivre. Nul pour apprécier la vie.

J : Là-dessus, t’aurais pas une cigarette ? (rires)

M : Mais bon c’est aussi quelque chose qui est étrangement appréciable, non ? Parce que c’est de là que provient l’empathie.

LFB : Sur scène vous n’êtes que deux mais les morceaux ont beaucoup plus d’instruments. Comment vous faites cette transition à partir du studio ?

J : Je dirais que c’est sans doute plutôt dans l’autre sens. Ça sera différent pour cet album, ce ne sera pas aussi facile de traduire les morceaux sur scène.

M : Parce qu’on l’a écrit en studio et en live en même temps et qu’on a fait des allers-retours entre les deux.

J : Je veux dire, tu peux faire n’importe quoi aujourd’hui grâce à ce que permet Ableton.

M : Je pense pas que ça puisse faire n’importe quoi (rires). Non, mais il faut se restreindre. Il faut se dire « J’ai cet ordinateur où je peux tout faire » et moi je vais juste jouer le thème des Dents de la Mer quelques temps et ensuite je vais jouer un peu de ci et ça mais les gens trouvent ça attirant donc il faut trouver son langage et il faut le trouver en passant par des restrictions. Je pense qu’on a trouvé ça au travers des structures et du fait d’être un groupe live. Alors qu’on pourrait faire de la musique beaucoup plus intéressante en termes de sonorités mais ça ne fonctionnerait pas en live, ça ne serait pas intéressant à regarder en concert. C’est juste du sound design. Par exemple, le fait qu’on fasse fonctionner le live est lié au fait qu’on se soit restreint à la section rythmique, de la basse, des mélodies, des accroches et un ligne de voix et c’est quelque chose qui ne sort pas du spectre. Quand il s’agit d’y avoir beaucoup d’éléments là dedans, ces éléments sont là parce qu’on veut y mettre de l’énergie et je pense qu’on réalise maintenant, après l’avoir fait pour un album qu’on n’a pas beaucoup joué en concert même si on aimait beaucoup les morceaux. On s’est rendu compte qu’il faut revenir au moment, il faut revenir à cet aspect live. Même s’il y a beaucoup de couches dedans, à un moment donné tu vas en avoir marre de jouer un accompagnement. Tu vas en avoir marre de tous ces gimmicks et de tous ces trucs que tu peux faire sur ces machines. Il faut se restreindre parce que sinon tu ne t’exprimeras pas, tu vas juste écouter le truc encore et encore. Tu deviens un DJ en boucle qui ne sait même pas où trouver de nouveaux disques et qui se contente de jouer à côté. Il faut que ça vienne de la restriction. Et la restriction c’est ce que tu fais en live.

J : Joue la grosse caisse.

M : Joue-la en direct. Joue-la avec ta tête.

LFB : Sur scène, Mike, ça t’arrive d’avoir de te mettre à moitié nu, de t’enrouler dans du scotch, ce genre de choses. Qu’est-ce qui vous passe dans la tête à ce moment-là ?

J : Tu communiques quelque chose, les gens apprécient et tant qu’ils l’apprécient, tant qu’il y a une ambiance, il y a une connection et les gens s’y prennent et moi je fais mon truc…

M : Se prennent à quoi ?

J : À l’hystérie ?

M : C’est de l’hystérie ? (rires)

J : L’hystérie de t’enrouler dans du scotch et de te couper les cheveux. C’est cool. Je ne sais pas moi en général je me concentre sur mon truc et je te laisse faire ton truc, c’est comme ça que ça ce passe. Tant que tout le monde passe un bon moment.

M : Rien. Je n’ai absolument rien dans la tête à ce moment-là.

LFB : Quels sont les plans à venir pour vous ?

M : Une barre Mars là tout de suite dans mon estomac. (rires)

J : Pour l’instant : finir l’album, c’est en numéro un.

M : Oui mais en le sortant correctement. C’est très facile de rendre la musique électronique stérile ainsi que la performance parce tu veux que ce soit parfait. Ce n’est pas le professionnalisme qui bonifie les choses, c’est le fait de s’approprier la performance et je suis devenu incroyablement complexé en ce moment. On a cet album qui est fini mais pour moi il y a les prises de voix, la partie la plus importante maintenant, le truc est là, la musique est là. C’est juste y incorporer cette part humaine.

Otzeki in Bondues by L'Îlot Son
Otzeki in Bondues by L’Îlot Son

ENGLISH VERSION

As they were coming to Bondues to play at the Coda Festival, we met Mike Sharp and Joel Roberts from British duo Otzeki, while they are working on their new album.

LFB : How are you guys ?

Joel : We’re good, thank you. Excited to be here.

LFB : You have made many concerts in France and you have a large French fanbase. How does it feel ? Is there anything special about French fans ?

Joel : It’s really great yeah.

Mike : Yeah, can’t complain. (laughs)

LFB : You are currently based in London, what do you like about the city ?

J : Not much.

M : You don’t like the city ? Are you joking ?! (laughs

J : No I love London. There is a general pressure to be in London if you live in the UK I find, especially because that’s the epicentre of everything. Culturewise. 

M : Internationally you feel like it is the gateway to the rest of the center. It is A center of the world so you feel like you’re learning a lot, it’s a melting pot. Lots of different ideas, all sorts of idealism that don’t quite work in reality but it’s really interesting to be in that environment where all ideas are open to discussion. It’s tough, it’s a really tough place to live. It’s expensive.

LFB : From what I read, you have very different personnalities, how do you make it work ?

J : Where did you read that ?

LFB : In your biography (laughs) I assumed that was correct.

J : It could have been a fabrication.

