Une conversation avec Ottis Cœur

Dans une semaine, Ottis Coeur sera à La Flèche d’Or pour célébrer la sortie de Léon, leur second EP. À cette occasion, on a rencontré Camille et Margaux, pour parler avec elles d’évolution, de légitimité et du fait de parler des sujets qui comptent pour elles. Rencontre.

La Face B : Salut Ottis Cœur, comment ça va ?

Camille : Ça va !

Margaux : Je suis anxieuse. Particulièrement aujourd’hui. Je sais pas j’suis anxieuse. Mais ça va. (rires)

La Face B : Est-ce que vous avez été un peu surprises de l’attention et des retours autour d’Ottis Cœur depuis la création ? Parce que finalement j’ai l’impression qu’il y a eu une vraie attention très forte dès le premier titre autour du projet…

Ottis Cœur : Je pense que oui… Je pense qu’on savait qu’on avait un truc cool. C’est vrai que quand on a fait le titre Juste derrière toi, on s’attendait pas à tourner avec.

On savait qu’on avait un petit quelque chose qu’on avait créé pendant le confinement, une petite bulle qui était chouette et qu’on allait peut-être en faire quelque chose et c’est ce qui s’est passé. Et c’est allé vite quoi, c’était surprenant et très agréable. Parce qu’on l’oublie souvent mais le truc de la légitimité, on en parlait pendant le confinement, on ne se sentait pas trop légitimes de faire de la musique et en fait tout ce qu’on a eu, les accompagnements tout ça nous a donné un peu de confiance et c’était très cool, une bonne surprise.

La Face B : Et par extension, quand on est fan de rock, ça fait quoi de sortir un vinyle chez Howlin’ Banana Records et d’être signé chez Super (rires) ?

Camille : Bah c’est cool ! Bah rien que sortir un vinyle, c’est dingue !

Margaux : Howlin’ Banana c’est un peu la colonie de vacances des copains. Il y a ce truc de tu appartiens à une famille cool avec plein de groupes qu’on adore et c’est cool et Super, c’est un gros catalogue, plein de groupes qu’on aime.

La Face B : Puis j’ai l’impression que Super en terme de tourneur, c’est un peu ça aussi. Tu parlais de légitimité mais, l’un comme l’autre, ce sont dess qui renforcent beaucoup la légitimité d’un groupe et la façon dont les personnes qui sont dans ce milieu-là peuvent voir le groupe.

Ottis Cœur : Surtout que Super c’était, je crois, les premiers à se positionner sur le tour. C’était vraiment les tout premiers.

La Face B : Ce qu’il y a d’intéressant et de marrant c’est que vous étiez deux entités séparées qui ont formé une entité commune. J’ai l’impression que cette entité commune, elle vous nourrit vachement et elle aide vos deux projets séparés qui parviennent à exister et même à grandir à côté aussi grâce à ça en fait…

Camille : Ouais parce qu’on a aussi un peu tout le bagage de la scène, on a vachement progressé grâce à Ottis Cœur et avec Ottis Cœur. On a aussi envie, à côté, je pense, de faire avancer nos projets, on a aussi plus de maturité par rapport à ça. C’est vrai que quand on était seules avant c’était un peu plus compliqué, tu manques de confiance, tu ne sais pas trop où tu vas… Alors que là, la force qu’on a maintenant, je pense qu’on se sent ok de faire ça.

Margaux : Pareil !

La Face B : On va parler de votre nouvel EP. Il y a beaucoup plus d’exploration et beaucoup plus de couleurs dans la façon dont il a été créé. Comme si il y avait quelque chose qui s’était libéré, que vous vous autorisiez à partir sur plein de genres différents et à faire des choses plus lumineuses mais aussi plus sombres sur certains morceaux …

Margaux : Bah ouais carrément… Le premier EP, on l’a enregistré avec tous les moyens du bord, avec la contrainte technique, dans une bulle temporelle où il ne se passait pas grand-chose et après il y a eu plein de dates, on a fait plein de concerts, on a rencontré plein de gens… Ce qu’on se disait sur la légitimité, la confiance en soi ça l’a boosté et évidemment que ça va se répercuter sur la musique.

