Nerlov : « Je me considère comme étant un subtile mélange de misanthropie et d’humanisme »

Après avoir pris une claque monumentale à la sortie de Je vous aime tous, le premier EP de Nerlov, on a eu le plaisir de pouvoir s’entretenir avec lui. L’occasion d’évoquer son nom mystérieux, sa misanthropie et son humanisme omniprésents dans l’écriture et sa manière de garder espoir.

La Face B : Salut Florent, comment ça va ?

Nerlov : Salut LFB ! Ça va plutôt pas mal. Mieux quand il fait beau, moins bien quand il fait gris… classique !

LFB : Toi qui as écrit des chansons aux allures de fin du monde : comment vis-tu cette période ?

N : Comme beaucoup de gens, je suis inquiet et anxieux depuis pas mal d’années quant à l’évolution de l’humanité, la surpopulation, la crise environnementale… globalement, la façon dont on fonce dans le mur tête baissée. Et sans vouloir être pessimiste, je ne vois pas comment les choses peuvent évoluer vers le mieux quand on voit le comportement des personnes qui gouvernent les plus grandes puissances mondiales. 
Honnêtement, je vis plutôt bien cette période de confinement, je fais de la musique, je glandouille, j’ai divisé par deux la vitesse avec laquelle je fais les choses habituellement… et c’était déjà pas très rapide. Il manque évidemment le lien social, mais, avec Internet, on est en permanence en contact les uns avec les autres. Si on a un coup de blues, on peut facilement le partager avec un proche.
J’essaie de relativiser, je me dis que ça pourrait être pire, que je pourrais habiter dans un pays qui ne dispose pas de notre qualité de vie. J’ai une pote qui vit en Equateur depuis plusieurs années et quand elle nous raconte la façon dont est gérée la crise là-bas, ça fait froid dans le dos… Impossible de s’apitoyer sur son sort quand on voit ce qui se passe ailleurs. Je suis en bonne santé, j’ai un toit et de quoi manger. Tout roule !!
Après, je ne nie pas qu’il y ait des gens qui ont tout ça et qui sont en souffrance. Et c’est dramatique parce qu’il leur est « interdit » d’être en souffrance, sous prétexte qu’ils ne sont pas « les plus à plaindre »… Je suis évidemment en désaccord avec cette vision des choses. Chacun affronte la situation avec sa sensibilité, et il est impossible de se mettre à la place des autres.

LFB : Comment est né ton projet ?

N : Le projet est né il y a deux ans, suite à la rencontre avec Atom (C2C, Parrad). Il réalisait l’album de Rezinsky. Stav (rappeur de Rezinsky) est un pote de Lycée et on traine pas mal ensemble. Il m’a invité pour faire un feat sur son disque et ça a bien plu à Atom qui m’a ensuite invité sur son projet « Parrad ». J’ai chanté sur deux morceaux, et ensuite on a continué à bosser ensemble. On a fait 10/12 tracks, sans savoir où ça allait aller… Et voilà. 

LFB : Tu es vraiment aussi misanthrope ou tu as exacerbé le truc pour ton écriture ?

N : Je me considère pas comme misanthrope… Ou alors, un subtile mélange de misanthropie et d’humanisme. J’aime beaucoup les gens. Le problème, c’est que j’en attends trop d’eux, et du coup, je peux vite déchanter. 
Je suis très sensible aux comportements de ceux qui m’entourent. Je travaille dans un bar à Angers, le « Joker’s Pub », connu pour sa super salle de concert notamment, et du coup je suis amené à rencontrer énormément de gens. C’est dingue comme une personne sympa peut en un sourire illuminer ma soirée et à l’inverse, quelqu’un qui se comporte mal va me mettre au plus bas moralement… Malheureusement, j’ai plutôt tendance à m’inspirer du négatif quand j’écris, et je peux être assez violent dans mes textes. C’est ma façon de l’exprimer, mon exutoire, car je vomis la violence physique et/ou psychologique. J’ai bien conscience que la violence fait partie de la vie et qu’il faut l’accepter, mais pour ma part, je préfère cette forme. Je l’exprime en écrivant, ou en live, et tant mieux pour moi… Si ça peut m’éviter d’aller en taule pour avoir tabassé quelqu’un ! 
Après, je ne cache pas que ça me saoule parfois, j’adorerais faire des morceaux plus positifs, mais il faut que je travaille sur moi d’abord.

