Moïse Turizer: « l’idée, c’était d’arriver sur scène et que ce soit la cour de récré. »

Il y a un projet qui nous a franchement tapé dans l’œil dans la sélection des Inouïs 2021. Un son synth wave dark, une énergie punk hardcore, une esthétique rétro, leur nouvel EP Modern Light est une claque absolue. Charles et Antoine se sont rencontrés sur le groupe Alpes. Né d’un besoin d’évoluer, Charles a fondé le label Lofish Records ainsi que les sessions live Les Capsules, et Antoine s’est lancé dans la création de Moïse Turizer. On a eu l’occasion de rencontrer ce duo cinglé et ultra complémentaire qui a trouvé son exutoire sur scène. On parle jeux de mots, public choqué qui se bouche les oreilles, et coup de basse dans la tête. 

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LFB : Salut Antoine et Charles ! Comment allez-vous ? 

A l’unisson : Très bien ! 

LFB : On va revenir un peu aux prémices du groupe, comment vous êtes-vous rencontrés ? 

Charles : Moïse Turizer a trois ans et ça fait dix ans qu’on joue ensemble dans le groupe Alpes. Dans Alpes, Antoine est à la batterie et moi à la basse. On vit cette aventure avec deux autres potes, et un jour Antoine est arrivé avec quelques morceaux terminés en me proposant de les jouer avec lui. Dès le début on voulait trouver une dimension live sur le projet. Antoine est le chanteur et prend en charge le synthé et les percussions, et moi je switch entre la basse, la guitare et les percussions selon les moments.

Antoine : L’idée c’était d’arriver sur scène et que ce soit un peu la cour de récré, qu’on puisse sauter partout !

LFB : Vous vouliez vous libérer des instruments ?

Charles : Oui et non. Il y a quelque chose d’assez défouloir sur scène. La palette d’instruments qu’on utilise est assez riche mais on a aussi l’ordi qui tourne derrière. C’est le meilleur musicien du monde ! Il n’y a rien qui se décale, ce qui nous permet d’être plutôt libres. Ça ne va pas embêter le batteur derrière. (rires)  

Antoine : Et en même temps, quand on voit les musiciens électroniques sur scène, ça ne bouge pas… C’est souvent la même chose. Il fallait sortir un peu de cette idée, que ce soit vivant. Selon ce que l’on joue, il y a des lignes définies à suivre, mais il y a aussi toute une zone de liberté dans laquelle on peut aller. Il y a un vrai côté défouloir. Tout en étant assez cadré. 

LFB : Et faire kiffer tout le monde !

Antoine : Nous faire kiffer nous aussi.

Charles : Cette façon d’être sur scène s’est faite naturellement. Antoine il compose, il est à l’origine des morceaux. Moi j’aime jouer la musique, et cette dimension live est importante. Tous les deux on apporte des choses très différentes qui font la complémentarité et l’identité du groupe.

Avec notre set on peut jouer dans des espaces confinés et envoyer la patate, et quand on a pu jouer sur des grandes scènes c’était juste génial car on s’est retrouvé avec tout cet espace pour courir partout et sauter dans tous les sens.

LFB : C’est clair que ça change pour toi Antoine de quand tu étais derrière la batterie !

Antoine : C’était dur au début. Quand tu es derrière la batterie, tu es protégé, tu es dans ton château. C’est particulier d’être devant. On voit en premier le chanteur et moi je suis assez timide…

Charles : Tu t’es mis un peu à nu.

Antoine : Oui, du coup j’ai trouvé ce truc de m’agiter pour me rassurer. Je rentre dans ma transe perso, et c’est plus agréable. 

LFB : Et du coup il vient d’où ce nom ? C’est un jeu de mots… ?

Antoine : Pas compréhensible au premier abord (rires). Je me suis dit que c’était un bon jeu de mots, assez fin pour que ce soit quand même mystérieux. Et il y avait ce côté entité, c’est une personne qui n’existe pas. On peut imaginer un artiste alors que pas du tout on est deux. Ça me faisait marrer.

Et puis il y a cette facette un peu humide, un peu moisi que j’aimais bien. Le son est très « baveux », un peu crado, du coup ça marchait bien.

Charles : Ouais c’est vrai que c’est intelligent… Je suis en train de découvrir aussi le pourquoi. (rires)

LFB : Modern Light est votre second EP, quelle est l’intention derrière ce projet ?