Camille : Oui et puis en fait on avait plus le temps finalement. J’ai l’impression que ça s’est étalé sur un temps assez long. Et par exemple on avait fait des titres et on a tout changé presque au dernier moment parce que pendant 7 mois on avait encore évolué et on avait encore envie de changer des choses. Il y a effectivement plus de couleurs, avec des petits synthés, des petites choses comme ça mais vraiment très légères qu’on a un peu éparpillé. Il y a aussi Amélie (Leroux ndlr) qui a arrangé avec nous finalement les titres, ça fait une personne en plus avec sa vision aussi qui était là. Donc ça évolue quoi…

La Face B : J’allais t’en parler… Le live il a beaucoup aidé là-dedans aussi parce que finalement les premiers morceaux d’Ottis Cœur du premier EP, comme tu le dis, ils ont été créés dans une bulle en dehors de la réalité, de la façon dont un groupe créée de la musique à la base. Tu sens que l’énergie est plus brute,plus liée au live et à la prise de confiance en fait…

Camille : Avant de les enregistrer on les a joué en live, pendant longtemps parce qu’on a tourné avec ça. On avait les morceaux du premier EP et on avait déjà composé les autres. Et c’est après qu’on les a posé pour les enregistrer. Donc ils avaient déjà toute la maturité du live.

La Face B : Après ce que j’aime beaucoup, c’est les choses dont on vous parlera peut-être plus que sur le premier EP, je trouve qu’il y a une vraie recherche mélodique qui est hyper forte et qui est hyper intéressante dans les morceaux. Au-delà de l’énergie, je trouve qu’il y a un truc de structure, de recherche de la mélodie et de l’arrangement qui est très très forte sur ces morceaux-là.

Margaux : Le processus créatif il a changé. On a testé autre chose. Le fait qu’on les ait joué en live avant alors qu’au premier EP on a posé et enregistré en même temps, ça a amené un autre moyen d’arranger les morceaux…

La Face B : Même au niveau des voix, y a quelque chose de différent aussi, y a toujours cette recherche des deux voix et de la mélodie qui se rejoignent, mais y a aussi beaucoup plus de jeux de miroir, d’espèce de ping-pong qu’il n’y avait pas forcément sur le premier EP…

Camille : On s’est un peu plus amusées, je pense, avec les voix. Sur le premier EP, on chantait en même temps, c’était très dense, les harmos et les voix. Et là au final c’est peut-être un peu plus aéré.

Margaux : C’est comme si on avait pris conscience qu’il y avait d’autres points de départ de création…

La Face B : Est-ce que vous avez l’impression avec ces nouveaux morceaux d’avoir plus trouvé un son qui correspond à Ottis Cœur ?

Camille : Non. Je pense qu’on est encore en train de chercher, ça viendra peut-être après. C’était compliqué de trouver un son, j’ai l’impression, vu comment ça s’est fait. Mais ça va venir.

Margaux : En tous cas ça se précise, y a un truc de continuité et là on bosse déjà sur la suite et ça va se préciser au fur et à mesure. Ca veut pas dire qu’on n’est pas fières de cet EP-là, c’est vraiment un processus. Tu peux décortiquer ce processus sur plein de niveaux, la continuité premier EP, deuxième EP et la suite, c’est quelque chose à prendre dans son ensemble. Quand on regarde, c’est quand même clean. Il y a une progression à chaque fois.

La Face B : Le fait est que ces morceaux-là vous les portez avec vous depuis hyper longtemps. Là, pour la suite, il y a peut-être quelque chose de plus grisant parce que finalement c’est vraiment une page blanche que vous retrouvez après la sortie de ce deuxième EP…

Ottis Cœur : On n’a plus de titres, c’est la fin (rires)

La Face B : Tu vois ce que j’aime bien dans cet EP-là que ça soit Labrador ou Léon, c’est des titres qui sont complètement différents dans leur ton, dans leur écriture… Même dans l’utilisation de l’humour sur l’un alors qu’elle n’existe pas du tout sur l’autre. Je me dis que ça peut être intéressant parce qu’en fait vous avez plein de pistes ouvertes pour la suite…

Margaux : Je crois qu’on tient à garder le principe du jeu à chaque fois, il y a une sorte de mini jeu-challenge. Des fois, ça part d’un truc où on s’amuse, un truc qui vient en jammant, en s’amusant. Créer à partir de ça c’est une sorte d’énergie, c’est rester productif par le jeu et réussir à garder cette énergie d’avoir envie de s’amuser.

La Face B : Je trouve que le son de guitare a vachement évolué aussi. Quand Labrador est sorti, j’étais un peu surpris parce que je m’attendais pas du tout à une chanson comme ça de votre part. Dans le sens où sur le premier, on était sur des sonorités presque un peu stonner par moment que là on était sur clairement de la power pop, plus libérées en fait… Et plus drôles aussi. Parce que je trouve que l’idée d’humour est beaucoup plus présente dans l’écriture de beaucoup de morceaux de l’EP malgré les sujets sérieux…

Ottis Cœur : Je ne sais pas si on s’est vraiment dits qu’on allait faire ça. Mais il y a un truc par l’humour, la bienveillance et la légèreté, on peut faire des messages en fait. On n’est pas obligés d’être tout le temps à dire « Ah c’est un méchant ». Peut-être dans Léontu le ressens ce truc-là. Mais je pense que c’est un truc, même pour nous en tant que personnes, qui nous apaise beaucoup, d’avoir plus de légèreté plutôt que d’être dans le reproche, dans un truc énervé c’est la suite logique du développement personnel d’Ottis Cœur (rires).