M : We are gradually becoming more and more similar with the time we spend together.

J : We’re turning into old men.

M : We’re starting to speak like each other. Finish each other’s sentences.

LFB : How does automatic writing affect the production of your songs ?

M : More so recently than in the past because with this new album we’re road testing songs. Some of them which were just one stream of consciousness. There’s a song from the new album which we haven’t released yet, it’s a stream of consciousness from one end to the other and it was composed in one take. So all the chords and all the lyrics and all the melodies were invented in one improvisation which is around five minutes. That’s as automatic as it can get.

LFB : What does that bring to you ?

J : Now you’ve got to go over and try and recreate the vocals, that’s just really difficult. He’s singing absolute nonsense (laughs).

M : No, it’s not just nonsense. There’s one bit where I say ‘asteroid’.

J : It sounds like you say ‘astenberg’ which isn’t a word.

M : But it’s curious because you go back to that. And it’s like looking back at a dream. You had no fucking idea that you were in a dream. Most of the time. And you look back at it and you’re like ‘Oh what did that mean ?’ (Laughs) And so you have this automatic thing and it’s really good for writer’s block which I often suffer from because I’m too much of a perfectionist when it comes to poetry ’cause there’s so many good writers out there that I think I can’t do this. Automatic writing is good for that because you have to submit to that moment. It’s kind of a coping mechanism.

J : Also, you say your frustrations arise from being in an electronic act and therefore you kind of sacrifice an element of live music and of improvising. It’s a refreshing exercise in that respect.

M : For instance if you think of a word program that constantly put a red line under things, like under something that is grammatically incorrect but that’s how you would say it then at some point you’re gonna get frustrated with that program. We’ve generated these programs for music, a lot of which is fictitious because music is about emotions and feelings.

J : I think there are ways of doing it. That’s why we haven’t taped into them too much yet.

M : Yeah, we’re still just really really only beginning to do that because you got to somehow develop a connection with people and that comes through with structure.

LFB : Your music often feels quite dark even when on dance tracks. How do you explain it ?

M : Lack of musicianship. Banging your head against a brick wall. That eventually becomes stimulating. It feels nice but we did it mainly because we’re not very good musicians. It’s only recently that we’ve recognised…

J : In being shit, in being bad. (laughs)

M : It’s gotta start something.

J : I’m a sound designer if anything.

M : But I think where this darkness comes from, probably badness. Being bad at something. If you’re bad at recognising your emotions or you’re bad at being intelligent then it leads towards a form of darkness or a sentiment of darkness and you end up talking about these subjects. I think genuine darkness comes from being shit at living. Shit at appreciating life.

J : Have you got a cigarette on that note ? (laughs)

M : But then that’s also something which is strangely pleasurable isn’t it ? Because that’s where empathy comes from.

LFB : On the stage, there’s only two of you but the tracks have a lot more instruments, how do you work this out ?

J :  I’d say it’s probably more the other way around. It’s gonna be different this album, it’s not gonna be as quite easy to translate the tracks on the stage.

M : Because we’ve written it as studio and live at the same time and we’ve taken it back and forth.

J : I mean you can do anything as well nowadays with the luxuries of Ableton.

M : I don’t think it can do anything (laughs). No but you have to restrict yourself. You have to go like ‘I got this computer where I can do everything’ and I’ll just play the Jaws soundtrack for a bit and now I’ll play a bit of this and that but people find that drawing so you have to find your language and you have to find that through restriction so I think we found that through song structures and being a live band. When we could make music that is way more interesting in terms of sonically but it wouldn’t work live, it wouldn’t be interesting to watch live. It’s just sound design. For instance the fact that we make it work live is to do with the fact that we’ve restricted it to rhythm section, bass, melodies, hooks and a vocal line and that’s something that doesn’t leave the spectrum. When it comes to being lots of elements in there, those elements are in there because we want to get some energy in there and we’re realising now I think, after having done it for an album which we didn’t end up playing a lot of it live even though we liked the song. We realised that you have to bring it back to the moment, you have to bring it back to that live thing. Even if there’s a lot of layers to it, at some point you’re gonna get fed up of playing backing track. You’re gonna get fed up of all the gimmicks and all the tricks you can do on these machines. You have to restrict yourself because otherwise you’re not gonna express yourself, you’re just gonna be listening to the stuff over and over again. You become a DJ on loop who can’t even find new records and just plays along. That has to come from restriction. And the restriction is what you’re doing live.

J : Play the kick drum

M : Play it live. Do it with your head. 

LFB : On stage, your scenography is pretty simple but the behaviour you have (Mike) is very intricate, almost tortured. What’s in both your minds when he tapes himself half naked ?

J : You’re communicating something, people are enjoying it and as long as they are enjoying it, as long as there’s a vibe, there’s a connection and people are getting into it and I’m doing my thing…

M : Getting into what ?

J : To hysteria.

M : Is it hysteria ? (Laughs)

J : The hysteria of taping yourself and cutting your hair. Then it’s fine. I don’t know I usually focus on my thing and I let you do your thing and that’s how it works. As long as everyone is having a good time.

M : Nothing. Absolutely nothing is going through my mind at that point.

LFB : What are the upcoming plans for you ?

M : A Mars bar right now in my tummy (laughs).

J : Current plans : finishing the album, number one.

M : Yeah but getting the delivery right. It’s very easy to sterilise electronic music and sterilise the performance because you want it to be perfect. It’s not profesionnalism that makes something good, it’s about owning your performance and I’ve become incredibly self-conscious at that moment. We’ve got this album finished but for me the vocal takes, the most important bit now, the tricks are there, the music’s there. It’s just getting the human touch in there.