LOTHAR : « Le grand danger est de vouloir ordonner le chaos »

Il est des projets que l’on aime voir grandir et mûrir. Lothar, le projet de Nathan Herveux en fait partie. De Lothar on adore le côté radical du parti pris musical mais aussi, et ce n’est pas contradictoire, la sensibilité qui émane des morceaux.

Nous avons discuté avec Nathan juste avant son concert sur la terrasse du Trabendo. Le dispositif « Take Me Out : Supersonic Hors Les Murs » était encore en place, crise sanitaire oblige. Nous avions hâte de renouer avec la musique en live et de nous égarer, de nouveau, dans l’univers dystopique de Lothar.

Crédits Damien Breton

La Face B : Bonjour Nathan, tout d’abord j’ai envie de te demander comme tu vas ?

Lothar : Au top !

LFB : Lothar est un projet qui a déjà connu plusieurs vies. Peux-tu nous raconter sa genèse et son évolution ?

Lothar : A ses débuts, Lothar était un groupe que j’avais monté avec Benoit, le chanteur de Grand Blanc. On travaillait souvent ensemble sur des futurs morceaux de Grand Blanc. Certaines de ces tracks ne rentraient pas dans le champ musical de Grand Blanc. Néanmoins, elles avaient des points communs en termes de structures. On s’est alors dit qu’on allait en faire quelque chose. Ça a donné un premier EP en 2018. Benoit étant ensuite pleinement occupé par Grand Blanc, j’ai continué le projet seul. J’ai sorti un deuxième EP [1999] en 2019 et en juin dernier Distorsion, le premier album de Lothar.

LFB : Tu as réussi à trouver une signature sonore propre à Lothar. Qu’est ce qui fait qu’un morceau sonne Lothar ?

Lothar : Pour qu’un morceau sonne Lothar, j’essaye de me limiter au maximum dans les arrangements, d’avoir des éléments très redondants dans ce que j’utilise. Je me limite aussi vachement dans les synthés. Je préfère davantage jouer avec mes machines qu’avec les infinités de plugs que l’on peut avoir dans un ordinateur. Au niveau univers sonore, cela tourne autour de la texture de la basse qui est quasiment toujours la même, des gros impacts rythmiques et après il y a tout ce truc un peu blues.

Je n’en suis pas complètement conscient, mais j’essaye dans la production, dans les arrangements d’avoir quelque chose le plus limité possible pour que ce soit identifiable et que le projet soit cohérent.

LFB : Ce qui se dégage d’abord des morceaux, c’est leur aspect monolithique. On a l’impression d’être devant un bloc sonore. Et puis on s’aperçoit que ça fourmille de détails. Toutes proportions gardées, un peu lorsque l’on arrive devant une cathédrale, les volumes impressionnent et ce n’est qu’en se rapprochant que l’on remarque ses ornements, sculptures, gargouilles, … Lorsque tu écris un morceau, quel est ton processus de création ?

Lothar : C’est vrai que j’aime bien les trucs très radicaux. J’adore l’EDM pour cela, les énormes drops sans aucun sens. Ça me casse la tête, j’adore ! Il y a beaucoup de ça dans ce côté monolithique. J’aime bien quand ça break. Quand il se passe quelque chose d’extrêmement identifiable du genre « Pan dans les dents ». Mais en même temps, j’habille tout cela d’un truc qui fait que l’on peut aller vers un couplet. Là-dedans, il y a du détail. En fait, si tu fais un truc archi monolithique, archi brut, si tu ne l’habilles pas de détails ultra éthérés et légers cela perd de sa force.

C’est un peu la technique des graphistes du point bleu. Bon c’est une légende urbaine. Quand tu rends un boulot, tu fais l’image que tu as envie de faire et tu lui mets un gros point bleu dessus en transparence. Tu le montres au client qui le trouve : « C’est chanmé, mais ça serait bien d’enlever ce point bleu ». Tu enlèves le point bleu et tu retrouves ton image.

LFB : L’univers que tu décris dans les morceaux de Lothar est sombre. On a l’impression d’y voir un monde qui se délite. Est-ce un avertissement pour le monde que nous connaissons aujourd’hui ?

Lothar : Carrément. Si je décris une dystopie, ce n’est pas un monde avec des aliens et des soucoupes volantes. Ce que je présente, c’est une version légèrement tournée du monde dans lequel on vit. Je le tourne suffisamment pour dire que tout cela est inventé et en même temps on peut continuellement tirer des liens très concrets avec le monde actuel.