LFB : D’ailleurs, comment tu composes ? Tes textes sont assez puissants. Est-ce qu’ils émergent avant toute mélodie ou est-ce l’inverse ?

N : Pour la compo, on est parti avec Atom de morceaux à lui à la base, puis de morceaux à moi. Pour ce premier EP, c’est 50/50. À chaque fois, on s’échange des tracks, on y réfléchi, on teste et ensuite on se fait une session dans son studio et on ré-arrange tout le track de A à Z. C’est super excitant parce qu’il est très fort techniquement (en plus d’avoir de bonnes idées), donc dès que je veux entendre un truc, il est capable de le faire ! C’est trop bien.
Depuis quelques temps, on a intégré Chahu dans la machine. Il compose des trucs supers, on se fait des sessions tous les deux où on bricole des tracks. Certaines se retrouveront sur Nerlov, en passant par la même formule de « session arrangements » chez Atom, et d’autres sont mises de côté pour plus tard, pour autre chose, on verra. 
Ce qui me plait là-dedans, c’est l’échange. Quand t’es sur la même longueur d’onde, c’est magique. J’ai fais un album tout seul avec VedeTT, c’est cool, j’ai adoré le fait d’être seul maître à bord, mais je préfère mille fois partager ces moments de composition, d’arrangement avec d’autres personnes. Quand les idées fusent et rebondissent, c’est parfait. Et plus il y a de gens qui participent, plus les possibilités et les perspectives augmentent. Je ne m’interdis de bosser avec personne. Je suis du genre à vouloir faire un disque de Rock le lundi, de Métal le mardi, de Jazz le Mercredi, de Reaggae le jeudi, etc… Je n’en ai pas les capacités tout seul, mais en travaillant avec des personnes différentes, ça ouvre des portes. 
En ce qui concerne les textes, c’est la partie très personnelle. Je ne me verrais pas chanter les paroles d’un autre (à part pour une cover, bien sur). Un jour peut-être, je ne suis fermé à rien, mais écrire son texte, c’est le meilleur moyen de vraiment le sentir et l’habiter je pense. Surtout dans ce que j’écris, où c’est assez viscéral, très personnel, voire impudique parfois. 
J’ai besoin de créer la mélodie avant d’écrire. Donc ce que je fais, c’est que je chante en « yaourt » sur le morceau, pour avoir la mélodie, le flow, et parfois même la texture des mots, et ensuite j’écris mon texte.

LFB : Quelles sont tes influences ? J’ai l’impression parfois d’avoir entendu ce truc un peu cathédral comme la musique de Mylene Farmer, et parfois de l’electro assourdissante comme Moderat.

N : « Mylène Farmer » ? Il faut que je réécoute alors, parce que la je vois pas ! Mais c’est cool, à priori c’est plutôt une chouette artiste. « Moderat », à fond, on a beaucoup écouté le premier album quand c’est sorti avec mes potes.
Les influences sont trop nombreuses… J’ai écouté beaucoup de musique, beaucoup de choses très différentes. D’où, quand j’écoute Nostromo, j’ai envie de remonter un groupe de HxC, ou quand j’écoute The Tallest Man On Earth, j’ai envie de faire de la folk…
Mais aller, je vais citer comme d’habitude, Radiohead, Deftones, James Blake… En vrai, tout se mélange et c’est ça qui donne quelque chose de personnel. 

LFB : Je trouve que ton art est fait de contrastes. Que ça soit dans la pochette (blanche immaculée), des mélodies (parfois très atmosphériques) face à des textes très durs dans le propos. Est-ce c’est quelque chose que tu as pensé en amont ? Ou est-ce assez naturel ?

N : Je ne l’ai pas intellectualisé avant de le faire, mais après coup, j’aime bien ce décalage entre une musique douce et planante, et un texte cru, voir parfois agressif. Ce n’est pas systématique, mais de temps en temps, je le cherche, si le morceau s’y prête.
J’aime bien le décalage, le contraste, en général, ça ouvre des perspectives, et ça donne des choses plus originales que de coller aux stéréotypes… 
Rien a voir, mais j’aime bien le fait que Biga Ranx ne porte pas de dreadloks ni de saroual… Il a une tronche de British avec une voix de Jamaicain, et il est Français. J’aime bien. Ça change rien à sa musique, dans l’absolu, mais celui qui nie l’importance de l’image, il est soit dans le déni, soit à côté de la plaque… 
Mais parfois j’aime bien aussi que les choses soient faites au premier degré, qu’elles collent parfaitement dans un certain tableau. Genre un rockeur avec un perfecto, c’est quand même cool. haha 

LFB : Comment garder espoir dans ce monde ?

