Mauvais Œil : « Mektoub revient à se dire d’avancer jusqu’à rencontrer son destin »

« Mektoub, n.m. Terme emprunté à l’arabe. Il fait référence au destin. Le concept est que la destinée de l’homme est entièrement déterminée. Exemple : Mektoub, le dernier EP de Mauvais Œil. » A l’occasion de sa sortie le 26 juin, nous avons rencontré ce duo de djinns autour d’un café par télépathie. Entre magie et hasards forcés, nous avons tenté de décortiquer leur excellent EP.

La Face B : Bonjour Mauvais Œil, comment allez-vous ?

Mauvais Œil : Ça va très bien !

LFB : Mais au fait, qui êtes-vous ?

Mauvais Œil : On est deux musiciens, Alex et Sarah, et on est une équipe ! 

LFB : Depuis la sortie de votre EP Nuit de Velours, on a pu vous croiser dans les journaux ou les programmations de festivals. Qu’est ce que vous retenez de ce parcours ?

Sarah : Je retiens que les choses ont commencé à prendre de l’allure dès notre rencontre.

Alex : On s’est rencontrés il y a deux ans, en ayant été mis en contact par des gens qui savaient que l’on se cherchait mutuellement ; que l’un serait un peu la pièce manquante de l’autre. Six mois après, on travaillait ensemble sur Mauvais Œil et on faisait nos premiers concerts.

 « Avec Mauvais Œil on veut lancer un message fort de solidarité, de partage »

LFB : C’est un peu comme si votre rencontre était écrite, que c’était le mektoub !

Mauvais Œil : Exactement !

LFB : En parlant de Mektoub, qui est aussi le nom de votre EP. Est-ce que certains événements ont pu vous pousser à le sortir ?

Sarah : Non…

Alex : On avait pour projet de faire un deuxième EP dès la sortie du premier. Quant au choix du titre éponyme Mektoub, c’est pour mettre en avant le morceau qui raconte notre rencontre.

Sarah : Avec Mauvais Œil on veut lancer un message fort de solidarité, de partage. Puis, on pense qu’on était destinés à se rencontrer. Puisque artistiquement, on se complète et personnellement, je n’avais jamais eu l’harmonie qu’on a actuellement. Mektoub c’est un peu ça, ce qui veut dire qu’il ne faut pas baisser les bras et avancer jusqu’à ce que tu rencontres ton destin.

LFB : En guise de conclusion de l’EP, il y a une deuxième version du titre, cette fois-ci en arabe. Une langue que vous aviez déjà utilisée avec Afrita. Comment est-ce que l’on fait sonner une langue si gutturale et marquée par des lettres comme le « r roulé » (ر), ou encore le « h expiré » (ح) ?

Sarah : Je crois qu’elle se fait sonner toute seule. On a pas besoin de la faire sonner.

Alex : C’est une langue qui d’elle-même est plus rythmée, donc plus musicale.

Sarah : Le français est beaucoup plus monotone et demande du travail. Alors qu’en anglais, par exemple, il y a des accents d’intensité : les stress, qu’on a pas du tout. Puis, l’anglais et l’arabe ont beaucoup de sonorités communes.

Alex : Même dans l’écriture, un texte en arabe est plus simple à poser sur la musique.

Sarah : Finalement, le vrai challenge c’est plutôt de réussir à dompter la langue française.

LFB : Côté musique, on retrouve tout cet ornement qui pourrait être propre à la musique orientale. Où il y a pleins d’effets, des trilles (notes qui alternent rapidement) ou des glissando et des rythmes très marqués. Est-ce que c’était une composition sous le signe de la liberté et l’éclatement ou au contraire, de la prise de tête ?

Alex : Ça se fait en deux temps : la composition et la production. La compo’ ou bien les arrangements, viennent tout seuls, c’est fluide. Par exemple, on a composé Mektoub en deux heures. Mais après, la prod’ nous a pris plusieurs semaines.

Sarah : C’est dans des détails, que personne ne remarquera, qu’on se prend la tête. Parce que pleins de petits détails bout à bout font un morceau dans son entièreté. 

LFB : En parallèle, il y a un côté très dansant quasi club à travers des silences (Salam Salomé) ou au contraire des rythmes de plus en plus forts (Mektoub). Est-ce qu’il y a certains artistes ou certaines musiques qui ont pu inspirés cet EP ?

Alex : Un peu comme on nourrit tous les aspects de notre musique, c’est en écoutant un maximum de musiques différentes. Nos playlists n’ont aucun sens, aucune limite entre le bon goût, le mauvais goût; le kitsch, le pas kitsch; dans l’ancien, dans l’actuel. Puis, on adore faire danser les gens, on adore danser nous même.

Sarah : Faire danser, tout en abordant des messages forts et sérieux. 

Alex : Oui, rendre léger quelque chose qui pourrait être plombant.

LFB : Cet aspect de mélange des genres et de partage, on le retrouve dans l’essence et l’histoire même de la musique arabe. Car de nombreux chanteurs ou musiciens étaient Arabes, mais aussi Druzes, Andalous ou Juifs.