LFB : Dans certaines chansons, on ressent comme un sentiment de résignation. Peut-être ce que l’on ressent en observant des phénomènes naturels et violents. Lothar était une tempête. Une tempête que l’on ne peut pas maîtriser.

Lothar : Exactement. Je trouve important et beau dans la vie quand on recherche un équilibre ou du bonheur dans le chaos. Le grand danger est de vouloir l’ordonner. Je préfère trouver ma respiration dans le chaos ambiant. En fait, tout peut aller bien mais à condition d’accepter de vivre dans un chaos absolu.

Crédits Damien Breton

LFB : Le fait d’être passé du format d’EP à celui d’un album, te permet de prendre le temps de créer une cohérence entre les différents morceaux que tu y fais figurer. Tu peux aussi y positionner des temps de respiration. Comment as-tu organisé ce changement de format ?

Lothar : Je voulais raconter davantage d’histoires dans l’album. Avant j’écrivais juste des trames narratives dont l’interprétation était laissée au ressenti de l’auditeur. Il y a encore un peu de cela dans ce que j’écris, mais dans cet album je souhaitais donner plus de clés, plus d’indices. Du coup, je me suis rendu compte qu’en juxtaposant les morceaux, tu pouvais, sans trop en dire, alimenter la portée des morceaux, voire faire apparaître des sens que je n’avais pas identifiés. J’ai pu les utiliser pour aller encore plus loin, c’est cool. Il y a vraiment des choses qui communiquent bien entre elles.

L’album c’est génial pour ça et aussi parce que tu peux faire cela en grand. Le format de l’EP, c’est compliqué. Il y a un côté :« Single, single, single ». Ça peut s’apparenter à un court métrage. Dans un album, tu peux avoir des moments de respiration. C’est très agréable à faire.

LFB : Sur les derniers morceaux il me semble qu’il y a comme une ouverture

Lothar : Un peu, mais de l’espoir, je ne sais pas [rires]. Cela se finit un peu avec une interrogation. Mais ces questions peuvent être d’issues tragiques. En tout cas, ce que je voulais dire c’est que même si je me résigne au chaos, je ne suis pas pour autant fataliste. Je crois énormément en la vie et à son pouvoir.

LFB : Il y a comme une notion d’entraide qui apparaît.

Lothar : Oui, c’est un sujet qui me passionne : « la relation entre l’individu et le groupe » « le sens de la communauté », ce sont des choses qui me parlent énormément. Je pense que tout le monde se sent globalement très seul. J’aime bien me dire qu’il existe des communautés ou du moins des liens à créer entre les gens. Pas avec un truc forcé de fausse solidarité. Si chacun contrôlait davantage son égoïsme, tout le monde se comporterait mieux envers les autres. C’est un peu ce que je voulais véhiculer là-dedans. Un lien vers les autres mais qui passe par soi.

LFB : Lothar a aussi une entité graphique qui lui est propre. C’est un projet que tu aimerais amener au-delà de la musique ?

Lothar : Oui carrément. Je travaille depuis le deuxième EP, 1999, avec ma cousine Margaux Dinam et Charly Josse sur toutes les images qui vont avec Lothar. En fait l’objectif, et on a commencé à le mener sur l’album, c’est d’avoir des choses qui se répondent, qui s’alimentent autant l’un que l’autre. Un peu un truc à la Gorillaz où tout un univers est dépeint. Mais de cet univers, on ne visualise que des fragments. D’ailleurs la dystopie de Gorillaz est très intéressante pour cela. Ça pourrait être là, mais ce n’est pas exactement là. C’est vers ça que l’on aimerait aller.

On a aussi fait des balades aléatoires sur Instagram. C’était génial, un peu comme des devoirs pour nous. On choisissait un endroit au hasard en France. J’avais une carte de France que je divisais en six parties. On faisait quatre jets de dés. Le premier chiffre correspondait au 1/6ième de la France. On zoomait ensuite dedans en redivisant encore en six. Nouveau jet de dés et ainsi de suite. A la fin tu arrivais dans des lieux dits tout petits. On cherchait des choses qui nous plaisait autour et ce lieu était notre point de départ. A partir de là, on se donnait une heure pour concevoir une image et une minute de musique. Pendant le premier quart d’heure, on s’interdisait de partager ce que l’on était en train de faire. Ensuite, on se montrait ce que l’on avait fait et on essayait de les faire se converger.

