Nicolas Godin : « L’espace entre deux murs peut être mis en parallèle avec l’espace entre deux notes »

S’il fallait faire un palmarès des légendes de la musique électronique française, on est certains que Nicolas Godin y figurerait en bonne place. Alors qu’il a dévoilé en début d’année son nouvel album Concrete & Glass, nous sommes allés à sa rencontre avant son concert au Lafayette Anticipations afin de parler de son rapport à l’architecture, du choix des invités vocaux de son album mais aussi de « musique héroïne ». Rencontre avec un homme qui conjugue, à chaque projet, tradition et modernité.

La Face B : Bonjour Nicolas Godin ! Comment allez-vous avant ce concert ?

Nicolas Godin : Impeccable, toujours un peu le trac comme d’habitude. Là, on commence, c’est le deuxième concert, on a fait un concert lundi à Londres.

LFB : Comment est né ce nouveau projet, Concrete and Glass ?

N : Il est né complètement par hasard. J’avais été sollicité par Xavier Veilhan pour mettre en musique des expos qu’il a fait autour de l’architecture dans les maisons célèbres, et je me suis retrouvé avec tous ces morceaux à la fin des expos. Ça a duré peut-être un an et demi et j’ai essayé de le transformer en disque, mais je voulais qu’on puisse écouter le disque sans vraiment savoir que ça a été spécifiquement fait pour cette exposition. Je voulais que le disque soit indépendant, dans la mesure où les gens qui vont l’écouter ne seront pas sur place, dans les maisons. Alors, cela n’avait pas de sens de sortir ces musiques telles qu’elles ont été conçues pour les expos. On avait besoin de les transformer en chansons pour que les gens puissent écouter ça tranquillement dans leur voiture ou ailleurs, sans forcément être dans le contexte des expositions.

LFB : Vous avez fait des études d’architecture. Est-ce que vous pouvez me parler de la relation qui existe pour vous, entre musique et architecture ?

N : Pour moi, c’est tellement indissociable. Mon père est architecte, mais on est aussi tous musiciens dans la famille. J’ai toujours été entouré des deux éléments et quand je conçois un morceau, je ne me sens pas du tout artiste. J’ai ce morceau devant moi et je me demande ce que je dois faire pour qu’il soit bien. Je dois produire un morceau : dans ce morceau, il y a plein d’éléments, du son, des mélodies, des harmonies, des structures… J’arrive vraiment à m’extérioriser par rapport au morceau, je le vois vraiment de l’extérieur. Alors que la musique c’est vraiment quelque chose d’immersif, on est plutôt à l’intérieur. Je trouve que ces deux arts que sont l’architecture et la musique sont deux arts où la notion d’espace est primordiale. Pour moi, l’espace entre deux murs peut être mis en parallèle avec l’espace entre deux notes. Je considère les notes comme des choses physiques : suivant la distance qu’elles ont les unes par rapport aux autres, ce n’est pas le même espace.

LFB : J’aimerais savoir comment vous avez rencontré chacun des artistes présents sur cet album et comment vous les avez choisis ? Qu’est-ce qui vous a touché chez eux ?

N : Je voulais des gens qui étaient hors de ma zone de confort. Ça fait longtemps que je suis dans le métier : je connais beaucoup de musiciens, de chanteurs et de chanteuses… Je voulais un peu changer mes habitudes plutôt que de demander à des gens que je connaissais. Et donc, pour répondre à ta question, je ne les connaissais pas. Je voulais des voix qui ne vont pas tirer les gens en dehors du morceau, des voix qui s’intègrent. Comme j’en voulais beaucoup, c’était important qu’il y ait une unité aussi entre elles parce que je concevais vraiment l’album comme un tout. J’ai contacté les gens par les réseaux sociaux comme je ne les connaissais pas. Ils ont été super sympas. Tout le monde m’a répondu, et tout le monde a bien bossé, c’était assez génial

LFB : Comment Pierre Rousseau de Paradis est arrivé sur ce projet ?

N : Ce qui s’est passé c’est que lorsque j’avais fini les musiques pour les expositions, j’ai essayé de les enregistrer pour les mettre sur disque et ça ne marchait pas. Les musiques n’avaient aucun intérêt en dehors des maisons dans lesquelles elles étaient écoutées. Je ne savais pas comment transformer ces morceaux en quelque chose de plus pop avec un couplet, un refrain, comme des chansons. Pierre m’a aidé pour ça, parce qu’avec mes musiques purement liées aux maisons, vraiment enfermées dans ce monde de l’art contemporain, j’étais un peu dans une impasse. Je n’arrivais pas à m’en sortir et il a un peu décoincé toute la situation.

LFB : On retrouve beaucoup de sonorités chères à Air dans les compositions dans l’album, mais il sonne quand même beaucoup plus moderne en termes de production…

N : J’ai dit à Pierre : « Comment me renouveler en restant moi-même ? » C’était très dur parce que je ne voulais pas avoir l’air d’une vieille qui s’est fait de la chirurgie esthétique. Je voulais vraiment qu’on ait l’impression d’un disque de 2020. On y est arrivé, c’était du boulot, beaucoup de ressenti, beaucoup d’intuition. J’essaie toujours de faire des choses intemporelles et c’est ma grosse pression quand j’enregistre. C’est toujours celle-là, même depuis 1995 : « Est-ce que, ce que je fais, ce sera bien dans 20 ans ou dans 50 ans, dans 100 ans ? » Entre ça et la connaissance de Pierre des ordis, je pense qu’on était une bonne équipe pour arriver à ce résultat. C’est un bon équilibre entre l’héritage et le futur.

