Martin Luminet, Monstre de bonne compagnie

Martin Luminet est un garçon moderne. Un bonhomme de son époque qui vit et pense comme nous. Il aura pris son temps pour nous livrer Monstre, un premier EP qui nous aura mis K.O et aura fait, en cinq titres, un peu le ménage dans le chaos de nos existences. Un EP qu’on aime infiniment et dont on aura mis du temps à parler. C’est désormais chose faite.

Ça fait quoi de sortir un premier EP à 30 ans ? De se lancer dans le monde de la musique à un âge où il s’agirait de grandir ? Ça fait quoi de vouloir rester un garçon ? De regarder la vie d’adulte comme un gros mot dont on souhaiterait s’éloigner le plus possible ? Ça fait quoi de grandir et de faire le choix de l’immaturité ? D’avoir laissé trop longtemps dans une boîte tout un tas de sentiments pour qu’ils finissent par exploser en un monstre qu’on n’a pas envie de contrôler ? De laisser la vie s’écouler en mots, de verbaliser enfin tout un tas de failles pour avancer, pour soi, mais surtout pour les autres ? 

Étrangement, toutes ces questions, on imagine aisément Martin Luminet se les poser un peu trop souvent. On est sûr qu’il nous pardonnera d’avoir gentiment plagié son excellent titre Garçon, absent de ce premier EP lumineux comme un Martin Luminet. On est certains aussi qu’il détournera un peu le regard face au tissu d’éloges qu’on s’apprête à dresser sur sa musique, et donc par extension, sur lui. On le connaît un peu, ou du moins c’est comme ça qu’on se l’imagine, tant sa musique raisonne et résonne en nous d’une manière étrange, comme si on avait attendu pendant longtemps que quelqu’un aborde ces sujets de cette manière-là.

Comme si un fil étrange et invisible s’était créé entre nous et ces cinq petits monstres sonores pour nous maintenir vivant et nous pousser à avancer.

Si on suivait la dialectique du journaliste aux grandes phrases toutes prêtes, on pourrait dire que Martin Luminet s’est révélé sur le tard. C’est aussi vrai que faux.

On pourrait simplement parler de temps de latence. D’un bout d’existence passé sous pilules bleues, à créer des murs avec ses sentiments. Et puis une fois le moment venu de suivre le lapin blanc, de laisser la vérité et les émotions exploser en pleine gueule comme une bombe sale à laquelle il ne s’attendait pas, il n’y avait plus de retour possible : ces émotions, ces histoires, il fallait les faire vivre, les poser sur papier et les amener sur le ring. Boxer l’amour et la bienveillance pour les renforcer encore et encore chaque jour.

Ainsi naquit Monstre, premier effort métamorphe où le je se transforme lentement mais sûrement en on. Tout commence par un cri égoïste et solitaire pour se diluer, se diffuser lentement dans nos esprits pour devenir une histoire à la vocation collective et humaine très claire.
Parce qu’à lui comme à nous, l’amour on nous l’a mal appris. Nos sentiments, on nous les a envoyés dans la gueule sans nous expliquer comment les appréhender et les soigner. Ainsi, les mots qui habitent ces cinq titres portent en eux cet universalisme un peu brutal à l’image du monde. Des choses crues et vraies, un flow qui semble ne pas avoir de fin, comme si il y avait trop à dire et trop peu de temps pour le faire.

Ces mots, ils les fracassent, les maltraitent sur des compositions ponctuées par des beats puissants, un tempo sec sur lequel il essaie de calmer son coeur avant que celui-ci, comme la production, ne s’emballe dans une sorte de grandiloquence salutaire et expiatrice. Le tout donne un ensemble particulièrement cohérent, une histoire qui se déroule, celle d’un garçon qui s’est construit pour mieux se déconstruire, qui a analysé le monde de loin avant de se plonger dedans avec la rage de celui qui veut trouver sa place parmi les autres afin de devenir un monstre de bonne compagnie.

Tout commence avec Magnifique, ce grand saut dans le vide. Ici tient le constat d’une vie qui trouve enfin ses rails, d’un garçon qui pour la première fois retombe sur ses pieds alors qu’il avait plutôt l’habitude de voir sa tête s’éclater sur le bitume. Magnifique est une mue magnifique, où Martin pose les jalons de son univers avec encore un peu de distance et d’humour. Une distanciation pudique dans laquelle il parle d’une chanson hypothétique qu’il ne chantera jamais, tout en la chantant. Et c’est quand le morceau s’emballe que le vrai apparaît, quand cette longue montée explose qu’il se dévoile, qu’il cherche à comprendre et accepter ce que les gens voient en lui et qu’il trouve faux ou du moins déformé.

C’est à ce moment-là que Coeur s’emballe. La réconciliation d’un être avec lui-même continue. Un être face à ses contradictions et ses peurs qui réalise les points de fuite, les attentes déçues, et les violences qu’il a pu faire vivre aux autres autant qu’à lui-même. Faire face à ses sentiments qu’il veut repousser mais qui finissent toujours par prendre le dessus. Les mots percutent, donnent le rythme de cette confrontation entre un être et son cœur, se terminant sur un certain suspens. Réconciliation ? Acceptation ? La fin est ouverte, on ne saura jamais vraiment.

Un semblant de réponse semble pourtant poindre avec Monde, tube évident de l’EP avec ce refrain absolument dingue qui colle à nos esprits dès la première écoute. Le je s’est fatalement effacé pour laisser place à ce on global et forcément logique. Notre monstre a trouvé sa place et porte l’étendard des gens comme lui, de tous ceux un peu cassés qui pourraient devenir une armée si jamais ils arrivaient à accepter qu’ils ne sont pas seuls. La beauté est dans la vérité et Martin Luminet porte dans ce morceau toutes les histoires qu’on a tous vécu un jour ou l’autre, nous permettant pendant 3 minutes 18 de retirer le poids que l’on porte un peu sur l’âme.

La nuit apparaît, et après avoir été l’acteur et la voix de ses morceaux, Martin Luminet se fait désormais observateur avec Vodkaromance. Une troisième facette de sa personnalité qui à l’écoute, confirme toute l’empathie dont il se nourrit pour faire vivre sa musique. On plonge dans ces nuits où l’on cherche à s’oublier pour mieux se retrouver, où les larmes qui tombent dans nos verres d’alcool semblent nous purifier un temps des choses qui nous bouffent. 

L’aventure se termine avec Amour, un grand moment de déconstruction qui ramène l’être humain dans ce qu’il a de plus moderne, face à tous les doutes et les violences qui peuvent l’habiter. Le morceau, ainsi que l’EP, se terminent sur une note d’espoir : l’amour est une chose universelle qu’on finira par réussir à comprendre et dompter, qu’on pourra à nouveau formater à l’image que l’on sait bonne pour nous.

Avec Monstre, Martin Luminet nous offre autant un état de son âme qu’un état du monde moderne. Jamais défaitiste, toujours combattif, il nous entraîne dans ses combats et ses failles qui, comme on l’a déjà dit, sont un peu les nôtres. Ici, Luminet s’adresse à ceux qui vivent trop fort, trop bruyamment, qui titubent souvent et pleurent énormément. En cinq titres, il nous invite, en nous partageant le sien, à accepter le monstre qui vit en nous. C’est simple et beau, le genre de musique qu’on a envie d’écouter quand nos yeux regardent le sol, afin de relever la tête et de se dire qu’en effet « c’est pas demain la veille que cette putain de vie nous fera la mort ». 

Retrouvez nos deux entretiens avec Martin Luminet ici et .