Assez souvent on était déjà dans le même truc. C’était trop marrant. On le refera sans doute. En tout cas, c’était un super exercice.

Balades Aléatoires
 
#1 (Château Mendoce)
#2 (Château de Masse)
#3 (Vic-sur-Seille)
#4 (Lille)
#5 (Centre international d’art et du paysage) avec Emmaï Dee de Bagarre
#6 (Les Bêtes du Gévaudan)
#7 (Viaduc de Garabit)
#8 (Aérodrome de Melun Villaroche) avec Voyou
#9 (Col de la Grande Casse)

LFB : Tu comptes utiliser les sons nés de ces balades aléatoires ?

Lothar : Aucune idée mais je les aime beaucoup. Comme j’ai un cahier des charges, une nomenclature avec Lothar qui est assez défini, même avec un tel exercice, où tout va très vite, je peux retomber sur mes pattes et retrouver du son « Lothar ».

Ça pourrait être de la matière pour d’autres trucs. Les thèmes sont les mêmes donc il n’y a pas de raison. Et puis après graphiquement, j’ai eu la chance d’avoir l’album qui a été coproduit par Cyril Pedrosa, un auteur émérite de bandes dessinées. On parle beaucoup avec lui de tout cet univers. On pourra peut-être le transposer différemment.

LFB : Dans les incursions en dehors de la musique, tu as aussi associé la danse à ton clip Vésuve

Lothar : Le clip de Vésuve, c’est une sorte d’accident. Ce qui s’est passé : ma sœur, qui est danseuse, a travaillé avec le réalisateur Sébastien Heindorff. Ils ont simplement tourné des images pendant une journée à Francfort. Sébastien a monté ces images sur un morceau de Lothar qui existait déjà, Qraqeb. Lorsque j’allais sortir Vésuve et que je lui ai proposé de faire le clip, il les a remontées et ça a donné la vidéo de Vésuve que tu connais. J’adore que ce soit avec ma sœur. En plus, comme on se ressemble beaucoup, j’aime l’idée que ce soit un peu moi dans la dystopie. Ça marche bien.

LFB : Pour revenir sur tes racines, tu es originaire de la région de Metz. As-tu gardé une vision sur cette scène musicale messine qui semble être assez active ?

Lothar : Ça fait 10 ans que je suis parti de Metz, à l’époque il y avait déjà des groupes chouettes. Je ne sais pas s’il se passait plus de choses qu’ailleurs. Après tout le monde parle toujours de la Triple Alliance de l’Est et son côté cold wave, avec Kas Product, Noir Boy George. En fait j’écoutais ça quand j’étais à Paris. Je ne les ai découverts qu’en messin, adolescent là-bas. A Metz j’allais tout le temps aux Trinitaires. J’ai découvert un milliard de trucs dans cette salle. C’était trop bien. Depuis qu’il y a la BAM c’est plus compliqué. Avant ils pouvaient programmer des choses plus techniques dans le caveau des Trinitaires qui ne faisait que 80 places. Maintenant, ils ont le même budget pour faire fonctionner la BAM et les Trinitaires.

LFB : Pour revenir à tes concerts, comment as-tu géré ton passage du studio au live ?

Lothar : Déjà, je n’ai pas encore fait beaucoup de concerts. C’est encore très stressant pour moi. En tant qu’ingé son, je ne sais pas combien de concerts j’ai pu faire mais ça n’a vraiment rien à voir. Sur scène, je suis vraiment en PLS comme disent les jeunes.

Dans l’idéal, j’ai une formule à trois avec Mus, le batteur de Bagarre, et Raph, le guitariste de Paalma. Donc batterie, guitare et moi pour les machines et le chant. C’est beaucoup plus rock. J’ai une passion pour le rock et notamment celui que l’on fait sur scène. C’est trop bien.

Comme je n’ai pas toujours la main sur mes deux zigotos de musiciens, j’ai aussi une formule où je suis tout seul. Cela me permet aussi de gagner en expérience beaucoup plus rapidement. C’est encore plus dur mais j’y vais.

Je ne suis pas très attaché à retranscrire fidèlement les morceaux du studio. Quand je suis tout seul, ça ressemble beaucoup à l’album même des structures où des sons peuvent changer. Dans la formule à trois, c’est beaucoup plus libre. J’aime bien que les morceaux évoluent sur scène, que le propos soit encore là mais que l’on puisse s’amuser avec.