Mais on commence à le faire déjà et c’est chouette. Je trouve ça beaucoup plus inspirant, avec beaucoup d’humilité quand je dis ça, c’est comme quelqu’un qu’il est passé à autre chose avec un ton léger, ça donne envie d’être dans cette dynamique-là. Et si ça peut aider, en vrai, on fait ça, go !

La Face B : Et puis, on en revient à cette idée de représentativité. Parce que des groupes de rock féminins en France, il y en a peu et je trouve que les thématiques que vous chantez, elles sont importantes et elles sont nécessaires et surtout la façon dont c’est fait est beaucoup plus frontal. Tu n’as pas l’habitude d’avoir une chanson écrite de cette façon sur la jouissance féminine en France dans le rock parce que tu n’as pas énormément de groupes féminins français…

Camille : Surtout que ce n’est pas un sujet qui est pas encore exploré dans l’écriture de paroles.

La Face B : Vous ça vous intéresse d’explorer ces sujets-là. Ce que je remarque dans le rock français et dans les trucs un peu mainstream en fait les thématiques et la façon dont c’est fait soit la chanson est très niaise soit la femme est dans une position victimaire et vous vous êtes complètement à l’inverse de tout ça.

Margaux : Parce que c’est des sujets qui nous touchent aussi.

Camille : En rock français, j’ai du mal à trouver des artistes…

La Face B : Et c’est ça ! Mais ça se développe. Y a une scène qui est en train d’émerger, des meufs comme Nina ou BLEU REINE ou ça se développe avec des projets qui ont des vraies identités et tout mais c’est fou de se dire qu’il a fallu attendre 2020 pour que des artistes qui chantent en français sur des thèmes féminins/féministes importants pour que ça arrive que maintenant…

Margaux : Oui (rires) C’est vrai que c’est fou mais on doit aussi prendre la chose telle qu’elle est maintenant et il se passe des choses et c’est hyper cool. Il ne faaut pas rester dans le passé et se dire qu’il n’y avait pas ça avant, on profite de cet instant-là, je trouve que c’est super cool, c’est très beau. J’ai l’impression qu’on n’est pas seules, je sais qu’il y a Maéva de Bandit Bandit qui a écrit sur le syndrome prémenstruel. C’est hyper cool.

La Face B : Et surtout c’est une écriture qui est hyper différente. Sur l’EP tu as un peu ce kaléidoscope de situations, mais toujours tourné vers l’empowerment, l’action quoi…

Camille : Si on n’en a jamais parlé avant c’est parce que dans le rock y a beaucoup de mecs quoi… On le sait tous mais c’est peut-être pour ça… Les mecs vont pas parler du syndrome prémenstruel. Quoi que… Ils pourraient.

Margaux : Ça serait moche, ça me mettrait mal à l’aise d’entendre un gars chanter ça…

Camille : Bah s’il parlait de sa nana, qu’il la voyait mal, ça peut être narré de cette façon…

La Face B : Est-ce qu’il y a cette volonté d’écrire des hymnes ? Parce que la façon dont les morceaux sont écrits, tu as les refrains qui sont très identifiables et qui accrochent l’oreille et qui donnent envie d’être chantés et d’être répétés…

Margaux : Je pense qu’il y a ce truc avant d’avoir l’ambition de créer des hymnes, il y a ce truc de personnellement, qu’est-ce que j’ai envie d’entendre moi avec ce qui se passe dans ma vie… Genre le truc sur le plaisir féminin c’est un truc que j’avais envie d’entendre, quand on l’écrit, on ne pense pas forcément à la réception du public mais à ce qui nous touche, nous, personnellement. Et, comme on est nombreuses à avoir le même problème, ça se répercute sur les gens qui nous entourent. Il y a des gens qui se reconnaissent aussi.

La Face B : Est-ce qu’y a pas une espèce de victoire dans le fait que votre musique atteignent autant les hommes que les filles ? Je prends énormément de plaisir à écouter votre musique, j’ai l’impression que ça peut ouvrir les yeux à pas mal de gens sur certaines choses.

Camille : La chanson sur l’orgasme, en concert, c’est drôle parce que justement t’as des couples. Et des fois, la nana elle lui met des gros taquets « Tu vois hein » et là le mec il est un peu pâle (rires). C’est très drôle de voir la réaction du public surtout quand on chante cette chanson.