LFB : Comment vous envisagez le live de ce soir et comment vous abordez le passage du studio au live ?

N : J’ai une approche assez originale par rapport aux autres musiciens électroniques : je n’utilise pas d’ordinateurs sur scène. J’ai pris les mêmes musiciens et la même équipe que sur le disque et chacun joue un peu ce qu’il peut. Comme c’est la même équipe, les morceaux changent par rapport au disque parce qu’on ne peut pas mettre autant de choses, mais c’est le même esprit. Il y a des morceaux sur lesquels, quand on enlève des choses, ça ne marche pas. Du coup, on les arrange autrement pour qu’ils fonctionnent. Mais comme on le fait avec les mêmes personnes qui ont fait l’album, alors cela sonne de la même manière.

LFB : Comment vous expliquez, vingt-cinq ans plus tard, l’émergence et le succès de la musique électronique dans les années 90 ?

N : Beaucoup de musiques électroniques étaient instrumentales, donc on a passé facilement la barrière de la langue. Un chanteur de variété française, il chante en français : cet obstacle, on l’avait évacué. On a un héritage de la musique électronique en France, avec le GRM, avec l’IRCAM, Jean-Michel Jarre et toute la disco. La France excellait. Mais j’ai une théorie qui fait que les gens me prennent pour un fou : pile à ce moment-là, l’Eurostar a été créé et on a vu déferler plein de journalistes anglais qui se sont mis à venir à Paris tout le temps, ils avaient envie de nouveaux trucs. Ça a créé un lien très fort entre nous et Londres. Maintenant ça paraît simple d’aller à Londres mais avant ça, il fallait prendre un train, un ferry, un autre train, un avion, c’était galère quoi. Et là, tout d’un coup, c’était hyper excitant pour les Anglais de venir à Paris. Pour eux, ça faisait un nouveau truc. Les Anglais ont besoin d’un nouveau truc tous les trois mois. C’est un pays étrange pour ça.

LFB : Depuis quelques années, on assiste à l’émergence d’une nouvelle scène électronique en France. Est-ce qu’il y a certains de ces projets qui vous ont impressionné ? Qu’est-ce que vous écoutez comme musique, notamment en France ?

N : Justement, j’avais beaucoup aimé le disque de Paradis. C’est pour ça que j’ai choisi de bosser avec Pierre. Quand j’ai mis le disque, tout de suite, dès l’intro, j’étais attiré par cette musique. Sinon, je n’écoute pas tellement de musique française, j’écoute surtout du hip-hop américain ou de la musique classique. En vieillissant, j’ai besoin de choses super fortes, un peu comme quand tu commences avec le shit, et puis, quand ça ne te suffit plus, tu te mets à l’héroïne. Après mon album sur Bach, j’ai vraiment eu besoin que la musique soit forte, qu’elle soit construite, qu’elle ait de bons accords.

LFB : Ce serait quoi par exemple, de la musique héroïne ?

N : J’adore Glenn Gould et Jean-Sébastien Bach.

LFB : Comment vous envisagez le futur des musiques électroniques ? Par exemple, dans vingt ans ?

N : Je pense qu’elle sera faite par une intelligence artificielle. Il n’y aura plus de musiciens, il n’y aura plus de maisons de disques, il n’y aura plus rien.

LFB : Quelle est la bonne place de l’intelligence artificielle dans la création, puisqu’on peut imaginer qu’un algorithme fasse passer moins d’émotions qu’un artiste humain ?

N : Ce qui est très marrant avec la musique électronique, c’est qu’on a déjà enlevé l’émotion, dans le sens où elle passe par des ordinateurs. Avant ça, l’enregistrement des disques, c’était des êtres humains dans un studio. Il se passait quelque chose de magique et le micro captait ça. Ensuite, tu achetais le disque, tu mettais le disque chez toi et la magie du studio, les gens l’entendaient dans leur salon. Avec la musique électronique, on a fait un premier pas vers l’élimination de ça, parce que cela reste dans l’ordinateur. Je ne me fais pas trop de soucis. Je pense que la musique évolue, comme la peinture. Quand tu as une expo au palais de Tokyo, ça n’a plus rien à voir avec les Offices de Venise. Ça devient de plus en plus impersonnel. Après, je ne suis pas prophète, je ne sais pas.

LFB : Et donc, vous voulez commencer à travailler avec l’intelligence artificielle ?

N : Je ne sais pas. Pour le moment, mes disques sont des conséquences. J’ai fait du piano classique, puis j’ai fait mon disque sur Bach. J’ai fait des expos avec Xavier, puis j’ai fait un disque sur ces expos. Si je n’ai pas un autre projet comme ça, je ne sais même pas si je vais faire des disques. Je n’ai pas d’agenda, pas de plan. J’ai réalisé mon rêve : j’ai fait mes disques. Maintenant, tout peut arriver.

LFB : Qu’est-ce que vous envisagez pour les prochains mois à venir ? Quel est le programme ?

N : Faire du live, continuer à sortir des morceaux, j’ai encore pas mal d’inédits sur l’album. Donc mixer, enregistrer… Je veux faire de la musique de films aussi, j’adore ça. Et peut-être que l’on pourrait organiser une tournée avec Air.

LFB : Et enfin, dernière question, qu’est-ce que je peux vous souhaiter ?

N : Ce sera un peu tout le monde : beaucoup de succès, la santé. Mais j’ai été bien gâté jusqu’à présent. Donc peut-être on peut préserver les bonnes choses qui m’arriveraient pour les autres. J’ai déjà eu une bonne dose !

Concrete and Glass, l’album de Nicolas Godin est toujours disponible. Il sera (normalement) au festival Days Off cet été.