LFB : Vous retravaillez ensemble les morceaux en vue du concert ?

Lothar : Oui, ils font tout le temps des propositions, c’est trop cool. Dans l’idéal, Lothar serait un groupe de dix personnes. J’adore être entouré, qu’il y ait des gens, des musiciens. J’adore le moment dans la composition où on fait un truc que tout monde trouve cool et qu’on lève alors les bras en l’air, tous ensembles.

Il y aura peut-être plus tard une autre forme de Lothar plus tard et on sera dix sur scène !

Crédits Damien Breton

LFB : En quoi ton expérience d’ingé son t’aide ou t’influence sur ce que tu fais sur scène ?

Lothar : A mort. Je suis une véritable éponge. J’ai la chance en tant qu’ingé son de ne travailler qu’avec des groupes que j’aime et qui deviennent souvent des amis. Je les vois faire des choses inspirantes. Je prends absolument tout.

Là maintenant, j’ai la chance de bosser avec des gens plus jeunes, qui ont vingt piges. C’est trop bien. Jamais j’aurai eu accès à ce qu’ils écoutent et à ce qu’ils ont dans la tête si je ne faisais pas ce métier. C’est ultra cool et ça me sert beaucoup.

LFB : Comment fais-tu cohabiter les deux ? L’artiste se retrouve-t-il bloqué par des problématiques d’ingénieur du son.

Lothar : C’est compliqué à agencer. D’autant que j’ai fait les choses un peu dans le désordre. J’ai eu une approche très artistique du métier d’ingé son et j’ai une approche très artisanale du métier de créateur de musique.

Au début de ma carrière, comme je faisais aussi de la musique, les zones pouvaient être floues entre mon investissement musical et mon rôle d’ingé son. Est-ce que j’étais en train d’essayer de faire partie du groupe, ou non ? Et aussi, comme des groupes étaient en développement avec plein d’envies, le fait d’être un adjuvant ou une première oreille faisait que les gens avaient tendance à m’inclure dans le groupe. Alors ça a donné plein de belles choses, que ce soit avec Grand Blanc ou Bagarre avec lesquels j’ai travaillé de manière très active. Mais ensuite cela a généré des problèmes de positionnement. Tu ne sais plus où tu es. Le groupe ne sait plus où tu es. C’est le bordel.

Maintenant que j’accorde plus d’importance à Lothar, je suis encore plus épanoui dans mon métier d’ingé son et évidemment davantage épanoui dans ma vie d’artiste. Je comprends mieux où sont les choses. Je mets des barrières claires dès le départ. Parce qu’en réalité, ce n’est pas unilatéral. Ce n’est pas moi qui cherche à m’immiscer dans le groupe. Ça se répond vachement. Quand tu as de l’intérêt pour la même chose, ça matche, ça colle, c’est très magnétique.

Crédits Damien Breton

LFB : Tu ne ressens pas de temps en temps de frustration à ne pas pouvoir intervenir dans ce que fait un groupe, lorsque tu as ta casquette d’ingé son ?

Je n’ai pas ma langue dans ma poche. C’est aussi pour cela que les gens travaillent avec moi en tant qu’ingé son. On m’appelle aussi pour ça : J’arrive bien à débloquer les situations. Je n’hésite jamais à dire ce que je pense avec certainement plus de tacts aujourd’hui que lorsque j’avais 22 ans. J’échange énormément avec les groupes avec lesquels je travaille. Pas pour les amener vers ce que je veux, mais davantage pour les diriger vers leurs idéaux en tant que groupe.

LFB : C’est un petit travail de directeur artistique.

Lothar : C’est complètement ça. D’ailleurs quand je travaille en studio, je ne suis pas ingé son. Je fais plus de la réalisation et de la DA. Et j’adore ça. Je trouve cela passionnant.

LFB : Quels sont tes projets et que peut-on te souhaiter pour les temps qui viennent ?

Lothar : Ce qu’on peut me souhaiter, c’est d’autres concerts. Davantage de concerts et de bien les vivre. Avec du gros son et à trois si c’est possible. Souhaitez moi ça ! Et du bonheur et une montagne d’argents [Rires]

Retrouver Lothar sur La Face B :
Lothar – Distorsion, Tempête sur les Microsillons
ADN #216 : Lothar