La Face B : La chanson sur le harcèlement en soirée, la façon dont elle est tournée, elle permet aussi l’identification des deux côtés. Je pense qu’il y a des gens qui ne se rendent pas compte de l’attitude qu’ils ont et quand on écoute cette chanson qui est d’un point de vue différent du sien, elle permet aussi de se remettre en question.

Margaux : Tu veux parler de Laisse-moi ? Je pense qu’il faut aussi se dire sur ce morceau-là en particulier que c’est une histoire dans un contexte précis et on ne parle pas du harcèlement en général. Ça me ferait peur de dire que ce morceau il est dans la nature et que les gens l’associent au harcèlement alors que c’est un truc qui est assez léger et rigolo. C’est vraiment dans un contexte particulier. On ne peut pas se permettre d’être léger sur tous les points du harcèlement. Ça peut être globalisé dans une chambre de mec.

La Face B : Ce que je veux dire c’est que n’importe quelle meuf peut se retrouver dans cette situation mais t’as beaucoup de mecs qui peuvent se retrouver dans cette situation qui ne voyaient pas comme problématique et qui peut leur permettre de réaliser qu’ils sont lourds et problématiques sans le savoir forcément…

Margaux : C’est un sujet tellement grave en vrai que ce morceau-là il isole une partie du problème…

La Face B : Mais c’est important. Je trouve que la légèreté elle aide à faire passer beaucoup de messages, c’est une des réussites de l’EP aussi. Que beaucoup de ces messages-là passent. Comme sur Labrador, le fait que vous utilisiez vos prénoms pour parler du fantasme du mec et de son idée préconçue de la famille avec 2 gamins et du chien.

Ottis Cœur : Bonne grosse blague ce morceau… (rires)

La Face B : Peut-être que les gens qui écoutent Ottis Cœur ne savent pas forcément que vous vous appelez Camille et Margaux et qu’ils le découvrent qu’après sur scène et qui voient la blague qu’ensuite. Je trouve qu’il y a une vraie évolution dans l’écriture et que le premier EP était peut-être trop sérieux sur certains trucs et que là on sent vraiment que vous vous amusez avec tout ça…

Margaux : Ca rejoint ce que je disais tout à l’heure sur le développement, tu prends les Eps dans leur globalité, notre musique. Tu as le premier EP, où on était vénères, on s’est retrouvées avec Camille, on s’est racontées plein d’histoires, on était genre vraiment remontées. Le deuxième EP, ça commence à s’apaiser, on cherche un peu le son…

La Face B : Le fait que ces deux EP-là soient réunis sur un même vinyle, ça fait sens. C’était important pour vous que les premiers morceaux ils puissent sortir, exister sous ce format-là ? Ca fait deux faces distinctes.

Ottis Cœur : Ouais !

La Face B : Mais finalement, avec la sortie de ce vinyle, c’est un peu la fin du premier chapitre d’Ottis Cœur, vous le voyez comment l’avenir ?

Camille : Déjà recomposer des titres avec tout ce qui se passe aujourd’hui et puis un album, ça serait pas mal avec vraiment une grosse patte de son, une couleur qui serait cool de A à Z.

Margaux : Un album cohérent avec un son plus travaillé, plus défini… Toujours des blagues, peut-être des sketchs, je pense qu’on va exploser sur TikTok (rires)

La Face B : Ça on en n’a pas parlé mais l’aspect visuel il est hyper important…

Margaux : Ah peut-être oui préciser tout… C’est une pensée qui me traverse, il y a ce truc de développement qui est hyper intéressant à assumer, tu vois je pense qu’y a des trucs qui sont pas précis dans ce qu’on fait. Moi honnêtement ça m’emmerde un peu de voir des gens tout bien marketés, avec le branding parfait, tu sens que ces gens sont un peu intouchables.

Je trouve que le fait de progresser petit à petit et de montrer les qualités et les défauts de chaque truc c’est une qualité en soi. Ça peut motiver des gens à se lancer, se dire qu’avec peu de moyens on peut faire des choses… Ça a du sens aussi. De l’assumer c’est cool et de continuer à préciser ça et, un jour, on trouvera.

La Face B : Est-ce que vous avez des coups de cœur que vous avez envie de partager ?

Margaux : Andor !!

Camille : Avant-hier je suis allée voir un super concert d’une artiste qui s’appelle Leonie Leonie et c’était génial, elle est hyper touchante, elle a un enregistreur cassette, elle fait passer sa voix dans plein de pédales machin. Elle fait tout en live, assise, elle bidouille ses petites machines, c’est hyper doux.

La Face B : Et toi à part Andor?

Margaux : Laisse-moi réfléchir… Johnnie Carwash ? Je les aime ! C’est toujours mes préfs, mes chouchous…

Crédit Photos : Cédric Oberlin

Retrouvez Ottis Cœur sur Facebook et Instagram