Sarah : Oui, même si parler de musique arabe c’est déjà faire un raccourci. Elle est nourrie par des migrations : des rythmes latins, tziganes, comme de la musique andalouse. La musique arabe a déjà voyagé partout. On veut mettre en lumières les similitudes, pas les différences donc effectivement si tu grattes un peu, tu vas trouver des points communs.

LFB : Est-ce que vous vous considérez dans la lignée de la pop arabe ?

Sarah : Nous, on fait de la pop. C’est le genre le plus libre, où tu as le droit de tout mettre. Parfois, il y a de l’oriental dans notre pop.

« On veut mettre en lumières les similitudes, pas les différences »

LFB : En parlant de musique pop et de variété, vous avez repris Ève Lève-toi de Julie Pietri. Pourquoi ce choix ?

Alex : Pour la petite anecdote, on nous avait déconseillé cette reprise, car c’est une époque révolue, passée. Mais on s’en fou un peu du mauvais goût parce que la compo’ est bien !

Sarah : C’est un morceau fédérateur ! Puis, il y avait pas mal de symboles car Julie Pietri est pied-noire. C’était important pour nous de reprendre une personne ayant des attaches avec l’Algérie. De plus, qui est une des premières à mettre des sonorités orientales dans la variété française. C’est un pied de nez. On trouvait intéressant de reprendre la chanson à notre époque, notre place, avec ce que l’on essaye de raconter. 

LFB : Car au-delà du kitsch étiqueté aux années 1980, cette chanson est très actuelle, délivrant un message féministe assez fort.

Sarah : On trouvait que ça allait bien avec Salam Salomé qui parle de la même chose. J’avais écrit ce morceau sur Mata Hari, Salomé, Judith, Ève, toutes ses femmes que l’on a taxée de séductrice pour arriver à leur fin. Je me suis dit que ce serait drôle d’écrire une lettre d’excuse en me mettant à leur place. Au final, quand tu la lis, tu ne peux pas savoir si c’est un homme ou une femme qui en est l’auteur.e parce que c’est non genré. 

LFB : Après, il y a eu tant d’autres artistes qui dans les années 1980-1990 ont apportés des sonorités orientales leur musique (Khaled, Balavoine ou même Bashung). Parce que directement ou indirectement, ça faisait référence à leur origine.

Sarah : Y a cela, puis le simple fait d’avoir une histoire commune. On est tous là ensemble et on se nourrit les uns des autres… et heureusement ! Ça raconte la vie et je pense que c’est pour ça qu’il y a pleins de choses différentes qui sortent. Un artiste est supposé parler un petit peu de lui.

LFB : Et pour la suite, est-ce qu’il y a des futurs projets comme un clip ou même un album ?

Alex : L’EP sort le 26 juin. Pour l’album, on est dessus. On a eu le temps de le faire ces deux derniers mois

Sarah : Puis, avec les circonstances actuelles, on se laisse le temps. On se dit qu’il faut prendre le temps de faire quelque chose qui a du sens et qui sera vraiment bien.

Alex : On n’est plus dans une espèce d’urgence. Pour l’instant, y a plus de concerts. Le monde de la musique et du spectacle est un peu en pause, en standby.

LFB : Est-ce que toutes les contraintes liées à la crise sanitaire on pu vous restreindre ?

Sarah : On était paralysé, on avait peur au début du confinement.

Alex : Parce que ça déboule, tu sais pas trop ce que c’est. Mais ça s’est débloqué quand on a du faire un live pour le Printemps de Bourges. On a reçu pleins de messages de remerciement. C’est ça qui nous a permis de repartir. 

LFB : J’imagine que que ça a pu ancrer l’importance que votre musique peut avoir sur les gens.

Alex : Les premières semaines tu doutes un peu…

Sarah : …de ton utilité ! (rires) 

Alex : Ouais, si tu n’es pas caissier, infirmier, éboueur ou livreur de marchandises…

Sarah : …que tu ne fais pas des choses très concrètes qui permettent à la cité de vivre.

Alex : Oui, tu restes chez toi, tu sers à rien mais en fait non pas du tout… très rapidement, tu te rends compte que c’est quasi vital. On sombre si on n’a pas accès à la culture.

Sarah : Je pense que ce qu’on a de mieux à faire aujourd’hui c’est de produire de la musique.

Alex : Pendant le confinement, on arrivait pas a se projeter et ça faisait un peu peur. Maintenant, moins, comme pour tellement de monde. 

Sarah : On fait les choses au jour le jour et on verra quand ça repart.

LFB : A part la concrétisation de tous ces beaux projets, qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter ?

Alex : Bonne question ! 

Sarah : De toujours rester fidèle à nos convictions et à ce que l’on veut partager avec les autres. De ne pas se perdre. 

Le nouvel EP de Mauvais Œil est disponible sur toutes les plateformes de streaming. Tout comme le clip de leur titre Mektoub.