Antoine : On a sorti un premier maxi : Bird Yard  en 2019 qui compile une série de titres sorties tout au long de l’année 2018 et Modern Light est le premier vrai EP, avec tous les morceaux qui se suivent dans une même ligne esthétique. Pour la petite histoire, on est parti à Nice pour une date avec Alpes. C’était le jour exact de la fermeture des salles de concerts et le show a été finalement annulé. Deux jours après c’était le confinement. On a dû prendre une décision sur ce qu’on allait faire. Charles est remonté sur Paris. Et moi je suis resté dans le sud. J’avais juste mon ordi avec quelques morceaux, dont le début de Modern Light. Et je me suis dit autant composer un EP à partir de cette idée.

LFB : C’est donc un EP de confinement !

Antoine : Complètement !

Charles : Il faut savoir que dans le clip de Modern Light je joue de la guitare, mais pas les bonnes parties. Je n’ai toujours pas appris les lignes. (rires) 

Je suis spectateur de ce qu’il fait. On ne se prend pas la tête au niveau créatif. Lui crée et moi je reçois les morceaux comme un public, j’ai donc une approche très positive.

Antoine : Connaissant notre parcours, je sais ce qu’il va kiffer. Mais c’est aussi super important d’être à deux, parce qu’il y a plein de moments où je suis en train de me poser des questions. Est-ce que je ne suis pas en train d’aller trop loin par exemple ? Et Charles arrive avec des idées claires. Je crée la matière et il vient tailler dedans. On est très complémentaire. Il arrive souvent qu’on trouve des choses en repet et qu’on les introduise aux morceaux.

Charles : Oui sur le prochain EP, ce sont des morceaux qu’on a beaucoup joué en live. Ils ont été construits par rapport à ce qu’on a fait sur scène.

Antoine : Le morceau se transforme selon le ressenti du live. On peut vraiment voir ce qui marche ou marche moins. 

Charles : C’est marrant mais Modern Light ressemble plus aux premiers morceaux de Moïse avec la guitare très présente, alors que celui qu’on sortira dans quelques mois est plus à l’image de ce qu’on a fait en live pendant un an et demi : plus électronique, plus tribale, plus physique.

LFB : Du coup pour replacer un peu le contexte, vous allez sortir un nouvel EP de chansons crées avant Modern light ?

Charles : C’est ça ! On prépare un EP avec Stephane Ouai qui verra le jour prochainement.

LFB : Vous avez déjà un nom pour cet EP ?

Antoine : Cloud Computer Dream 

LFB : La pochette de Modern Light est vraiment superbe, on dirait nos têtes à chaque fois qu’on nous annonce une restriction supplémentaire. 

Antoine : On adore cette idée des yeux blancs… La photo est prise par notre ami Nicolas Despis avec qui on travaille beaucoup. Et ça fait longtemps qu’il a cette photo dans ses tiroirs. On s’est dit que ce serait une bonne idée de l’exploiter, on avait la pochette avant les morceaux, elle a orienté la direction de l’EP.

LFB : Je pensais qu’elle avait été prise pendant le clip de Modern Light !

Charles : Oui, on fait la grimace à chaque fois ! (rires) 

Ça fait longtemps qu’on bosse avec Nicolas, depuis Alpes. On est très potes et il nous suit depuis le début. Il a fait toute la direction artistique et visuelle de l’EP. Les sérigraphies et le clip aussi.

Antoine : En effet, c’est marrant que cette pochette soit aussi corrélée à la période. C’est tellement absurde. On nous dit un truc et le lendemain ou nous dit autre chose. C’est vrai que le sortir dans ce contexte fonctionne bien. 

LFB : Vous avez clairement un style bien à vous et super reconnaissable, entre le post punk, la dark wave années 80, et l’électro brutale. Quelles sont vos influences ? 

Antoine : Carrément, il y en a un paquet. Soft Moon déjà, ils ont un son glaçant et éthéré, une énergie sombre et ça bouge. Et John Maus dont la musique m’inspire beaucoup. Je l’ai énormément écouté. 

LFB : Le vocodeur ça fait très The Voidz aussi. 

Antoine : C’est marrant plein de gens me disent ça. Je les ai vu au Pitchwork il y a quelque temps. Je n’ai jamais été trop fan des Strokes alors que The Voidz ça m’intéresse plus. Il y a en effet un vocodeur dans Flashback. On dirait que dans Modern Light aussi mais n’y en a pas. C’est ma voix, avec de la disto bien sûr, mais peu trafiquée. C’est cool, j’ai peut-être trouvé un truc. 

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LFB : L’EP est en général plus dansant aussi, il y a une urgence à bouger, se défouler ?

Antoine : Ouais carrément, ultra rapide. J’adore quand ça éclate la tronche. Il y avait un côté plus jungle lancinante sur le premier maxi.

Charles : Moi je dirais plus rock, plus garage, plus tribal sur le premier EP. Alors que Modern Light est plus punk. 