N : Aucun espoir !! C’est la merde et ça sera de pire en pire (rires)… Moi perso, c’est carpe idem (haha, vous le voyez pas mais je m’auto-gifle là)… En vrai, j’évite de me projeter, je n’envisage pas l’avenir. Du coup, je fais des trucs débiles des fois, mais j’essaie de m’amuser autant que possible. 
D’ailleurs, c’est pour ça que je fais de la musique. Quand on y pense, c’est complètement fou d’espérer vivre un jour de son art, c’est un rêve d’ado, mais normalement à un moment tu te ranges… Il y a bien plus de chances d’échouer que d’y arriver. Mais non, on continue, et c’est grâce à cette incertitude sur le monde qui nous entoure que je me dis… foutu pour foutu, autant faire ce que j’aime avant de claquer.
Dans une autre vie, j’aurais adoré construire une famille, avoir un métier qui rapporte de l’argent, une bonne situation, stable, etc… Mais dans celle-là, je sais que c’est mort (rires)!

LFB : On a l’impression que la scène d’Angers est très tournée vers l’anglais, qu’est ce qui t’a donné envie de chanter en français ?

N : À Angers comme ailleurs, mais de toute évidence, le français est bien plus présent qu’il y a 10 ans. J’ai commencé à ramener le français dans VedeTT, un peu comme un exercice. Et puis maintenant, c’est l’inverse. C’est bien plus naturel pour moi d’écrire en français qu’en anglais. J’ai ré-écris un truc en anglais l’autre jour et ça m’a fait bizarre. Mais pareil, je me ferme aucune porte. Pourquoi pas chanter en chinois, ça serait drôle.

LFB : Tu as joué avec beaucoup d’autres groupes avant Nerlov. En quoi t’ont ils influencé et qu’y as tu appris qui a nourri ton projet solo ?

N : Chaque projet est unique et apporte quelque chose de différent, artistiquement et humainement. Selon ton instrument, ta relation avec les autres et si tu es le leader ou pas du projet. J’ai aimé tous les postes et tous les statuts. Chacun avec leur lot de confort, de reconnaissance, de galères et/ou de frustration. « VedeTT » était devenu un projet solo, entre 2014 et 2017, puis après sur la fin on était plutôt un groupe dont j’étais le leader… donc ça change pas grand chose avec « Nerlov ». C’est un projet « solo », mais je ne suis pas seul, il y a toute une équipe avec moi. Si j’étais seul, comme à l’époque où j’étais seul dans « VedeTT », ça serait vraiment très dur moralement. Je ne suis pas vieux, mais à 30 ans, repartir de zéro pour un nouveau projet, c’est différent qu’à 25 ans. Aujourd’hui je suis très content, c’est une sorte de renaissance, et l’équipe est parfaite… 
Après, je ne cache pas que ça me manque de ne plus jouer de batterie en groupe, et j’espère qu’on refera un disque avec San Carol parce que j’aime trop mon poste de bassiste dans ce groupe.

LFB : Est ce qu’on peut savoir ce que ça veut dire Nerlov ?

N : : Nerlov ça ne veut rien dire, on m’appelle comme ça depuis le lycée. C’est un genre d’anagramme de Florent que j’ai « slavisé » en remplaçant le « f » par un « v ». Des fois quand ça me saoul ou qu’on me dit que c’est bizarre comme prénom, je dis que c’est polonais… (rires)

LFB : Est ce que tu as des coups de coeur récents à partager avec nous ?

N : Ouais plein. « Dogs for Friends », « Sheraf Brothers », « Stav », « Big Wool », « Odor », « Jumai », « Joh Berry », « La Houle », « Limboy », « Parrad », « Coolkoude », « Zenzile »,  « Wild Fox », « Chahu », « Teenage Bed », « Arno Gonzalez », « Tiger Lion », « Trainfantôme », « The Blind Suns », « You said strange »… Que du coeur 🙂 !