Nous Sommes Bagarre : Club Olympia

Il y a des moments qui sont plus importants que d’autres. Des histoires qui se vivent plus facilement qu’elles ne se racontent. Parmi celle-là, il y aura donc le concert de Bagarre à l’Olympia. Voir les lettres rouges briller sur le parvis de la salle nous aura mis les larmes au yeux. Le concert qui aura suivi nous aura mis du baume à l’âme. On a essayé de vous retranscrire ce moment de poésie politique. Nous Sommes Bagarre, le club à l’Olympia.

Putain cinq ans ! Voilà la pensée qui m’habite quand je passe les portes de l’Olympia. Cinq ans que ma vie est rythmée par la musique de ces cinq personnes. Cinq ans qu’ils m’influencent directement et indirectement, par leur musique et humainement. Cinq ans de concerts (25 en tout) et de rencontres qui trouvent finalement un aboutissement orgasmique dans la mythique salle parisienne. Peut-on aimer un groupe à l’excès ? Mon amour pour Bagarre est devenu un running-gag pour mon entourage autant que pour moi-même. Avant, je regardais les fans de certains groupes avec un sourire en coin, me disant qu’on ne m’y prendrait jamais. Et pourtant je suis tombé dedans, avec passion et avec amour, parfois sans doute, comme beaucoup, sans une once de recul. Je ne serais pas la personne que je suis sans Bagarre, je n’écrirais pas sur la musique sans Bagarre (l’histoire dit que c’est une discussion passablement éméchée avec un membre du groupe qui me poussa à envisager sérieusement de faire des chroniques musicales) : bref, je dois beaucoup à ce groupe et lorsque je vois leur banderole « le club c’est nous » s’afficher en grand dans le hall de l’Olympia, cela résonne d’une manière particulière en moi. Comme l’accomplissement d’un voyage, comme la dernière page d’un chapitre qui s’apprête à se tourner. Ce soir-là sur scène, ils étaient cinq, mais au final Bagarre était légion.

Cette banderole, elle sera à l’image de ce concert donc, plus qu’un concert en réalité, une consécration. La consécration d’une vision, d’une démarche : faire plus que de la musique, transformer chaque date en terrain d’expression, en zone d’échange, d’amour et d’unité. C’est tout ça Bagarre, plus qu’un groupe, c’est un idéal, une maison dans laquelle tout le monde est le bienvenu. À la pression d’un événement qui ferait trembler les jambes de beaucoup de groupes français, l’hydre à cinq tête a donc répondu de la plus belle des manières, en faisant ce qu’il fait le mieux : infiltrer le système pour mieux le pirater et offrir à ce qu’on écoute trop peu, à ce qu’on dénigre souvent, un vrai terrain d’expression. Entre une collecte pour Le Vestiaire Des Migrants, une prise de parole longue et importante des militant.es d’Acceptess-Transgenres ou la mise en avant des collectifs House Of LaDurée et Gangreine, tout le show ne fut qu’un appel à la rébellion, à l’acceptation et surtout à l’amour. Car c’est ce qui a toujours guidé Bagarre : l’amour. Dans la musique, dans le chaos, dans le pogo, l’amour est leur combat principal, le plus important. « J’aurais voulu qu’on s’aime tous » nous disaient-ils récemment. En ce 29 novembre, cet absolu, cette aspiration a fini par se réaliser.

Un concert peut-il changer les choses ? Sans doute les cyniques vous diront que non. On leur rappellera Woodstock. Un concert est une réussite s’il permet à une personne d’être bouleversée. Il y a des concerts qui, plus que des moments décisifs, deviennent des moments de vie. Je sais pour ma part que je parlerai longtemps de ce concert de Bagarre à l’Olympia. Ce soir-là prendra une place et une saveur particulière et jouera comme un miroir avec la première fois que je les ai vus sur scène. À l’époque, il était deux heures du matin et on était dix à la Péniche de Lille. Le choc fut immense, presque perturbant, certaines images résonnent encore dans ma mémoire et se mélangent dans le flou des souvenirs que je stocke avec tendresse. Je prends toujours plaisir à dire que le meilleur concert de Bagarre sera celui qui arrive. Une fois encore, ils n’ont pas failli à leur réputation, celle du meilleur groupe français sur scène actuellement. Sans en faire des caisses, sans pousser sur la scénographie, ils en imposent tranquillement. C’est leurs coeurs qui s’expriment, leur rage, leurs attentes, leur colère qui trouvent une caisse de résonance dans le public qui leur fait face. Communion des esprits et communion des émotions, c’est ça la formule Bagarre et elle a explosé ce soir-là.

Sans doute je me perds un peu dans mes mots, mais l’émotion est encore là, vibrante et palpable quand j’y repense. En presque deux heures, le quintette nous aura offert sa prestation la plus aboutie. La plus sensible aussi. On aura retrouvé avec bonheur ces titres qui nous suivent depuis un bon moment, que ce soit l’orgasmique Mourir au Club, l’incomparable La Bête Voit Rouge ou la désormais classique Claque-Le. On aura eu la gorge serrée avec Le Gouffre (qui continue à vibrer de manière intime dans mon esprit), on aura pleuré avec la sublime Miroir et on se sera défoulé avec Ris Pas. On aura aussi dansé, mais jamais seul, car Danser Seul (Ne Suffit Pas). En plus, il y aura eu les nouveaux titres, ceux du récent 2019-2019 qu’on aura découvert pour la première fois en live. Ultraviolence sont des modèles du genre, rageurs, brutaux, puissants, les titres (comme tout l’album) sont des instantanés, des polaroids de leur époque. BB Chéri et Coeur = Motel nous aurons marqué par leur mélancolie aussi puissante que l’amour qu’ils semblent chercher. Kabylifornie se transforme du rap au rock, gagnant en force et bien aidé en ça par les guitares puissantes de Hanni El Khatib et Jamie de Mass Hysteria. Des invités, il y en aura eu de marque puisque les Berruriers Noirs, trente ans après, auront refoulé les planches de l’Olympia, comme un passage de flambeau, un adoubement, transformant pour l’occasion un Salut à toi anti-raciste en un Salut à toutes féministe, symbole de son époque, où les combats se mélangent comme les genres musicaux. Au milieu de tout celà, comme un prisme, un Diamant qui brille dans la nuit, il y avait ce soir-là Bagarre. Héros parmi les héros pour un concert qui nous aura retourné le coeur, rechauffé l’âme et aura aiguisé la lame de nos combats et de nos pensées qui ont tendance par moment à s’émousser. Au revoir à vous nous ont-ils chanté pour finir. On a plutôt envie de leur dire à bientôt.

Photos : Alphonse Terrier