Antoine : Il faut savoir que sur le maxi Bird Yard je savais pas du tout gérer le son et le mixage. Je n’y connaissais rien, j’étais à l’arrache. Tous les sons sont un peu… brut. Mais il y en a qui sont très bien, comme la chanson Bird Yard, je ne sais pas comment j’ai fait. (rires). Maintenant j’ai gagné en technique et je sais un peu plus où je veux aller. 

LFB : Vous avez tourné Modern Light au Pop In, quel est votre rapport avec le lieu et quel message avez-vous voulu transmettre ?

Charles : Denis Quélard du Pop in a dû rencontrer tous les groupes de Paris. Tout le monde est passé par ce lieu. On l’adore, il y a une énergie tellement positive, c’est très agréable. 

Nicolas Despis avait déjà tourné un court métrage au Pop In, et quand on l’a rencontré il nous a tout de suite parlé de ce lieu. A chaque fois il y avait une convergence avec le Pop in ! Et comme tous les espaces culturels et les bars sont fermés, on trouvait ça cool à la fois de voir Denis, et de se retrouver là où l’on est souvent en temps normal, ce lieu qui ne vit plus trop malheureusement 

LFB : En général, quelles sont vos inspirations, les sujets qui vous passionnent, les univers qui vous font voyager ? 

Charles : Par rapport à Moïse je suis très inspiré par mes goûts d’adolescent et l’esthétique des années 90. Que ce soit dans la musique que j’écoutais, des groupes comme Rage Against the Machine ou Prodigy, dans le style vestimentaire, ou dans les vidéos de l’époque. On vient de là, c’est notre enfance. Avec Moïse j’ai vraiment l’impression de jouer quelque chose qui fait partie de notre histoire. J’ai d’ailleurs récupéré des caméscopes VHS que j’utilisais pour filmer les copains qui skataient. Le prochain clip est tourné avec, il y a un vrai affect avec ce medium.

Antoine : Avec le film en pellicule c’est très abstrait… On filme quelque chose et on ne sait pas ce qui va en sortir. On voit seulement dans le petit œillet. Il y a plein de plans de Modern Light qui étaient inexploitables, et on avait cette contrainte de faire avec ce que l’on a. 

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LFB : La contrainte peut pousser à l’innovation.

Antoine : C’est exactement ça. C’est marrant mais malgré le nom, dans Modern Light il n’y a rien de moderne dans tout ce que l’on utilise. 

Charles : C’est sans doute ça qui fait l’originalité de Moïse. On est un peu uniques. Enfin sans nous envoyer des fleurs mais je suis fier de ce que l’on fait, merde ! (rire général)  

LFB : T’as bien raison !! Comment ça se passe la sortie d’un EP en pleine crise sanitaire ?

Charles : Et bien à la fois c’est ultra frustrant de ne pas jouer, mais en même temps ce confinement remet les compteurs à zéro, on est tous sur le même plan. On redouble d’efforts et d’inventivité. Que ce soit pour tout : les CapsulesLofish, c’est gratifiant et dynamique, ça avance bien malgré la période. 

Antoine : Le seul truc un peu blasant c’est de pas pouvoir faire de release party. Mais bon on fait autrement.

Charles : Et puis avec Moïse on a un peu écumé toutes les petites salles de Paris, et le moment où l’on a arrêté ça nous a fait du bien ! On était parfois à trois-quatre concerts dans le mois et ça a permis de se calmer. 

Antoine : Au bout du septième International tu te dis que bon ça va (rires) Avec le confinement ça a été la petite pause. Mais maintenant on a qu’une envie, c’est de repartir. On a l’impression que cette situation ne se terminera jamais… On a eu le temps d’être assez frustrés pour que ça reparte en mode explosion !

LFB : Vous avez été sélectionné pour les Inouïs, joli coup de projecteur !  Comment vous vous préparez et vous appréhendez la suite du concours ?

Charles : On ne s’est pas trop préparé (rires). Je ne connais pas encore les morceaux de Modern Light ! On prépare le set, maintenant il faut répéter. Ça va aller ! 

Antoine : On a donné notre dossier à Internet, et Internet nous l’a bien rendu. Merci beaucoup. (rires)

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LFB : Vous avez ouvert pour Etienne Daho en décembre 2019, comment vous êtes-vous rencontré et a-t-il changé quelque chose à votre carrière ?

Charles : On l’a rencontré grâce à notre amie Pauline qui bossait avec lui.  C’est quelqu’un qui a une vraie sensibilité artistique, de très ouvert.

