The Land Is Inhospitable and So Are We. Avec un titre comme celui-ci, on ne s’attendait guère à moins qu’un énième classique de la part de la prodige Mitski. Et on ne s’est pas trompés.

On vous le dit d’entrée de jeu ; ce nouveau projet est certainement l’un des meilleurs que Mitski ait pu proposer jusqu’à maintenant. Non pas que le choix soit facile, au vu de sa discographie d’une rare cohérence en termes de qualité, et ce depuis son premier album sorti il y a plus de 10 ans. Mais The Land Is Inhospitable and So Are We est différent, et ce sans pour autant complètement se détacher de la nostalgie aux relents destructeurs qui a toujours caractérisé sa musique, et sans laquelle cette dernière perdrait probablement de sa saveur. Simplement, l’aspect cathartique est moins présent, au profit d’une sérénité presque déstabilisante tant elle est inattendue.
L’énergie ne se perd pas, elle se transforme : ainsi, l’approche moins tragique avec laquelle Mitski aborde son existence ne fait pas pour autant perdre sa musique en intensité. On découvre l’artiste grandie, plus réfléchie, et surtout emplie d’amour à revendre.

Dès l’introduction, Bug Like an Angel, qui se compte sans aucun doute parmi les morceaux les plus aboutis de sa carrière, on est instantanément embarqué dans le nouvel univers de ce que l’artiste décrit comme son “most American album”. Une qualification assez floue, qui se comprend très rapidement par l’implémentation d’éléments sonores caractéristiques de la folk et de la country. Partant d’un simple air de guitare digne d’une énième ballade indie, un chœur est introduit sur le premier couplet, accompagné d’un orchestre apportant une dimension théâtrale qui se poursuit tout au long de l’album.
Mitski s’y livre sur ses problèmes d’alcool, et ses relations chaotiques avec une honnêteté touchante au possible, bercée par des harmonies réconfortantes qui contrastent avec la brutalité des expériences qu’elle décrit. Au cœur d’un album qui semble introduire une nouvelle facette de l’artiste qui nous était jusqu’alors inconnue, quelque chose reste demeure toutefois inchangé. Et ce quelque chose, c’est notre admiration sans faille pour l’écriture de Mitski. Une poésie qui nous émeut comme peu peuvent se vanter de le faire, dont le principal atout est cette capacité à exprimer et véhiculer tant d’émotions, en en disant pourtant explicitement si peu.Simple, honnête, et directe. Truffée de métaphores toutes plus obscures les unes que les autres, des insectes du premier morceau au buffalo du second, sans pour autant passer par des schémas d’écriture alambiqués.

Une poésie sublimée par les compositions remarquables de Patrick Hyland au fil du projet, qui met parfaitement en valeur la chanteuse aussi bien à travers des productions plus expérimentales, comme celles de Buffalo Replaced et I’m Your Man, qu’à travers certaines dignes de films d’animation, comme celle de Star qui est un de nos indéniables coups de coeur.
Deux morceaux dénotent dans cette collection de souvenirs mélodieux emplis malgré eux de regrets ; Heaven, et My Love Mine All Mine. Deux berceuses romantiques déstabilisantes par leur douceur. Mitski y apparaît apaisée, état dans lequel on est loin d’avoir l’habitude de la connaître. On peut l’y entendre conter « My baby, here on earth / Showed me what my heart was worth », et on regrette presque de ne pas avoir un album entier d’une telle naïveté amoureuse tant son écriture semble avoir été faite pour ça.
Un contraste frappant avec son registre habituel, au ton souvent bien plus dramatique, que nous rappellent When Memories Show, I Don’t Like My Mind, ou encore le superbe I Love Me After You, au sein duquel elle évoque ses problèmes d’amour-propre et de dépendance affective. Une conclusion adéquate pour un projet particulièrement réussi, dont la petite trentaine de minutes qui le compose nous rassasie amplement. À une époque où les projets conceptuels et narratifs se multiplient, Mitski nous offre une véritable bouffée d’air frais avec un album qui prend plutôt la forme d’une collection de souvenirs mise en musique. Et on l’en remercie.