Antoine : Il est assez incroyable oui, il nous a invité à jouer pour sa carte blanche à Toulouse et ensuite à faire sa première partie à la salle Pleyel. C’est vrai que le public d’Etienne Daho n’est pas forcément susceptible d’aimer ce qu’on fait. Il prend des risques assez fous ! On est monté sur scène comme d’habitude, et il y a des gens qui n’ont pas vraiment kiffé. 

Charles : Au premier rang certains se bouchaient les oreilles, d’autres sortaient carrément. (rires) Mais Moïse c’est aussi un peu de la provoque, on allait pas se canaliser, au contraire. C’est comme si ça nous excitait un petit peu de pas avoir un public susceptible d’accrocher. 

Antoine : Du coup on y va encore plus fort. 

Charles : Mais bon la scène était énorme, de loin on voyait juste deux petits bonhommes qui s’excitaient … 

Antoine : Sur Facebook, on a vu des commentaires salés (rires) « La musique est horrible » « Aussi désagréable pour les yeux que les oreilles ». Et d’autres gens qui ont adoré en mode « C’était incroyable ! ». Il n’y a pas de pallier. Soit tu adores, soit tu détestes. 

Charles : Etienne Daho s’est inspiré de toutes les musiques alternatives de son époque pour faire de la pop, et il y a donc une partie de son public qui s’attend à être surpris par ses choix. C’était très drôle, on a vraiment kiffé. 

Antoine : Et lui aussi il a trop kiffé ! On le remercie tellement. 

Charles : En plus c’était la première fois qu’on jouait avec des ear monitors. On nous a dit qu’il n’y avait pas de retours. 

Antoine : C’était la première fois que je m’entendais chanter. Du coup c’était l’occasion de chanter juste ! (rires)

LFB : Vous êtes quand même connus pour être des bêtes de scènes, ça va pas trop frustrés ? 

Charles : On s’amuse sur scène oui ! 

Antoine : Il y a eu quelques blessés ouais… Des gens qui se sont pris des bassistes dessus…

Charles : Un soir, j’ai donné un coup de basse à ma copine… Elle était en train de nous filmer on a donc la vidéo… On aime bien aller dans le public et faire un peu mal (rires)

Antoine : Ce n’est pas volontaire, c’est sur le moment 

LFB : Bientôt une nouvelle capsule pour retrouver l’ambiance live ? 

Charles : Ce n’est pas encore prévu, aucun groupe n’est passé deux fois pour l’instant mais ce serait génial. 

LFB : Charles, tu es aussi fondateur du label Lofish Records, comment vous vous en sortez en ce moment ? 

Charles : On est une petite équipe de gens motivés et nous apportons chacun nos idées et nos compétences. Ces derniers temps il y a eu pas mal de sorties, le confinement a permis de finaliser les morceaux qui dormaient.

On bosse sur le futur EP de Chichirama depuis une petite année et on a sorti les EP de Moïse TurizerThe RabblersPabloeDenys & The RosesAlpes et le premier titre de Video Future.

Antoine : C’est cool d’avoir une structure en tant que musicien. Ce n’est pas qu’un label qu’on connaît de loin, c’est une famille. On se sent épaulé. 

Charles : Au début de Alpes, on était des ados à Nice, loin du centre, de Paris. Tu fantasmes un peu sur les labels, mais tu réalises que ce sont souvent des bandes de potes et tu te retrouves à vouloir t’incruster.

Du coup, de façon très modeste on a voulu créer notre entité. Lofish était le moyen de faire avancer tout le monde et d’être liés par quelque chose de plus grand. C’est un projet de copains, et depuis ça avance.

Antoine : L’idée de la maison de disques, des gros majors est un peu en train de se déconstruire… C’est un business, ça fait de la musique formatée, qui ne ressemble pas aux artistes, sans liberté créative. Alors ça fait du bien de se retrouver à plus petite échelle. 

Charles : On peut réussir à faire vivre notre musique entre nous. Parce qu’on est une équipe de personnes motivés et compétentes. On n’est pas contre trouver d’autres partenaires, mais on n’a pas le couteau sous la gorge, on n’attend personne pour faire vivre et diffuser notre musique. Et on s’amuse.

LFB : Vous avez des artistes à nous conseiller en ce moment ? 

Charles : J’écoute un peu les trucs que tout le monde écoute en ce moment : Fontaines D.CIdles… Mais j’ai envie de vous dire d’écouter les groupes de Lofish. (rires)

LFB : Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ? 

Charles : De pouvoir s’éclater, de continuer à kiffer ! 

Antoine : Pareil ! 

LFB : Merci beaucoup ! Je me suis bien marrée ! Si vous avez un dernier message c’est maintenant.

Antoine : Bisous.